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La dernière audience du Pape Benoît

Le 27 février 2013. Magnifique récit, à relire à un an et demi de distance, écrit par une rédactrice du site <Campari & de Maistre>, témoin visuel de ce moment inoubliable. Et rappel du non moins beau témoignage de Stefanio Filippi sur Il Giornale (8/9/2014)

>>> Voir aussi:
¤ Le texte de la dernière catéchèse: benoit-et-moi.fr/2013-I/la-voix-du-pape/la-derniere-catechese.php
¤ Les images: benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/images-de-la-derniere-audience.php
¤ Du site Campari & de Maistre: Désarroi parmi les catholiques

     
TU ES PETRUS. LA DERNIÈRE AUDIENCE DU PAPE BENOÎT
Campari & de Maistre, 1er mars 2013 (Ilaria Pise)

www.campariedemaistre.com/2013/03/tu-es-petrus-lultima-udienza-di-papa.html
(ma traduction - inédite)
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Le soleil étreint la place, remplie, mais pas trop. Ce n'est pas un rassemblement océanique (*), qui salue le pape en ce matin de sa dernière audience, mais une ambience familiale, presque intime, qui s'est créée malgré les très nombreux drapeaux nationaux qui émergent entre les bannières et pancartes dédiées au Saint-Père (le rouge écarlate du drapeau de la Chine attire le regard, et j'ai le cœur ému par les drapeaux libanais et indiens qui me semblent apporter sur la place, en plus de l'amour de l'Eglise vivante, le sang de ces Églises martyres, aussi en ces jours).

Le long du trajet sur la papamobile qui fend la foule, on présente à Benoît un nourrisson. Je ne le vois pas de mes propres yeux, je le verrai le lendemain matin, grâce à la photo d'une amie blogueuse, et même si ce n'est pas la première image du genre, elle me semble représenter à la perfection le salut à une paternité spirituelle et humaine qui nous rappelle visiblement, chaque jour, que nous sommes une unique famille, un unique peuple, un unique corps: quelques minutes plus tard, le Pape dit: «mon âme s'élargit pour embrasser toute l'Église éparse à travers le monde; et je rends grâce à Dieu pour les nouvelles que durant ces années de ministère pétrinien j'ai pu recevoir de la foi dans le Seigneur Jésus-Christ, et de la charité qui circule dans le corps de l'Eglise et le fait vivre dans l'amour».

La grande émotion d'être, également physiquement, témoin d'un instant, dans tous les sens du terme, «historique» fait que durant le discours du Saint-Père, chacun reparcourt avec la mémoire, ces presque huit années - elles ont volé - où nous avons reçu le grâce de ce pontificat. Huit années reparcourues en une demi-heure, parce que le temps humain n'est pas le temps divin: «je sens que je porte tous dans la prière, dans un présent qui est celui de Dieu».

La douce sérénité de la voix, des gestes, du visage de Benoît est bouleversante. Il semble vouloir nous rassurer, comme un père; ses paroles s'arrêtent souvent sur les notions de «confiance» et de «joie»: «J'ai toujours su que dans cette barque, il y a le Seigneur, et j'ai toujours su que la barque de l'Eglise n'est à moi, pas à nous, mais qu'elle est à Lui, et qu'il ne la laisse pas couler; c'est Lui qui la conduit ... Cela a été et est une certitude, que rien ne peut ternir. Et c'est pourquoi, aujourd'hui, mon cœur est rempli de gratitude envers Dieu», «Je voudrais que chacun sente la joie d'être chrétien ... Oui, nous sommes heureux pour le don de la foi; c'est le bien le plus précieux que personne ne peut nous enlever!», «Dans notre cœur, dans le cœur de chacun d'entre vous, qu'il y ait toujours la joyeuse certitude que le Seigneur est à nos côtés, ne nous abandonne pas, est près de nous et nous entoure de son amour».
Tout comme un père, il nous rappelle la prière du matin, que nous avons apprise quand nous étions enfants (le «je t'adore») (**).

Le pape, ensuite, remercie ceux qui l'ont épaulé et soutenu durant ces années: «Je ne me suis jamais senti seul à porter la joie et le poids du ministère pétrinien; le Seigneur a mis à mes côtés beaucoup de personnes qui, avec générosité et amour pour Dieu et l'Église, m'ont aidé et m'ont été proches». Pourtant, tandis qu'il dit cela, nous ne pouvons nous empêcher de penser à toutes les fois où nous l'avons regardé avec indifférence ou condescendance, où nous avons permis que l'on salisse sa parole et sa personne, où nous avons cédé au politiquement correct plutôt que de défendre le successeur de Pierre; à toutes les fois où notre prière - trop prise par nos requêtes et nos angoisses - l'a négligé, où son Magistère a été liquidé à la hâte, sinon incompris. Et pourtant, il nous remercie!

