Accueil

Les nouveaux païens

Un article écrit par le jeune prêtre Joseph Ratzinger en 1958. (7/8/2014)

     

Contexte

Ordonné prêtre en 1951, le jeune Joseph Ratzinger est nommé vicaire d'une paroisse de la banlieue résidentielle de Münich, Notre-Dame du Précieux Sang.
Il en parle en ces termes dans ses mémoires (Ma vie, ed. Fayard, 1998, pages 77-78):

Conforté par l'expérience [des] semaines [suivant l’ordination sacerdotale], je pus prendre mes fonctions de vicaire dans la paroisse du Précieux-Sang à Munich.
La partie la plus étendue de la paroisse était située dans un quartier résidentiel habité par des intellectuels, des artistes, des hauts fonctionnaires ; mais certaines sections de rues l'étaient par des petits commerçants et employés, concierges et employées de maison, qui étaient à 1'époque au service des mieux lotis. Le presbytère, construit par un architecte célèbre, mais trop petit, était accueillant, même si le grand nombre de personnes qui y collaboraient à diverses fonctions créait trop souvent un climat fébrile.
Mais la rencontre du bon curé Blumschein fut décisive [(1)]. Il ne se contentait pas de dire aux autres qu'un prêtre devait « brûler d'ardeur », mais il était vraiment lui-même embrasé de l'intérieur. Jusqu'à son dernier souffle, il voulut être par toutes les fibres de son être le prêtre serviteur. Et il mourut en allant porter un jour l'extrême-onction à un malade. Par sa bonté et une passion profonde pour sa mission, il a marqué ce presbytère de son empreinte. Et ce qui, à première vue, pouvait paraitre de l'agitation était en réalité l'expression d'une disponibilité de tous les instants.

J'avais vraiment besoin d'un tel exemple, car le monceau des tâches qui m'attendaient était impressionnant : je devais faire seize heures de catéchisme dans cinq classes différentes, ce qui demandait beaucoup de préparation. Chaque dimanche, je devais célébrer au moins deux messes et faire deux homélies différentes ; chaque matin, j'étais au confessionnal de six à sept heures, quatre heures le samedi après-midi. Chaque semaine, je devais célébrer plusieurs enterrements dans les divers cimetières de la ville. Toutes les activités de jeunes reposaient sur mes épaules, tâche à laquelle s'ajoutaient les obligations exceptionnelles telles que baptêmes, mariages, etc. Le curé ne se ménageant pas, je ne pouvais ni ne voulais le faire moi-même. Compte tenu de mon peu de préparation pratique, j'avais abordé ces responsabilités avec une certaine inquiétude. Mais le travail avec les enfants à l'école, qui m'amenait naturellement à rencontrer les parents, se transforma vite en une grande joie, et une bonne entente s'instaura également avec les différents groupes de jeunes catholiques.
Certes, je constatai aussi combien la mentalité et le milieu de beaucoup d'enfants étaient éloignés de la foi, et combien peu le cours de religion répondait à la vie et aux préoccupations des familles. Je ne pouvais en outre méconnaitre que le type d'activités des jeunes, qui continuait fidèlement ce qui s'était développé dans l'entre-deux-guerres, ne pourrait faire face aux changements intervenus entre-temps et qu'il faudrait rechercher des formes nouvelles. Des années plus tard, je notai quelques-unes des pensées qui me vinrent à l'esprit au cours de ces expériences dans mon essai "Les Nouveaux Païens et l'Eglise", qui souleva une vive discussion à l'époque.

* * *

L'essai dont parle le futur Pape sera publié en 1958 dans la revue catholique Hochland (cf. notice wikipedia en anglais) sous le titre "Die neuen Heiden und die Kïrche" - Les nouveaux païens dans l’Église.

