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La première "lectio" publique du Pape émérite

Il vient de l'écrire, et elle a été lue par son secrétaire hier matin, lors d'un évènement organisé en son honneur. Traduction complète de l'article de l'OR (22/10/2014).

Image ci-dessous, sur l'OR: Photo-souvenir de la Commission des Missions, durant le Concile, au printemps 1965, à Nemi.
On reconnaît Joseph Ratzinger, troisième à droite de la dernière rangée
(Voir ici: benoit-et-moi.fr/2012%20(II)) et également ici)

On retouve avec bonnheur le grand théologien au meilleur de sa forme intellectuelle.
Ce serait évidemment un rêve de disposer de l'intégralité de la conférence!
Elle est suivie d'un exposé du cardinal Filoni, qui rend un magnifique hommage à Benoît XVI.

Texte original en italien [134 KB] , ma traduction:

     

MISSION DANS LA VÉRITÉ
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«Un geste de gratitude pour ce que, comme peritus conciliaire, avec son enseignement de professeur, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et enfin, avec son précieux magistère, il a fait pour l'Eglise».
C'est avec ce motif que l'Université Pontificale Urbanienne a voulu dédier son grand amphi à Benoît XVI.
La cérémonie a eu lieu ce matin, mardi 21 octobre dans le cadre de l'inauguration de l'année académique de l'université, et a vu la participation de l'archevêque Georg Gänswein, Préfet de la Maison pontificale, qui a lu un message écrit pour l'occasion par le pape émérite, dont le prélat est le secrétaire particulier.
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Soulignant la dimension d'«universalité» que l'on respire la vie dans l'Urbanienne, Benoît XVI rappelle à la communauté universitaire que l'Église «n'a jamais considéré un seul peuple ou une seule culture», mais a été dès le début «destinée à l'humanité». En ce sens, affirme-t-il, elle devient instrument visible de cette paix que le Christ a promis à ses disciples, et qui aujourd'hui, «dans un monde déchiré et violent, devient de plus en plus urgente à édifier et à construire».
Mais pour atteindre cet objectif - se demande Benoît XVI - «la mission est-elle vraiment toujours d'actualité?»
Ou bien n'est-il pas préférable de miser sur le dialogue entre les religions, unies dans un service «commun» pour la cause de la paix?
La réponse, selon Ratzinger, doit être recherchée sans perdre de vue la «question de la vérité». A laquelle, dit-il, on ne peut renoncer au nom d'un désir générique de «paix entre les religions du monde».

En ce sens, Benoît XVI voit les religions non pas comme des «variantes d'une seul et même réalité» qui «revêt des formes différentes» mais comme une réalité,«en mouvement à un niveau historique, tout comme sont en mouvement les peuples et les cultures».
Dans la perspective chrétienne, cela signifie que la rencontre avec Jésus «peut les conduire pleinement là leur vérité». Car le Christ ne détruit pas les cultures et les histoires avec lesquelles il entre en contact, mais il les insère «dans quelque chose de plus grand, vers quoi elles sont en chemin», les portant à «une purification et une maturation».
De cette rencontre, en effet, naît «une nouvelle vie» et «de nouvelles dimensions de la foi se manifestent et apportent la joie».

Naturellement, la religion est tout autre chose qu'«un phénomène unitaire».
En elle «on peut trouver des choses certainement nobles et belles, mais aussi basses et destructrices», affirme Ratzinger, expliquant les présupposés de l'«opposition» entre religion et foi théorisée par Karl Barth et ensuite Dietrich Bonhoeffer. Une vision que le Pape émérite juge «unilatérale», tout en reconnaissant que chaque religion - à commencer par le christianisme - «pour rester dans le juste, doit dans le même temps être toujours critique de la religion».

Dans tous les cas, Benoît XVI rejette l'hypothèse positiviste selon laquelle la religion peut désormais être considéré comme «dépassée».
L'homme, affirme-t-il, «devient plus petit, et non pas plus grand, quand il n'y a plus de place pour un ethos qui, à la base de son authentique nature, renvoie au-delà du pragmatisme» et oriente son regard vers Dieu.

