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Résistance aux réformes... celles de BXVI

Le dernier billet d'Andrea Gagliarducci: "Le Pape François, au delà du paradigme de la discontinuité". (9/12/2014)

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Le Pape François, au delà du paradigme de la discontinuité
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-beyond-the-paradigm-of-discontinuity
8 décembre 2014
Traduction d'Anna
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A la veille de la sixième rencontre du Conseil des Cardinaux, il semble que le chemin vers la réforme de la Curie Romaine (cf. Vatican, le temps de la réforme) soit au point mort, le pape François lui-même ayant déclaré (cf. L'interview de François à la Nacion (I)) que les réformes ne seront pas réalisées au cours de la prochaine année. Comme il y a eu aussi un arrêt de facto en ce qui concerne les positions les plus avancées pendant le dernier Synode des évêques, soutenues par ceux qui étaient considérés les plus proches du Pape. Comme, finalement, il y a eu aussi un arrêt en beaucoup des décisions initiales du Pape François. Ces événements suggèrent qu'il y a des groupes qui entendent empêcher le Pape François de faire avancer les réformes. Avec une nuance: les réformes à ne pas poursuivre sont celles de Benoît XVI, pas celles de François.

Que beaucoup de gens n'aient pas aimé la révolution silencieuse de Benoît XVI est évident si on considère les attaques souvent injustes auxquelles a été soumis son pontificat. Et que la révolution silencieuse de Benoît XVI soit bloquée ou ralentie a été évident dans bien des cas durant le pontificat de François. L'exemple le plus important est peut-être le contenu du livre "Le Grand Réformateur" (cf. Imbroglio au Conclave 2013) et Imbroglio au Conclave 2013 (suite)) écrit par le journaliste de Londres Austen Ivereigh.
Ancien porte-parole du cardinal Cormac Murphy O'Connor de Westminster et rédacteur en chef adjoint du magazine progressiste catholique britannique "The Tablet", actuellement directeur de Catholic Voices, Ivereigh a raconté que le soi-disant "team Bergoglio" a oeuvré en coulisses pour soutenir l'élection à la papauté de l'archevêque de Buenos Aires.
Selon Ivereigh, le "team" était constitué des cardinaux Murphy, Walter Kasper, Carl Lehman et Godfried Daneels. Suscitant des polémiques, Ivereigh a écrit que les quatre cardinaux "se sont assurés de l'accord de Bergoglio" (bien que cette affirmation sera modifiée dans les futures éditions du livre). La question de la validité de l'élection de Bergoglio est soulevée, puisque Universi Dominici Gregis, la Constitution réglant l'élection des papes, défend tout accord "politique" avant le conclave.
La Constitution n'interdit pas par ailleurs les échanges d'opinions, les dîners informels, et l'examen de possibles candidats. Les cardinaux du Team Bergoglio (Murphy n'a même pas pu prendre part au Conclave) ont fait exactement cela: dîners, échange d'opinions et ainsi de suite. Les quatre ont néanmoins demandé au Père Federico Lombardi, Directeur du Bureau de Presse du Saint Siège, de contester la version du livre, ce qu'il a fait. Ivereigh a répondu en soulignant qu'ils niaient avoir eu un programme, mais pas d'avoir encouragé l'élection de Bergoglio.
Ivereigh écrit que les quatres avaient soutenu Bergoglio lors de l'élection de 2005, et que Bergoglio lui-même les avait dissuadés de voter pour lui, leur vote servant à bloquer l'élection de Ratzinger. Cela semble juste être un petit détail, mais c'est en fait une information révélatrice. Après huit ans de Benoît XVI, les cardinaux ont décidé de se tourner vers le passé. C'est même un choix symbolique, dans un monde où tout a une signification. Et la signification est: nous aurions dû prendre un chemin différent.