La participation, pas seulement émotive, me rend difficile, je l'avoue, d'applaudir pendant les pauses qui ponctuent le discours de Benoît. Une partie de moi a du mal à lui «pardonner», pour ainsi dire, de me priver de son image que j'aime tant, splendide dans sa fragilité, plus resplendissant de la lumière du Christ au fur et à mesure que son corps se consume et devient éthéré. Je voudrais courir l'embrasser, tandis que ses paroles ont des accents de paternité authentique et touchante: «J'ai aimé tous et chacun, sans distinction, avec cette charité pastorale qui est le cœur de chaque pasteur, surtout de l'évêque de Rome», «le Pape a vraiment des frères et des sœurs, des fils et des filles partout dans le monde, et il se sent en sécurité dans l'étreinte de leur communion; parce qu'il ne s'appartient plus à lui-même, il appartient à tous et tous lui appartiennent».

Je voudrais lui demander de m'apprendre son courage, tandis qu'il prononce une phrase qui me donne le vertige: «[le Pape] appartient toujours et totalement à tous, à toute l'Eglise. A sa vie est ôtée, pour ainsi dire, la totalité de la sphère privée. J'ai pu expérimenter, et je l'expérimente précisément maintenant, que l'on reçoit la vie tout justement en la donnant ... Le "toujours" est aussi un "pour toujours" - il n'y a plus un retour dans la vie privée. Ma décision de renoncer à l'exercice actif du ministère, ne révoque pas cela ... Je n'abandonne pas la croix, mais je reste de manière nouvelle auprès du Seigneur Crucifié». L'émotion de ce moment m'empêche de saisir toute la profondeur de ces mots, je ne la cueillerai que plus tard, en les reprenant.

Et enfin, comme de la Croix, le Christ confie Jean à Marie, et un père met un petit dans les bras de sa mère, pour qu'elle console ses pleurs, Benoît nous confie à la Mère Co-Rédemptrice, pour qu'elle nous donne force et confiance: à son merveilleux «merci» final font écho nos longs applaudissements.

Il est si beau de se sentir Eglise ainsi, serré autour du Pontife, que dans mon cœur, à la fin, la joie l'emporte sur la mélancolie. La gratitude pour ce que tu m'as fait comprendre durant ces années, Sainteté, est trop grande; la beauté de l'être Christ, qui ressort de chacun de tes actes, est trop lumineuse pour que ma faiblesse humaine puisse l'emporter. Et malgré toute l'ingratitude que tu as reçu en retour pour t'être ainsi donné pour nous, tu nous remercies; et en dépit de tout l'horrible mal qui a été dit sur toi, tu es Bene-detto.
Merci, papa!

* * *

(*) Ce n'est pas l'impression que l'on avait en regardant les images... Mais je comprends que l'auteur de l'article veut mettre l'accent sur le côté familial de la rencontre

(**) «Je t'adore, ô mon Dieu, je t'aime de tout mon cœur. Je te remercie de m'avoir créé, fait chrétien .... ».

C'EST LA DERNIÈRE FOIS QUE NOUS LE VOYONS
Il Foglio, 27 février 2013 (Stefano Filippi)

