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Cet Occident qui nie l'existence de Dieu

Mgr Livi

Sur le site "L'Isola di Patmos" dont il est l'un des co-rédacteurs, Mgr Antonio Livi propose une réflexion magistrale et totalement inédite sur les attentats des 7 et 9 janvier à Paris, et la manif-monstre "Je suis Charlie". Traduction de Anna

>>> Dossier ici: Attentats à Paris

(... ) presque tous les commentateurs catholiques ont réagi de manière inadéquate aux événements malheureux liés aux "caricatures blasphèmatoires", car ils ont parlé toujours et seulement du respect dû aux religions, à leurs fidèles et à leurs symboles.
C'est trop peu, dis-je.
Plus grave que toute absence du "respect des personnes et de leur sensibilité humaine et religieuse", plus grave également que les offenses aux ministres de Dieu, est l'offense faite à Dieu Lui-même, à Dieu comme réalité-personne et non comme idée de quelqu'un ou symbole de quelque chose d'autre.

A L'IRRATIONALISME INTOLÉRANT DES ISLAMIstES, L'OCCIDENT N'OPPOSE QUE L'IRRATIONALISME TOLÉRANT DES ATHÉES

isoladipatmos.com
Antonio Livi
27 janvier 2015
(Traduction de Anna)

Ainsi, l'Occident n'oppose à l'irrationalisme d'une morale tirée du Coran, dépourvue de toute médiation théologique et encore moins philosophique - et qui ignore donc le droit naturel - qu'un autre type d'irrationalisme, celui d'une législation "laïque" sans Dieu et sans droit naturel, lequel est justement la "lex Dei aeterna".

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J'interviens à mon tour au sujet des tristes événements de janvier 2015 à Paris (la violence homicide des fanatiques islamistes et la grande manifestation de solidarité avec les rédacteurs de Charlie Hebdo), afin d'exprimer une opinion différente de celle des autres rédacteurs de L'Isola di Patmos.
Les lecteurs de cette revue ne seront pas surpris, ni scandalisés de cette différence d'opinions, car nous avons toujours affirmé vouloir ramener toute question d'actualité théologique aux principes de la vraie doctrine de l'Eglise, c'est à dire au dogme, l'illustrant toutefois de commentaires et d'applications appartenant par leur nature au domaine du réfutable, là où aucune opinion n'exige nécessairement l'unanimité des consentements. J'ai rappelé, en quelques occasions, le vieil adage patristique: "In necessariis, unitas; in dubiis, libertas; in omnibus, caritas".

J'exprime donc mon opinion en toute liberté, sans vouloir manquer à la charité. Afin d'être le plus clair et précis possible, je vais énoncer trois points:

1) Premièrement, je considère comme de "tristes événements" autant la violence assassine des fanatiques islamiques que la grande manifestation de solidarité avec les rédacteurs de Charlie Hebdo de la part des chefs politiques français et de nombreux autres Pays de l'aire occidentale. Je considère que les deux faits - celui militaire et celui idéologique - sont d'une gravité morale énorme, mais pas autant qu'un troisième fait, celui qui a provoqué les deux autres, à savoir la publication obstinée et la divulgation de caricatures obscènes et lourdement offensantes à l'encontre de l'Islam (avec la caricature du prophète Mahomet) et contre le christianisme (avec la représentation blasphématoire de la Très Sainte Trinité, de notre Seigneur Jésus Christ et de Sa Mère Immaculée).

2) La réaction des islamistes à ces dessins a été de furieuse indignation, surtout à cause des caricatures du prophète, qu'ils estiment ne devoir jamais être représenté par quiconque; les plus agressifs ont déjà eu recours au terrorisme en France, et à de nouvelles vagues de violente persécution des chrétiens (tous considérés sans distinction comme des complices du "grand Satan", à savoir l'Occident) au Moyen Orient et en Afrique, et la menace d'élargir la "guerre sainte" à tout l'Occident - menaçant même Rome, centre de la chrétienté - se fait de plus en plus explicite.

