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François et la bioéthique

Eclairage sur deux discours récents où le Pape a réaffirmé avec force le magistère de l'Eglise sur la vie (19/11/2014)

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Sur ce sujet, voir: Comment faire pour que le pape soit écouté?

Voir aussi:
¤ Discours de François devant les médecins catholiques, le 15 novembre 2014: www.zenit.org/fr
¤ Discours aux participants au Colloque international sur la complémentarité homme-femme, organisé par la CDF, le 17 novembre: w2.vatican.va (en italien), synthèse en français du bulletin VIS.

     

Les deux récents discours du Pape, répétant le Magistère de toujours de l'Eglise sur les questions morales a provoqué un énorme soupir de soulagement chez les partisans de la théorie de la continuité.
N'était-ce pas aussi de leur part une façon de manifester une certaine surprise?
En réalité, le plus surprenant, dans cet épisode, c'est justement... leur surprise, puisque le pape n'a fait là que son travail de pape - sauf que sur ces questions, il s'exprime rarement, et jusqu'à présent pas depuis une chaire qui lui donne une audience au delà de la sphère catholique: mardi prochain, à Strasbourg, une occasion rêvée s'offrira à lui, avec rien moins que la tribune du parlement européen.
Voici un article du site italien Radio Spada, (trouvé grâce au site très précieux bergoglionate.wordpress.com) qui propose une lecture intéressante de ces deux déclaratioins papales, coup sur coup.
Comme par hasard, il est à nouveau question de Rahner.

     

FRANÇOIS ET LA BIOÉTHIQUE: NIHIL NOVI SUB SOLE.
Massimo Micaletti (18/11/2014)
Radio Spada
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Ces derniers jours, François a lancé un formidable «une-deux» (1) à la culture de mort et du relativisme en matière de bioéthique et, plus généralement, sur la famille, dans son discours aux médecins catholiques et lors du Colloque international sur la complémentarité entre les hommes et les femmes, parrainé par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Le 15 Novembre, le Pape a clairement rappelé qu'«à la lumière de la foi et de la raison droite, la vie humaine est toujours sacrée et toujours "de qualité". Il n'y a pas de vie humaine plus sacrée qu'une autre: toute vie humaine est sacrée!». Avec la référence à la raison droite, François s'est également adressé à la conscience des incroyants, les renvoyant sans périphrase à une évidence objective qui peut même être saisie avec la seule raison: chaque vie a une valeur, aucune vie ne mérite d'être effacée.

Deux jours plus tard, le Pape a rappelé que les enfants ont besoin d'un père et d'une mère, et que la famille ne peut pas être pliée aux idéologies, donnant bien du tourment à ceux qui voulaient un Bergoglio pro gay dans le sens habituel du terme.

Les paroles du Pape ont déconcerté à la fois ceux qui voulaient hâtivement l'enrôler dans les rangs de la «revolucion», et ceux qui donnaient déjà un Vatican en fuite sur ces questions si cruciales.
Maintenant, à l'humble avis de l'auteur de ces lignes, la surprise n'est pas vraiment justifiée, pour un certain nombre de raisons, dont nous allons mentionner quelques-unes.

La première, la plus fondamentale, est que François est le Pontife de l'Église catholique, et on ne devrait donc pas s'émerveiller qu'il s'en prenne à l'avortement, à l'euthanasie, à l'insémination artificielle, centrant parfaitement le problème sur la «fausse compassion», autrement dit la mauvaise réponse à des problèmes réels et très humains. Un pape a tous les instruments pour comprendre certaines questions et les lire à la lumière du Magistère, bien que Bergoglio lui-même ait affirmé ne pas être un expert en matière de bioéthique.

La deuxième raison - hypothèse - est que le Pape a voulu donner un minimum de gouvernement au «navire sans gouvernail» (ndt: citation du cardinal Burke) en faisant le point sur des sujets centraux après les sorties pyrotechniques de (certains) Pères synodaux. Les fuites en avant sont pernicieuses, surtout pour quelqu'un qui justement veut «aller de l'avant», de sorte que la confusion suscitée, par exemple, par le «rapport Erdo» (qui n'était pas d'Erdo!) et les sorties du cardinal Kasper et le cardinal Marx devaient en quelque sorte être «mis sous sédation» (sedato = calmé).