Les scandales et les attaques permanentes contre le pontificat de Benoît XVI doivent être vus dans ce contexte: les attaques ont fourni aux cardinaux une excuse pour faire glisser le thème des rencontres de pré-conclave, des problèmes universels de l'église et de l'annonce de l'évangile vers l'urgent problème de résoudre les questions pratiques. Ils ont aussi soutenu l'idée que les problèmes urgents pouvaient être résolus avec une réforme de la réforme, c'est-à-dire revenir au passé, masquant cela comme une grande nouveauté.

Une bonne partie du débat partial (biaisé) des rencontres du pré-conclave se reflète dans le débat actuel. La réforme tant discutée de la Curie avait été soutenue par beaucoup, lors des rencontres. Et pourtant, seuls quelques cardinaux connaissaient en profondeur ce qu'est la Curie romaine et comment elle fonctionne. Le problème financier était considéré comme crucial, mais une bonne partie de l'information venait de la presse et n'était pas toujours exacte.
Ce contexte est probablement la raison pour laquelle le Cardinal George Pell, Préfet du Secrétariat pour l'Economie et membre du Conseil des Cardinaux, a écrit un article dans le Catholic Herald.

Le titre de l'article "Le temps d'arnaquer le Vatican est fini" était exact: des gens ont volé le Vatican durant ces années. Et le cardinal Pell est poussé par le sincère désir de nettoyer le Vatican. Quelques passages de l'interview sont toutefois dignes d'attention.
Le cardinal Pell souligne que le Vatican n'est pas en faillite, puisque plusieurs millions se trouvent dans "des comptes hors bilan" (“sectional balance sheets”). Le Père Federico Lombardi a clarifié les affirmations de Pell le jour suivant la publication de l'article, précisant que le cardinal ne parlait pas de fonds cachés, comme ses mots pouvaient le suggérer.
L'histoire des "millions planqués" est peut-être l'affirmation la plus spectaculaire.
Il faut aussi remarquer que l'article de Pell peut suggérer qu'Ettore Gotti Tedeschi avait été licencié de son poste de Président du Comité de Surveillance de l'IOR parce qu'il était au centre d'une lutte de pouvoir; et que les Conseils Pontificaux et Congrégations avaient une gestion pour le moins naïve de leurs finances - mais en réalité, ils étaient tenus de présenter leur bilan au contrôle de la Préfecture des Affaires Economiques.

C'est vrai, une rationalisation de l'organisation des structures financières du Vatican est peut-être opportune. Mais il est aussi vrai que ce que le cardinal Pell a décrit comme "sectional funds" est plus probablement constitué des fonds de la Secrétairerie d'Etat, de la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples et la Congrégation pour les Eglises Orientales: toutes ont leurs budgets qui ne paraissent pas dans le budget global du Saint-Siège/Etat de la Cité du Vatican.

Toutes ces institutions ont des fonds et budgets consacrés à la défense de l'indépendance de l'Eglise. Si, par exemple, dans un pays où les prêtres ne peuvent pas avoir un compte bancaire, ni leurs paroisses, le Nonce Apostolique accrédité dans ce pays demande l'aide financière de la Secrétairerie d'Etat, celle-ci doit être en condition de la lui apporter rapidement et si possible en espèces. C'est une partie de la mission de l'Eglise que de soutenir les diocèses en mission.
Afin de garantir l'indépendance de l'Eglise, une réforme financière avait été élaborée sous le pontificat de Benoît XVI, adhérant aux standards internationaux et en même temps préservant la spécificité de l'Etat de la Cité du Vatican. Une réforme de la Préfecture pour les Affaires Economiques avait aussi été mise en oeuvre, donnant à cette préfecture des tâches semblables à celles d'un ministère des finances du Vatican. L'Institut des Oeuvres Religieuses (IOR) avait commencé à réexaminer tous les comptes de ses clients, tandis que les finances du Vatican étaient dans leur ensemble soumises aux évaluations indépendantes de la part d'un comité MONEYVAL du Conseil de l'Europe.
Le Rapport MONEYVAL trouva que les finances du Vatican étaient largement conformes aux standards internationaux et le rapport intérmédiaire MONEYVAL qui suivit (publié en Décembre 2013) confirma le sérieux de l'effort du Vatican.
L'article de Pell suggère le besoin d'un complète refonte.

