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Benoît XVI le bénédictin

C'est demain la fête liturgique de Benoît de Nurcie. Benoît XVI nous parle du Saint Patron de son Pontificat (10/7/2014)

     

Demain 11 juillet est la fête liturgique de Saint Benoît de Nursie (vers 480-547).
A cette occasion, le site homonyme (et forcément ami!) "Il papa emerito" a inité un triduo de prière en l'honneur du fondateur de l'ordre des bénédictins et Saint Patron de notre pauvre Europe, qui a bien besoin de son intercession.
Le livret du "triduo" (en italien) peut être téléchargé ici.

"Il Papa emerito" nous rappelle également deux textes où Benoît XVI parlait de Saint Benoît:

¤ D'abord, l'audience du 27 avril 2005, la première après l'élection, où il explique les raisons du choix de ce nom.
¤ Très peu de temps après, l'angelus du 10 juillet 2005.

Mais, en dehors de la fameuse conférence prononcée au Collège des Bernardins, à Paris, le 12 septembre 2008, le texte le plus importantl est celui dans la série des catéchèses sur les Pères de l'Eglise, le 9 avril 2008:

Audience du 9 avril 2008

Saint Benoît de Nursie

Je voudrais parler aujourd'hui de saint Benoît, fondateur du monachisme occidental, et aussi Patron de mon pontificat.

Je commence par une parole de saint Grégoire le Grand, qui écrit à propos de saint Benoît: "L'homme de Dieu qui brilla sur cette terre par de si nombreux miracles, ne brilla pas moins par l'éloquence avec laquelle il sut exposer sa doctrine". Telles sont les paroles que ce grand Pape écrivit en l'an 592; le saint moine était mort à peine 50 ans auparavant et il était encore vivant dans la mémoire des personnes et en particulier dans le florissant Ordre religieux qu'il avait fondé.
Saint Benoît de Nursie, par sa vie et par son œuvre, a exercé une influence fondamentale sur le développement de la civilisation et de la culture européenne.
La source la plus importante à propos de la vie de ce saint est le deuxième livre des Dialogues de saint Grégoire le Grand. Il ne s'agit pas d'une biographie au sens classique. Selon les idées de son temps, il voulut illustrer à travers l'exemple d'un homme concret - précisément saint Benoît - l'ascension au sommet de la contemplation, qui peut être réalisée par celui qui s'abandonne à Dieu. Il nous donne donc un modèle de la vie humaine comme ascension vers le sommet de la perfection. Saint Grégoire le Grand raconte également dans ce livre des Dialogues de nombreux miracles accomplis par le saint, et ici aussi il ne veut pas raconter simplement quelque chose d'étrange, mais démontrer comment Dieu, en admonestant, en aidant et aussi en punissant, intervient dans les situations concrètes de la vie de l'homme. Il veut démontrer que Dieu n'est pas une hypothèse lointaine placée à l'origine du monde, mais qu'il est présent dans la vie de l'homme, de tout homme.

Cette perspective du "biographe" s'explique également à la lumière du contexte général de son époque: entre le Ve et le VIe siècle, le monde était bouleversé par une terrible crise des valeurs et des institutions, causée par la chute de l'Empire romain, par l'invasion des nouveaux peuples et par la décadence des mœurs.
En présentant saint Benoît comme un "astre lumineux", Grégoire voulait indiquer dans cette situation terrible, précisément ici dans cette ville de Rome, l'issue de la "nuit obscure de l'histoire" (cf. Jean-Paul II, 1979). De fait, l'œuvre du saint et, en particulier, sa Règle se révélèrent détentrices d'un authentique ferment spirituel qui transforma le visage de l'Europe au cours des siècles, bien au-delà des frontières de sa patrie et de son temps, suscitant après la chute de l'unité politique créée par l'empire romain une nouvelle unité spirituelle et culturelle, celle de la foi chrétienne partagée par les peuples du continent. C'est précisément ainsi qu'est née la réalité que nous appelons "Europe".