La troisième raison est que François est de l'école de Martini, donc de Rahner, et Rahner n'est ni Kung ni Barth.
Dans les écrits de Rahner, on trouve rarement une attaque directe à la doctrine bimillénaire de l'Eglise: Rahner - comme du reste le Concile - ne joue pas sur le terrain de la doctrine, du moins pas ouvertement, mais sur celui de la pastorale. Dès la création de cette dichotomie, il crée les présupposés de ce qui en découle, à savoir influencer le Magistère sans en changer les principes, mais leur application et la pratique. Dans cet esprit, il est tout à fait plausible de dire qu'une femme divorcée, mariée et avec un avortement derrière elle peut être «sereine» (2) et de dire ensuite que l'avortement est un homicide et contre Dieu: le point important n'est pas dans le précepte moral, mais dans l'esquivement miséricordieux de la peine. Ainsi, face au cas de la «femme qui a derrière elle l'échec d'un mariage, où elle a même avorté», qui s'est «remariée et est maintenant sereine avec cinq enfants» et à laquelle l'avortement «pèse énormément» et «s'est sincèrement repentie» et «voudrait aller de l'avant dans la vie chrétienne», on peut répéter la doctrine sur la famille et la vie et se demander, par contre «mais que fait le confesseur?». De même, on peut affirmer qu'aucune valeur n'est négociable et ensuite soutenir que les unions civiles nécessitent d'être examinées au cas par cas (3).
Il n'y a contradiction que si l'on conçoit - comme cela a été le cas pendant deux mille ans - le Magistère comme un continuum non seulement dans le temps mais aussi en lui-même, dans lequel il est impossible de séparer le précepte de son application; dans l'optique rhanérienne, post-conciliaire, au contraire, doctrine et pastorale sont deux dimensions reliées entre elles mais distinctes, et il revient à l'homme de l'Eglise d'abaisser la règle au niveau de la réalité, y compris, le cas échéant, en l'adaptant au contexte, pardonnant autant qu'on peut et éventuellement au-delà.

En conclusion? En conclusion, les mots de François sont une bouffée d'air frais et rappellent au monde ce que l'Eglise propose sur la vie et la famille, offrant une bonne arme à ceux qui chaque jour doivent affronter les tenants d'un Bergoglio qui «ouvre», aujourd'hui à ceci, et demain à cela; mais de là à attendre un changement de cap, il y a un pas.

Kasper, Erdo, Forte, Marx, Paglia et cie continueront sans relâche à dire ce qu'ils ont toujours dit et à travailler pour que le Magistère s'y conforme, comme du reste cela se passait avant, avec Benoît XVI et Jean-Paul II; Scola présentera à nouveau des excuses (4), le cas échéant; les militants pro-avortement et pro-gays pourront sereinement être reçus au Vatican ou chanter au concert de Noël; tout cela, même après le fort rappel à la doctrine de l'Eglise, reproposée inchangée, avant d'être jetée en pâture à la pastorale afin qu'elle soit convenablement modulée .... En somme, que rien ne change pour que rien ne soit plus comme avant (5).

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Notes
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(1) Pourrait se référer soit au jargon du football (ensemble de deux passes rapides et consécutives entre deux mêmes joueurs dans le but de perçer la défense adverse) soit à celui de la boxe (crochet gauche suivi rapidement d’un crochet du droit): http://fr.wiktionary.org/wiki/une-deux
Les deux correspondent bien à l'idée.

(2) Interview au P. Spadaro, le directeur de la Civiltà Cattolica (w2.vatican.va):
Je pense à cette femme qui avait subi l’échec de son mariage durant lequel elle avait avorté; elle s’est ensuite remariée et elle vit à présent sereine avec cinq enfants. L’avortement lui pèse énormément et elle est sincèrement repentie. Elle aimerait aller plus loin dans la vie chrétienne : que fait le confesseur ?

(3) Interviewe au Corriere en mars dernier: benoit-et-moi.fr/2014-I

(4) Cette affaire est racontée ici: www.lanuovabq.it/it/articoli-la-curia-si-arrende-alle-sentinelle-di-repubblicadopo-le-scuse-chi-si-opporra-alla-dittatura-gay

(5) Allusion inversée à une réplique de Tancrède dans le roman "Le guépard" de Giuseppe Tomasi di Lampedusa: «tutto deve cambiare perché tutto resti come prima» (« pour que tout reste comme avant, il faut que tout change »).