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Ils voulaient empêcher Benoît de parler!

Non, ce n'était pas à la Sapienza de Rome, mais à l'Institut de France, lors de sa visite dans notre pays, en septembre 2008. Voici ce que disait Louis Lafforgue, médaille Field de mathématiques, avant et après. Reprise (1er/8/2014)

>>> Les images sont issues du site de l'Institut

     

Sur le site Canal Académie, ("les instituts de France sur internet") on peut lire, encore à ce jour:

RÉCEPTION DE BENOÎT XVI À L’INSTITUT DE FRANCE LE 13 SEPTEMBRE 2008
LE PAPE SOUS LA COUPOLE
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Le 13 septembre 2008, le pape Benoît XVI est reçu sous la Coupole de l’Institut de France en présence de nombreux membres des cinq académies.... Le cardinal Ratzinger avait été élu membre associé étranger de l’Académie des sciences morales et politiques le 13 janvier 1992.
Près de 300 académiciens et correspondants de l’Institut étaient réunis sous la Coupole pour accueillir le Souverain Pontife, le pape Benoît XVI, lors de son visite en France le samedi 13 septembre 2008 à 9 heures du matin.
Entrant par l’immense double porte du palais de l’Institut, sa Sainteté a été accompagnée sous la Coupole par les Secrétaires perpétuels de chacune des cinq académies. Il est rarissime que cette ancienne porte du roi soit ouverte – généralement elle est réservée au Chef de l’État - mais le Chancelier de l’Institut de France a tenu, par ce geste symbolique, à donner à cette réception tout l’éclat qu’elle mérite.
Le pape, souriant et détendu, a salué en entrant de nombreux académiciens. Il était accompagné de plusieurs cardinaux et évêques, dont Mgr Vingt-Trois, cardinal archevêque de Paris, et du cardinal Roger Etchegaray, membre de l’Académie des sciences morales et politiques.

Puis Gabriel de Broglie, Chancelier de l’Institut de France, a prononcé des mots chaleureux de bienvenue, soulignant combien c’était –je le cite- « un grand honneur et une immense joie » de recevoir le Saint Père. Il a rappelé que ce dernier avait toujours manifesté une infinie bienveillance envers les académies aujourd’hui réunies pour célébrer une circonstance sans précédent : un souverain pontife confrère des académiciens.
Benoit XVI, en effet, du temps où il était cardinal Joseph Ratzinger, il y a 16 ans, avait été élu, le 13 janvier 1992, membre associé étranger de l’Académie des sciences morales et politiques et "installé" par une réception sous la Coupole le 6 novembre de cette même année.
Pour que cette visite soit immortalisée, l’éclat en a été gravé dans le métal et dans la pierre.
Le Chancelier a en effet offert au Pape une médaille afin de lui exprimer la profonde gratitude, le respect et le fidèle attachement des académiciens.

>>> Ci-contre: Médaille en mémoire de la visite du Pape Benoît XVI à l'Institut de France le 13 septembre 2008.

Ensuite le Pape a adressé quelques mots non seulement pour remercier mais pour insister sur les liens profonds qui l’attachent à la culture française dont, a-t-il dit, il reste un grand admirateur, exprimant sa gratitude car elle a tenu une grande place dans son parcours intellectuel.
Citant Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », il a rappelé que deux académies de l’Institut, deux académies pontificales et l’Institut Catholique de Paris, avaient ouvert en janvier un colloque interacadémique pour mener une réflexion afin d’éviter ce risque de dichotomie entre la science et la conscience. Et il a émis le vœu que ces travaux puissent se poursuivre.
Après quoi le Chancelier a dévoilé une plaque de pierre, située à droite du cénotaphe de Mazarin, plaque surmontée des armoiries papales et gravée d’un texte commémorant l’événement :

Sa Sainteté le pape Benoit XVI, est venu en ce lieu le 13 septembre 2008 ; il a reçu les marques de respect et d’attachement de ses confrères de l’Institut de France, sous cette Coupole où il fut installé le 6 novembre 1992, comme membre de l’académie des sciences morales et politiques.

A l’issue de cette cérémonie, le Pape s’est entretenu un moment avec les Secrétaires Perpétuels qui l’ont raccompagné dans la cour d’honneur. Puis il a repris sa « papamobile » afin de se rendre aux Invalides pour y célébrer une messe avec près de 300 000 personnes qui l’attendaient.
La visite papale à l’Institut de France fut un moment bref, mais exceptionnel...