BIOGRAPHIE
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La naissance de saint Benoît se situe autour de l'an 480. Il provenait, comme le dit saint Grégoire, "ex provincia Nursiae" - de la région de la Nursie.
Ses parents, qui étaient aisés, l'envoyèrent suivre des études à Rome pour sa formation. Il ne s'arrêta cependant pas longtemps dans la Ville éternelle. Comme explication, pleinement crédible, Grégoire mentionne le fait que le jeune Benoît était écoeuré par le style de vie d'un grand nombre de ses compagnons d'étude, qui vivaient de manière dissolue, et qu'il ne voulait pas tomber dans les mêmes erreurs. Il voulait ne plaire qu'à Dieu seul; "soli Deo placere desiderans".
Ainsi, avant même la conclusion de ses études, Benoît quitta Rome et se retira dans la solitude des montagnes à l'est de Rome.
Après un premier séjour dans le village d'Effide (aujourd'hui Affile), où il s'associa pendant un certain temps à une "communauté religieuse" de moines, il devint ermite dans la proche Subiaco. Il vécut là pendant trois ans complètement seul dans une grotte qui, depuis le Haut Moyen-âge, constitue le "coeur" d'un monastère bénédictin appelé "Sacro Speco".
La période à Subiaco, une période de solitude avec Dieu, fut un temps de maturation pour Benoît. Il dut supporter et surmonter en ce lieu les trois tentations fondamentales de chaque être humain: la tentation de l'affirmation personnelle et du désir de se placer lui-même au centre, la tentation de la sensualité et, enfin, la tentation de la colère et de la vengeance.
Benoît était en effet convaincu que ce n'était qu'après avoir vaincu ces tentations qu'il aurait pu adresser aux autres une parole pouvant être utile à leur situation de besoin. Et ainsi, son âme désormais pacifiée était en mesure de contrôler pleinement les pulsions du "moi" pour être un créateur de paix autour de lui. Ce n'est qu'alors qu'il décida de fonder ses premiers monastères dans la vallée de l'Anio, près de Subiaco.
En l'an 529, Benoît quitta Subiaco pour s'installer à Montecassino.
Certains ont expliqué ce déplacement comme une fuite face aux intrigues d'un ecclésiastique local envieux. Mais cette tentative d'explication s'est révélée peu convaincante, car la mort soudaine de ce dernier n'incita pas Benoît à revenir. En réalité, cette décision s'imposa à lui car il était entré dans une nouvelle phase de sa maturation intérieure et de son expérience monastique. Selon Grégoire le Grand, l'exode de la lointaine vallée de l'Anio vers le Mont Cassio - une hauteur qui, dominant la vaste plaine environnante, est visible de loin - revêt un caractère symbolique: la vie monastique cachée a sa raison d'être, mais un monastère possède également une finalité publique dans la vie de l'Eglise et de la société, il doit donner de la visibilité à la foi comme force de vie. De fait, lorsque Benoît conclut sa vie terrestre le 21 mars 547, il laissa avec sa Règle et avec la famille bénédictine qu'il avait fondée un patrimoine qui a porté des fruits dans le monde entier jusqu'à aujourd'hui.

LA RÈGLE DE SAINT BENOÎT
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Dans tout le deuxième livre des Dialogues, Grégoire nous montre la façon dont la vie de saint Benoît était plongée dans une atmosphère de prière, fondement central de son existence. Sans prière l'expérience de Dieu n'existe pas.
Mais la spiritualité de Benoît n'était pas une intériorité en dehors de la réalité. Dans la tourmente et la confusion de son temps, il vivait sous le regard de Dieu et ne perdit ainsi jamais de vue les devoirs de la vie quotidienne et l'homme avec ses besoins concrets.
En voyant Dieu, il comprit la réalité de l'homme et sa mission. Dans sa Règle, il qualifie la vie monastique d'"école du service du Seigneur" (Prol. 45) et il demande à ses moines de "ne rien placer avant l'Œuvre de Dieu [c'est-à-dire l'Office divin ou la Liturgie des Heures]" (43, 3). Il souligne cependant que la prière est en premier lieu un acte d'écoute (Prol. 9-11), qui doit ensuite se traduire par l'action concrète. "Le Seigneur attend que nous répondions chaque jour par les faits à ses saints enseignements", affirme-t-il (Prol. 35).
Ainsi, la vie du moine devient une symbiose féconde entre action et contemplation "afin que Dieu soit glorifié en tout" (57, 9).
En opposition avec une réalisation personnelle facile et égocentrique, aujourd'hui souvent exaltée, l'engagement premier et incontournable du disciple de saint Benoît est la recherche sincère de Dieu (58, 7) sur la voie tracée par le Christ humble et obéissant (5, 13), ne devant rien placer avant l'amour pour celui-ci (4, 21; 72, 11) et c'est précisément ainsi, au service de l'autre, qu'il devient un homme du service et de la paix.
Dans l'exercice de l'obéissance mise en acte avec une foi animée par l'amour (5, 2), le moine conquiert l'humilité (5, 1), à laquelle la Règle consacre un chapitre entier (7).
De cette manière, l'homme devient toujours plus conforme au Christ et atteint la véritable réalisation personnelle comme créature à l'image et à la ressemblance de Dieu.

