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Récit d'une rencontre

Celle du chanteur "punk" italien Lindo Ferretti, revenu de très loin, et qui a eu la grâce de rencontrer ces jours-ci le Pape émérite. Il en fait le récit très beau et très émouvant dans l'Avvenire (31/10/2014).

Qui est-il?

Beaucoup de gens connaissent l'auteur de cet article, Giovanni Lindo Ferretti, comme le leader de «CCCP Fedeli alla linea» un groupe de musique punk très populaire en Italie dans les années quatre-vingt. Ex-militant d'extrême gauche, Giovanni Lindo Ferretti (né en 1953) a eu ensuite un long et sinueux parcours artistique et humain qui l'a rapproché des positions de l'Eglise catholique, en particulier de Benoît XVI. Il vit aujourd'hui isolé dans les Apennins, se consacrant à l'élevage des chevaux, à la musique, à l'écriture. Entre 2011 et 2012, il a tenu dans l'Avvenire (*) une rubrique intitulée «De la crête».
(L'Avvenire)

(*) C'est sans doute ce qui explique que cette rencontre ait pu avoir lieu.

     

Ferretti: «J'ai vu Ratzinger, j'admire Bergoglio»
Giovanni Lindo Ferretti
30 octobre 2014
http://www.avvenire.it

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C'est d'en accepter à la fois la dimension de douleur et d'effort, et l'occasion d'émerveillement, qui fait de la vie un don précieux qui se renouvelle chaque jour. Dans son mystère, si on l'accepte, il y a la démonstration quotidienne constante de ce que signifie la conversion, se convertir.
J'ai rencontré Benoît XVI, le Pape émérite, jamais je ne l'aurais imaginé ou considéré comme possible jusqu'à ce qu'on me le demande, dans une dimension réaliste, même si elle est théorique: - veux-tu le rencontrer?
Un enchaînement irrépressible de pensées et de souvenirs.

Bref résumé. Il était cardinal, préfet de la Congrégation de la Foi, je vivais selon des modes et des rythmes qui, au fur et à mesure que le temps passait, se révélaient de plus en plus étriqués. Sans satisfaction. Je pourrais ramener tous mes choix de vie à l'impact adolescent avec le monde moderne.
«I can’t get no satisfaction» chantaient les Rolling Stones et j'en fus l'otage, mais j'avais été élevé dans la tradition catholique, j'avais appris et expérimenté beaucoup de choses. Un droit d'aînesse, une dot, qui à l'épreuve de faits allaient s'avérer inaliénables.

Dans mes jours d'homme, Ratzinger était l'exemple ostentatoire de tous les péchés de l'Eglise catholique et de la Réaction aux lendemains radieux, somme de tous les obscurantismes idéologiques jusqu'à à l'ombre de sympathies nazies.
«Le trop est l’ennemi du mieux» dit ma grand-mère, et après avoir lu un autre article qui le dénigrait, je décidai d'entrer dans une librairie:
- Mais ce Ratzinger, il a écrit quelque chose?

Je suis sorti avec quelques-uns de ses livres et en les lisant, j'ai commencé une autre étape de mon voyage sur la terre. J'avais trouvé un maître. Je découpai une photo de lui, je l'encadrai, la plaçant bien en vue, et elle est devenue une présence quotidienne, familière. J'en parlai avec des amis, je me suis battu avec la plupart.
J'ai pleuré de joie et d'émotion quand il a été élu au siège pontifical. Je l'ai toujours défendu et cela m'a fait rire de constater qu'à une époque, une clause, à mon insu, avait été ajoutée à mon contrat: il est interdit de parler du Pape en présence de l'artiste.

En Septembre, une lettre est arrivée, aux armoiries du Vatican: Sa Sainteté le Pape émérite consent à une brève rencontre.
Ma grand-mère aurait été anéantie par l'émotion, se réfugiant dans le chapelet, mon oncle Clément, l'incrédule de la famille aurait dit «petit, tu es dans de beaux draps (sei del gatto) - jargon complexe qui allie douceur et danger, crainte et délicatesse, enrobés d'une patine domestique.
J'ai pensé aussi: j'entre dans son bureau, je me mets à genoux, je baise l'anneau et le Saint-Père me donne deux claques, m'intimant «Vous n'avez pas honte, Ferretti?
Moi, qui sais exactement de quoi je dois avoir honte, j'en serais soulagé, et je chérirais ces deux gifles, qui ne détonneraient pas dans la bénédiction de sa présence. Ce que j'ai fait, je suis allé me confesser, j'ai communié, je me suis préparé à la rencontre avec l'esprit libre et le cœur pur.
Ne pas édulcorer, ne pas idéologiser, ne pas psychologiser la réalité de ses propres jours; la confession commence par l'examen de conscience: pensées, paroles, actions, omissions.