Par ailleurs, il faut tenir compte des réformes de Benoît XVI et de leurs énormes répercussions. De même, il faut reconnaître que ce chemin avait déjà commencé sous Jean-Paul II. Le nouveau projet des finances vise apparemment la complète consolidation budgétaire, sous le seul contrôle du Secrétariat pour l'Economie. La réforme de Benoît XVI était au contraire basée sur la collégialité, mais personne ne l'a vraiment remarqué.
Le pontificat de Benoît XVI n'a pas été compris dans sa potentialité révolutionnaire. Par contre, tout ce qui est fait par le Pape François est (souvent à tort) décrit comme une rupture avec le passé.
Nombreux parmi les cardinaux, évêques, personnel de la Curie sont plutôt déçus car la nouvelle approche, encouragée par les médias, soutient apparemment que rien n'avait été fait dans le passé. Par exemple, l'accent sur un nouvel engagement pastoral peut suggérer que l'Eglise a manqué d'accueil pastoral dans le passé; la mention constante du mauvais fonctionnement de la Curie peut faire croire que dans la Curie il n'y a pas d'hommes de bonne volonté, ou que tout a été mal géré jusqu'à présent. Evidemment, le Pape François ne voulait pas que les choses ressemblent à cela, il voulait juste régler des problèmes.
Certes, les choses peuvent être améliorées, et elles vont l'être. D'autre part, les médias devraient éviter la tentation de représenter la curie comme un nid de gens non professionnels, ou un endroit d'affaires louches.

Que la réforme de Benoît XVI soit valide et se poursuive peut être déduit de la résistance de plusieurs évêques et cardinaux à sa réalisation. Le Synode des Evêques, durant lequel les prélats ont fait sentir leur préoccupation, dans un débat ouvert, a été un important terrain d'essai. Un autre terrain d'essai a été la rencontre du Pape avec les chefs des dicastères du Vatican le 24 novembre.
Selon des sources du Vatican, en discutant les propositions de réforme du Conseil des Cardinaux, les chefs des dicastères ont soulevé plusieurs objections. Pas de problème avec la proposition de consolider les deux grandes congrégations (Justice et Paix, et Laïcat et Famille) qui incluent cinq secrétariats (c'est à dire bureaux). Les critique soulignaient que la réforme devait être poursuivie uniquement sur la base de critères institutionnels, prenant en compte les responsabilités de chaque dicastère et sa précieuse contribution. Les chefs des dicastères ont aussi soulevé des questions pratiques. Par exemple:
Où iraient les employés des dicastères assimilés? Toutes ces questions semblaient manquer dans l'information présentée aux chefs des dicastères.
Ce n'est pas un hasard si le Cardinal Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga, coordinateur du Conseil des Cardinaux, a donné un interview (à Vatican Insider) afin de répéter leur intention de poursuivre les réformes. Mais la vraie question est que les réformes ne peuvent changer rien de substantiel, juste la façon dont chaque dicastère est géré. Dans le rapport du 24 novembre il y avait de nombreuses lacunes et les chefs des dicastères l'ont remarqué. C'est pourquoi l'attendue, grande annonce que la réforme progressait n'a pas eu lieu.

La même chose s'est produite pendant le Synode des Evêques. Des pressions vers des changements hâtifs, effectués comme si l'Eglise n'avait jamais connu d'accueil pastoral, ont conduit à un premier projet (le rapport de mi-synode) auquel la majorité des évêques n'était pas favorable. La relation finale a dû prendre en compte de nombreuses questions soulevées, surtout l'absence de citations des Ecritures. La relation finale n'est toutefois pas complètement appréciée, mais elle est un compromis presque accepté.
La façon dont le synode lui-même a été géré a donné l'impression que des changements allaient être secrètement imposés, sans prendre en compte les différences d'opinions - comme prouvé par le secret des discussions (le Secrétariat Général n'a pas voulu les rendre publiques) ainsi que par les discussions animées afin de rendre publiques les observations dans la relation de mi-synode.