3) La réaction des occidentaux à l'agressivité des islamistes a été l'exaltation aveugle de la prétendue liberté de satire antireligieuse, au point que les caricatures profanes ont été diffusées dans tous les Pays, pas seulement avec l'édition extraordinaire de Charlie Hebdo (7 millions d'exemplaires récemment distribuésy compris hors de France, en Italie avec Il Fatto Quotidiano) mais aussi avec l'imprudente reproduction de la part d'organes d'information catholiques, qui en plus ont préféré choisir les caricatures contre le christianisme plutôt que celles contre l'Islam à l'origine des massacres de Paris. La revue politico-culturelle Etudes, dirigée par des religieux jésuites, les a offertes à ses lecteurs avec l'absurde prétexte de vouloir démontrer que les catholiques ne sont pas "intégristes" et qu'ils savent eux aussi respecter la "liberté de satire", riant volontiers même de leurs propres institutions et de leurs représentants.
L'Isola di Patmos elle aussi, sans que j'en ai été consulté, a voulu reproduire ces horribles caricatures anti-chrétiennes en appui d'un excellent article signé par le Père Giovanni Cavalcoli. Je considère ce choix éditorial - malgré les bonnes intentions, parmi lesquelles celle de documenter la gravité des faits dont on parle - un choix erroné, parce qu'il constitue matériellemnt une "cooperatio ad malum", une involontaire complicité avec le péché de l'autre, qui dans ce cas - l'offense au Nom de Dieu - est même le péché le plus grave.

Le très grave péché de blasphème
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Faire observer le problème de comment concilier la liberté d'opinion avec le respect des institutions religieuses et de leurs symboles est une question tout à fait secondaire par rapport à l'énormité du blasphème comme acte intrinsèquement immoral, comme offense à Dieu.
Face aux faits dont nous parlons, une personne de jugement droit, et encore plus un théologien, n'a pas à accumuler tellement de considérations socio-culturelles, mais à souligner ce qui est incommensurablement plus grave que tout le reste: que ces tristement célèbres caricatures de Charlie Hebdo contiennent, parmi tant d'obscénités et insultes désacralisantes - toutes choses déplorables - aussi des blasphèmes au sens propre, c'est à dire la profanation du saint Nom de Dieu, et cela constitue en soi et directement la "matière" de ce très grave péché contre lequel Dieu met en garde tous les hommes avec le deuxième commandement du Décalogue.

Afin de mieux m'expliquer, je dois rappeler que "blasphème" signifie, étymologiquement, "injure" en général. Lorsque la personne offensée n'est qu'un être humain, on va contre le quatrième et le cinquième commandement et la faute est plus ou moins grave selon la dignité de la personne offensée; par contre, lorsque l'injure est adressée directement à Dieu, elle est un blasphème au sens propre.

Le islamiques parlent de "blasphème" même lorsqu'on ne représente que Mahomet, qu'eux-mêmes ne considèrent pas Dieu, mais seulement son Prophète. Quant au christianisme, le fait de railler les représentants de la hiérarchie ecclésiastique, y compris le Pape, n'est pas à proprement parler un blasphème. Non pas que ce soient des actes tolérables: ce sont des actions qui désacralisent des institutions et les personnes représentant la vraie religion instituée par le Christ Lui-même.
Toutefois, encore une fois, la gravité de ces péchés n'est absolument pas comparable avec la gravité du péché de blasphème, qui est le péché de celui qui offense le Père, son fils Jésus Christ et le Saint Esprit (et en vertu de l'union hypostatique, l'offense contre la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, représente elle aussi un véritable blasphème).