Il y déclare que le cliché selon lequel l’Europe est un «continent presque entièrement chrétien» est une «illusion». L’Église de l’après-guerre lui apparaît au contraire comme l’«Église des païens. Non plus comme autrefois l’Église de païens devenus chrétiens, mais une Église de païens qui s’appellent encore chrétiens mais qui, en vérité, sont devenus païens». Il parle d’un nouveau paganisme «qui croît sans cesse au cœur de l’Église et menace de la détruire de l’intérieur».
Voir "30 giorni", et la biographie de Chantal et Paul Colonge "La joie de croire" (page 514)

La Revue espagnole «Alfa y Omega » dans son numéro 792 du 28 juin 2012 proposait à ses lecteurs de larges extraits de ce texte, traduits à l'époque par Carlota
Un texte plus complet en version originale est encore disponible sur le site autrichien kath.net.

     

Les nouveaux païens, version Alpha y Omega

L’ÉGLISE S’EST TRANSFORMÉE EN UNE COMMUNAUTÉ DE PAÏENS
http://www.alfayomega.es
28-6-2012
Traduction Carlota

-------

L’Église s’est transformée en une communauté de païens qui ont cessé de croire. Les chrétiens ont perdu la conscience sur l’existence de la mission…
C’est le diagnostic que faisait le professeur Joseph Ratzinger en 1958, peu d’années avant l’ouverture du Concile.
Le texte portait le titre «
Les nouveaux païens et l’Église » et a été publiée par la revue « Hochland » en octobre de cette année-là.
L’agence autrichienne « Kath.net » récupère ce texte, très utile pour comprendre aujourd’hui pourquoi le Pape convoque une Année de la foi.
Nous (
« Alfa y Omega ») en proposons ici un extrait.

* * *

Selon les statistiques, la vieille Europe continue à être un continent chrétien dans sa presque totalité.
Mais les statistiques sont trompeuses.
L' Europe, chrétienne de nom, assiste depuis 400 ans, à la naissance d’un nouveau paganisme, qui se développe jusque dans le cœur de l’Église et qui menace de l’évider de l’intérieur.

Le visage de l’Eglise des temps modernes est conforme à l’apparition d’une forme complètement nouvelle d'Église de païens, et le sera plus encore dans le futur: non pas, comme avant, une Église de païens convertis au christianisme, mais une Église de païens qui se nomment encore eux-mêmes chrétiens. Le paganisme est présent aujourd’hui dans l’Église elle-même et c’est un signe à la fois de l’Église de nos jours et du nouveau paganisme. L’homme d’aujourd’hui peut donc présupposer comme normalité la non-croyance du voisin.

L’Église a émergé, à la base, de la décision spirituelle de l’individu d’embrasser la foi, en un acte de conversion. Si, au début, on avait espéré la construction d’une communauté de saints, ici sur terre, à partir de ces convertis, une Église sans tache ni ride, il a fallu se résigner à l’évidence que, malgré sa conversion, le chrétien doit affronter de fortes luttes, et qu’il continue à être un pécheur, capable même de commettre les pires méfaits. Mais même si le chrétien n’est pas un accomplissement de la morale parfaite, et si la communion des saints est encore à venir, elle est, malgré tout, un fondement pour la communauté. L’Église est une communauté de croyants, d’hommes qui ont pris une décision spirituelle déterminée, et qui ainsi se différencient de ceux qui se refusent à prendre cette décision. Déjà à l’époque médiévale, cela a commencé à changer, dans le sens où l’Église et le monde se firent basiquement identiques, par le fait que le christianisme n’était déjà plus fruit d’une décision propre, mais une réalité politico-culturelle donnée.

Aujourd’hui, la couverture extérieure de l’Église demeure, tandis qu’ont diminué la conviction personnelle, le désir d’appartenir à l’Église, dans laquelle est déposée une grâce divine particulière, une réalité transcendante de salut. C'est pourquoi il est compréhensible qu’aujourd’hui la question se pose souvent avec force de savoir si l’Église ne doit pas être de nouveau transformée en une communauté de croyances, pour lui rendre son aplomb. Cela signifierait renoncer à des positions "mondaines" toujours dangereuses, parce qu’elles s’interposent sur le chemin de la vérité.

