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La théologie selon Benoît XVI

"Il y a une sorte de petits qui sont également des docteurs": homélie devant les membres de la Commission théologique internationale le 2 décembre 2009 (30/10/2014)

Ce matin, relisant dans la traduction d'Anna l'article de Maurizio Blondet sur Rahner, j'ai été frappée par ce passage, que je recopie ci-dessous pour plus de commodité:

Rahner répondit avec moquerie au cardinal (Höffner): «Où les évêques ont-ils appris leur théologie?». Une phrase qui n'est que trop révélatrice: pour lui, l'autorité, ce ne sont pas les Evêques, mais «les théologiens». Les successeurs des apôtres doivent humblement apprendre «la théologie», entendue évidemment comme la «science» de professeurs allemands se donnant de l'importance et polémiquant entre eux dans un jargon incompréhensible, afin de faire, à faire comme travail intellectuel salarié, «une réinterprétation constante du dogme pour exclure l'erreur», selon ses propres mots. C'est la maladie intellectuelle allemande, la même pour laquelle depuis Kant la philosophie n'est plus la libre recherche qui sert à tous les hommes, la tentative continuelle de réponse à la «question d'être», mais bien une matière universitaire réservée à des techniciens en possession de la juste terminologie.

A la question insultante «mais où les évêques ont-ils appris leur théologie?», le cardinal aurait dû réponde: «Et vous, Rahner, jésuite et prêtre, où avez-vous appris la sainteté?». Car la question est là: quand a-t-on commencé à faire de la théologie une matière pouvant ne pas relever de la sainteté? Nos véritables théologiens sont le Padre Pio, Saint François, Sainte Thérèse, Saint Maximilien Kolbe, la petite Jacinte de Fatima… eux, ils connaissent quelque chose sur Dieu et Jésus et peuvent nous l'enseigner

Il ne m'a pas été difficile de trouver dans mes archives plusieurs documents prouvant que cette "maladie intellectuelle" n'était pas celle de Joseph Ratzinger, et que bien loin d'en être atteint, il en connaissait les symptômes (et ceux qui en souffraient!) et il essayait de la curer.

Comme les propos qu'il avait tenus lors de l'homélie de la messe conclusive du Ratzinger Schulerkreis de 2007 (je ne retrouve pas l'original, mais seulement le compte-rendu que j'en faisais à l'époque dans mon site):

Au cours de l'homélie qu'il a prononcée dimanche, en prenant congé des étudiants de l'époque où il enseignait la théologie dans les universités allemandes avant d'aller s'occuper du gouvernement de l'Église catholique mondiale, il a montré du doigt le risque de présomption, fréquente chez les théologiens.
Benoît XVI est parti de la figure de Saint-Paul pour observer :
"C'est surprenant de la part de quelqu'un qui a étudié la théologie, qui est allé dans une école rabbinique, qui connaissait l'Ecriture d'un bout à l'autre et, avec elle, connaissait la volonté divine, qui dominait tous les détails de l'exégèse, de la méthodologie et de l'interprétation. Et qui malgré cela disait: dans toute la connaissance de l'écriture, dans toute la connaissance de la révélation, je n'ai pas connu Dieu, j'étais ignorant et je n'ai pas compris l'Ecriture ".
...
"Je crois que ces mots de Saint-Paul sur son ignorance doivent nous faire réfléchir. Parce qu'il peut arriver à chaque époque, et même à nous, théologiens, que nous sachions beaucoup ou presque tout de l'origine des textes, de leur structure, de la façon dont ils ont été écrits, de leur lieu historique, que nous connaissions les théories philosophiques qui permettent d'ordonner et d'éclaircir tout cela, et que, malgré tout, nous finissions par parler toujours et seulement de nous-mêmes. Que nous ne réussissons pas à aller au-delà des hommes, au-delà de l'agir, au-delà de nous mêmes. Que Dieu à travers tout notre savoir des choses humaines ne réussisse pas à nous rejoindre et à nous parler. Que nous ne l'écoutions pas et que nous ne le connaissions pas ".
Pour le Pape, par contre, Saint-Paul, "brebis égarée" et "premier des pécheurs", a montré que Dieu "l'a pris sur les épaules", et l'a ainsi a sauvé, lui et l'humanité entière.
(benoit-et-moi.fr/2007)