A l'obéissance du disciple doit correspondre la sagesse de l'Abbé, qui dans le monastère remplit "les fonctions du Christ" (2, 2; 63, 13).
Sa figure, définie en particulier dans le deuxième chapitre de la Règle, avec ses qualités de beauté spirituelle et d'engagement exigeant, peut-être considérée comme un autoportrait de Benoît, car - comme l'écrit Grégoire le Grand - "le saint ne put en aucune manière enseigner différemment de la façon dont il vécut".
L'Abbé doit être à la fois un père tendre et également un maître sévère, un véritable éducateur. Inflexible contre les vices, il est cependant appelé à imiter en particulier la tendresse du Bon Pasteur, à "aider plutôt qu'à dominer", à "accentuer davantage à travers les faits qu'à travers les paroles tout ce qui est bon et saint" et à "illustrer les commandements divins par son exemple".
Pour être en mesure de décider de manière responsable, l'Abbé doit aussi être un personne qui écoute "le conseil de ses frères", car "souvent Dieu révèle au plus jeune la solution la meilleure". Cette disposition rend étonnamment moderne une Règle écrite il y a presque quinze siècles! Un homme de responsabilité publique, même à une petite échelle, doit toujours être également un homme qui sait écouter et qui sait apprendre de ce qu'il écoute.

LA RÈGLE AUJOURD'HUI, MODÈLE POUR L'EUROPE
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Benoît qualifie la Règle de "Règle minimale tracée uniquement pour le début"; en réalité, celle-ci offre cependant des indications utiles non seulement aux moines, mais également à tous ceux qui cherchent un guide sur leur chemin vers Dieu. En raison de sa mesure, de son humanité et de son sobre discernement entre ce qui est essentiel et secondaire dans la vie spirituelle, elle a pu conserver sa force illuminatrice jusqu'à aujourd'hui.
Paul VI, en proclamant saint Benoît Patron de l'Europe le 24 octobre 1964, voulut reconnaître l'œuvre merveilleuse accomplie par le saint à travers la Règle pour la formation de la civilisation et de la culture européenne.

Aujourd'hui, l'Europe - à peine sortie d'un siècle profondément blessé par deux guerres mondiales et après l'effondrement des grandes idéologies qui se sont révélées de tragiques utopies - est à la recherche de sa propre identité. Pour créer une unité nouvelle et durable, les instruments politiques, économiques et juridiques sont assurément importants, mais il faut également susciter un renouveau éthique et spirituel qui puise aux racines chrétiennes du continent, autrement on ne peut pas reconstruire l'Europe. Sans cette sève vitale, l'homme reste exposé au danger de succomber à l'antique tentation de vouloir se racheter tout seul - une utopie qui, de différentes manières, a causé dans l'Europe du XX siècle, comme l'a remarqué le Pape Jean-Paul II, "un recul sans précédent dans l'histoire tourmentée de l'humanité".
En recherchant le vrai progrès, nous écoutons encore aujourd'hui la Règle de saint Benoît comme une lumière pour notre chemin. Le grand moine demeure un véritable maître à l'école de qui nous pouvons apprendre l'art de vivre le véritable humanisme.

© Copyright 2008 - Libreria Editrice Vaticana

     

Le 24 mai 2009, fête de l'Ascension, Benoît effectuait une viste pastorale au Mont-Cassin.
A cette occasion, l'Osservatore Romao avait publié un entretien l'abbé de Montecassino, dont j'avais traduit le passage le plus significatif:

LE PAPE AU COEUR DE L'EUROPE CHRÉTIENNE
Entretien avec dom Pietro Vittorelli, abbé de Montecassino

Q: Benoît XVI se rend à Montecassino, porteur de ses liens forts avec saint Benoît. Comment jusqu'à présent ces liens ont-ils émergé dans son service pétrinien ?

