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Benoît et François, deux papes à la Mosquée Bleue

Que s'est-il passé hier, lors de la visite du Pape à la Mosquée bleue d'Istanbul? Le récit de JM Guénois, et les vives critiques d'Antonio Socci (30/11/2014, mise à jour ultérieure)

     

Commentaire de CTV en italien (news.va):
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Dans la seconde journée de son voyage en Turquie, le Pape François a rejoint Istanbul depuis Ankara, et à l'aéroport international, il a été accueilli par le Patriarche Oecuménique Bartholomée 1er, et par le gouverneur de la ville. puis, par respect de l'heure de prière musulmane, il a changé de programme et a visité la Mosquée "Sultan Ahmet" d'Istanbul, également connue comme "Mosquée bleue". Accueilli par le Grand Mufti, le Pape a traversé le grand portique, et est entré dans la mosquée. Après une brève visite comme Benoît XVI en 2006, le Pape François s'est recueilli en adoration silencieuse pendant à peu près 2mn, devant le "mihrab" à côté du grand mufti en prière. A la fin, dialoguant avec son hôte, le Pape a dit deux fois: "Nous devons adorer Dieu", ajoutant encore: "nous ne devons pas seulement le louer et le glorifier, mais nous devons l'adorer".

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Benoît XVI, en 2006

Je rappelais hier (Benoît XVI en Turquie) que lors de son voyage de 2006 en Turquie, Benoît XVI s'était "recueilli" à la Mosquée Bleue, et je me souviens très bien de l'indignation témoignée alors dans certains milieux catholiques.
Je retrouve un billet d'Yves Daoudal, qui remettait les choses au point:

Le pape a poliment accompagné l’imam, s’est arrêté avec lui et a acquiescé quand l’imam a suggéré un moment de méditation. Il ne s’est pas tourné vers La Mecque, il est resté à côté de l’imam, qui, lui, était en effet tourné vers La Mecque. Si cet imam, en visite à Rome, était conduit par le pape derrière l’autel de Saint-Pierre, dirait-on qu’il s’est tourné vers Jérusalem ?
D’autre part, contrairement à ce qu’on prétend, le pape n’a pas adopté une des postures de la prière musulmane, et n’a fait aucun geste propre aux musulmans. Il avait les bras croisés sous la poitrine, et ce que l’on voyait, ce qui apparaissait de façon spectaculaire, c’était sa croix pectorale en or, qui brillait sous les illuminations de la mosquée. C’est la croix du Christ qui est entrée au centre de la mosquée symbole de l’islam turc.

Le pape lui-même s'était expliqué lors de l'audience générale suivante, en ces termes, que je rappelais hier, et que je répète ici, chaque mot est important:

Dans le domaine du dialogue interreligieux, la Divine Providence m'a donné d'accomplir, presque à la fin de mon voyage, un geste qui n'était pas prévu au début, et qui s'est révélé très significatif: la visite à la célèbre Mosquée bleue d'Istanbul. En m'arrêtant quelques minutes pour me recueillir en ce lieu de prière, je me suis adressé à l'unique Seigneur du ciel et de la terre, Père miséricorideux de l'humanité tout entière.

Les explications du Pape coupaient définitivement court à toutes les polémiques.
D'autant que les musulmans ne se réfèrent pas à Allah comme au "Seigneur", encore moins comme à un père. Plus précisément «les musulmans n’admettent pas que Dieu soit considéré comme Père. Car ils y voient une forme d’anthropomorphisme. Dieu n’est pas Père car Il est le plus grand» (www.comprendre.org).

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Et François en 2014

Le geste de François, était-il vraiment et délibérément différent de celui-là? Que s'est-il passé exactement à la Mosquée bleue d'Istanbul, hier?
En plus de la video "officielle" et de son commentaire en italien (à noter que dans la version en français de cette video sur le site News.va, les propos finaux du pape ont disparu) je me réfère au récit de gens qui étaient présents sur place, Andrea Tornielli, et JM Guénois, l'envoyé spécial du Figaro.

