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Une atmosphère délétère dans l'Eglise

Elle est le fait, entre autres, des défenseurs zélés de François... Un texte très lucide de Pietro di Marco cité par Sandro Magister (15/12/2014)

Sandro Magister a déjà publié dans son blog en italien Settimo Cielo plusieurs articles de Pietro De Marco, professeur émérite de sociologie de la religion à l'université de Florence et à la faculté théologique de l'Italie centrale.
J'en ai traduit trois, tous remarquables et d'une grande lucidité, qui concernent la démission de Benoît XVI et les premiers mois du nouveau pontificat; ils ont été regroupés dans cette page et valent la peine d'être relus, ne serait-ce que pour situer l'auteur: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/des-papes-emerites-dans-leglise

  • Un pari surnaturel: En février 2013, interrogations juste après la renonciation de Benoît XVI.
  • Traditionnelle et exceptionnelle. Les deux faces de la renonciation à la papauté. Toujours en février 2013
  • Un message à l'état liquide, en octobre 2013

Anna a traduit le dernier en date. L'atmosphère qu'il décrit concerne l'Italie, en première ligne car la présence médiatique du Pape y est très forte; elle est moins perceptible chez nous, mais j'ai déjà eu l'occasion de dire que les catholiques, au moins ceux actifs dans les blogs, n'osent pas exprimer d'opinion contraire au Pape: au France, une chape de plomb a étouffé le débat. Ou le débat est inexistant.

     

EFFET FRANÇOIS: "TYRANNIE DÉMOCRATIQUE" CONTRE LES DISSIDENTS.
Settimo Cielo

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LE CLIMAT DU PONTIFICAT ET UNE ENVIE NOUVELLE DE BÂTON,
par Pietro De Marco

On me raconte ce cas récent, symptomatique du climat catholique qui est en train d'émerger: il y a quelques mois, à Florence, des membre d'une association historique de bénévoles en ont été expulsés car accusés de critiquer le pape Bergoglio.
Il semble que les preuves aient été obtenues en pénétrant dans les réseaux sociaux où ils affirmaient, peut-être même criaient, leur désaccord. Une expulsion sans procès ni confrontation, invoquant des articles statutaires inaccessibles aux accusés.

En provenance d'autres milieux toscans parviennent des signaux d'une disponibilité à sanctionner des attitudes "traditionnelles", sanctions qui n'avaient jamais été adressées dans le passé contre des idées et comportements réellement anti-institutionnels, voire même subversifs, du rite et du dogme. Quiconque a vécu dans l'Eglise se souvient même de hostilité, durant des décennies, de milieux spécifiques et de personnes à l'encontre du pape Wojtyla ou du pape Ratzinger, avec la tolérance de l'autorité catholique (qu'il s'agissent d'évêques ou de dirigeants du monde associatif laïc) formellement alignée avec Rome. Il est singulier que cet alignement, impuissant à l'époque, se manifeste à présent en une pugnace défense du pape régnant ne frappant que des milieux et des individus orthodoxes.

Naturellement, comme dans toute répression qui se respecte, personne n'est "expulsé". Les accusés, dit-on, se sont déjà exclus d'eux-mêmes, peu importe (sinon comme circonstance aggravante) que dans leur polémique ils s'opposent à la religiosité liquide qui imprègne prédication, pastorale, éthique catholiques. De même que dans la vie publique, on est déshonoré par l'épithète d' "ennemis de la Constitution" (ndt: sans doute équivalent italien de notre "ennemi de la République" ou anti-républicain) , dans l'Eglise se précise l'utilisation de formules létales comme "ennemis du Concile" ou "hostiles à François".
Il suffit de penser à l'affaire toujours ouverte de la nommination d'un commissaire pour les Franciscains de l'Immaculée, où le droit de l'Eglise est utilisé comme un bâton, c'est à dire de façon anti-juridique, par les "commissaires" qui réagissent aux critiques par des propos d'intimidation dignes des procès politiques d'un autre âge. Cette chose grave, non moins que les petites épurations que je viens de mentionner, est légitiméee par le recours aux dires et aux gestes du pape François. C'est le phénomène connu de l'abus des paroles du chef pour perpétrer des vengeances.

Mais, faut-il le dire, il y a quelque chose de plus que le désir de plaire à un pape et à son entourage, qui est déjà un terrain fertile pour ce front papophile inédit. Avec la fin du pontificat de Benoît XVI, laïcs et clergé semblent ne plus avoir d'anticorps (ils n'en avaient pas beaucoup déjà avant) face à cette pacotille chrétienne post-moderne qui consiste en résipiscences (ndt: du latin ecclésiastique resipiscentia, de resipiscere: revenir à la raison) et contritions, en autocritiques du passé catholique "à la lumière de l'Evangile", en embrassades de tout genre pourvu qu'elles soient dans l'agenda des médias.