R: Benoît XVI a plusieurs fois souligné, dès le début de son pontificat un enracinement dans la spiritualité bénédictine, en la reproposant dans ses discours et dans ses catéchèses, et qui trouve une admirable synthèse dans le nihil amori Christi praeponere (ne rien mettre avant l'amour du Christ), que Saint Benoît insèra dans le quatrième chapitre de la Règle " Sur les moyens des bonnes oeuvres" (4.21) et que le Saint Père a plusieurs fois cité, presque comme un leitmotiv de sa narration théologique.
Lorsque le soir du 19 avril 2005, depuis la Loggia des bénédictions, le cardinal Jorge Arturo Medina Estévez annonça au monde que le cardinal Ratzinger avait été élu Pape et qu'il avait choisi de s'appeler Benoît, outre la joie irrésistible de tout le monde monastique qui, à Montecassino se confondait avec le son des cloches et l'embouteillage des lignes téléphoniques et de la poste électronique, il n'a pas échappé à quelques moines la référence immédiate à la Règle dans les premiers mots que prononça le Pape " un humble ouvrier dans la vigne du Seigneur". Bien que la référence évangélique fût claire, l'allusion à l'humilité chère à Benoît et l'expression du Prologue à sa Règle Et quaerens Dominus, in moltitudine populi cui haec clamat, operarium suum ne pouvaient échapper.
Dans son infatigable service pétrinien, Benoît XVI n'a jamais manqué de faire référence à l'importance des racines chrétiennes de l' Europe et au service rendu à l'Église par les moines et le monachisme de Saint Benoît. Le Pape n'a pourtant pas un regard " archéologique" vers le monachisme bénédictin mais il en cueille toute la vitalité et les perspectives futures.
Recevant en audience le Congrès mondial des abbés, le 20 septembre 2008, " Pour construire une Europe nouvelle, il faut commencer par les nouvelles générations", affirma le Pape, avant d'élargir son regard à l'entière famille humaine et de souligner que " dans de nombreuses parties du monde, spécialement en Asie et en Afrique, il y a un grand besoin d'espaces vitaux de rencontre avec le Seigneur, où à travers la prière et la contemplation, on retrouve la sérénité et la paix avec soi-même et avec les autres".
Mais le texte qui à mon avis restera le " manifeste bénédictin" du pontificat de Papa Ratzinger est le magnifique discours prononcé au Collège des Bernardins, lors de la rencontre avec le monde de la culture. Il commençait ainsi : " Je voudrais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne" et avec la maestria théologique qui est sa marque et avec un coeur de moine il a tissé le plus beau des chants sur le quaerere Deum.

Q: L'appel à Saint Benoît ramène aussi à la réflexion sur l'Europe. Pensez-vous que la visite de Benoît XVI ait un sens pour le continent tout entier, à la recherche de ses racines chrétiennes ?

R: La visite d'un Pape du nom de Benoît dans le berceau du monachisme occidental, dans le lieu où les yeux de Saint Benoît se sont reflétés, dont est parti l'impulsion de la nouvelle évangélisation pour le continent européen, ne pourra pas ne pas avoir un écho dans l'Europe contemporaine. Le Pape réaffirmera l'importance pour l'homme contemporain de se réapproprier une quotidienneté, une normalité qui dans la vie bénédictine de l' "ora et labora et lege" peut continuer à construire l'homme. "Dans vos monastères, vous êtes les premiers à avoir renouvelé et approfondi quotidiennement la rencontre avec la personne du Christ, que vous avez toujours avec vous comme hôte, ami et semblable. C'est pourquoi vos couvents sont des lieux où hommes et femmes, encore à notre époque, accourent pour chercher Dieu et apprendre à reconnaître les signes de la présence du Christ, de sa charité, de sa miséricorde": c'est ce qu'il nous a dit lors de la dernière audience concédée aux abbés bénédictins réunis en congrès mondial.

     

Et ce même jour, lors des vêpres, à l'Abbaye de Monte Cassino, Benoît XVI prononçait une splendide homélie, où il priait pour que l'Europe valorise l'immense richesse culturelle et spirituelle du christianisme.
Voici ma traduction d'alors:

VÊPRES AU MONT CASSIN
Homélie du Saint-Père, 24 mai 2009

Chers frères et soeurs de la grande Famille bénédictine !