Mais je commence par le VIS du 29, qui resssemble plus à une notice de dépliant touristique qu'à un compte-rendu de voyage papal:

Le Saint-Père a quitté Ankara pour Istanbul, la seule ville bâtie sur deux continents, sur les rives du Bosphore qui relie la Mer noire à la Méditerranée. Accueilli par le Gouverneur et par le Patriarche oeuménique, il a gagné en voiture la Mosquée bleue, bâtie du XVII siècle par le Sultan Ahmed I en s'inspirant de Ste.Sophie. Cet édifice grandiose devint le plus vaste lieu de culte du monde musulman. Son surnom vient de son parement intérieur recouvert de 21.000 carreaux de faïence. Accueilli par le Grand Mufti, comme Benoît XVI en 2006, il a été invité à prier à l'issue de la visite.

Une grande discrétion, donc... Et sans doute pas par hasard.
Andrea Tornielli, dans son rôle désormais trop prévisible de pompier, est immédiatement accouru à la rescousse, tirant Benoît XVI par la soutane, comme il le fait désormais systématiquement, ce qui devient pénible, et affirmant - trop vite pour ne pas susciter de soupçons - que les choses s'étaient passées exactement de la même façon il y a 8 ans.

Jean Marie-Guénois livre un récit différent, dont voici l'essentiel:

Le pape François ose prier dans la Mosquée bleue d'Istanbul
29/11/2014
http://www.lefigaro.fr
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Au second jour de sa visite en Turquie, le pape François est allé plus loin que son prédécesseur Benoît XVI, en priant ouvertement dans la mosquée bleue aux côtés du grand mufti.
Le pape François a explicitement prié, samedi matin, dans la mosquée bleue d'Istanbul aux côtés du grand muphti. C'est une première. Au même endroit, en 2006, Benoît XVI s'était simplement recueilli. Plutôt discrètement du reste. Au point de soulever une polémique. Certains estimant que le pape allemand avait alors «prié» dans la mosquée. D'autres non parce qu'un chrétien, à fortiori le pape, ne pouvait pas, avançaient-ils, prier ainsi dans un lieu de culte musulman. Prudent, le Vatican avait tranché pour le «recueillement» de Benoit XVI.
C'est sans doute pour éviter l'ambiguïté mais surtout par conviction profonde - François inscrit le «dialogue» avec les autres, et les autres religions, comme une priorité de son pontificat - que le successeur de Benoît XVI, dans la même mosquée, a donc croisé très visiblement les doigts, incliné longuement la tête en fermant profondément les yeux, deux à trois minutes, pour prier à l'évidence . Et pour… signifier qu'il priait. Et ce en direction du mihrab, cette niche cernée de deux colonnes, qui indique la qibla, donc la direction de la ka'ba de la Mecque.
Un geste fort en forme de message qui s'inscrit dans la ligne de ce voyage qui se veut une main tendue à l'islam pour combattre le «fondamentalisme», comme François l'a expliqué, vendredi, à Ankara, au premier jour de sa visite...

Quelques instants après cette prière spectaculaire, samedi matin, le Père Federico Lombardi, porte parole du Vatican, s'est empressé de préciser qu'il s'agissait, en fait, d'une «adoration silencieuse». Le Pape, selon Lombardi, ayant d'ailleurs confié à son hôte musulman, «nous devons adorer Dieu».
Cette étape à la mosquée, où aucun discours n'était prévu, devait être l'un des moments forts de son déplacement de trois jours en Turquie. Il le fut mais restera comme un geste fort du pape François. Car il aura osé là ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'a jamais fait: prier ouvertement dans une mosquée à côté d'un dignitaire musulman.