     

La revue TRACCE de Communion et Libération publiait le 22 juillet 2008, à moins de deux mois de la visite de Benoît XVI un article du grand mathématicien français et médaille Field, Laurent Lafforgue, inquiet de l'attitude sectaire de certains de ses collègues qui voulaient lempêcher le Pape de s'exprimer.

Et dire qu'il y en a qui voudraient l'empêcher de parler
Laurent Lafforgue
Tracce, août 2008
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La visite du Pape à l'Académie des Sciences déchaîne la réaction de quelques uns de ses membres, qui voudraient lui ôter la parole.
Un éminent intellectuel français est descendu dans l'arène pour le défendre.
Voici pourquoi:


J'aurai l'occasion de voir le Pape le samedi 13 septembre lors de sa visite à l'Académie des Sciences, mais aussi d'assister la veille au discours « destiné au monde de la culture » qu'il prononcera au Collège des Bernardins.
Plusieurs membres des Académies ne sont pas contents que le Saint Père ait été invité à visiter l'Institut de France, dont il est pourtant membre associé depuis 1992. Certains protestent contre cette « célébration » du Pape à travers les Académies, d'autres lui reprochent d'être né en Allemagne en 1927 ; tous ou presque se sentent moralement supérieurs à lui et pensent lui faire un honneur en le recevant.

C'est une situation inimaginable et déplorable.

Je suis au contraire convaincu que la réponse favorable du Saint-Père à l'invitation de l'Institut de France est pour ce dernier un immense honneur.
Il me semble que le Pape entend ainsi affirmer devant le monde l'immense valeur reconnue au savoir et à la culture, en particulier à la culture française.
Dans le naufrage intellectuel de nos responsables politiques et de nos dirigeants (surtout du Ministère de l'Education) et face à une societé toujours plus soumise à l'empire de medias chaque jour plus stupides, je ne vois pas d'où pourraient surgir des soutiens solides en dehors de religions comme le christianisme et le judaïsme.
Le choix de Benoît XVI est parfaitement cohérent avec un de ses thèmes les plus chers : l'importance et la valeur incommensurable de la rationalité, déjà objet d'une des plus importantes encycliques de Jean Paul II, Fides et ratio (à laquelle le cardinal Ratzinger avait beaucoup contribué).
Contrairement à ce que les journalistes ont retenu, il a été aussi le thème central de son discours de Ratisbonne, et de celui qu'il aurait dû prononcer à la Sapienza.
Avant d'être un pasteur, Joseph Ratzinger est d'abord un professeur et un universitaire.
Le seul fait que, dans l'époque où nous sommes, pour guider l'Église il y ait un homme qui est d'abord un professeur et un universitaire (et il l'est de manière extrêmement brillante), est vraiment digne d'être souligné. Depuis longtemps je suis un lecteur avide de ses oeuvres pour la qualité de la pensée qui s'y manifeste, une pensée qui - tout en restant toujours limpide - est sous-tendue par une impressionante érudition.
Même du seul point de vue intellectuel, que le théologien Joseph Ratzinger ait accepté d'être élu membre associé de l'Institut de France seize ans plus tôt a été un grand honneur. Pour toutes ces raisons, aujourd'hui sa visite comme Pape est un honneur encore plus grand.

© Copyright Tracce, août 2008, ma traduction

     

Puis, au lendemain de la visite, TRACCE publiait en entretien avec le même Laurent Lafforgue, qui disait toute l'admiration que lui avait inspiré le grand discours des Bernardins

Au coeur de la culture
Silvio Guerra
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Le 12 septembre, Laurent Lafforgue était là, parmi les 700 "intellectuels" qui ont rencontré le Pape au Collège des Bernardins.
Juste avant il avait raconté à "Tracce" ce qu'il attendait de cette visite. Aujourd'hui il nous explique pourquoi « ce fut une grâce »

« Une grâce ».
C'est ainsi que Laurent Lafforgue, très grand mathématicien (lauréat en 2002 de la Medaille Fields, un prix qui pour les mathématiques équivaut au Nobel), définit la leçon de Benoît XVI au Collège des Bernardins, à laquelle il a assisté. Lafforgue, qui à 41 ans peut déjà s'enorgueillir d'un siège à l'Académie des Sciences, était descendu dans l'arène à la veille de la visite du Pape en France, pour défendre son droit de s'adresser au monde scientifique. Aujourd'hui il nous raconte pourquoi il a été si touché par les mots de Benoît XVI.

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- Que retenez-vous du discours au Collège des Bernardins ?
- L'intelligence et la simplicité d'une pensée sensée, allant au coeur de questions essentielles, sont des bénédictions. Un tel enseignement fait du bien à quiconque le reçoit.

