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Dans l'attente du prochain Consistoire

La nomination de nouveaux cardinaux, en février 2015, pourrait faire pencher la balance en faveur de François, dans les débats sur le Synode et la réforme de la Curie. Analyse d'Andrea Gagliarducci (15/12/2014)

FRANÇOIS AU-DELÀ DE LA CRISE.
En attendant de nommer de nouveaux cardinaux
Andrea Gagliarducci
Lundi 15 décembre 2014
www.mondayvatican.com
(ma traduction)
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François va tenir un consistoire pour créer de nouveaux cardinaux les 14 et 15 Février. L'annonce a été faite à la fin d'une semaine chargée: François a accordé une importante interview, a personnellement remodelé le récit du synode contre le récit des médias lors d'une audience générale, et a pris part à la 7ème réunion du Conseil des cardinaux. En fin de compte, l'annonce du consistoire peut être considéré comme un pas en avant, pour dépasser une petite (???) crise interne.
Cette crise se situe sur deux questions: le débat sur le Synode des Évêques, et la discussion sur la réforme Curie. Dans les deux cas, la discussion est devenue très vive. Dans les deux cas, le Pape est appelé à prendre une position ferme.

Pour ce qui concerne le Synode des Évêques, François a essayé de calmer les choses en s'exprimant dans une interview au journal argentin "La Nacion", la première interview que le pape ait accordé à un journal de son pays natal.
Le Synode est «un processus en cours», a déclaré le pape. Et il a ajouté que personne n'a remis en question la doctrine catholique, mais que les divorcés remariés civilement ne doivent certainement pas être mis de côté. «Ils ne peuvent pas être parrains d'un enfant à un baptême, à la messe, les lectures ne sont pas pour les divorcés, ils ne peuvent pas recevoir la communion, ils ne peuvent pas faire le catéchisme, il y a environ sept choses qu'ils ne peuvent pas faire, j'ai la liste ici. Allons! Si je divulgue tout cela, on pourra croire qu'ils ont été excommuniés de fait! [...] Les choses doivent changer, nos règles doivent changer», a souligné le pape, montrant ainsi qu'il préfère une approche plus pastorale.
Au cours de l'audience générale du 10 décembre, François est revenu sur la question du synode. Oui, a-t-il dit, il y a eu une discussion animée entre les pères du Synode, mais il n'y a pas eu de divisions, et aucun n'a jamais remis en question la vérité fondamentale du mariage qui, le Pape l'a rappelé, est entre un homme et une femme, indissoluble et ouvert à la vie. Il a ensuite ajouté que le Pape est le garant de l'orthodoxie, comme il l'avait déjà indiqué au début du synode. Tandis que, dans le discours qu'il a prononcé à la fin du synode - que François considère comme un des trois documents officiels du synode, n'incluant pas le rapport de mi-parcours - il a réitéré l'importance de son rôle en tant que pape.
Entretemps, les directives (Lineamenta) du synode 2015 ont été publiées .
Les lignes directrices comprennent le rapport final du synode, tel qu'il est (avec l'ensemble de ses controverses ) et une série de 46 considérations finales. Celles-ci sont divisées en trois parties, et chaque partie a une introduction, que le Secrétariat général du Synode donne en général pour indiquer clairement la méthode à suivre: i.e. ne pas revenir sur «la tournure pastorale» et éviter «une simple application de la doctrine au travail pastoral», en tenant compte du fait que le chemin du synode a été désormais tracé.
Les participants au synode n'apprécieront sans doute pas tous ces indications. Il y a quelques jours, en conclusion de l'assemblée plénière de la Commission théologique internationale, le cardinal Gehrard Ludwig Mueller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a souligné que «séparer la doctrine du travail pastoral est presque une hérésie» (cf. leblogdejeannesmits.blogspot.fr). Toutefois, les lignes directrices du synode n'étaient pas encore publiées. C'est la preuve que la discussion sera rude.