Ou cette homélie devant les membres de la Commission théologique internationale, lors d'une messe que le Saint-Père avait célébré "ad orientem".
Voici ma traduction d'alors:

Chers frères et sœurs,

les paroles du Seigneur, que nous venons d'entendre dans ce passage de l'évangile, sont un défi pour nous, en tant que théologiens, ou peut-être plutôt, une invitation à un examen de conscience: qu'est-ce que la théologie? que sommes-nous, nous les théologiens? comment faire une bonne théologie?
Nous avons entendu que le Seigneur loue le Père, parce qu'il a caché le grand mystère du Fils, le mystère de la Trinité, le mystère christologique devant les sages les docteurs - qui n'en ont pas eu connaissance - mais il l'a montré aux petits, aux nèpioi, à ceux qui ne sont pas des savants, qui n'ont pas une grande culture. A eux, ce grand mystère a été révélé.

Avec ces paroles, le Seigneur décrit simplement une réalité de la vie, un fait qui commence déjà au moment de sa naissance, quand les mages de l'Orient demandent aux autorités, aux scribes, aux exégètes, le lieu de la naissance du Sauveur, le Roi d'Israël. Les scribes le savent, eux qui sont grands spécialistes, ils peuvent immédiatement dire où est né le Messie, à Bethléem! Mais ils ne se sentent pas invités à s'y rendre, pour eux cela demeure un savoir académique, qui ne touche pas leur vie, ils restent en dehors. Ils peuvent donner des informations, mais l'information ne devient pas formation pour leur propre vie.

Puis, durant toute la vie publique du Seigneur, nous retrouvons la même chose.
Aux docteurs, il est impossible de comprendre que cet homme qui n'est pas un docteur, ce Galiléen, puisse véritablement être le Fils de Dieu. Cela demeure inacceptable pour eux que Dieu, le grand, l'unique, le Dieu du ciel et la terre, puisse être présent dans cet homme. Ils savent tout, ils connaissent aussi Isaïe 53 (ndt: chapitre 53 du livre du prophète Isaïe: Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, C’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; Et nous l’avons considéré comme puni, Frappé de Dieu, et humilié. Mais il était blessé pour nos péchés, Brisé pour nos iniquités ; Le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants comme des brebis, Chacun suivait sa propre voie ; Et l’Eternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous), toutes les grandes prophéties, mais le mystère reste caché.
Au contraire, il est révélé aux petits, depuis la Madonne jusqu'aux pêcheurs du lac de Galilée. Ils savent, tout comme le soldat romain sous la Croix sait: c'est le Fils de Dieu

Les faits essentiels de la vie de Jésus n'appartiennent pas seulement au passé, mais ils sont présents de différentes manières, dans toutes les générations. Ainsi, même à notre époque, dans les deux cents dernières années, nous voyons la même chose.
Il existe de grands docteurs, de grands spécialistes, de grands théologiens, maîtres de la foi, qui nous ont enseigné beaucoup de choses. Ils sont pénétrés des détails de l'Ecriture Sainte, de l'histoire du salut, mais ils ne peuvent pas voir le mystère, le noyau véritable: que Jésus est vraiment le Fils de Dieu, le Dieu trinitaire qui entre dans notre histoire en un moment historique particulier, dans un homme comme nous. L'essentiel est resté caché!
On pourrait aisément citer les grands noms de l'histoire de la théologie de ces deux cents ans, dont nous avons beaucoup appris, mais le mystère ne s'est pas ouvert aux yeux de leur cœur.

A l'inverse, il y a aussi des petits de notre temps qui ont connu ce mystère
. Pensez à Sainte Bernadette Soubirous, à Sainte Thérèse de Lisieux, avec sa nouvelle lecture de la Bible "non scientifique", mais qui pénétre au cœur de la Sainte Écriture; jusqu'aux saints et bienheureux de notre temps: St. Joséphine Bakhita, la Bienheureuse Teresa de Calcutta, Saint Damien de Veuster. Nous pourrions en énumérer tellement!