Arrivé presque au terme de ma visite d'aujourd'hui, il m'est particulièrement agréable de m'arrêter en ce lieu sacré, dans cette Abbaye, quatre fois détruite et reconstruite, la dernière fois après les bombardements de la seconde guerre mondiale il y a 65 ans. « Succisa virescit » : ces mots écrits sur ses nouvelles armoiries en indiquent bien l'histoire. Monte Cassino, chêne séculaire planté par Saint Benoît, a été « élagué» par la violence de la guerre, mais elle est renée plus vigoureuse. Plus d'une fois, j'ai eu moi-même l'occasion de jouir de l'hospitalité des moines, et dans cette Abbaye j'ai passé des instants inoubliables de calme et de prière. Ce soir nous y sommes entrés en chantant le Laudes regiae pour célébrer ensemble les Vêpres de la solennité de l'Ascension de Jésus. À chacun de vous, j'exprime la joie de partager cet instant de prière, en vous saluant tous avec affection, reconnaissant pour l'accueil que m'avez réservé, et à ceux qui m'accompagnent dans ce pèlerinage apostolique. En particulier, je salue l'Abbé Dom Pietro Vittorelli, qui s'est fait l'interprète de vos sentiments communs. J'étends mon salut aux Abbés, aux Abbesses et aux communautés bénédictines ici présentes.

Aujourd'hui la liturgie nous invite à contempler le mystère de l'Ascension du Seigneur. Dans la brève lecture, tirée de la Première Lettre de Pierre, nous avons été exhortés à fixer le regard sur notre Rédempteur, qui est mort « une fois pour toutes, pour les péchés » pour nous conduire à nouveau à Dieu, à la droite de qui il se trouve « après être monté au ciel et avoir obtenu la souveraineté sur les anges, les Princes et les Puissances ». « Monté en haut » et rendu invisible aux yeux de ses disciples, Jésus toutefois ne les a pas abandonnés : en effet, « mis à mort dans le corps, mais rendu vivant dans l'esprit », Il est maintenant présent de manière nouvelle, à l'intérieur des croyants, et en Lui le salut est offert à chaque être humain sans différence de peuple, langue et culture.
La Première Lettre de Pierre contient des références précises aux évènements christologiques fondamentaux de la foi chrétienne. Le souci de l'Apôtre est de mettre en lumière la portée universelle du salut dans le Christ. Nous trouvons une hantise analogue chez Saint-Paul, dont nous célébrons le bimillénaire de la naissance, et qui écrit à la communauté de Corinthe : « Il (le Christ) est mort pour tous, pour que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Cor 5, 15).

Ne plus vivre pour soi-même, mais pour le Christ : voilà ce qui donne son plein sens à la vie de celui qui se laisse conquérir par Lui. Le parcours humain et spirituel de Saint- Benoît, qui, abandonné de tous, se mit fidèlement à la suite de Jésus le manifeste clairement. Incarnant l'Évangile par son existence, il est devenu initiateur d'un vaste mouvement de renaissance spirituelle et culturelle en Occident.

Je voudrais ici faire allusion à un évènement extraordinaire de sa vie, que relate son biographe Saint Grégoire le Grand et que vous connaissez certainement. On pourrait presque dire que le saint Patriarche « fut élevé en haut » dans une indescriptible expérience mystique. La nuit du 29 octobre 540, - lit-on dans la biographie - alors que, s'étant mis à la fenêtre, « les yeux fixés sur les étoiles il s'intériorisait dans la divine contemplation, le saint sentit que son coeur s'enflammait… Pour lui, le firmament étoilé était comme le rideau brodé qui dévoilait le Saint des Saints. À un certain point, son âme se sentit transportée de l'autre côté du voile, pour contempler dévoilée la face de Celui qui habite dans une lumière inaccessible ».Sans doute, de même que ce qui se produisit pour Paul après son enlèvement au ciel, pour Saint Benoît aussi, à la suite de cette extraordinaire expérience spirituelle, une vie nouvelle dut commencer. Si en effet la vision fut passagère, les effets restèrent, et sa physionomie même - selon les biographes - s'en trouva modifiée, son aspect resta toujours serein et son attitude angélique mais, tout en vivant sur la terre, on comprenait qu'avec le coeur il était déjà au Paradis.