À la longue, on ne pourra économiser le fait que l’Église se dépouille, pièce après pièce, des éléments "mondains" et des apparences, pour éviter de se diluer dans le monde, et revenir à ce qu’elle est : une communauté de croyants. De fait, sa force missionnaire, à cause de ces pertes externes, ne peut que croître. Ce n'est que si elle commence à représenter de nouveau ce qu’elle est qu'elle pourra arriver à l’oreille des nouveaux païens, qui jusqu’à maintenant peuvent vivre dans l’illusion qu’ils ne le sont pas

Aux chrétiens d’aujourd’hui, il paraît impensable que le christianisme, et plus concrètement l’Église catholique, soit le seul chemin de salut. De cette façon, le caractère absolu de l’Église, et par conséquent l’exigence de sa mission, s’est transformé en quelque chose qui peut être mis en question. Nous ne pouvons pas croire que l’homme que nous voyons à côté de nous, qui est un être humain splendide, serviable et bon, va aller en enfer seulement parce qu’il n’est pas catholique pratiquant. L’idée que tous les hommes bons se sauveront est maintenant, pour le chrétien normal, évidente, comme l’était avant la conviction contraire. Le croyant se demande alors un peu confus : Pourquoi est-ce si facile pour ceux qui sont à l’extérieur, quand à nous on nous impose des choses si difficiles ? On en arrive ainsi à percevoir la foi comme une charge et non pas comme une grâce.

Je vais essayer de répondre à ces chrétiens qu’il n’y a qu’un chemin de salut, le Christ, qui concerne le monde entier, beaucoup (c'est-à-dire tous), mais, en même temps, Il a laissé le message tout à fait clair que son lieu [de salut] est l’Église…
Mais Dieu ne divise pas l’Humanité entre ceux qui sont peu et ceux qui sont beaucoup, pour rejeter ces derniers dans la fosse aux déchets, et pour sauver les autres, au contraire il se sert des « peu » comme centre de gravité pour élever les « beaucoup » vers Lui. Les uns et les autres ont leur chemin de salut, qui est différent, sans rompre l’unité du chemin. On ne peut comprendre cela que lorsqu’on comprend que le salut de l’homme réside dans le fait qu’il est aimé de Dieu, que sa vie, finalement, se trouve dans les bras de l’amour infini. Sans cela, tout le reste est vide.

Contrairement au Christ, nous somme indignes du salut, que nous soyons ou nous chrétiens, croyants ou non croyants, personnes morales ou immorales. Personne ne mérite le salut, sauf le Christ. Mais justement c’est là que se produit un merveilleux échange. À l’Humanité entière ne correspond que la réprobation, au Christ, uniquement le salut, mais en un échange sacré survient le contraire : Il prend sur lui tout le mal laisse ainsi pour nous tous le lieu du salut.

La question du salut de l’homme se pose d’une façon erronée quand on l’aborde par le bas, comme la question de savoir comment les personnes se justifient.
Le salut de l’homme n’est pas une question d’auto-justification, mais une justification par la grâce gratuite de Dieu.
Il s’agit de voir les choses d'en haut. Il n’y a pas deux manières pour les personnes de se justifier, mais deux moyens d’être choisis par Dieu, et ces deux moyens de choix de la part de Dieu sont un chemin de salut de Dieu dans le Christ et en son Église qui repose dans la relation des "peu" avec les "beaucoup", et la mission confiée à ceux qui sont "peu" comme représentation de vicaire du Christ et extension du Christ lui-même.

     

Note

Le souvenir ému du bon curé Blumstein est si vif que pès de 60 ans plus tard, il l'évoque encore dans sa "lettre aux prêtres pour l'indiction d'une année apostolique":

Je porte moi-même encore vivant dans mon cœur le souvenir du premier curé auprès de qui j’ai exercé mon ministère de jeune prêtre : il m’a laissé l’exemple d’un dévouement sans faille à son service pastoral, au point de trouver la mort alors qu’il allait porter le viatique à un malade grave.

>>>
Retour haut de page

  © benoit-et-moi, tous droits réservés