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Le révolutionnaire de Dieu

Non, ce n'est pas... En fait, c'est Benoît XVI. Un article datant de 2012, écrit par Samuel Gregg, un chercheur américain, directeur de recherche à l'Institut Acton professeur associé de philosophie morale et politique à l'Université Pontificale du Latran (2/10/2014)

L'article a été écrit à l'occasion du 85e anniversaire du Saint-Père.

Du même auteur, j'ai déjà traduit deux autres articles, dont un qui a pratiquement le même titre que celui-ci:
¤ Le révolutionnaire de la raison, écrit le 11 février 2013, le jour-même de la renonciation.
¤ Le pape pas si vert, écrit le 5 août 2009

BENOÎT XVI: LE RÉVOLUTIONNAIRE DE DIEU
18 avril 2012
Samuel Gregg
(via www.maranatha.it , ma traduction)
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«Révolution» - c'est un mot qui évoque des images de Palais d'hiver assiégé et de prise de Bastilles. Mais si un vrai révolutionnaire est celui qui transforme régulièrement la pensée conventionnelle, la bouleversant complètement, l'un des révolutionnaires les plus importants au monde, qui défie le statu quo du monde actuel, pourrait être un tranquille théologien catholique qui parle doucement et qui a eu 85 ans sur 16 avril de cette année.

Bien qu'il soit régulièrement raillé par ses détracteurs comme «décrépit» et «passé de mode», Benoît XVI continue d'agir comme il l'a toujours fait depuis son élection papale d'il y a sept ans: en secouant non seulement l'Eglise catholique, mais aussi le monde qu'il a été appelé à évangéliser.
Les moyens qu'il utilise pour le faire ne prévoient pas l'«occupation» de quelque palais. A la place, c'est son engagement serein, et surtout cohérent avec le monde des idées qui sont les siennes, qui le rend différent de la plupart des autres dirigeants du monde contemporain - religieux ou non.

Benoît a compris depuis longtemps une vérité qui échappe à de nombreux militants politiques contemporains: que dans le monde, les changements les plus importants ne commencent habituellement pas dans l'arène de la politique.
Invariablement, ils commencent avec des personnes qui travaillent - en bien ou en mal - dans le domaine des idées.
Les gribouillages de Jean-Jacques Rousseau ont contribué à rendre possible la Révolution française, avec Robespierre et la Terreur. De même, il est difficile d'imaginer Lénine et la prise de pouvoir par les bolcheviques en Russie sans la toile de fond indispensable de Karl Marx.
En dehors des cercles universitaires classiques, le nom du professeur d'Oxford HLA Hart est pratiquement inconnu. Pourtant, peu de personnes ont permis, de façon plus décisive, au monde occidental du XXe siècle de créer une société permissive.

Les incursions de Benoît dans l'effrittement du statu-quo adviennent quand il identifie les paradoxes intellectuels à la base de certaines des forces dysfonctionnelles qui opèrent dans notre temps. A ceux qui tuent au nom de la religion, il déclare que ce faisant, ils méprisent la nature même de Dieu comme Logos , la raison éternelle, que notre raison naturelle nous permet de connaître. A ceux qui tournent en dérision la foi au nom de la raison, Benoît XVI précise que, ce faisant, ils réduisenr la raison à quelque chose de quantifiable, fermant ainsi l'esprit humain à la plénitude de la vérité accessible par la même raison qu'il prétendent exalter.

Une méthode similaire est mise en œuvre dans la façon que Benoît utilise pour traiter des questions internes concernant l'Eglise.
Prenez par exemple la récente critique, courtoise mais ciblée contre un groupe de 300 prêtres autrichiens qui ont lancé un appel à la désobéissance, concernant la liste tristement célèbre et désormais banale des sujets qui fâchent les catholiques dissidents (cf. La désobéissance, chemin pour renouveler l'Eglise?). Simplement en posant des questions, le pape a montré une chose évidente. Il se demande: «cherchent-ils un renouveau vraiment authentique? Ou bien s'agit-il juste de l'impulsion désespérée à faire quelque chose, pour transformer l'Église selon nos désirs et nos idées?»