La culture catholique répandue a succombé à un syndrome anti-clérical actualisé - des croisades à l'inquisition, à la pédophilie - incitée aussi par une avalanche de best-sellers et de coûteuses falsifications cinématographiques. Plus encore: l'Eglise ainsi salie coïnciderait pour les "catholiques critiques" avec l'autoritaire "Eglise des non", dont il faut se libérer. Et le pontife régnant n'est certes pas un barrage contre ce genre d'auto-flagellation.

Juste pour rester dans l'Eglise et en Toscane, je ne me suis donc pas étonné quand clergé, religieux, laïcs ont récemment applaudi un produit cinématographique, financé avec de l'argent public, où le réalisateur, dûment "catholique", illustre la vie dans les séminaires des années 50, rassemblant sur la formation catholique de la grande église de Pie XII une telle quantité d'inepties qu'elles auraient dû induire des catholiques les plus rigoureux et de bon sens à réagir.

Le désagagement du"Qui suis-je pour juger" a donc des retombées, sauf s'il s'agit du passé de l'Eglise. Pour le reste, il exonère de l'engagement d'évaluer, discerner, s'opposer au "monde"; il exonère en somme du témoignage catholique spécifique. Une "libération" qui, en l'absence désormais de tout frein de Rome, impose même aux modérés de dire oui, oui, compulsivement, aux comportements, idées, lois présentés comme finalement "humains", et de s'unir au choeur des condamnations publiques rituelles de la pauvreté, la guerre, la mafia, qui ne coûtent rien au citoyen et au catholique moyen, encore moins la réflexion.

Ainsi - oubliant que seul le nihilisme a toujours un "visage humain" bienveillant, ne jugeant pas, soucieux du bonheur public, comme l'Antéchrist d'un célèbre écrivain russe - de nombreux catholiques qualifiés, clergé et laïques, trahissent leur devoir essentiel: rappeler à l'Occident, et au monde, l'anthropologie chrétienne qui est son fondement, qu'il s'agisse d'âme ou de corps, de vie ou de mort, de génération ou d'identité de genre. Presque aucune voix catholique ayant autorité ne s'est encore levée contre la manipulation névrotique et sans fondement (ni philosophique ni scientifique) qui égalise le masculin et le féminin, à laquelle on essaye de plier la culture diffuse, agissant sur le parlement et l'école.

Avec le mélange d'autorité et de crainte envers le pape, le laïcat et le clergé sont donc étourdis par le sommeil de la raison catholique, une conscience de soi réduite au minimum, une dépendance à l'éthique publique de l'autre, qui sous le pape Bergoglio - pense-t-on - n'ont plus besoin d'être dissimulés. En plus, dépendants par mimétisme d'une opinion publique qui feint d'oeuvrer pour des valeurs, et se croyant légitimés par un pape vu à travers le filtre de ces mêmes "opinion makers", certains laïcs et ecclésiastiques ayant responsabilité sur des hommes et des organisations se transforment (selon une constante de la sociologie politique) en "tyrans démocratiques" à l'égard des dissidents.

Rien de nouveau, dira-t-on. Mais dans le passé les sanctions étaient motivées par la protection de l'intégrité de la foi et de l'institution qui la garantissait. Aujourd'hui au contraire le on brandit le bâton sous l'effet de formules imposées par une falsification séculière du christianisme, comme "amour" et "miséricorde" contre responsabilité et droit jugement, comme "vie" contre raison, comme "nature" et "bonheur" contre péché et salut, comme "Concile" contre tradition chrétienne. Voici l'horizon de trop d'homélies, dans lesquelles on croit réécouter, dénaturé et hors-saison, le pire des saisons post-conciliaires.

Du Grand Inquisiteur à l'Antéchrist, donc? Non, ni l'un ni l'autre n'est un chiffre adéquat à la réalité de l'Eglise. Mais la question reste bonne pour réfléchir.

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(1) Le film, de 2014, est "Le séminariste", écrit et dirigé par Gabriele Cecconi, récompensé au Gallio Film Festival 2014 par le prix du Jury "Emidio Greco" et présenté, en septembre, aussi à l'ambassade d'Italie aux Etats-Unis et à l'Université de Washington.

Le film est résumé ici: www.lanazione.it
La bande annonce permet de se faire une idée (www.youtube.com/watch?v=nKX5wMAliDo): une synthèse de cathophobie primaire, entre le Pedro Almodovar de "La mauvaise éducation" et la série français de triste mémoire "Ainsi sont-ils".