Depuis l'enfance, j'ai beaucoup souffert à cause des blasphèmes que j'entendais autour de moi - et comme je suis toscan j'en entendais beaucoup - et je réagissais parfois par des reproches pleins d'animosité contre les blasphémateurs. Puis, après que je sois devenu prêtre, j'ai dû prendre une attitude plus posée, imitant la mansuétude de Jésus. Mais l'offense à Dieu faite publiquement en profanation de Son Nom et de celui de Sa Mère Très Sainte m'a toujours causé une douleur profonde et j'ai appris de l'Eglise à faire personnellement de nombreux actes de réparation, en plus des prières en réparation des blasphèmes récitées lors de l'exposition eucharistique. Ma réaction face aux blasphémateurs est vite passée au deuxième plan, en fait elle a fini par disparaître. Ils sont eux aussi objet de la prière, demandant à Dieu de ne pas tenir compte de leur péché, "car ils ne savent pas ce qu'ils font".

Finalement, une personne dont la conscience est droite souffre face au blasphème car elle sait bien que Dieu mérite non seulement du respect mais aussi des actes constants d'adoration et de remerciement de la part de tous les hommes. Peu importe, à un chrétien, doué de bon sens avant même que de foi, que le blasphème blesse son amour propre et qu'il se sente personnellement offensé dans son appartenance à une religion. Ce qui compte réellement, lorsqu'il s'agit du blasphème, n'est pas l'aspect subjectif et sentimental, mais celui objectif et moral. Car le blasphème est avant tout un péché, un des les plus graves, car il va directement contre le deuxième commandement du Décalogue, si banalisé par Roberto Benigni, qui est comme moi natif de Prato, et qui fait ce qu'il peut, le pauvre, mais ils lui donnent trop d'attention et d'argent même quand il veut faire rire avec des arguments tirés de la théologie.

Mon discours n'est pas un discours abstrait ni oiseux: il sert à faire comprendre que presque tous les commentateurs catholiques ont réagi de manière inadéquate aux événements malheureux liés aux "caricatures blasphèmatoires", car ils ont parlé toujours et seulement du respect dû aux religions, à leurs fidèles et à leurs symboles.
L'évêque de Verone, par exemple, Mgr Giuseppe Zenti, dans un article publié sur l'hebdomadaire diocésain, 'Verona Fedele', sous le titre "Comment concilier le blasphème avec la laïcité démocratique?", déplore simplement "le climat culturel" qui a permis la publication des "caricatures blasphématoires": un climat, précise le prélat, qui est "celui de la barbarie, dans lequel le respect des personnes et de leur sensibilité humaine et religieuse n'a pas droit de cité ". Un autre évêque, le patriarche de Venise Francesco Moraglia, s'adressant aux juifs, a dit: "Il y a des thèmes qui ne peuvent pas être traités avec des genres littéraires comme l'ironie, surtout quand celle-ci est féroce: lorsque la responsabilité est publique, nos paroles sont plus lourdes que les pierres".

C'est trop peu, dis-je.
Plus grave que toute absence du "respect des personnes et de leur sensibilité humaine et religieuse", plus grave également que les offenses aux ministres de Dieu, est l'offense faite à Dieu Lui-même, à Dieu comme réalité-personne et non comme idée de quelqu'un ou symbole de quelque chose d'autre.

Le Père Giovanni Cavalcoli, dans son commentaire aux faits de Charlie Hebdo, ne semble pas non plus prendre dûment en compte le terrible fait du blasphème répété en des millions d'exemplaires, mais préfère recommander un plus grand dialogue entre christianisme et islam, en partant de la commune foi dans le Dieu d'Abraham et en pratiquant le respect réciproque.
Même le Saint Père, intervenant sur le sujet, n'a parlé que de l'inévitable réaction - qu'il définit injuste mais humainement compréhensible - à laquelle on doit s'attendre lorsqu'on offense une personne, par exemple en disant du mal de sa mère.
Mais, encore une fois, ce qui est en jeu ici, ce ne sont pas les rapports "horizontaux" entre les hommes dans la société humaine, mais le rapport "vertical" des hommes avec Dieu. Si l'on reste dans la ligne "horizontale" et qu'on ne se préoccupe que d'établir la façon de protéger l'honneur et les droits de quelque sujet social, on finit par se conformer, même en Occident, à la mentalité typique de l'Islam, où tout est politique, et où il n'y a pas de droit naturel mais seulement le droit positif établi arbitrairement par les Etats.

