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Voyage en Turquie: le Pape et le Patriarche

L’image de François s’inclinant devant le Patriarche Bartholomée et implorant sa bénédiction, en un geste théâtral, a fait le tour du monde - et soulevé quelque légitime perplexité. Mais en termes d’œcuménisme, les choses ne sont pas aussi simples, dit Sandro Magister (1/12/2014)

Le reportage "officiel" (Radio Vatican)

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Dans l’église Saint Georges, le Patriarche Bartholomée a redit toute sa joie pour cette visite du Pape, « un fait historique et riche de bons auspices pour le futur, dans le sillage de vos très vénérables prédécesseurs, Paul VI, Jean-Paul II, et Benoît XVI, témoignage de votre volonté ainsi que de l’Eglise de Rome de poursuivre le chemin fraternel et constant avec notre Eglise orthodoxe, pour le rétablissement de la communion complète entre nos Eglises ».
Durant une cérémonie forte en symboles, et splendidement chantée, en latin et en grec, le Pape François et Bartholomée ont multiplié les gestes de respect mutuel et de fraternité, François s’inclinant devant le patriarche au terme de leurs interventions. Le Patriarche Bartholomée déposant un baiser et sa main sur la tête de François.

(Radio Vatican )

     

Sandro Magister (Settimo Cielo)

LE PAPE ET LE PATRIARCHE. S'INCLINER NE SUFFIT PAS À FAIRE L'UNITÉ.
30 novembre 2014
magister.blogautore.espresso.repubblica.it
(Traduction de Anna)
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Le moment le plus nouveau et original de la rencontre avec le patriarche œcuménique de Constantinople n'a certes pas été quand le pape François s'est incliné devant Bartholomée, demandant de prier pour lui.
C'est un geste habituel, pour Jorge Mario Bergoglio. Il le fait avec tout le monde. Il l'a fait plusieurs fois avec les foules, depuis sa toute première apparition sur la Place Saint Pierre. Il l'a fait le 1er juin dernier au stade olympique de Rome, comble de milliers de catholiques et de protestants. Il l'a fait en 2006 au Luna Park de Buenos Aires en se mettant à genoux sur une scène afin de recevoir les bénédictions d'un leader protestant pentecôtiste.

Le moment fort de la rencontre entre Pierre et André, comme les deux aiment s'appeler symboliquement, a été plutôt l'échange des promesses d'unité entre les Eglises, au terme de la "divine liturgie" célébrée dans l'église de Saint George au Phanar le jour de la fête de du Saint Apôtre André.
Le patriarche Bartholomée a reconnu au chef de l'Eglise de Rome le mérite de faire espérer "que le rapprochement de nos deux grandes anciennes Eglises continuera de se bâtir sur les solides fondements de notre commune tradition, qui depuis toujours respectait et reconnaissait dans le corps de l'Eglise une primauté d'amour, d'honneur et de service, dans le cadre de la synodalité, afin que par une seule bouche et un seul cœur on confesse le Dieu Trinitaire (Trino) et que son amour se répande dans le monde".

Faisant référence au camp orthodoxe, Bartholomée a ajouté que "la divine providence, à travers l'ordre constitué des saints conciles œcuméniques a assigné la responsabilité de la coordination et de l'expression de l'homophonie des très saintes Eglises orthodoxes locales" justement au patriarche œcuménique de Constantinople, c'est à dire à lui-même. Dans ce rôle il a affirmé être en train de préparer le "saint et grand Synode de l'Eglise orthodoxe" qui se tiendra finalement en 2016 après un demi-siècle de tentatives: Synode panorthodoxe auquel il souhaite voir la présence d'observateurs catholiques.

De son côté, François a fait référence au décret du Concile Vatican II sur la recherche de l'unité des chrétiens, promulgué il y a exactement un demi-siècle. "Avec ce décret - a-t-il souligné - l'Eglise catholique reconnaît que les Eglises orthodoxes ont de véritables sacrements et surtout, en vertu de la succession apostolique, le sacerdoce et l'eucharistie par lesquels elles restent encore unies à nous par des liens très étroits".
Le rétablissement de la pleine communion, donc, "ne signifie ni la soumission de l'un à l'autre, ni l'absorption, mais plutôt l'accueil de tous les dons que Dieu a donné à chacun".
"Je veux assurer que, afin de parvenir à l'objectif désiré de la pleine unité, l'Eglise catholique n'entends imposer aucune exigence, sinon celle de la profession de foi commune que nous sommes prêts à rechercher ensemble, à la lumière de l'enseignement de l'Ecriture et de l'expérience du premier millénaire, les modalités garantissant la nécessaire unité de l'Eglise dans les circonstances actuelles".

De la lecture conjointe des discours de François et de Bartholomée, le blog ultra-bergoglien Vatican Insider a tout de suite déduit que "pour l'actuel successeur de Pierre le rétablissement de la pleine communion entre chrétiens catholiques et orthodoxes serait dès maintenant possible, sans poser aux frères orthodoxes de pré-conditions de caractère théologique ou juridictionnel".

Mais la réalité est bien différente. Le chemin vers l'unité entre catholiques et orthodoxes continue d'être difficile et a son principal problème non résolu dans la primauté du successeur de Pierre.

C'est une primauté à équilibrer avec la "synodalité", comme l'a rappelé Bartholomée et comme l'Eglise catholique elle-même l'accepte. Mais le rappel - bien que nécessaire - à "l'expérience du premier millénaire", alors qu'Occident et Orient n'étaient pas divisés, ne suffit pas pour esquisser les formes dans lesquelles un pareil équilibre puisse prendre forme afin d'être réciproquement accepté.

Depuis des années une commission mixte de théologiens catholiques et orthodoxes s'échine sur la question, sans avancées substantielles. Les Eglises orthodoxes sont elles-mêmes divisées, ne se contentant même pas du type de primauté que la tradition assigne au patriarche œcuménique de Constantinople et que Bartholomée a à nouveau revendiqué dans son échange de messages avec le pape.