Page d'accueil

Vers une religion de basse intensité ?

Une très profonde réflexion du Père Santiago Martin autour d’une conférence récente du sociologue italien Luca Diotallevi devant les membres de la Conférence des Évêques italiens. Traduction de Carlota (3/12/2014)

Le Père Santiago Martín, curé du diocèse de Madrid, est fondateur des Franciscains de Marie.
Carlota a déjà traduit plusieurs articles de lui, et tout récemment ici (benoit-enseigne-de-nouveau), alors qu’il saluait le discours de Benoît XVI à l’université urbanienne.

     

Église levain ou Église applaudie ?

Original en espagnol: catolicos-on-line.org
----

Cette semaine j’ai lu une conférence sur la situation de l’Église et le pourquoi de la crise que nous vivons, qui m’a beaucoup éclairé.
En voici le résumé puis je ferai mon propre commentaire.
L’auteur est Luca Diotallevi qui enseigne la sociologie à l’Université Rome III (Roma Tre) et est depuis des années le sociologue de référence de la Conférence Épiscopale italienne.
Le 12 novembre dernier il a fait un exposé, devant l’assemblée générale de la Conférence Épiscopale italienne réunie à Assise, intitulé « Les transformations en cours dans le clergé catholique. Une contribution sociologique pour la situation italienne ».

Entre autres choses, Diotallevi a affirmé : « Nous ne sommes pas dans un moment de déclin de la religion et de laïcisation, mais au contraire dans un moment de boum religieux. Ce boum se construit sur la crise du christianisme confessionnalisé, lequel s’est affirmé à partir du XVIIe siècle comme soutien de la primauté de la politique sur la société, sous la forme de l’État ».

Le grand avantage de cette option consiste dans le fait de concéder au consommateur religieux une infinie capacité de choix et de recombinaisons entre les biens et les services mis sur le marché par les plus diverses acteurs de l’offre religieuse » ajoute Diotallevi. Cette nouvelle religiosité qui a un grand succès, est appelée «low intensity religion» (la religion de basse intensité).

«La religion de basse intensité», poursuit-il, offre aussi beaucoup d’opportunités aux autorités religieuses. Si elles savent réduire leurs prétentions normatives, elles auront un avenir splendide et un discret leadership comme chefs religieux. Dans cette compétition, les nouveaux acteurs de l’offre religieuse, des pentecôtistes et charismatiques au New Age, ont des bonnes cartes en main à jouer : une flexibilité extrême et une grande indulgence qui valorise l’expressivité ».

Mais, poursuit le sociologue italien, les chefs religieux traditionnels ont aussi beaucoup de possibilités. Toujours, à condition de se libérer des « vieux » scrupules de l’orthodoxie et de l’orthopraxie, à condition d’accepter d’avoir moins d’excellence pour avoir plus de visibilité. Même dans le catholicisme beaucoup de responsables ont adopté et adoptent les formes d’une religion de basse intensité.

Ce n’est pas un hasard que dans cette situation le sacrement du mariage se transforme pour l’Église catholique en un problème. C’est littéralement inconcevable, dans la perspective de la religion de basse intensité, laquelle en revanche accorde une grande mais générique attention au bien-être familial ».

«Considérer attentivement les caractéristiques du boum religieux en cours est indispensable pour comprendre la signification des processus et des crises comme ceux qui affectent le clergé catholique. Dans une large mesure, ces processus et ces crises sont l’expression de la tentative d’assimilation du catholicisme à une religion de basse intensité ».

Il faut beaucoup de lucidité, conclut Diotallevi, pour s’abstenir d’avoir recours à des solutions qui sont aujourd’hui populaires, comme de renoncer à des ordinations sacerdotales limités aux hommes célibataires. Les traditions chrétiennes qui ordonnent des hommes mariés et même des femmes, et qui par conséquent disposent d’une plus grande quantité de membres du clergé, se trouvent exactement devant les mêmes problèmes qui sont même fréquemment plus aigus ».

Voilà le résumé de la conférence de Diotallevi. On peut être d’accord ou ne pas être d’accord avec son diagnostic. Il coïncide totalement avec ce que je pense.

(..) Les puissants de ce monde acceptent la religion quand elle ne gêne pas leurs plans. Et c’est pour cela qu’ils exigent qu’elle entre en plein sur le chemin du relativisme et que, comme le dit Diotallevi, elle se transforme en une religion de «basse intensité». Si elle le fait, ils lui assurent un grand succès et à ses responsables une grande popularité. Si elle ne le faitt pas, à un moment, il y aura une crise et une diminution des membres et ensuite il est possible qu’il y ait une persécution. Renoncer à l’orthodoxie - fidélité au dogme -, et à l’orthopraxie, pastorale et morale conséquentes à ce dogme, c’est la condition que l’on donne à nous les catholiques pour recevoir les applaudissements du monde. Ou c’est cela ou c’est la perte d’une présence et la critique féroce de nos responsables, c'est-à-dire les évêques et le Pape.

Je ne peux m'empêcher de penser aux tentations de Jésus dans le désert. Celle où le démon lui offre le monde entier s’il se prosterne devant lui et l’adore. Jésus la rejette et dit qu’il n’y a que Dieu qu’il faut adorer. Après cela, l’unique option possible pour le Seigneur sera la Croix et elle ne tardera pas à venir. Je ne peux pas m’empêcher non plus de penser à la parabole du grain de moutarde, au levain dans la pâte et à la lumière dans l’obscurité. Le Christ qui va être crucifié et qui le sait parce qu’il a osé rejeter le malin, veut préparer les siens non seulement à la persécution mais aussi pour qu’ils comprennent quelle doit être leur mission : levain, lumière, humble petit grain.

Benoît XVI l’a vu ainsi et en a parlé de nombreuses fois. Il a voulu préparer l’Église pour qu’elle perde la peur d’être minoritaire, et même de souffrir le martyre.

Aujourd’hui les choses sont différentes. Il semble que l’on aspire à transformer l’Église en une religion de basse intensité mais beaucoup plus applaudie, bien que beaucoup moins influente parce qu’elle n’a rien à dire qui soit différent de ce que tout le monde dit et applaudit. Bien sûr aux responsables de cette nouvelle Église, on est en train de donner ce que le malin avait promis qu’il donnerait à Jésus : un grand succès et la popularité.


Nous ne pouvons ni ne voulons être avec une autre Église de plus que celle du Christ, qui est toujours protégée par l’Esprit Saint, - c’est notre plus grande source d’espérance et de confiance, et c’est pour cela que nous devons préparer à ce qui devra venir. Entre une Église applaudie parce qu’elle a renoncé à l’orthodoxie et à l’orthopraxie et une Église persécutée parce qu’il imite le Crucifié, je choisis la seconde et je demande à Dieu qu’il ne m’abandonne pas si la persécution arrive pour que je puisse être Son témoin jusqu’au bout.