L'Occident n'oppose donc à l'irrationalisme d'une morale tirée du Coran, dépourvue de toute médiation théologique ou philosophique - ignorant donc le droit naturel - qu'un autre type d'irrationalisme, celui d'une législation laïque sans Dieu et sans droit naturel, lequel est justement la lex Dei aeterna.
En Occident, après toute la rhétorique impuissante sur la liberté d'opinion et aussi de satire, on a voulu réagir à la violence militaire des islamiques en justifiant la violence idéologique du journal satirique - tous ont affirmé: "Je suis Charlie".
Ensuite on est passé du fait contingent à la théorisation du "droit" à injurier toute religion, mais surtout le christianisme, outre naturellement l'islam, proclamant le "droit au blasphème" que le président Hollande a inclus parmi les droits civils et les conquêtes de liberté que l'Occident a hérités de la Révolution Française.
Certes, d'un point de vue purement historique et culturel, Hollande a raison: le problème a commencé justement avec les Lumières anti-catholiques, dont les représentants n'étaient pas à proprement parler athées (même Voltaire ne l'était pas).
Ce que firent les Lumières maçonniques, - majoritaires par rapport aux Lumières catholiques, qui eurent parmi leurs représentants deux intellectuels napolitains, Giambattista Vico et Saint Alphonse Marie deLiguori - ce fut de remplacer le culte de Dieu par le culte du Pouvoir politique. Ainsi, en France, les jacobins conçurent la solennelle intronisation d'une image de la Déesse de la Raison dans la basilique de Notre Dame de Paris, non plus maison de Dieu, mais exaltation de la pensée révolutionnaire. De même aux Etats-Unis, les Pères pèlerins firent de Dieu la bannière des aspirations à leur indépendance de l'Eglise anglicane, gouvernée par le Roi d'Angleterre, et sur le billet d'un dollar ils écrivirent "In God we trust".
Deux siècles plus tard, les nazis combattirent leur bataille néo-païenne en gardant la devise des empereurs allemands: "Gott mit uns"…

L'histoire nous montre finalement la rapide évolution d'une opération idéologique de sécularisation, au sommet de laquelle non seulement Dieu n'est plus reconnu comme le fondement de la loi naturelle et le logique détenteur du droit à l'adoration de la part de tous les hommes, mais est également nié dans sa réalité même. Afin d' établir cette substitution - et puisque l'évidence d'un Absolu est inhérente à la raison humaine - les Lumières modernes et contemporaines ont oeuvré une grotesque régression culturelle, revenant à l'idolâtrie, à la divinisation des "éléments de ce monde" comme Saint Paul les appelle.

Avant l'établissement de la "societas christiana", l'histoire enregistre des sociétés qui pratiquaient le culte des idoles de la nation (Orient antique) ou bien le culte du chef militaire (le divus Caesar de l'Empire Romain, à qui les chrétiens refusaient d'offrir des sacrifices).
A l'époque moderne, l'idéologie laïciste a à nouveau divinisé le Pouvoir politique (l' "Etat", la "Nation" ou le "Peuple").
Afin d'imposer cette divinisation le laïcisme emprunte au christianisme le langage du sacré, qui n'a de sens en soi que s'il se réfère à Dieu: voici donc la "religion civile" théorisée par Jean-Jacques Rousseau; voici l'autel de la Patrie voulu par les Savoie après la prise de Rome; voici les "frontières sacrées" de la Patrie; voici le culte de la mémoire des martyrs (pendant le "Ventennio" du Fascisme on parlait des "martyrs fascistes", immédiatement après des "martyrs de la Résistance"); et voici l' "apôtre de la liberté" (Giuseppe Mazzini); voici encore les "pèlerinages" au mausolée de Lenine, et ainsi de suite.
Le sens du sacré est passé tout entier dans la rhétorique politique: le Sacré authentique, le Sacré par antonomase, c'est à dire Dieu, n'a plus aucune reconnaissance publique comme réalité en soi. S'il est évoqué, ce n'est que pour décrire le "sentiment religieux" de quelques groupes de citoyens, à qui l'Etat peut gracieusement consentir quelque liberté de culte.

