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Benoît XVI parle au monde scientifique (3)

Pas de conflit en vue entre science et théologie: message de Benoît XVI pour le Colloque "De la lunette de Galilée à la cosmologie évolutive", le 2 décembre 2009 (10/11/2014)

A l'occasion du colloque «De la lunette de Galilée à la cosmologie évolutive. Science, philosophie et théologie en dialogue» qui s'était déroulé du 30 Novembre au 2 Décembre 2009, le pape avait envoyé un message à Mgr Rino Fisichella, recteur de l'Université pontificale du Latran.

Le texte en italien était paru sur L'Osservatore Romano - 30 novembre - 1er décembre 2009.
Ma traduction.


     

Je suis heureux de saluer tous les participants au Congrès international sur «De la lunette de Galilée à la cosmologie évolutive. Science, philosophie et théologie en dialogue. Je les adresse en particulier à vous, vénéré frère [Mgr Fisichella], qui vous êtes fait le promoteur de ce moment important de réflexion dans le cadre de "l'Année internationale de l'astronomie", afin de célébrer le quatrième centenaire de la découverte de la lunette astronomique.
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Lorsqu'on ouvre le Sidereus nuncius (*) et qu'on lit les premiers mots de Galilée, l'émerveillement du savant pisan devant ce qu'il avait accompli tranparaît immédiatement : "dans ce court ouvrage - écrit-il - je propose de grandes choses à l'observation et à la contemplation de ceux qui étudient la nature. Grandes, dis-je, tant par l'excellence de la matière elle-même, que par la nouveauté jamais entendue au cours des siècles, et aussi par le moyen à travers lequel ces mêmes choses se sont manifestées à notre sens "(Galileo Galilei, Sidereus nuncius, 1610).
C'est en 1609 que Galilée pointa pour la première fois vers le ciel un outil "inventé par moi - comment il l'écrira - par illumination de la grâce de Dieu ": le télescope. Ce qui se présenta à son regard, il est facile de l'imaginer: l'émerveillement se transforma en émotion, et celle-ci en enthousiasme, qui l'amena à écrire:
"C'est une grande tâche que de montrer l'existence d'un très grand nombre d'étoiles fixes qui jusqu'alors n'ont pas pu être observées par nos sens et d'en augmenter le nombre de plus de dix fois celles qui sont déjà connues".

Le scientifique pouvait observer de ses propres yeux ce qui, jusque-là, était simplement le résultat d'hypothèses controversées. Ceux qui pensent que, devant cette vision, l'esprit profondément religieux de Galilée s'ouvrit presque naturellement à la prière de louange, faisant siens les sentiments exprimés par le Psalmiste, ne se trompent pas: "O Seigneur, notre Seigneur, combien est admirable ton nom sur toute la terre! ... Quand je vois tes cieux, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as créés, qu'est-ce que l'homme pour que tu te souvienness de lui. Et le fils de l'homme pour que tu prennes garde à lui? Vraiment ... tu lui as donné pouvoir sur les œuvres de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds" (Ps 8, 1.4-5.7) .

Avec cette découverte, la prise de conscience d'être face à un point crucial de l'histoire humaine grandit dans la culture. La science devenait quelque chose de différent de ce que les anciens avaient toujours pensé. Aristote avait permis d'atteindre la connaissance certaine des phénomènes à partir de principes évidents et universels; à présent, Galilée montrait concrètement comment approcher et observer les phénomènes eux-mêmes, pour en comprendre les causes cachées.

La méthode déductive a fait place à celle inductive, et ouvert la voie à l'expérimentation. Le concept de la science qui avait duré pendant des siècles, était en train de se modifier, prenant le chemin vers une conception moderne du monde et l'homme. Galileo avait emprunté des voies inconnues de l'univers; il ouvrit la porte pour observer des espaces toujours plus immenses.

Probablement au-delà de ses intentions, la découverte du savant pisan permettait également de remonter dans le temps, conduisant à s'interroger sur l'origine du cosmos et faisant émerger l'idée que l'univers sorti des mains du Créateur, a sa propre histoire; il "gémit et souffre les douleurs de l'enfantement"- pour reprendre l'expression de l'apôtre Paul - dans l'espoir d'être libéré "de l'esclavage de la corruption pour entrer dans la glorieuse liberté des fils de Dieu » (Romains 8: 21-22) .
Aujourd'hui encore, l'univers continue de soulever des questions auxquelles cependant la simple observation ne parvient pas à donner une réponse satisfaisante: les seules sciences naturelles et physiques ne suffisent pas.

