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Le Pape et les pharisiens d'aujourd'hui

Sur le site Chiesa e postconcilio, commentaires à la "méditation" matinale du 15 décembre, celle que j'appellerais pour faire court "homélie de la peau de banane" (20/12/2014)

>>> Cf. Peau de banane

J'avais reproduit ici (cf. Peau de banane ) la synthèse de cette homélie assez stupéfiante dans sa formulation (les habituels "normalistes" diront une fois de plus que ceux qui ont été choqués n'ont pas compris le pape, ou qu'ils ont tiré ses propos hors de leur contexte ... pardon! personnellement, j'ai très bien compris), faite par radio Vatican, et je concluais "tout commentaire est superflu".
Je voulais dire "tout commentaire DE MA PART", laissant bien sûr au lecteur la tâche de se faire sa propre opinion.
Mais les explications, notamment sur le jeûne eucharistique et l'instrumentalisation de Pie XII, ne sont évidemment pas superflues.
La rédactrice du site <Chiesa e post concilio>, a tenté une synthèse des commentaires de ses propres lecteurs, que l'on peut classer parmi les catholiques exigeants, mais pas moins respectables (ni miséricordieux!) pour cela.
Traduction d'Anna.

     

LE PAPE ET LE JEÛNE EUCHARISTIQUE, LA DISCIPLINE ET LES PHARISIENS D'AUJOURD'HUI.
QUELQUES MISES AU POINT
chiesaepostconcilio.blogspot.fr

Une "matinale" tout particulièrement contondante, lancée de la Domus Sanctae Martae ces derniers jours, a suscité beaucoup d'émoi.
Le dilemme est entre l'usage de la raison illuminée par la foi vertueuse ou le flou d'un langage qui fascine et qui entraîne, sentimental et subjectiviste, centré sur l'homme et sur la "nouvelle conscience" de l'Eglise, fondée sur le personnalisme et non plus sur la Révélation. Un langage qui est par choix non définitoire car si l'on reste à la limite entre le dire et non dire on peut véhiculer des interprétations plutôt que d'autres.
Après la citation des propos du pape tirés de Zenit, les commentaires qui suivent sont une synthèse des interventions de mes lecteurs.

* * *

"Pie XII nous a libérés de la croix si lourde du jeûne eucharistique". "Quelques-un parmi vous se souviennent peut-être… on ne pouvait même pas boire une goutte d'eau. Même pas! Et pour se brosser les dents, il fallait s'assurer qu'on n'avait pas avalé d'eau. Mais moi même, enfant, je suis allé me confesser pour avoir communié, parce que je croyais qu'une goutte d'eau avait coulé à l'intérieur". Quand Pie XII a changé les règles, beaucoup se sont exclamés "Ah, hérésie! Non! Il a touché la discipline de l'Église!" - beaucoup de pharisiens ont été scandalisés. Beaucoup." rappelle Bergoglio, parce que Pie XII "avait fait comme Jésus: il a vu le besoin des gens…" …Toutefois beaucoup disaient encore "la discipline de l'Eglise", "notre discipline". Une attitude vraiment de docteurs de la loi, souligne le Saint Père, "rigides dans la peau, mais, comme le dit Jésus, 'pourris dans le coeur', faibles, faibles jusqu'à la pourriture. Ténèbreux dans leur coeur". Il faut faire attention, alors, car "aussi notre vie peut devenir comme ça".

LE NOUVEAU PHARISAÏSME SELON BERGOGLIO
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Je ne peux pas passer sous silence la "pourriture du coeur" attribuée à ceux qui défendent la discipline de l'Eglise: c'est ne pas tenir compte du fait que le problème des pharisiens n'était pas d'être attachés aux disciplines, mais d'en avoir inventé d'autres, différentes de celles qui leur étaient commandées: "En vain ils me rendent un culte qui est un précepte d'hommes"; Jésus, dans les Evangiles, cite Isaïe, non pas pour condamner la discipline sacrée, mais au contraire la falsification de la doctrine; c'est seulement après que vient la condamnation aussi de l'hypocrisie, consacrée toutefois à ceux qui regardent 'la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin' (Mt 23, 23), autrement dit les détails, mais négligent le coeur de l'enseignement et son essence. Jésus stigmatise en effet "leur" discipline, celle des pharisiens. Pas celle chrétienne catholique, qu'Il nous a donnée. Qui a dit qu'il n'y a pas la participation du coeur et de l'âme dans la doctrine catholique? Qui peut appeler la juste doctrine "pharisaïsme"? Avec quel courage désavouer ce pour quoi le Christ est mort?