D'où la conviction que, «dans un monde profondément changé, le devoir de communiquer aux autres l'Evangile de Jésus-Christ reste raisonnable».
Egalement parce que, conclut-il, «la joie exige d'être communiquée» de même que l'amour et la vérité. Non pas pour «apporter à notre communauté le plus possible de membres», encore moins «pour le pouvoir», mais - précise Ratzinger - en raison du fait que l'amour vécu dans la joie «est la preuve authentique de la vérité du christianisme».

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Dans la lectio magistralis qui a suivi, le Cardinal Fernando Filoni, Préfet de la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples et Grand Chancelier de l'université, a remercié Benoît XVI, soulignant «la très haute personnalité spirituelle, morale et intellectuelle de l'homme de Dieu. Il a toujours conjugué - a-t-il raconté en se référant à son expérience personnelle - ces trois aspects qui l'élevaient à une haute considération, mais qui me donnaient assurance, certitude et paix pour ce qui lui était soumis et qu'il décidait. J'admirais sa simplicité de vie, la grande patience, son aptitude à voir loin, son profond amour pour l'Eglise, la recherche sûre de la vérité et sa profonde attention à chacun, et à chaque chose. J'admirais sa sensibilité d'âme et sa discrétion. Avec sobriété, il aimait dialoguer et écouter. Aujourd'hui encore, il s'intéresse au monde missionnaire qui lui tient profondément à coeur».

C'est précisément sur le rapport entre Joseph Ratzinger et la dimension missionnaire de l'Eglise que le cardinal Filoni a centré sa réflexion longue et articulée.
Partant de l'autobiographie publiée par le cardinal allemand à la fin des années soixante-dix, l'orateur a identifié dans la "maison" et dans le "voyage", les «deux pôles d'une géographie spatiale et spirituelle dans laquelle s'est déroulée jusqu'à aujourd'hui l'histoire humaine et chrétienne des cinquante premières années de Joseph Ratzinger et de son ministère de prêtre, théologien et pasteur.
Cette tâche, qui s'est développée avec l'appel par le Pape Jean-Paul II à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, devait finalement assumer des dimensions universelles inattendues, le portant, comme successeur de Saint-Pierre, à une connaissance plus approfondie et un service renouvelé au sein du gouvernement de l'Eglise de Rome et de l'Eglise universelle, également à travers les voyages apostoliques».

À cet égard, le grand chancelier a souligné que Benoît XVI a accompli 54 voyges: trente en Italie et vingt-quatre en dehors. Concrètement, en sept ans, et un peu plus de huit mois de son pontificat, il a fait «un voyage presque tous les deux mois». Et dans 44% des cas, il a franchi les frontières de la péninsule italienne: quinze en Europe, trois au Moyen-Orient, deux en Afrique, trois dans les Amériques et un en Australie.

Puis le Cardinal Filoni a rappelé le magistère missionnaire du pape émérite et indiqué trois propositions pour une étude ultérieure des enjeux et des défis de l'évangélisation.
La première concerne la question sur Dieu, parce que «considérer aujourd'hui la question "Qu'est-ce qui est réel?" apparaît comme une première contribution théologique à la mission».
La seconde concerne le sujet de la mission, car cette dernière et l'Église «sont aux yeux de Benoît XVI organiquement liées, unies à un point tel que les expériences directes vécues et rendues objet de réflexion de la part des évêques des jeunes Eglises, ont contribué à approfondir et à redécouvrir théologiquement et ecclésiologiquement la nature missionnaire de l'Eglise».
La troisième considère certains aspects de la mission, parmi lesquels apparaît particulièrement actuel celui de la liberté religieuse, un thème très cher à Ratzinger. «Aujourd'hui encore, dans différentes parties du monde - a conclu le Cardinal Filoni - elle est théoriquement ou pratiquement refusée, et les chrétiens, et d'autres traditions religieuses, souffrent de la persécution. La persécution n'est pas un signe de la vérité, mais la vérité est toujours persécutée»

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