Le Pape François a commencé à gérer la crise. Il l'a fait à sa façon, personnalisant la communication. Il a personnellement pris la parole.
Avec «La Nación», il a même évoqué des bavardages curiaux, et expliqué pourquoi il avait nommé le cardinal Raymond Leo Burke comme Patron de l'Ordre Souverain de Malte, et pourquoi il n'avait pas renouvelé le mandat de commandant des gardes suisses
C'est peut-être (!!) la première fois qu'un pape utilise des interviews et des conversations de cette façon. Les conversations de François avec le journaliste athée Eugenio Scalfari, fondateur du quotidien italien de gauche La Repubblica, l'ont aidé à gagner la faveur dans le monde séculier.
L'interview du Pape accordée à la revue jésuite «La Civiltà Cattolica» a souligné qu'il était un jésuite. Il a accordé la plupart des autres interviews à des médias laïcs - surtout les italiens (Il Corriere della Sera; La Stampa; Il Messaggero), plus un au journal espagnol La Vanguardia - dans le but de générer une image positive de lui dans le pays qui génère tellement de nouvelles sur le Vatican. Et il est allé sur les ondes d'une station de radio argentine. L'engagement communicatif est finalement complété par ses appels téléphoniques personnels .

Compte tenu de toutes ces circonstances, il n'est pas surprenant que François se soit servi d'une interview pour résoudre les problèmes et les critiques actuels, afin de gérer la crise. Le Pape a par la suite approfondi cet engagement en s'adressant directement aux fidèles. Au cours de l'audience générale de mercredi dernier, le pape a partagé sa lecture et son récit du synode des évêques, afin d'aller au-delà du récit médiatique.
Cela pourrait être considéré comme un signe que le débat est encore plus animé, derrière les murs sacrés. Aussi animé que l'est le débat sur la réforme.

Sur la réforme de la Curie, François a également pris la situation en mains.
Dans l'interview qu'il a accordée à «La Nación», François a dit clairement que les réformes prendront au moins une année de plus. C'était une explication nécessaire, car la discussion sur les réformes était arrivée au point mort.
Quand l'évêque Marcello Semeraro, Secrétaire du Conseil des cardinaux, a présenté le 24 novembre les propositions de réforme aux chefs des dicastères, le projet a été intensément critiqué. La façon dont le projet concevait les deux grandes congrégations, Justice & Paix et Laïcs & Famille était - selon beaucoup - trop vague, et ne tenait pas compte des nouvelles responsabilités assumées par les dicastères du Vatican au cours des années. Le Conseil des Cardinaux a discuté de toutes ces observations durant un jour et demi au cours de leur dernière réunion, du 9 au 11 décembre. François a pris part aux rencontres autant qu'il lui était possible. Le Père Federico Lombardi lui-même a précisé à la fin que le processus de réforme se poursuivait et qu'il ne serait pas bref. Le Père Lombardi a également souligné qu'une fois qu'il y aura un projet final de réforme, des experts juridiques et en droit canonique travailleront dessus. Ce ne sera pas rapide, contrairement à ce que beaucoup de cardinaux du Conseil, trop communicatifs, ont laissé croire.

Une fois de plus, François remodèle sa révolution. Il a toujours préféré les questions pastorales, mais à présent, il est également conditionné par les cardinaux qui l'ont élu avec un programme précis. François partage la nécessité d'un renouveau. Il veut des cardinaux et des évêques proches des gens. Il ne juge pas la structure institutionnelle très importante, comme il l'a dit à plusieurs reprises. D'autre part, il a compris qu'il ne peut pas sous-estimer une réforme de la structure institutionnelle. Parfois, cette réforme semble être conçue comme un démantèlement du système existant. D'autres fois, le pape semble renforcer la branche institutionnelle - par exemple, quand il nommé le professeur Vincenzo Buonomo comme conseiller du Gouvernorat de la Cité du Vatican.
La crise de la réforme de la Curie se situe sur deux fronts. D'un côté, la nécessité de maintenir un cadre institutionnel. De l'autre, la frénésie de ceux - et beaucoup d'entre eux sont dans le Conseil des Cardinaux - qui poussent à la réforme rapide, afin de démanteler un système qui, selon eux, ne fonctionne pas. D'un côté, ceux qui veulent faire avancer le renouveau voulu par Benoît XVI - le pape émérite avait donné à la réforme un cadre institutionnel, lequel incluait sa renonciation historique du ministère pétrinien; de l'autre côté, ceux qui avaient mis l'accent sur le mécontentement à propos des défauts de la structure Curiale pour faire avancer leur propre agenda - parmi ceux-ci, les cardinaux de la vieille garde, qui ont poussé à un conclave rapide .
Influencé par ces dichotomies, François a géré la crise en descendant en personne sur le terrain et en ouvrant une discussion, qui aura lieu en Février.