L'analyse des phénomènes, en effet, si elle reste refermée sur elle-même, risque de faire apparaître le cosmos comme une énigme insoluble: la matière a une intelligibilité capable de parler à l'intelligence de l'homme, et d'indiquer un chemin qui va au-delà du phénomène simple. C'est la leçon de Galilée qui mène à ce constat.

N'est-ce pas le savant pisan qui a prétendu que Dieu a écrit le livre de la nature sous la forme du langage mathématique? Pourtant, les mathématiques sont une invention de l'esprit humain pour comprendre la création. Mais si la nature est réellement structurée dans un langage mathématique et les mathématiques inventées par l'homme peuvent arriver à le comprendre, cela signifie que quelque chose d'extraordinaire se produit: la structure objective de l'univers et la structure intellectuelle du sujet humain sont les mêmes, la raison subjective et la raison objective de la nature sont identiques. Finalement, c'est "une" raison qui les relie ensemble et qui nous invite à regarder vers une intelligence créatrice unique.

Les questions su l'immensité de l'univers, son origine et sa fin, ainsi que sur sa compréhension, n'admettent pas seulement une réponse à caractère scientifique.
Celui qui observe le cosmos, suivant la leçon de Galilée, ne pourra pas se contenter de ce qu'il a observé avec le télescope, il devra aller plus loin pour s'interroger sur la signification et la finalité qui ordonnent toute la création. La philosophie et la théologie, à ce stade, jouent un rôle important pour ouvrir la voie vers des apprentissages ultérieurs. La philosophie, devant les phénomènese et la beauté de la création tente, avec son raisonnement, de comprendre la nature et le but ultime du cosmos. La théologie fondée sur la Parole révélée, scrute la beauté et la sagesse de l'amour de Dieu, qui a laissé sa marque dans la nature créée (cf. Saint Thomas d'Aquin, Somme Théologique). Dans ce mouvement gnoséologique sont impliquées à la fois la raison et la foi: toutes deux offrent leur lumière.
Plus la connaissance de la complexité de l'univers augmente, plus on a besoin d'outils pour être en mesure de la satisfaire: il n'y a nul conflit à l'horizon entre les diverses disciplines scientifiques, philosophiques et théologiques: au contraire, ce n'est que dans la mesure où elles réussiront à entrer le dialogue et à échanger leur savoir-faire qu'elles pourront présenter aux hommes d'aujourd'hui des résultats réellement efficaces.

La découverte de Galilée a été un moment décisif pour l'histoire de l'humanité. De là, ont commencé d'autres grandes conquêtes, avec l'invention d'outils rendant précieux le progrès technologique qui a été atteint.
Depuis les satellites qui observent les différentes phases de l'univers, paradoxalement devenu toujours plus petit, jusqu'aux machines plus sophistiquées utilisées dans l'ingénierie biomédicale, tout montre la grandeur de l'intelligence humaine, qui, selon le commandement biblique est appelé à «dominer» l'ensemble de la création (cf. Gn 1, 28), à la «cultiver» et la «garder»(cf. Gn 2, 15).

Il y a toujours un risque infime, toutefois, qui sous-tend toutes ces conquêtes: que l'homme, se fiant seulement en la science et oubliant de porter ses regards au-delà de lui-même vers cet Etre transcendant, Créateur de tout, qui en Jésus-Christ a révélé son visage d'Amour.
Je suis sûr que l'interdisciplinarité dans laquelle se déroule ce colloque permet de saisir l'importance d'une vision unifiée, fruit d'un travail commun pour le vrai progrès de la science dans la contemplation du cosmos.

J'accompagne volontiers, Vénérable Frère, votre engagement académique, demandant au Seigneur de bénir ces journées, ainsi que la recherche de chacun de vous.

Du Vatican, le 26 Novembre 2009

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(*) Sidereus Nuncius (wikipedia)
Sidereus Nuncius (que l'on peut traduire en français par " annonce sur les astres" est un court traité d'astronomie, écrit en Latin par Galilée en mars 1610 et publié en avril suivant. C'est le premier ouvrage scientifique reposant sur des observations faites grâce à une lunette astronomique. Il contient les résultats des premières observations de Galilée sur la Lune, les étoiles et les lunes de Jupiter. Seulement six semaines séparent le début de la rédaction de la publication de l'ouvrage.