- Pourquoi le rapport entre foi et raison est-il encore le coeur de la question ?
- La rencontre et le dialogue entre foi et raison resteront actuels tant que les hommes vivront. Dans notre époque, ce dialogue a été et reste décidément conflictuel: c'est pour cela que nos sociétés (comme, au fond, chacun de nous) sont si déchirées. Ainsi, comme tous les problèmes vraiment importants, ce dialogue entre foi et raison ne sera jamais dépassé, mais il demande à être approfondi à l'infini.

- Tout le discours aux Collège des Bernardins est centré sur le fondement ultime de toute vraie culture…
- Pour Benoît XVI ce fondement est « la recherche de Dieu et la disponibilité à l'écouter ».
A l'Esplanade des Invalides, ensuite, il a dit : « Jamais Dieu ne demande à l'homme de faire le sacrifice de sa raison ! Jamais la raison n'entre en contradiction réelle avec la foi ! ». C'est justement ce qui rend possible une vraie culture.
A l'aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées, le Pape a affirmé : « Je crois que la culture et ses interprètes sont une courroie de transmission privilégiée dans le dialogue entre la foi et la raison, entre Dieu et l'homme ».
Je serais tenté d'y lire rien moins qu'une définition de la culture dans sa raison d'être la plus profonde: le fondement ultime de la culture réside dans son rôle de lieu de dialogue entre la foi et la raison. En 1980, à l'Unesco, Jean Paul II a dit que « la nation existe à travers la culture et pour la culture ». C'est ainsi que nous pouvons comprendre cette affirmation, citée par Benoît XVI dans le discours aux évêques de France : chaque nation historique incarne une forme particulière de dialogue entre la foi et la raison, entre Dieu et l'homme.

- Comment ce thème peut-il servir à affronter le défi de l'éducation aujourd'hui ?
- Pour éduquer il faut avant tout avoir une idée de la finalité de l'homme.
Comme l'a rappelé le Pape à l'Esplanade des Invalides, c'est « un bonheur de vivre éternellement avec Dieu ».
Aux Collège des Bernardins, il a illustré comment cette recherche de Dieu justifie, construit et oriente la culture. Et il l'a fait d'une manière très concrète, en parlant de grammaire, de sciences profanes, d'écoles, de bibliothèques, de chant, de musique, d'herméneutique… La culture, par définition, se transmet à l'instant même où elle se développe. Et cette transmission de la culture est l'objet de l'éducation. Le discours du Saint Père rend donc à l'éducation son fondement ultime.

- Le Pape a dit que les « racines de la culture européenne sont dans la recherche de Dieu ». Dans une culture laïque, surtout comme celle française, n'est-ce pas une affirmation discriminatoire vis-à-vis de ceux qui cherchent sans nécessairement savoir qu'ils sont à la recherche de Dieu ?
- Depuis plusieurs décennies, nous sommes tous témoins de l'autodestruction de la culture et de l'école en Occident.
Ce processus n'a été aussi rapide et aussi radical que parce que la plupart des représentants de la culture, au fond d'eux-mêmes, ont cessé depuis longtemps de croire. C'est parce que la culture et le savoir (comme beaucoup d'autres aspects de la vie) ont perdu leur fondement ultime.
Je crois n'avoir jamais entendu un discours plus apte à faire retrouver le fondement ultime de la culture, ni de mots aussi forts en faveur de la grammaire et des lettres. Mots que le Pape a trouvé chez Jean Leclercq : « Dans le monachisme occidental, eschatologie et grammaire sont intintimement liées l'une à l'autre… Le désir de Dieu inclut l'amour pour la parole ».

- Les laïques objecteront que la grammaire et les lettres peuvent se passer de toute référence à Dieu.
- Oui. Mais alors pourquoi, dans les dernières décennies, l'enseignement de la grammaire et celui des lettres se sont-ils détériorés à ce point ? S'ils veulent prouver que la culture et sa transmission peuvent se passer de Dieu, ils doivent faire une seule chose : reconstruire une culture et une école laïques, dignes de ce nom ! Un vaste programme…
Le Pape illustre la vérité de ce qu'il dit avec la qualité merveilleuse de sa pensée et de son enseignement. Il revient à nous catholiques de nous montrer dignes de l'exemple qu'il nous donne.

