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Une interview du Pape émérite

Benoît XVI a accordé un entretien à un journaliste allemand du Frankfurter Allgemeine Zeitung, Jörg Bremer. Il coupe court aux interprétations interventionistes des modification apportées à un texte de 1972 sur les divorcés remariés.... et en dit le moins possible (7/12/2014)

Voir à ce sujet:
¤ Augustin et les "Rétractations"
¤ et bien sûr ce billet de Sandro Magister: Au synode sur la famille le pape émérite prend lui aussi la parole.


     

Préambule

Il y a une paire de jours, je lisais sur un blog en italien que je consulte assez souvent, www.libertaepersona.org , un article très intéressant, où il était question du cardinal Schönborn (c'est bien de lui qu'il s'agit), sans que ce dernier soit explicitement désigné.
Voici ma traduction:

QUAND UN (EX)ÉLÈVE PREND SES DISTANCES DU MAÎTRE ...
4 Décembre 2014
Lorenzo Bertocchi
www.libertaepersona.org/wordpress/2014/12/quando-gli-exallievi-prendono-distanza-dai-maestri/
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L'histoire de la retractatio d'un écrit de Joseph Ratzinger est connue (ndt: ici, l'auteur met en lien l'article de Magister). En 1972, le professeur de théologie de Ratisbonne alors âgé de quarante-cinq ans, écrivait un article où il abordait le thème de la communion pour les divorcés remariés et, sous certaines conditions, «ouvrait» à la possibilité d'accès aux Sacrements pour les couples irréguliers. Ce fut la seule et unique fois où l'actuel pape émérite s'exprimait de cette façon; ensuite, tant comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, que comme pape, il a toujours maintenu une position d'interdiction. Parfaitement en ligne avec les déclarations du magistère de saint Jean-Paul II.
Le cardinal Kasper, dans sa 'Relation' au consistoire de Février 2014 utilisa cette citation de 1972, pour soutenir sa thèse d'ouverture possible à l'Eucharistie pour les divorcés remariés.
Aujourd'hui, avec la publication du neuvième volume des Œuvres complètes de Ratzinger, la dernière partie de cet article est de fait réécrite, en ligne avec la position soutenue à maintes reprises. D'interdiction de la communion pour les divorcés remariés.
Certains ont voulu voir dans cette réécriture une prise de position du pape émérite également dans le débat qui a eu lieu au Synode extraordinaire d'Octobre dernier. Et même un magistère parallèle.
Une position qui semble avoir émergé au cours de la réunion du Conseil ordinaire du Synode des Évêques qui a eu lieu les 18 et 19 Novembre. En plus du secrétaire général, le cardinal Lorenzo Baldisseri et du sous-secrétaire, Mgr. Fabio Fabene, étaient présents les cardinaux Christoph Schönborn, Wilfried F. Napier, Peter KA Turkson, George Pell, Donald W. Wuerl, Luis A. Tagle, et les archevêques Bruno Forte et Salvatore Fisichella. Présent en tant qu'invité, le président du Conseil pontifical pour la famille, Mgr Vincenzo Paglia.

Eh bien, tandis qu'un membre du conseil faisait des observations sur l'auto-démolition de certaines Églises qui cèdent aux nouveaux droits, justement un pasteur d'une de ces Églises a soulevé le problème «du magistère parallèle» du pape émérite. Parfois, il arrive qu'un (ex)-élève prenne ses distances du maître ...

* * *

L'entretien du pape émérite avec un journaliste compatriote est la suite de cet épisode.

L'article original en allemand est ici:
www.faz.net/aktuell/politik/portraets-personalien/ohne-die-last-seines-amtes-vater-benedikt-im-gespraech

Le quotidien italien Il messagero en donne un résumé, que je viens de traduire.

     

RATZINGER: «JE VOULAIS ME FAIRE APPELER "PÈRE" ».
ET SUR LES DIVORCÉS: «C'EST ABSURDE DE ME METTRE EN JEU DANS LE DÉBAT»
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Les chaussures rouges, signe de la dignité pontificale, ont disparu. A leur place, une paire de sandales en cuir avec des chaussettes, qui pourraient être celles d'un moine quelconque, ou peut-être d'un touriste allemand se promenant à Rome. L'habit, en revanche, est restée la soutane blanche du Pape, symbole d'un statut qui demeure, même après la renonciation à la papauté.
Mais lui, confie Ratzinger à un journaliste allemand, aurait préféré être appelé simplement «Père Benoît»; sauf qu'alors, il était «trop faible et fatigué» pour réussir à s'imposer. A présent, dit Joerg Bremer, l'un des correspondants à Rome du Frankfurter Allgemeine, dans l'entretien publié aujourd'hui dans l'édition du dimanche du journal, Ratzinger semble avoir retrouvé ses forces.
A 87 ans, il se déplace sans canne dans sa maison de Mater Ecclesiae au Vatican, ses yeux pétillent et ses réponses sont promptes et précises. Et, avec une grande attention, il avertit le journaliste sur ce qu'il peut écrire et ce qu'il ne peut pas. Comme son désir, après la renonciation, d'être appelé simplement «Vater Benedikt»; «Cela, je peux l'écrire?» interroge Bremer. «Allez-y - répond le Père Benoît- peut-être que cela peut aider».