Cela étant, c'est trop peu, disais-je, de se limiter à plaider, contre la satire blasphèmatoire des journaux occidentaux, le respect des droits subjectifs des personnes qui croient en Dieu, et cela dans le seul but de garantir la paix sociale.
J'ai lu par exemple sur la Bussola Quotidiana du 18 janvier, un article d'Ettore Malnati au titre "L'offense au sentiment religieux n'aide pas la coexistence".
Je le répète: c'est trop peu!
La question ici est celle du respect dû à Dieu, qui indubitablement existe, même si l'Etat laïciste affirme que ce n'est pas vrai, pas "à sa connaissance".
La satire anti-religieuse, y compris le blasphème, n'est pour l'Etat laïciste qu'une manière licite d'exprimer la critique rationnelle d'un sentiment subjectif irrationnel.
Au contraire, la vérité est que le blasphème est une injustice, un désordre moral (à savoir un péché), d'une gravité absolue, car ce qui est violé est avant tout le droit primaire de Dieu au respect, à l'honneur et à l'adoration.
Le fait de proposer, comme cela a été fait, que l'Etat établisse l'existence d'un "droit de blasphème", reviendrait à formaliser l'implicite prémisse athéiste de l'Etat laïciste, sa "Constitution matérielle": on exige que l'Etat affirme explicitement - sans en avoir aucune autorité, ni logique ni morale - que Dieu n'existe pas, que ce que quelques-uns appellent "Dieu" n'est qu'une idée subjective tolérable dans le privé mais ne méritant pas de tutelle publique. Tandis que d'autres idées le sont, par exemple l'idée d'être digne de respect et d'estime en tant que gay. Pour cette raison on ne peut absolument pas offenser ni critiquer les gays (c'est le délit d'"homophobie") mais on peut offenser Dieu, car Dieu n'existe pas. Par ailleurs, offenser un chef d'Etat est le délit d'outrage, car le chef d'Etat existe, et évidemment l'Etat le sait. Voici la logique du discours, si logique il y a. En réalité, il ne s'agit pas de logique, mais de l'arrogance de celui qui afin de garder le pouvoir doit continuer d'imposer son hégémonie culturelle et idéologique. L'Etat est constitué arbitrairement d'une autorité absolue, au point qu'il se considère arbitrairement la source de toute vérité métaphysique et morale, et donc juridique (qui existe et a droit au respect et qui ne l'a pas).

La loi positive n'a de légitimité que si elle présuppose et respecte la loi morale naturelle, laquelle part de la certitude de l'existence de Dieu comme Cause première et Fin dernière de tout, donc comme Législateur universel. Je parlais avant, à propos de l'offense au saint Nom de Dieu, du deuxième et troisième commandement. Ceux-ci et tous les autres constituent le Décalogue, qui n'est que la codification vétéro-testamentaire de la loi morale naturelle. Elle contient de manière intelligible les normes morales fondamentales que tout homme connait spontanément et est obligé d'observer fidèlement, comme l'enseigne la grande tradition philosophique ainsi que la Sainte Ecriture. Il n'y a pas besoin de connaître la Loi de Moïse, affirme Saint Paul dans sa Lettre aux Romains, pour honorer et aimer Dieu comme créateur et législateur. Nous devons ainsi affirmer aujourd'hui qu'il n'y a pas besoin d'une loi positive de la société civile pour ne pas blasphémer. Bien sûr, un Etat moderne occidental, qui se vante d'être "laïque", non seulement ne conservera pas les lois contre le blasphème qui avaient été diversement formulées auparavant, mais imposera même une loi en faveur du "droit au blasphème".

