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Le Pape Benoît et l'oecuménisme

Plutôt un rapprochement avec les orthodoxes qu'avec les protestants. Extrait du livre entretien "Lumière du monde" (20/8/2014)

     

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Les tentatives de dialogue du pape François avec la galaxie pentecôtiste, qui ont fait l'objet de plusieurs articles récents, posent la question de savoir si la conception qu'a le pape de l'oecuménisme se situe dans la ligne de son prédécesseur.
Voici ce que disait Benoît XVI en 2010 à Peter Seewald.
Occasion aussi de voir confirmer (ou rappeler) qu'à cette époque, même s'il avait envisagé l'hypothèse d'une renonciation au pontificat, il n'y pensait pas pour lui-même.

* * *

"Lumière du monde", Le Livre de Poche, pages 121 et suivantes:

     

- L'oecuménisme devient très vite le signe le plus visible de ce pontificat. Le pape promet de s'engager inlassablement « en faveur du rétablissement de l'unité pleine et visible » des chrétiens. Les observateurs ont vu dans la manière dont on s'est tourné vers l'orthodoxie une manoeuvre stratégique visant à construire la porte de l'unification sur le point où règne le plus grand accord.

- L'oecuménisme a de multiples strates et de multiples visages. Nous avons ici toute l'orthodoxie mondiale, déjà en soi très diverse, puis le protestantisme mondial, où les confessions classiques se distinguent du nouveau protestantisme qui se développe à présent et constitue un signe des temps. Le lieu où nous sommes, pour ainsi dire, le plus près de chez nous, et où nous pouvons le plus espérer pouvoir nous rejoindre, c'est l'orthodoxie.
Paul VI et Jean-Paul Il s'étaient beaucoup préoccupés de l'orthodoxie. Moi-même, j'ai toujours eu des contacts très étroits avec les orthodoxes. Lorsque j'enseignais à Bonn et à Ratisbonne, j'avais aussi des étudiants orthodoxes parmi mes élèves, ce qui m'a permis de nouer de nombreuses amitiés dans l'espace orthodoxe. Catholiques et orthodoxes ont la même structure fondamentale, issue de l'Église Primitive ; il était donc assez naturel que je déploie des efforts particuliers pour mener à bien cette rencontre-là. Depuis, de véritables amitiés se sont nouées dans ce domaine. Je suis très reconnaissant au patriarche Bartholomeos Ier, pour la cordialité dont il fait preuve à mon égard, et du fait qu'il ne se contente pas d'un oecuménisme forcé ; il y a entre nous une véritable amitié, une fraternité. Et je suis aussi très reconnaissant pour l'amitié et la grande cordialité dont le patriarche Cyrille témoigne envers moi.


- Le patriarche de Moscou a été le premier visiteur que vous ayez reçu après votre élection au trône pontifical.

- À l'époque, il n'était pas encore le patriarche de l'Église orthodoxe russe à Moscou, mais son ministre des Affaires étrangères. Nous nous sommes tout de suite entendus. Il a quelque chose de joyeux, une sorte de croyance naturelle, ce que l'âme russe a de simple, couplée à une détermination et une cordialité telles qu'un bon accord s'est instauré entre nous.
Je crois qu'il est très important que ce grand monde orthodoxe, avec ses tensions internes, constate tout de même aussi son unité interne avec l'Église universelle romaine, qui est d'une nature tellement différente. Qu'en dépit de toutes les différences creusées par les siècles, les séparations culturelles et autres, nous puissions nous voir et nous comprendre tout de même dans notre proximité intellectuelle. Sur ce plan, il me semble que nous faisons des progrès. Ce ne sont pas des progrès tactiques, politiques, mais des mouvements d'approche au cours desquels nous nous tournons intérieurement les uns vers les autres. Je trouve là quelque chose de très réconfortant.


- Mais pourquoi ce rapprochement aurait-il une grande signification pour « l'avenir de l'histoire mondiale », comme vous l'avez expliqué

- Parce que notre responsabilité commune à l'égard du monde y redevient visible. Nous pourrions aussi passer notre temps à nous quereller sur tous les sujets possibles. Ou nous pouvons oeuvrer ensemble en partant de ce qui nous est commun. Or le monde, on l'aura bien vu au fil de cet entretien, a besoin d'une réserve de témoignage en faveur de ce Dieu un qui nous parle par l'intermédiaire du Christ - une réserve justifiée, fondée spirituellement et portée par la raison. Dans cette mesure, notre coopération est d'une extrême importance. Cyrille le souligne lui aussi, précisément dans le cadre du débat sur les grandes questions éthiques. Nous ne sommes pas des moralistes, mais le fondement même de la foi fait de nous les porteurs d'un message éthique qui permet aux hommes de s'orienter. Et le faire en coopération a une très grande signification dans la crise que traversent les peuples.