Selon le calendrier prévu par le Père Lombardi, l'assemblée plénière de la Commission pontificale pour la protection des mineurs se réunira du 6 au 8 février, enfin pourvue de statuts, et avec tous ses membres (il devrait y en avoir entre 8 et 18); la 8e réunion du Conseil des cardinaux aura lieu du 9 au 11 février; après cela, François convoquera une consistoire ordinaire public les 12 et 13 février, afin de discuter du plan de réforme de la Curie; et enfin, les 14 et 15 février, François convoquera un consistoire extraordinaire pour la création de nouveaux cardinaux.
De cette façon, la création de nouveaux cardinaux viendra à la fin d'une période intense de discussions. Une réunion du Conseil pour l'Economie sera probablement également prévue au début de Février, de façon à fournir aux cardinaux d'autres propositions de réforme.
La discussion en cours donne l'impression que François veut mettre l'Eglise en une sorte d'état de Concile permanent. En fin de compte, c'est toujours le pape qui a le dernier mot.

C'est la raison pour laquelle la création de nouveaux cardinaux pourrait faire basculer la balance de la discussion en sa faveur.
En Février 2015, les cardinaux âgés de moins de 80 ans et donc en mesure de voter dans un conclave seront au nombre de 110. Cela signifie que François disposera de 10 barrettes rouges pour atteindre le nombre de 120 cardinaux électeurs, établi par le bienheureux Paul VI en 1975 et confirmé par Saint-Jean-Paul II dans Universi Dominici Gregis, i.e. le règlement pour l'élection d'un Pape. François aura 15 places pour d'éventuels nouveaux cardinaux au cours de 2015: en Juin, les cardinaux électeurs seront 107, et à partir de Novembre ils deviendront 105.
Parmi les nouveaux chapeaux rouges, il y aura certainement l'archevêque Bruno Forte (*), secrétaire général du synode, qui est sur le point d'être nommé à un archevêché majeur en Italie ou à un poste important à la Curie romaine.
Avec 15 nouveaux chapeaux, François peut vraiment changer la géographie et l'orientation du Collège des Cardinaux.

Le changement dans le Collège des Cardinaux, plus quelques nomminations supplémentaires, peut permettre à François de mener l'Église au-delà de la crise institutionnelle. Mais pas au-delà de la discussion du Synode, toujours chère au cœur des gens que François veut atteindre. Les évêques ne reviendront pas en arrière dans la discussion du Synode, et ne renonceraont pas à des pressions et des indications comme celles contenues dans les directives du synode. Et, bien qu'il ait accepté et même encouragé la tournure pastorale, François a fait savoir qu'il est peu probable qu'il écartera de l'orthodoxie.

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NDT
(*) Voici ce qu'écrivait Marco Tosatti le 8 décembre dernier:

PALERME, FORTE EN POLE POSITION
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A Rome, le tam tam curial donne pour imminente la nomination de l'archevêque de Chieti, Bruno Forte, comme successeur du cardinal Paolo Romeo au Siège de Palerme. L'annonce de la nomination pourrait avoir lieu dans les prochains jours. Si les prévisions sont confirmées, Bruno Forte pourrait recevoir la pourpre, lors du prochain consistoire. Depuis quelque temps, certains prévoient une nouvelle création de cardinaux pour le printemps prochain.
Bruno Forte est dans la faveur de François. Il a été nommé par le Pape secrétaire adjoint au Synode des évêques sur la famille, et a été confirmé dans cette position pour l'édition de 2015. La nomination éventuelle à Palerme, complétée par la barrette cardinalice, pourrait toutefois poser un problème de compatibilité: avoir un secrétaire adjoint Cardinal, c'est-à-dire au même niveau que le Secrétaire général du Synode, le Cardinal Baldisseri, paraîtrait certainement étrange.
La nomination à Palerme est sans aucun doute un signe d'estime de la part du Pape Bergoglio, même après l'échec enregistré par Forte à la dernière Assemblée de la CEI, où il a été battu par 140 voix contre 60 à l'élection du vice-président pour le Centre de l'Italie par l'évêque d'Arezzo, Mario Meini, et après que l'évêque de Latina, Mgr Crociata, eût demandé que l'on ne vote pas pour lui.