www.ilgiornale.it/news/interni/oggi-lultima-volta-che-vediamo-papa
(ma traduction d'alors)
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Il arrivera à 10h30 sur la papamobile découverte et il y aura le soleil. Il traversera la place Saint-Pierre, montera sur le parvis de la basilique. Il priera, il prononcera son dernier discours public et donnera la bénédiction avec son doux sourire et des gestes mesurés. Puis il retournera fendre la foule sur la jeep blanche, il ira jusqu'à la Via della Conciliazione, il saluera le peuple qui l'acclame et ne veut pas le laisser partir. Peu après midi, il sera de retour dans son appartement, «caché au monde». Et en personne, nous ne le verrons plus. Demain, après 20 heures, c'est à dire après sa démission et le début de la vacance du Siège, il deviendra «pape émérite» ou «pontife émérite».
L'ultime audience de Benoît XVI est le salut à un ami qui part pour ne jamais revenir. Nous avons besoin de le voir, de l'embrasser, de prendre ses derniers mots, de lui faire sentir qu'il n'est pas seul et qu'il ne le sera pas, même si nous avons du mal à comprendre pourquoi il en a décidé ainsi. Mais le jour du départ, ne nous attardons pas à discuter: l'important est d'être là, de fixer la dernière image, de capter un souvenir qui tienne compagnie.
Joseph Ratzinger est l'ami timide que l'on découvre peu à peu. Doux, profond, essentiel, qui ne concède rien au spectacle ou au sentimentalisme, et encore moins en ces jours de fin de son pontificat. Il a mentionné sa décision en peu de mots pour ne pas alimenter les regrets, il a remercié tout le monde et a invité à prier pour lui. A présent, les questions se font plus pressantes comme pour un être cher, éloigné: comment il va, ce qu'il fait, s'il est content, comment il regardera l'avenir. Allons-nous lui manquer? Bien sûr, tout comme nous sentons la déchirure. Mais Papa Ratzinger a rassuré tout le monde et il le fera encore aujourd'hui, comme à l'Angelus de dimanche. Calme, déterminé, saisi par le Christ.

L'audience finale sera une série de flash-backs qui se succèderont sous la colonnade, durant l'attente. Sa première apparition dans la Loggia des bénédictions, les poignets du pull noir sous les manches de son habit, au lieu d'une chemise blanche avec des boutons de manchette. Le pape à Rebibbia, qui ne condamne pas les détenus, mais se dit «ému par votre amitié». Le théologien habitué à une vie réservée qui enthousiame les places et remplit les stades et les aéroports. L'homme de foi qui défie la raison d'intellectuels, de politiciens, d'avocats dans les capitales culturelles d'une Europe égarée, au Collège des Bernardins à Paris, à Westminster Hall, à Londres, au Bundestag à Berlin. Les larmes devant des gens abusés par des prêtres pédophiles. Les dénonciation de la «saleté qui défigure le visage de l'Eglise».
Et puis les rencontres en questions et réponses «improvisées» comme le dernier «petit bavardage» il y a 10 jours avec les prêtres de Rome pour parler de Vatican II: épisodes d'il y a cinquante ans racontés comme s'ils venaient d'avoir lieu, trois quarts d'heure 'a braccio' sans perdre le fil, dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle, ne s'arrêtant qu'une seule fois pour boire un verre d'eau. Ou la chaude soirée de la rencontre avec les familles à Milan, quand une fillette vietnamienne a demandé à Benoît XVI de parler de «quand tu étais petit comme moi», et le vieux pape a rappelé les dimanches en Bavière, la musique, les dîners, les promenades dans les bois, la joie dans les petites choses.
«Quand j'essaie d'imaginer un peu comment ce sera au paradis, il me semble que ce sera toujours comme au temps de ma jeunesse» a-t-il confessé,et pourtant c'était le temps de la guerre, de la dictature, de la pauvreté, qui n'ont pas empêché le jeune Joseph Ratzinger de grandir «en sachant qu'il est bon d'être un homme, car nous avons vu que la bonté de Dieu se reflète dans les parents et les frères et sœurs. Je pense que dans le ciel ce devrait être semblable à ce qui était dans ma jeunesse. En ce sens, j'espère aller "à la maison", en allant vers "l'autre côté du monde"».
Ainsi a parlé Benoît XVI le 2 Juin 2012 à l'aéroport devant 500 mille personnes Bresso, et ainsi se répétera-t-il maintenant qu'il a pris la route du retrait. «Il est bon d'être un homme»: combien d'entre nous, malades de la modernité, jeune ou vieux, pourraient le répéter avec la même immédiateté?

La dernière audience de Benoît XVI ressemblera aux précédentes. Elle sera chargée de certitudes simples, comme celles du dernier tweet: «En ce moment particulier, je vous demande de prier pour moi et pour l'Eglise, confiants comme toujours dans la Providence de Dieu». Mais aussi de questions, telles que celles proposées à nouveau dans l'avant-dernier Angélus: «Dans les moments décisifs de la vie, mais, à bien y penser, dans tous les moments, nous sommes face à ce dilemne: voulons-nous suivre moi ou Dieu?».
Un Pape qui renonce place chacun devant ce dilemme. Il dit: Dieu est la certitude qui permet de surmonter les peurs, regardez Lui, pas moi.
«A Dieu», justement. Et ce salut perd le dernier voile de tristesse.

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