C'est quelque chose que le Conseil des Cardinaux doit surveiller, lorsqu'ils réuniront le 9, à l'occasion de leur sixième rencontre. Plusieurs de leurs réformes sont présentées comme de véritables renversements du précédent statu quo.
On peut supposer que les réformes de Benoît XVI, basées sur la collégialité et la responsabilité personnelle, pouvaient effrayer les gens. Elles poussaient l'Eglise en avant et avaient une plus grande incidence sur la scène internationale. Mais en même temps, ces réformes obligeaient tous à être transparents et clairs. La grande réforme de la charité; la grande réforme des finances du Vatican; la réforme du code de droit canon (que le Pape François avait promulguée)… toutes initiatives introduites sous Benoît XVI. Qui avait vu très clairement un nouveau genre de leadership, et c'est pourquoi il avait commencé ses réformes par des changements des critères d'admission aux séminaires. Il est tout à fait ironique qu'un de ses derniers discours (prophétique, compte tenu de ce qui allait se produire plus tard) a été celui prononcé aux séminaristes de Rome (cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/la-voix-du-pape/lectio-au-seminaire-de-rome).
Si l'engagement du Saint Siège à transformer le Vatican en un Etat moderne, tout en préservant sa spécificité, n'a pas été compris, c'est parce que de l'autre côté se dresse un modèle d'Eglise du genre entreprise "pop" secouant les consciences avec des mots simples que les gens aiment entendre.
Mais l'Eglise n'est pas seulement "pop". Elle est aussi histoire, mission et souveraineté. Et la souveraineté du petit territoire de l'Etat de la Cité du Vatican est cruciale pour le Saint Siège pour l'exercice de sa mission. A une époque où l'Europe elle-même a tourné le dos aux valeurs chrétiennes, la souveraineté devient le principal instrument pour agir pleinement comme autorité morale.

Le grand défi du Pape François est maintenant de mener à bien les réformes de Benoît XVI. Le grand défi des médias est, de l'autre côté, de dépasser le paradigme de la discontinuité.
Les médias doivent comprendre qu'entre un Pape et l'autre il y a une série de réformes a poursuivre et rendre effectives et que François ne peut rien faire avancer sans apprécier et évaluer le travail de son prédécesseur. Par exemple, comme François, Benoît XVI avait parlé d'une Eglise pauvre pour les pauvres. Il l'a fait à l'occasion de son voyage en Allemagne en 2011, quand il indiqua que l'Eglise devait être moins mondaine, moins tranquille sur ses propres structures.
C'était une claque pour la riche Eglise allemande.

Benoît XVI révoqua l'excommunication latae sententiae infligée à ceux qui ne payent pas la "Kirchensteuer", la taxe de l'Eglise. L'excommunication était le résultat du fait que quand quelqu'un déclarait ne pas payer la taxe parce qu'il n'était plus catholique, cette déclaration était considérée équivalente à un acte d'apostasie. Les évêques allemands répondirent par un document affirmant que ne pas payer la Kirchensteuer équivalait à un "grave péché public", entraînant finalement les mêmes conséquences d'une excommunication. C'est le seul "grave péché public" énuméré par les évêques allemands jusqu'ici, alors que pour tout autre "grave péché public", y compris celui d'être divorcé et civilement remarié (qui a également un impact social), les évêques allemands (y compris les Cardinaux réformateurs Marx, Kasper et Lehman) demandent d'agir avec miséricorde.

Ces petites contradictions donnent matière à réfléchir. Il faut dépasser le paradigme de la discontinuité du Pape François. Mais il faut aussi prendre acte que nombreux parmi ceux qui l'ont élu ont leur propre "agenda" - autrement pourquoi seraient-ils si actifs?
Jusqu'à quel point le Pape François va-t-il suivre ce programme, cela reste à voir. Leur activisme indique toutefois que le Pape, finalement, ne soutiendra pas tous leurs coups.