La conscience que de nombreux événements possibles d'ordres très différents pourraient annuler la rencontre, et une réserve naturelle, ont fait que je ne l'ai dit qu'à de rares personnes, moins que les doigts d'une main et seulement deux jours avant. Quelques heures plus tard, j'étais écrasé par le récit d'une douleur si lancinante quelle ne laissait place qu'à des mots de prière, demande d'une aide qu'on ne sait pas, ne peut pas formuler d'une autre manière. Je m'en suis chargé, j'allais la soumettre à l'intercession du Saint-Père. Une prière pour Etti, sa mère, son père, les gens qui l'aiment et vivent dans le désespoir.

Le grand jour est arrivé, je suis allé à la messe chez le Père Maurizio, et de l'église à la place Saint-Pierre, je ne cessai de penser que beaucoup, peut-être tous, avaient plus de raisons que moi d'être reçus, et pas à cause de mérites ou de valeur que je ne peux pas connaître mais parce que je connais mes défauts, ma pauvre valeur. Même le garde suisse qui m'a arrêté à la porte Sainte-Anne pensait comme moi et avant que je puisse prononcer un mot, il m'a intimé: «ici, on ne passe pas».
Ceux qui fréquentent le Vatican ne peuvent pas réaliser ce que cela signifie pour un catholique qui arrive de loin de franchir ce seuil.

C'est un lieu de pouvoir qui ne se réduit pas à la dimension sociale et politique, qui explicite une fonction verticale entre ciel et terre. Un espace concentration abyssal. Dominus Deus Sabaoth.
Un court trajet en voiture, remontant la colline. Le Vatican est forteresse, monastère, prison, hôpital, gouvernement et bureaucratie, aucune dimension sociale historique ne lui est étrangère, mais toutes ensemble, elles nen arrivent pas au bout. Art à profusion et jardins bien entretenus. Un mur, un portail, une cour de gravier, une pelouse, une maison qui fait bloc avec une petite église; à l'intérieur, une demeure comme il y en a tant sur les collines d'Italie.

La porte s'ouvre et dans le petit salon, le pape aussi entre, par une autre porte, je m'agenouille, baise l'anneau et sa main, qui, en passant, m'effleure le bras, m'invitant à le suivre et nous nous asseyons sur deux fauteuils en face l'un de l'autre, proches. Une dimension familiale.
«Vous venez de loin, ça a été un long voyage qui vous a amené ici. Racontez-moi».
- Le mien, Saint-Père, est un monde de misère humaine et d'expériences misérables, il accorde rarement le temps et l'espace pour la manifestation de la grâce, mais il n'est pas imperméable à la miséricorde divine - les mots sortent, légers, parfois craintifs, mais une bienveillance palpable les soutient.
Ses yeux vibrent d'une lumière que seule une vie de prière aux côtés du Dieu Tout-Puissant peut réverbérer. Yeux de grâce qui contemplent, conscients, l'immense douleur, le malheur, sans s'assombrir, seule augmente la profondeur du regard, le tournant vers l'intérieur. Menu, fragile, se déplaçant péniblement, contracté en s'asseyant. Ce sont les yeux d'une pureté cristalline qui en déterminent l'autorité et le pouvoir. Des éclairs d'intelligence lucide nourris de sagesse ne laisseraient aucune chance, imposant le silence, mais une attitude douce, dans les gestes retenus, dans l'écoute, permet un parler franc et serein. J'ai mis entre ses mains ma vie et toutes les personnes qui en font partie: les concerts, les montagnes, les chevaux; le malaise, la fatigue, la joie, la reconnaissance.
«Vous êtes très jeune - sourire.
- Saint-Père, je suis vieux à tous points de vue, s'il n'y avait pas la Fornero (Elsa Fornero, ex-ministre du travail du gouvernement Monti, actuellement chargée d'une mission de réforme du travail) je serais déjà en retraite - sourire
«Non, non, vous êtes très jeune, votre voyage n'est pas encore terminé, vous avez beaucoup de choses à faire
- Saint-Père, bénissez-moi, et avec moi bénissez les pires, ceux qui n'ont aucune possibilité, sinon la miséricorde, la compassion, l'amour de Dieu.

* * *

L'article se poursuit avec le retour sur la Place Saint-Pierre du «bienheureux» Lindo Feretti «qui a été béatifié sans mérite», et qui observe la foule du peuple catholique, dont il fait partie, venue sur la tombe de Pierre, «où vit, célèbre et gouverne le pape son successeur», en qui il dit voir «un don, imprévu et imprévisible».
Et il salue le «geste prophétique» de Benoît XVI, «humilité et puissance au plus haut niveau... qui a changé le paradigme papal pour ce qui était en son pouvoir... et le paradigme européen qui en certifiait la centralité dans l'espace».

On me permettra de ne pas le suivre sur ce terrain, d'autant plus qu'un homme qui a passé une bonne partie de sa vie à se tromper, au point d'être leader d'un groupe punk, et de surcroît «philosoviétique», peut bien se tromper encore un peu, même s'il a authentiquement rencontré Dieu, grâce à Benoît XVI.
Car, qu'on ne s'y trompe pas, c'est Benoît XVI, qu'il a rencontré en chair et en os, et c'est Benoît XVI qui l'a converti. Comme beaucoup d'autres

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