Le verbe OSER est fort!!
Difficile de dire si Jean-Marie Guénois, qui semble éprouver une admiration sincère pour François (en témoignent son livre récent «Jusqu'où ira François?», et le hors-série "Le Figaro-évènement" qu'il vient de lui consacrer) veut rendre hommage au souci de dialogue du pape, ou s'il trouve que cette fois, il est allé trop loin.

Quoi qu'il en soit, l'attitude de François ne passe manifestemnt pas auprès d'Antonio Socci, surtout dans le contexte actuel (non moins violent qu'en 2006) qui publie à l'instant sur son blog un article dont Anna m'envoie la traduction:

     

BERGOGLIO ADORE DANS LA MOSQUÉE
www.antoniosocci.com
29 novembre 2014
Prière et adoration dans la mosquée? Cher pape Bergoglio: mais pourquoi faites-vous ces choses?
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Aujourd'hui, donc, le pape Bergoglio à la Mosquée Bleu d'Istanbul a dit: «Non seulement nous devons nous glorifier et louer Dieu, mais aussi nous devons l'adorer. C'est la première chose».
Et en effet il y a prié et ADORÉ…
Le vaticaniste du Figaro souligne qu'il s'agit d'une première absolue, car il n'était jamais arrivé qu'un pape fasse cela dans un lieu de culte musulman, tourné en plus vers la Mecque.
Tout de suite Andrea Tornielli, le garde suisse du Vatican Insider, a couru aux abris, essayant, comme d'habitude, d'utiliser Benoît XVI pour couvrir les "révolutions" du pape Bergoglio. Mais c'est le vaticaniste du Figaro qui a raison. Surtout parce que dans le cas de Benoît, en 2006, il s'agissait d'une simple visite et - par surprise (ce fut un peu un piège) - le religieux musulman qui était sur place se mit à prier.
Benoît XVI par respect fit silence. Et le Vatican n'a jamais affirmé qu'il pria. Certainement il ne parla pas d'adoration ni qu'il avait adoré en ce lieu.
Tout à fait différent est le cas de François.
Le père Lombardi a parlé d'"adoration silencieuse".
Adoration? Tourné vers la Mecque? C'est ça le problème.
J'espère que personne ne va pas montrer ces images à Asia Bibi… Ni à tous les autres chrétiens persécutés…
Un de mes lecteurs, perplexe, m'écrit ses considérations. On peut ne pas être d'accord, mais il donne de quoi réfléchir sérieusement.

Le doute de cette journée est si le pape Bergoglio a apostasié ou pas dans la Mosquée d'Istanbul.
Je laisse de côté toute considération concernant l'opportunité de prier avec des représentants islamiques… et je concentre l'attention sur les termes utilisés aujourd'hui par le père Lombardi et par Bergoglio lui-même: "adoration silencieuse". C'était de ça qu'il s'agissait, et c'est le terme utilisé aussi par le TG1 (ndt:première chaine publique de la TV).
Que je sache l'adoration est réservée seulement et exclusivement à Dieu et si on va faire de l'"adoration silencieuse" dans un lieu de culte d'une autre religion on se demande quel Dieu on y adore. Pourquoi n'a-t-on pas utilisé le terme correct, c'est à dire "prière personnelle"? Adorer signifie reconnaître que ce lieu est habité par la divinité. Et ce serait une apostasie.
Il est trop facile de remarquer qu'on n'a jamais vu un chef d'Etat musulman venir en Italie et prier avec le Pontife devant le Très Saint Sacrement. La scène d'aujourd'hui apparaît aussi comme une insulte aux milliers de victimes chrétiennes qui son morts en martyrs pour éviter toute forme de syncrétisme avec l'Islam… Je suis de plus en plus déconcerté et convaincu que tôt ou tard Bergoglio va faire quelque déclaration choc sur la doctrine.

Au delà des considérations de ce lecteur, il me semble qu'il y ait là des questions ouvertes, grandes comme des gouffres…
Il est grave de faire semblant de ne pas voir, car on peut faire semblant avec soi-même et les autres, mais pas avec Dieu.