- Le Pape a dit que la Parole « introduit dans la communion avec ceux qui marchent dans la foi ». En intervenant au Meeting de Rimini en 2007 (ndt: la rencontre annuelle des membres du Mouvement Communion et Libération), vous avez parlé du « caractère communautaire du travail des mathématiciens », unis dans pour rechercher la vérité. Quel lien, entre votre travail et cet appel du Pontife ?
- Les mathématiciens sont tournés vers la recherche de vérités qui ne dépendent pas d'eux, afin de pouvoir les partager les uns avec les autres : il se crée ainsi un lien communautaire. Mais Benoît XVI parle de quelque chose de beaucoup plus fort : « La Parole qui ouvre le chemin à la recherche de Dieu est une Parole qui concerne la communauté » et « elle nous rend attentifs les uns aux autres ». En un mot , c'est la Parole elle-même qui crée la communion. De cette communion, la communauté des mathématiciens n'est qu'une figure, une image nécessairement partielle et imparfaite.

- Qu'est-ce qui vous a le plus frappé pendant la visite de Benoît XVI et qu'a-t'elle représenté pour votre expérience de chrétien ?
- Pour moi, cela a signifié beaucoup. Personnellement l'instant le plus important a été la messe à l'Esplanade des Invalides, le jour de la fête de Saint Jean Chrysostome (dit le « docteur eucharistique ») : dans son homélie, le Pape a admirablement rappelé à nos coeurs que l'Eucharistie est au centre de la vie chrétienne. Je suis convaincu que cette visite se révélera importante pour l'Église entière et pour la societé française, en donnant des fruits durables.

- Et comme mathématicien, qu'en pensez-vous?
- Être un mathématicien chrétien est souvent peu commode. Dans mon milieu, les chrétiens sont rares, effet de la dramatique scission historique entre foi et raison.
Pour tous les autres - ou presque - l'image de l'Église est celle imposée par les media : ils sont convaincus que le catholicisme n'a pas de richesses intellectuelles (en réalité ils ne les connaissent pas), c'est pourquoi ils le méprisent.
Les communautés chrétiennes que je connais ont souvent été induites à se désintéresser de ces richesses dans la tradition de l'Église, au point que l'anti-intellectualisme y a largement pris pied (ceci aussi est un effet de la scission entre foi et raison).
Comme mathématicien chrétien, donc, je me sens étranger autant parmi les chrétiens que parmi les mathématiciens.
Après le discours au Collège des Bernardins, cependant, même mes collègues mathématiciens - malgré leurs préjugés - ont dû reconnaître qu'ils ont à faire à un grand esprit, qui tout au moins mérite d'être pris en considération. Alors que les communautés chrétiennes ont vu un exemple extraordinaire d'intelligence mise au service du Christ avec simplicité et humilité.
Tout cela me remplit de joie.

© Copyright Tracce, octobre 2008, ma traduction

Annexe
Le bref discours du Saint-Père à l'Institut

Samedi 13 septembre 2008

Monsieur le Chancelier,
Madame et Messieurs les Secrétaires Perpétuels des Cinq Académies,
Messieurs les Cardinaux,
Chers frères dans l’Épiscopat et le Sacerdoce,
Chers Amis Académiciens, Mesdames et Messieurs !

C'est pour moi un très grand honneur d'être reçu ce matin sous la Coupole. Je vous remercie) de vos paroles d’accueil pleines de courtoisie et de la médaille que vous avez bien voulu m’offrir. Je ne pouvais pas venir à Paris sans vous saluer personnellement.
Il m'est agréable de profiter de cette heureuse occasion pour souligner les liens profonds qui m'attachent à la culture française pour laquelle j'éprouve une grande admiration. Dans mon parcours intellectuel, la rencontre avec la culture française a eu une importance singulière. Je saisis volontiers l’occasion qui m’est donnée pour exprimer à son égard ma gratitude, à titre personnel et comme successeur de Pierre. La plaque que nous venons de dévoiler gardera le souvenir de notre rencontre.

Rabelais affirmait fort justement en son temps : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ! » (Pantagruel, 8).
C’est pour contribuer à éviter le risque d’une semblable dichotomie que, au mois de janvier, et pour la première fois en trois siècles et demi, deux Académies de l'Institut, deux Académies Pontificales et l'Institut Catholique de Paris ont organisé un Colloque inter-académique sur l’identité changeante de l’individu qui a illustré l’intérêt de larges recherches pluridisciplinaires. Cette initiative pourrait se poursuivre afin d'explorer en commun les innombrables sentiers des sciences humaines et expérimentales. Ce vœu s' accompagne de la prière que je fais monter vers le Seigneur pour vous, pour les personnes qui vous sont chères et pour tous les membres des Académies, ainsi que pour tout le personnel de l'Institut de France. Que Dieu vous bénisse !

© Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana

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