Mais pourquoi le pape émérite, qui vit retiré et ne se fait voir en public que quand le Pape en fonction l'invite (la dernière fois pour la béatification de Paul VI), décide-t-il de parler avec un journaliste, rompant, avec toute la prudence nécessaire, la règle du silence qu'il s'est imposé depuis qu'il a choisi de vivre comme un moine?
La raison réside probablement dans la sortie d'un nouveau volume, le quatrième du recueil de ses écrits. Le fait est qu'en 1972, le professeur de théologie Joseph Ratzinger, dans un document «Sur la question de l'indissolubilité du mariage» s'était exprimé en termes possibilistes sur la question de la réadmission des divorcés remariés à Eucharistie; dans certains cas particuliers, avait écrit Ratzinger, la réadmission pouvait être «couverte par la tradition».
Pour la republication, Ratzinger a préféré reformuler les conclusions et répéter ce qu'il a affirmé en tant que cardinal puis en tant que pape, à savoir l'inviolabilité de la doctrine sur l'indissolubilité du mariage, avec ses conséquences en termes d'admission à la communion.
Pourrait-on dire alors que le Pape émérite a voulu entrer, et peut-être se mettre un peu en travers, dans le débat voulu par François pour le Synode consacré à ces thèmes? C'est une «absurdité totale» répond Benoît, qui souligne qu'il a d'«excellents contacts» avec François.

La révision du texte a été décidée en Août, quelques mois avant le synode, et ne contient «rien de nouveau». À cet égard, Ratzinger rappelle l'enseignement de Jean-Paul II, «et moi-même, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, j'ai écrit des choses beaucoup plus radicales». Toujours avec le Pape Jean-Paul II, dont il fut un proche collaborateur, Ratzinger rappelle - tel que rapporté par Bremer - que les divorcés remariés ne devraient toutefois pas être exclus de la vie de l'Eglise; par exemple, ils doivent pouvoir être parrains et marraines dans le baptême (actuellement de nombreux diocèses requièrent de souscrire à des modules, contresignés par le curé, où l'on déclare, entre autres choses, «ne pas avoir contracté de mariage seulement civil, ni vivre en concubinage, ni avoir procuré un divorce»).

Dans la demi-heure de conversation, il y a encore du temps pour une pensée en vue de Noël, en particulier en Terre Sainte, qui touche particulièrement la mémoire du Pape émérite, biographe de Jésus. Parce que Jésus n'était pas seulement un esprit, sa présence est datée et «cette dimension terrestre est importante pour la foi des hommes». Puis, au moment des salutations, Benoît montre des médailles et des souvenirs du pontificat: «vous pouvez les garder si vous voulez. A condition que cela n'alimente un culte de la personnalité», a plaisanté avec un humour allemand (??), avant de retourner à son silence, le pape émérite qui voulait être appelé seulement «Père Benoît».

Commentaire:
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L'article allemand semble donc une réponse au billet de Sandro Magister cité plus haut (et aux critiques du cardinal Schönborn).
Il a tout pour satisfaire Andrea Tornielli, auteur en février dernier d'une lettre adressée au Pape émérite pour lui faire dire publiquement que sa renonciation était parfaitement valide (cf. benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/la-lettre-de-benoit-xvi-a-tornielli). La démarche du journal allemand ressemble beaucoup à la sienne - tout comme les réponses du pape émérite évoquent fortement sa lettre d'alors...

Dans le texte en allemand (j'espère que quelqu'un le traduira au moins en italien ou en anglais), Jörg Bremer précise que le pape émérite ne reçoit pas de journalistes, sauf pour des visites de courtoisie, et que cette fois, il a contrôlé avec beaucoup d'attention ce que ce journaliste écrivait (d'où l'on déduit qu'il ne s'agissait pas d'une visite de courtoisie).
Benoît XVI insiste qu'il ne veut pas être une sorte de pape parallèle, qu'il est clair, pour les croyants, QUI est le vrai Pape, et il regrette de ne pas avoir su dès le début se mettre clairement en retrait du pape François, avec qui, dit-il, il a de bons contacts.
Et le journaliste insiste: il ne veut pas faire de l'ombre à son successeur, qui a une forte présence «que moi-même, physiquement et psychiquement, avec mes faibles forces, je ne pourrais plus avoir»...