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L'arme atomique de la prière de Benoît XVI

L'analyse d'une blogueuse américaine, Elisabeth Scalia, oblate bénédictine, interrogée début mars 2013 par Il Foglio sur le sens de la renonciation de Benoît XVI (20/7/2014)

     

Cet article date du 4 mars 2013, donc dans la période d'incertitude de la Sede Vacante.
Mattia Ferraresi, pour Il Foglio, s'entretenait avec Elisabeth Scalia, une influente blogueuse américaine, responsable du portail www.patheos.com (qui héberge entre autre le P. Longenecker), sur lequel elle a son propre blog, "The anchoress" (ou l'anachorète )

Presque un an et demi après, son analyse ne résonne-t-elle pas de façon prophétique? L'Eglise "gentille", accueillante, qui suit le monde et se laisse dicter sa conduite par lui (courant le risque de se diluer en lui), n'est-elle pas celle qui est (semble être) sortie renforcée du conclave de mars 2013, et que le prochain Synode sur la famille pourrait consacrer?
Avec le recul, nous pouvons mieux comprendre le sens de la renonciation de Benoît XVI, qui, disait-elle alors, en «déposant les armes conventionnelles du pontificat et en prenant les armes atomiques de la prière ... a fait un geste à la fois astucieux, subversif et surnaturel».

Mais, prévenait-elle, «le temps est à Dieu, pas à nous, et nous pourrions ne pas voir pendant des décennies les effets de la puissance énorme que le geste de Benoît XVI est en mesure de libérer».

LE PÈLERIN BENOÎT COMBAT LA TIÉDEUR DE L'ÉGLISE
Mattia Ferraresi
http://www.ilfoglio.it/articoli/v/97254/rubriche/il-pellegrino-benedetto-combatte-la-tiepidezza-della-chiesa-dice-scalia.htm
4 Mars 2013
(ma traduction)
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De New York.
« L'Église a, dans un certain sens, subi les pressions intimidatrices du monde laïc, mais c'est vrai depuis des décennies».
Pour Elizabeth Scalia, oblate bénédictine et influente commentatrice américaine de la vie de l'Église, la renonciation du pape Benoît XVI au Trône et la retraite monastique du pèlerin ne sont pas la conséquence directe de l'assaut du monde.
«Ce n'est pas une défaillance structurelle de l'Église après des années de mouvements saccadés et ondulants. Ce n'est pas un ennemi extérieur qui a affaibli le catholicisme» - explique-t-elle à Il Foglio. C'est plutôt une certaine inclination de l'Église à «se mouvoir sur les surface du "being nice"», une forme de complaisance politiquement correcte envers la logique laïciste:
«Rome pourra même avoir tenu la ligne contre l'avancée rapide des coutumes séculières apportés par la révolution sexuelle et la prospérité de l'Europe occidentale, mais les messages que nous avons entendus depuis les ambons durant les quarante dernières années ont le goût de signes d'assentiment à l'œcuménisme (il ne faut pas offenser les frères qui ne sont pas catholiques avec toutes ces histoires sur les contraceptifs, par exemple) avec le condiment, souvent mal compris, du Concile, dont les documents sont souvent distillés dans un message amorphe, du type: la messe est spéciale, nous sommes tous spéciaux, tout cela n'est pas spécial? A la fin, on a vu venir une sauce insipide», explique Elisabeth Scalia.

La sauce insipide , dit-elle, n'a pas été cuisinée dans les étages supérieurs de la hiérarchie ou de la théologie papale, mais pendant des décennies a été préparée en abondance dans les universités et dans les paroisses, entre les bancs des églises de province et dans les plis du catholicisme quotidien:
« Dans la pratique, l'Église d'Occident nous a demandé peu de sacrifices, elle a souvent marché dans le sillage du message laïque: se sentir bien avec soi-même et se mettre au service de ses propres sentiments semblait être la chose la plus importante. Il y a plusieurs années, Jean-Paul II a dit que la société a perdu le sens du péché, et il avait raison. Une attitude "gentille" de l'Église envers le monde doit être enracinée dans les profondeurs de la vérité, sinon elle n'a pas de sens; pour beaucoup l'Église est devenue cela: une institution sans signification. Ils disent que nous n'avons pas d'"importance" pour la vie des gens, mais une vie authentique n'a rien à voir avec le fair-play. Une vie authentique s'élève vers les sommets et descend dans les profondeurs, comme les prières des Psaumes. Ce n'est pas du tout un hasard si le pape se dédie à la vie monastique».

Dans l'optique d'une Église qui risque de glisser vers l'acquiescement, le pèlerinage qui a conduit Benoît XVI à descendre du trône de Pierre est l'incursion hardie d'un attaquant qui se lance vers la récupération de la vie authentique, pas le repli angoissé d'un défenseur effrayé par la virulence de ses adversaires:
«C'est un plongeon dans le champ de bataille, pas une reddition. Il ne jette absolument pas l'éponge, mais il explique avec force q'une Église qui s'abandonne aux pratiques approuvées par le monde séculier sera toujours une Église en état de siège».

Selon Elisabeth Scalia, le parcours révolutionnaire de Benoît XVI est l'accomplissement de sa «tentative de repenser la manière dont l'Église se confronte avec le monde, après cinquante ans où c'était le monde qui dictait à l'Eglise les règles de son engagement».

Et c'est ici que s'articule la valeur mystique de la décision du Pape:
« L'Eglise a joué en suivant respectueusement les règles du monde, dans l'espoir qu'à force de dire sur un ton gentil et tolérant que oui, nous sommes tous spéciaux, mais que nous sommes aussi appelés à un défi qui exige de la discipline, le monde aurait tout à coup compris et accepté».
Cela ne s'est pas produit et cela ne se produira pas, Jésus a dit que cela n'arrivera pas, et pour Benoît XVI, ce point est parfaitement clair.

Aujourd'hui, le monde pense qu'il a gagné la bataille et il est prêt à planter son drapeau sur l'Église. Et au contraire, non: Ratzinger dépose les armes conventionnelles du pontificat et prend les armes atomiques de la prière. Il fait un geste à la fois astucieux, subversif et surnaturel. Le temps est à Dieu, pas à nous, et nous pourrions ne pas voir pendant des décennies les effets de la puissance énorme que le geste de Benoît XVI est en mesure de libérer».

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