Saint Benoît reçut ce don divin non certes pour satisfaire sa curiosité intellectuelle, mais plutôt pour que le charisme dont Dieu l'avait doté eût la capacité de reproduire dans le monastère la vie même du ciel et d'y rétablir l'harmonie de la création au moyen de la contemplation et du travail. C'est justement pourquoi l'Église le vénère comme « éminent maître de vie monastique » et « docteur en sagesse spirituelle dans l'amour de la prière et du travail » « admirable guide des peuples vers la lumière de l'Évangile » qui « élevé au ciel par une route lumineuse » enseigne aux hommes de tous les temps à chercher Dieu et les richesses éternelles par Lui préparées.

Oui, Benoît fut un exemple lumineux de sainteté et indiqua aux moines le Christ comme unique grand idéal; il fut maître de civilisation qui, proposant une vision équilibrée et adéquate des exigences divines et des fins ultimes de l'homme, garda aussi toujours bien présentes les nécessités et les raisons du coeur, pour enseigner et susciter une fraternité authentique et constante, afin que dans la complexité des rapports sociaux on ne perde pas de vue une unité d'esprit capable de toujours construire et alimenter la paix.
Ce n'est pas un hasard si c'est le mot Pax qui accueille les pèlerins et les visiteurs aux portes de cette Abbaye, reconstruite après l'immense désastre du second conflit mondial ; il s'élève comme un avertissement silencieux à rejeter toute forme de violence pour construire la paix : dans les familles, dans les communautés, entre les peuples et dans l'entière humanité. Saint Benoît invite chaque personne que monte cette montagne à chercher la paix et à la suivre : « inquire pacem et sequere eam (Ps. 33.14-15) » (Règle, Prologue, 17).

À son école, les monastères sont devenus, dans le cours des siècles, de fervents centres de dialogue, de rencontre et de fusion bénéfique entre des gens différents, unifiés par la culture évangélique de la paix. Les moines ont su enseigner avec les mots et avec l'exemple l'art de la paix en réalisant de façon concrète les trois « lois » que Benoît désigne comme nécessaires pour conserver l'unité de l'Esprit parmi les hommes : la Croix, qui est la loi même du Christ ; le livre c'est-à-dire la culture ; et la charrue, qui indique le travail, la domination sur la matière et sur le temps. Grâce à l'activité des monastères, articulée autour du triple engagement quotidien de la prière, de l'étude et du travail, des peuples entiers du continente européen ont connu un authentique rachat et un développement moral, spirituel et culturel bénéfique, s'éduquant au sens de la continuité avec le passé, à l'action concrète pour le bien commun, à l'ouverture vers Dieu et la dimension transcendante. Prions pour que l'Europe sache toujours valoriser ce patrimoine de principes et d'idéaux chrétiens qui constitue une immense richesse culturelle et spirituelle.

Cependant, cela n'est possible que si on accueille le constant enseignement de Saint Benoît, c'est-à-dire le « quaerere Deum », chercher Dieu, comme engagement fondamental de l'homme. L'être humain ne se réalise pas pleinement, il ne peut pas être vraiment heureux sans Dieu. Il vous revient en particulier à vous, chers moines, d'être des exemples vivants de cette profonde relation intérieure avec Lui, en réalisant sans compromis le programme que votre Fondateur a synthétisé dans les « nihil amori Christi praeponere », « ne rien placer avant l'amour du Christ » (Règle 4.21). C'est en cela que consiste la sainteté, proposition valide pour chaque chrétien, plus que jamais à notre époque, où se ressent la nécessité d'ancrer la vie et l'histoire à des solides références spirituelles. Pour cela, chers frères et soeurs, votre vocation est plus que jamais actuelle et votre mission de moines est indispensable.

De ce lieu, où repose sa dépouille mortelle, le saint Patron de l'Europe continue à inviter chacun à poursuivre son oeuvre d'évangélisation et de promotion humaine. Il vous encourage en premier lieu vous, chers moines, à rester fidèles à l'esprit des origines et à l'être les interprètes authentiques de son programme de renaissance spirituelle et sociale. Que le Seigneur vous concède ce don, par l'intercession de votre Saint Fondateur, de sa soeur sainte Scholastique et des Saints et Saintes de l'Ordre. Et que la céleste Mère du Seigneur, qu'aujourd'hui nous invoquons comme « Aide des chrétiens », veille sur vous et protège cette Abbaye et tous vos monastères, ainsi que la communauté diocésaine qui vit autour de Monte Cassino.
Amen !

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