(...)

- Vous avez déjà rencontré le patriarche œcuménique de Constantinople. Pour ce qui concerne l'Église russe orthodoxe, son président du Département des Relalions extérieures, le métropolite Hilarion, a déclaré: «Vous nous approchons du moment ou il sera possible de préparer une rencontre entre le pape et le patriarche de Moscou.» Pareille rencontre serait un évenement mondial. Pensez-vous qu'il puisse encore survenir au cours de votre pontificat?

- Tout dépend du temps de vie que le Bon Dieu m'offrira encore, mais je l'espère. C'était déjà un très beau geste que le patriarche fasse donner pour moi, ici, à Rome, un concert par Hilarion à l'occasion des cinq ans du pontificat. Mgr Hilarion est lui-même compositeur, et il a joué l'une de ses oeuvres. Bref, il existe de multiples contacts. Cela étant dit, il faut préparer l'opinion publique orthodoxe, en Russie, à quelque chose de ce genre. On y ressent toujours une certaine peur de l'Église catholique. Il faut attendre patiemment, sans rien brusquer. Mais la volonté est là des deux côtés, et le contexte dans lequel elle pourra s'épanouir grandit lui aussi.

- Une rencontre entre Rome et Moscou est-elle du domaine du possible dans un délai pas trop lointain ?

- Je dirais que oui.

(...)

- Le dialogue oecuménique avec les protestants semble être devenu problématique. Dans l'orthodoxie, il n'est de toute façon pas à l'ordre du jour. De ce côté, les fossés sont devenus trop profonds. Mais du point de vue des évêques catholiques romains aussi, certaines fractions des Églises protestantes ont abandonné une bonne partie de leurs traditions sous le poids de la modernité. Depuis les années 1970, on dit qu'ils ont pris une orientation d'abord socialiste, puis écologique et, aujourd'hui, féministe, avec une nouvelle tendance à céder au mainstream de la théorie des genres. Le dialogue, dit-on, est mené avec la volonté de donner un tour protestant à une Église catholique présentée comme rétrograde, afin de pouvoir se présenter comme une alternative progressiste.
Pour éviter de nouvelles, frustrations, ne serait-il pas plus sincère de dire : eh bien, restons donc amis. Coopérons au sein d'une action chrétienne concertée, mais une unification n'est malhcureusement pas possible -- sauf à se renier soi-même.

- Il faut avant tout penser à la grande diversité du protestantisme tel qu'il existe dans le monde. Le luthérianisme n'est qu'une fraction de cet éventail. On trouve à côté d'eux les réformés, les méthodistes, etc. Et puis il y a ce grand et nouveau phénomène des évangélistes, qui se propagent avec un immense dynamisme et sont en train de transformer tout le paysage religieux dans les pays du Tiers-monde. Par conséquent, lorsqu'on parle d'un dialogue avec le protestantisme, il faut avoir cette diversité à l'esprit -- d'autant plus qu'elle prend aussi des formes différentes d'un pays à l'autre.
On est effectivement obligé de constater que le protestantisme a progressé dans un sens qui a plutôt tendance à l'éloigner de nous : l'ordination des femmes, l'acceptation des couples homosexuels, etc. Il existe d'autres prises de position éthiques, d'autres manières de se conformer à l'esprit de notre époque, qui compliquent le dialogue. Mais il y a aussi, bien entendu, dans les communautés protestantes, des gens qui avancent avec vitalité vers la véritable substance de la foi, et qui n'approuvent pas cette attitude de leurs Églises mères.
Nous devrions donc dire : en tant que chrétiens, il nous faut trouver une base commune ; en tant que tels, nous devons être en mesure de faire entendre, dans l'époque qui est la nôtre, une voix commune sur les grandes questions, et de témoigner de la présence du Christ comme Dieu vivant. Nous ne pourrons pas établir une unité parfaite dans un délai prévisible, mais nous faisons ce qui est possible pour remplir une vraie mission et apporter un témoignage authentique, ensemble, en tant que chrétiens dans ce monde.

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