Mais de tout cela naît la question: pourquoi en est-il ainsi? Le christianisme est-il la religion des idiots, des gens sans culture, sans formation? La foi s'éteint-elle là où s'éveille la raison? Comment peut-on expliquer cela?
Peut-être devons-nous une fois de plus regarder l'histoire.
Ce qu'a dit Jésus reste vrai, ce qu'on a observé à toutes les époques.
Pourtant, il y a une «sorte» de petits qui sont également des docteurs.
Sous la croix il y a Marie, l'humble servante de Dieu et la grande femme éclairée par Dieu, et il y a aussi Jean, un pêcheur du lac de Galilée, mais c'est ce Jean qui à juste titre sera appelé par l'Église, «le théologien», car il a vraiment pu voir le mystère de Dieu et l'annoncer; avec l'oeil de l'aigle, il est entré dans la lumière inaccessible du mystère divin
. Pareillement, même après sa résurrection, le Seigneur, sur la route de Damas, touche le cœur de Saül, qui est l'un de ces docteurs qui ne voient pas. Lui-même, dans sa première lettre à Timothée, se définit comme un «ignorant» à cette époque, malgré ses connaissances. Mais le Ressuscité le touche; il devient aveugle et en même temps, il devient vraiment "voyant", il commence à voir. Le grand savant devient un petit, et justement ainsi, il voit la folie de Dieu qui est la sagesse, une sagesse supérieure à toute sagesse humaine.

Nous pourrions continuer à lire toute l'histoire de cette façon. Juste une observation, encore. Ces doctes savants, sofòi e sinetòi, dans la première lecture, apparaissent d'une manière différente. Ici sofia et sinesis sont des dons de l'Esprit Saint qui reposent sur le Messie, le Christ.
Qu'est ce que cela signifie?
Il apparaît qu'il existe un double usage de la raison et une double façon d'être savant ou petit.
Il y a une façon d'utiliser la raison qui est autonome, qui se place au-dessus de Dieu, dans toute la gamme des sciences, à commencer par les sciences naturelles, où une méthode adaptée à la recherche dans la matière est universalisée: de cette manière, Dieu n'entre pas, donc il n'y a pas de Dieu.
Et ainsi, en fin de compte, en théologie aussi, on pêche dans les eaux de la Sainte Ecriture avec un filet qui permet de prendre seulement des poissons d'une certaine taille, et quand cette taille est dépassée, ils n'entrent pas dans le filet et ne peuvent donc pas exister.
Ainsi, le grand mystère de Jésus, le Fils qui s'est fait homme, est réduit à un Jésus historique: une figure tragique, un fantasme sans chair ni os, un homme qui est resté dans le tombeau, s'est corrompu et est vraiment mort. La méthode sait "capturer" certains poissons, mais exclut le grand mystère, parce que l'homme se fait lui-même la mesure; il a cet orgueil qui, en même temps est une grande folie, car elle absolutise certaines méthodes qui ne sont pas adaptées aux grandes réalités; elle entre dans cet esprit que nous avons vu chez les scribes, qui répondent aux Rois Mages: cela ne me touche pas, je reste enfermé dans mon existence, qui n'est pas touchée. C'est la spécialisation qui voit tous les détails, mais ne voit plus l'ensemble.

Et il y a l'autre façon d'utiliser la raison, d'être sage, celle de l'homme qui reconnaît qui il est; il reconnaît sa propre mesure et la grandeur de Dieu, s'ouvrant dans l'humilité à l'agir nouveau de Dieu.
Ainsi, justement en acceptant sa propre insignifiance, se faisant petit comme on l'est vraiment, on arrive à connaître la vérité. De cette façon, la raison elle aussi peut exprimer toutes ses possibilités, elle ne s'éteint pas, mais elle s'élargit, elle devient plus grande. Il s'agit d'une autre Sofia et Sinesis, qui n'exclut pas du mystère, mais est communion avec le Seigneur en qui reposent la connaissance et la sagesse, et leur vérité.

En ce moment, nous voulons prier afin que le Seigneur nous donne la véritable humilité. Qu'il nous donne la grâce d'être petits pour pouvoir être vraiment sages; qu'il nous éclaire, qu'il nous faisse voir le mystère de la joie de l'Esprit Saint, qu'il nous aide à être de vrais théologiens, qui puissent annoncer son mystère car touchés dans la profondeur de notre cœur, de notre existence.

Amen.

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