Au-delà de la spécificité du cas autrichien, Benoît faisait remarquer quelque chose que nous tous catholiques, et pas seulement les dissidents, nous oublions parfois. L'Église n'est pas «la nôtre». Au contraire, c'est l'Église du Christ. Elle n'est donc pas juste une autre institution humaine qui peut être modifiée en fonction de caprices humains. Et cela, à son tour, nous rappelle que le christianisme n'est pas fondé sur moi, moi et moi, mais est centré sur le Christ et notre besoin de se rapprocher de lui. Certes, l'Église a toujours besoin de réforme - mais des réformes vers la sainteté, et pas de simples accomodements avec les basses attentes du sécularisme.

Ainsi, toute cette attention à Benoît pour le monde des idées a-t-elle un coût? Même parmi ses admirateurs, on entend de temps en temps la critique que Benoît se concentre trop sur les Ecritures et pas assez sur la façon de gouverner.

Mais peut-être que Benoît écrit, et écrit d'une certaine manière, simplement parce qu'il sait que pour le pape, l'écriture est le moyen de participer dans l'arène du débat public universel, plaçant ainsi les vérités de la foi catholique là où elles doivent être. C'est pour cela qu'il est très admiré non seulement par les catholiques, mais aussi par d'innombrables chrétiens orthodoxes et évangéliques, et parfois même de des «laïcistes ironiques».

Le pape, cependant, ne le fait pas parce qu'il essaie de plaire à ceux qui l'écoutent. Comme pour tous les vrais révolutionnaires, la pensée de Benoît est très déterminée. Au cours de son pontificat, il a sans relâche tenté de faire ce que beaucoup de la génération suivant immédiatemen la période post-conciliaire, évêques, prêtres, religieux et théologiens n'ont pas réussi à faire ouvertement - c'est-à-dire nous mettre face à la personne de Jésus de Nazareth, de la pensée et de la vie des docteurs et des saints de son Eglise, afin de nous aider à nous rappeler la véritable vocation du chrétien dans ce monde.

Dans le roman de Graham Greene de 1940, La Puissance et la Gloire , nous lisons l'histoire d'un prêtre fou, dédié aux plaisirs mondains; la veille de son exécution, il comprend que le but de la vie chrétienne n'est pas la justice terrestre, en fin de compte les droits de l'homme, ou telle ou telle cause. Le prêtre renégat qui a enfreint tous ses vœux découvre que le christianisme est autre chose: «Il savait qu'à la fin il n'y avait qu'une seule chose qui importe - d'être un saint».

Sainteté est un mot qui est rarement prononcé par les dissidents. Après tout, si nous passons beaucoup de temps à essayer de proclamer les Écritures et toutes ces choses qui font de Jésus le Christ, ou à comprimer l'éthique chrétienne dans l'incohérence conséquentialiste, il est peu probable que nous encouragerons les gens à mener une vie de vertus héroïques. Pourtant, même parmi les fidèles catholiques, il y a souvent le sentiment que la sainteté est pour les autres: que nos échecs quotidiens pour suivre le Christ montrent que la sainteté est quelque chose trop grand pour nous.

Ceci, cependant, n'est sûrement pas le point de vue de Benoît. Pour lui, la sainteté est l'engagement que nous avons fait de suivre le Christ, peu importe combien de fois nous tombons en chemin. En outre, Benoît croit que seule la sainteté produit cette aspiration à la bonté indestructible et intrépide qui va vraiment changer le monde. Jamais Benoît XVI n'a clarifié ce point aussi bien que quand il a prononcé ces paroles durant la nuit de la veillée de prière devant les milliers de jeunes réunis à l'occasion de la Journée mondiale de la Jeunesse à Cologne en 2005:

«Les saints sont. . . les vrais réformateurs. . . . C'est seulement des saints, seulement de Dieu, que vient la véritable révolution,. . . Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde, mais seulement se tourner vers le Dieu vivant, qui est notre créateur, le garant de notre liberté, le garant de ce qui est vraiment bon et vrai. La révolution véritable consiste simplement à se tourner vers Dieu qui est la mesure de ce qui est juste et en même temps, c'est l'amour éternel. Et qu'est-ce qui pourrait bien nous sauver sinon l'amour?»

Oui, Dieu est Amour. Le Logos est Caritas - il n'y a pas de message plus révolutionnaire que cela.

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Note: L'article original "Benoît XVI: le révolutionnaire de Dieu" est paru 16 Avril 2012 sur Crisis Magazine. Il a ensuite été publié sur le site Acton Institute le 18 Avril 2012.

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