LES INTERPRÉTATIONS PHARISAÏQUES DIFFÉRAIENT DE LA SOURCE VIVE ET VRAIE
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Le pharisiens n'étaient pas rigides dans leur peau, ou dans la doctrine. Ils croyaient, au contraire, plus à leurs gloses personnelles qu'à la Parole de Dieu, c'est à dire ils confondaient leurs interprétations personnelles, ajouts, interpolations avec la source vivante et vraie, devenant eux-mêmes le Dieu de leurs propres convictions; c'est cela qui a toujours été l'accusation contre le pharisaïsme par rapport à la doctrine et aux Saintes Ecritures.
Et puis il y a la question de l'hypocrisie-sépulcres blanchis, dans le sens de ce qui est apparemment fidèle extérieurement, mais avec le coeur rempli d'horreurs. Cela ne veut pas dire que c'est la condition de tous les fidèles ou de ceux qui aiment en particulier la Tradition, lesquels ne se croient pas "justes" mais bien pécheurs comme tous et néanmoins s'efforcent de reconnaître et vaincre le mal en partant d'eux-mêmes, non sans l'aide de la grâce, dont l'Eglise est dispensatrice dans son munus sanctificandi.

LES PHARISIENS D'AUJOURD'HUI
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Ces interprétations sont trompeuses lorsque le pape veut les appliquer aux évêques qui s'opposent doctrinalement à lui au synode, ou aux catholiques fidèles attachés à la Tradition. Les échos ponctuels dans la presse le confirment. Voici ce qu'écrit La Repubblica:

Avec des expressions tout aussi fermes et décidées, dans l'homélie prononcée lors de la Messe à la Domus Sancta Marta, il a stigmatisé ces pasteurs qui se retranchent derrière des "rigidités doctrinales" excessives et hypocrites "comme les pharisiens au temps de Jésus". Une affirmation qui ne manque pas de rappeler ceux qui lors du récent synode extraordinaire sur la famille se sont retranchés derrière l'intouchabilité de la tradition afin de dire non aux ouvertures pastorales en matière de sacrements aux divorcés remariés ou d'accueil à de nouvelles formes de cohabitation."

Le non à l'Eucharistie aux divorcés remariés et aux homosexuels impénitents n'est pas pharisaïsme, mais dérive par rapport aux paroles de Jésus lui-même (donc la Vérité, pas celle "agnostique", ni celle "relative et non absolue") et de Saint Paul, derrière cet écran de fumée de mots et phrases qui semblent offrir le salut, mais sont en réalité vides comme les normes et règlements sans la grâce du Christ. En pratique le pape traite de pharisiens les catholiques fidèles. La fidélité, la sanctification est devenue pharisaïsme. Il vaudrait mieux une belle peau de banane…

Les quelques pasteurs encore fidèles à la doctrine qui sont à présent attaqués n'imposent en réalité aucun poids, mais rappellent la doctrine de toujours à propos des divorcés remariés et des homosexuels (à qui est demandée la chasteté afin d'être saints, en vue du Règne). Cette doctrine qui est Biblique, Catholique, apostolique, réaffirmée par le Magistère et la Tradition, est à présent attaquée des dizaines de fois comme un poids que les pasteurs imposent alors qu'ils ne bougent même pas un doigt. Il s'agit d'une inversion de la réalité.

LE "JOUG SUAVE" DE JÉSUS DEVIENT UN POIDS INSUPPORTABLE DE MARQUE PHARISAÏQUE.
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(..) Ce qui est grave moralement et théologiquement est que ce que tout ce qui relève de la doctrine sainte de toujours est à présent stigmatisé comme un "poids insupportable" de marque pharisaïque !

Il faut au contraire la solidité du dogme (qui n'est pas pharisaïsme) afin de ne pas sombrer dans les sables mouvants de ce nouveau magistère liquide; mais le dogme a déjà été défini comme "propre aux bougons sans joie", aux "spécialistes du Logos", et maintenant aux pharisiens imposant des fardeaux trop durs, voire au "coeur pourri"...
Evangelii Gaudium elle-même condamne ceux qui illustrent la doctrine de manière trop précise.
On affirme maintenant que … le flou est mieux!

Mais revenons à la question: Quels poids insupportables? L'obéissance à Jésus est-elle à présent un poids insupportable de marque pharisaïque? N'était-ce pas - et n'est-ce pas - Son joug suave?
A quel "poids insupportable" ou "règle trop dure" ou "doctrine rigoriste" fait-on référence? Peut-être à l'indissolubilité du mariage? Le "poids insupportable" est alors l'exclusivité sexuelle matrimoniale, c'est à dire la fidélité, fondée sur Celui qui est fidèle. Ou même la chasteté.

En tout cas, si en parlant de "poids insupportables" on entend l'indissolubilité du mariage, ou bien l'exigence de l'exclusivité sexuelle, alors le passage biblique qui nous vient à l'esprit n'est pas Mt 23,4 ("Ils attachent de pesant fardeaux, difficiles à porter" qui concerne le pharisaïsme dans la foi, mais plutôt Mt 19,10, où nous lisons l'étonnement des disciples face à l'enseignement du Christ sur le mariage: "Si telle est la situation de l'homme par rapport à sa femme, mieux vaut ne pas se marier". Un passage dans lequel on s'étonne de ne pas pouvoir faire à sa façon, un passage sur l'incrédulité, un passage dans lequel nous découvrons que Dieu, eh bien oui, il nous interdit des choses.
Aujourd'hui, les interdits saints de Dieu, au lieu d'être vérité et joug suave, on nous dit qu'ils sont du pharisaïsme.

LE JEÛNE EUCHARISTIQUE "CROIX TELLEMENT LOURDE"

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Un pape qui s'exprime en ces termes au sujet du jeûne, ignorant qu'il s'agit d'un exercice avant tout pénitentiel, pour la gloire de Dieu, dans le but de s'habituer aussi à la vertu (en avoir l'habitus) et de soumettre le corps à l'âme, et de remettre tout dans son juste ordre! Si on ne commence pas dans les petites choses on ne pourra pas non plus arriver aux grandes, et le jeûne eucharistique, comme exercice, est un bien petite chose, mais c'est une très grande chose en ce qu'il nous prépare aussi dans le corps à recevoir Notre Seigneur dignement. Rappelons-nous l'enseignement de Notre Seigneur: celui qui est fidèle dans le petit l'est aussi dans le grand et celui qui est malhonnête dans le petit l'est aussi dans le grand.

Certains (lecteurs du site) font remarquer que boire de l'eau n'a jamais "rompu" le jeûne et ils se demandent comment est-il possible que le jeune Bergoglio ne l'ait pas su. Et certains affirment observer le jeûne eucharistique car quelque âme pieuse leur a ainsi enseigné; mais perçoivent qu'ils se tromperaient en agissant différemment, ils sentiraient qu'il manquerait au Saint Sacrement. Il n'y a pas besoin d'un liturgiste pour le comprendre: la foi ne veut simplement pas que le Sacrement se confonde avec une nourriture quelconque.

Une lectrice commente: "Je crois savoir que la réduction du temps du jeûne fut faite par Pie XII non pas pour satisfaire les exigences modernes comme on lit sur internet, ou pour fustiger de façon larvée ceux qui observaient le jeûne, les considérant au fond pharisiens (je sais au contraire qu'il était lui-même d'une sobriété extrême, et surtout pendant la guerre il voulut de quelque façon partager les privations du peuple) mais plutôt pour être avec une population réellement affaiblie et éprouvée. Cela peut seulement prouver la sagesse et la charité qui inspirent toujours les vrais Pasteurs. ...".

Et un autre lecteur me rappelle: Pie XII introduisit la Messe du soir (*) et simultanément réduisit de trois heures le jeûne eucharistique avec la constitution Christus Dominus du 6 janvier 1953, réaffirmant les mesures, avec quelques ajustements, dans le motu proprio Sacram Communionem du 19 mars 1957. Il est regrettable que François ignore ces choses et qu'il attribue à son prédécesseur la volonté d'atténuer d'anciennes règles "vexatoires" imposées aux pauvres gens par une Eglise trop rigide. L'exemple de Pie XII témoigne de l'exact contraire de ce que François voudrait prétendre: lorsqu'une règle pourrait se révéler trop dure, l'Eglise évite sagement de l'imposer. En introduisant la Messe du soir, le Pape Pacelli aurait de fait introduit l'obligation du jeûne à partir de minuit jusqu'à 5 ou 6 heures du soir du jour suivant, rendant ainsi plus difficile la communion, et donc il baissa le nombre d'heures du jeûne eucharistique.
Avant de parler il faudrait toujours se documenter, même lorsqu'on est le Pape. Surtout lorsqu'on est le Pape.

REMARQUE FINALE
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Il y en a qui arrivent à justifier le pape avec la conviction que son message de miséricorde s'adresse à ceux qui souffrent de l'absence massive d'une éducation religieuse correcte et n'ont jamais connu le vrai Jésus ou rencontré son amour, et qu'il veut ainsi le leur exprimer sans filtres. Mais la véritable Miséricorde n'est-elle avant tout dans la Vérité dispensée, si nécessaire, autant comme "lait" que comme "nourriture solide" et n'est jamais séparée de la Justice?
Le Pape n'est pas que le "pape des pauvres et des périphéries", il est le pape de tous: "Pais mes brebis" (les apôtres) et "pais mes agneaux" (les fidèles). Qu'il doive ensuite s'occuper avec une sollicitude spéciale de la brebis blessée ou de celle égarée, très bien. Mais les autres, qui les "confirme"? Et celles qui ne font pas encore partie du troupeau, ou qui ne connaissent pas le Seigneur? Ce qui semble surgir est l'ONU des Religions avec un trône pétrinien de plus en plus dépouillé de sa fonction constitutive, qui se réfère au corps mystique du Christ, qui est Son Eglise…

En outre, cela fait plus d'un an que surabonde cette communication monocorde et approximative - qui exige systématiquement des approfondissements - accompagnée de gestes et méthodes spectaculaires, arbitraires dans la mesure où ils sont détachés du Ministère (celui infaillible quand il véhicule la doctrine pérenne) des prédécesseurs et du droit ecclésiastique, qui sont parmi les limites du pouvoir d'un Pape. Une communication qui s'avère tronquée, ou déformant les éléments fondateurs, comme nous l'avons maintes fois démontré.
Le Seigneur pourvoira et nous, en Lui, nous "résisterons" pour ce qu'il y a à résister.

     

NDT

(*) A la Constitution apostolique « Christus Dominus » sur le jeûne eucharistique, Pie XII a ajouté le Motu proprio «Sacram communionem», par lequel il autorise la célébration tous les jours de la messe du soir, si le bien d'une grande partie des fidèles le requiert, et étend à la communion du matin les facultés déjà accordées pour la communion dans la soirée. Voici la traduction du texte original latin :

Au début de 1953, Nous avons promulgué la Constitution apostolique Christus Dominus, pour faciliter aux fidèles un accès fréquent à la Table eucharistique et l'observation du précepte d'assister à la sainte messe les jours de fête : Nous atténuions, en effet, la rigueur de la loi du jeûne eucharistique et autorisions les ordinaires des lieux à permettre la célébration de la messe et la distribution de la sainte communion, l'après-midi, à condition d'observer certaines conditions.
Nous réduisons le temps de jeûne à observer avant la messe ou la sainte communion, respectivement célébrée ou reçue l'après-midi, à trois heures pour les aliments solides et à une heure pour les liquides non alcoolisés.
...

Les évêques Nous signifièrent leur profonde gratitude pour ces concessions, qui avaient produit des fruits abondants, et beaucoup Nous ont prié avec insistance de les autoriser à permettre, chaque jour, la célébration de la messe au cours de l'après-midi, en vue du grand profit qu'en tireraient les fidèles. Ils Nous ont en outre prié d'uniformiser la durée du jeûne à observer avant la messe ou la sainte communion, respectivement célébrée ou reçue durant les heures de l'après-midi.
Etant donné les changements considérables qui se sont produits dans l'organisation du travail et des services publics et dans toute la vie sociale, Nous avons jugé bon d'accueillir les demandes pressantes des évêques et, en conséquence, Nous avons décrété :
1. Les ordinaires des lieux, à l'exclusion des vicaires généraux non munis d'un mandat spécial, peuvent permettre, chaque jour, la célébration de la sainte messe durant les heures de l'après-midi, à condition que ce soit réclamé par le bien spirituel d'une partie notable des fidèles.
2. Les prêtres et les fidèles sont tenus à s'abstenir, pendant trois heures, d'aliments solides et de boissons alcoolisées, pendant une heure de boissons non alcoolisées, respectivement avant la messe ou la sainte communion : l'eau ne rompt pas le jeûne.
3. Dorénavant, le jeûne devra aussi être observé, pour la durée indiquée au n° 2, par ceux qui célèbrent ou qui reçoivent la sainte communion à minuit ou les premières heures du jour.
4. Les malades, même s'ils ne sont pas alités, peuvent prendre des boissons non alcoolisées et de véritables remèdes, aussi bien solides que liquides, respectivement avant la messe ou la sainte communion, sans limites de temps.
Mais Nous exhortons vivement les prêtres et les fidèles, qui sont en mesure de le faire, d'observer, avant la messe ou la sainte communion, l'antique et vénérable forme du jeûne eucharistique.

Et que tous ceux qui bénéficieront de ces facultés veuillent compenser l'avantage reçu, par l'exemple rayonnant de leur vie chrétienne et principalement par des oeuvres de pénitence et de charité.
Les dispositions de ce Motu Proprio entreront en vigueur le 25 mars 1957, fête de l'Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie.
( http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/cn3.htm )