Il faut réagir à l'idéologie étatique, qui est un des fruits les plus amers de l'idéalisme et rappeler que c'est plutôt l'Etat qui n'existe pas: existent par contre des hommes et des femmes qui forment la société civile, hommes et femmes qui, en tant que citoyens d'une nation, se sont donnés ou ont reçu une forme juridique déterminée par les institutions publiques (gouvernement, justice, défense, fisc, et cetera), et parmi ces citoyens il y en a qui exercent des fonctions publiques. Les uns et les autres (citoyens privés et fonctionnaires publiques) ont un intellect et une conscience, et savent bien quelle est la réalité évidente pour tous, et partant de cette connaissance de base (qui s'appelle en philosophie le "sens commun") ils se forment leurs propres opinions, en toute liberté, sur les questions contingentes. A partir du consensus de tous sur les évidences du sens commun se forme selon des modalités différentes le droit positif, valable s'il est en harmonie avec la volonté populaire mais surtout et avant tout avec la loi morale naturelle.

Ceux qui ont encore la faculté de penser avec leur propre tête savent que la vérité métaphysique et morale est une conquête à laquelle la raison humaine parvient sur la base de l'expérience immédiate et universelle et ensuite aussi de la réflexion critique (la philosophie), qui sont les prémisses rationnelles d'un éventuel accueil de la révélation divine.
Face à l'endoctrinement de l'Etat athéiste il faut revenir à l'évidence que Dieu existe, même si celui qui gouverne l'Etat ne veut pas le reconnaître. Le sens commun et la philosophie le reconnaissent: aucun vrai philosophe n'a professé l'athéisme (Etienne Gilson l'a démontré dans son livre L'athéisme difficile), et aucun scientifique n'a jamais pu démontrer avec ses instruments de recherche que Dieu n'existe pas. Un influent philosophe italien, dans un travail des années 60 du dernier siècle, a écrit:

L'itinéraire de l'homme vers Dieu est le plus ardu et le plus pressant. Sans la référence à l'absolu, en effet, toutes les valeurs restent suspendues et l'homme est exposé au risque constant d'être emporté par la temporalité et de se perdre dans les pièges de la contingence. Les différentes tentatives d'échapper au problème de Dieu de la part de l'athéisme, en ses formes polyédriques jusqu'aux formes contemporaines de la dite "Théologie de la mort de Dieu", manifestent la dialectique jamais résolue du drame déconcertant de l'homme qui ne peut pas ici-bas atteindre et posséder Dieu, tandis qu'il perçoit d'une certaine manière ne pas pouvoir être sans Dieu"
(Cornelio Fabro, "L'homme et le risque de Dieu").

L'athéisme d'Etat, tel qu'il s'est imposé en Occident, n'est concevable que dans un horizon purement politique: non pas de la politique en tant qu'exercice du pouvoir réglé par des critères de justice en vue du bien commun, mais de la politique comme conflit d'intérêts en vue de la conquête et du maintien du pouvoir de la part d'une force idéologique, économique et militaire. Une telle politique recherche le consensus populaire avec des discours démagogiques, s'adressant au sentiment et pas à la conscience des citoyens; et lorsqu'elle parvient à ses fins, l'ordre social est radicalement compromis à cause de lois dépourvues de tout lien avec le droit naturel.
Les lois contraires au droit naturel ne sont pas de vraies lois, n'ont pas de valeur morale, mais se réduisent à l'arbitraire, à la tyrannie, au despotisme.
De ce point de vue, peu importe que la forme de gouvernement soit totalitaire ou démocratique: dans les deux cas il faut reconnaître qu'une gestion du pouvoir (magistrature, gouvernement, parlements) qui ignore le droit naturel fait en sorte que la classe politique se réduise à une association de malfaiteurs (magnum latrocinium), comme le disait déjà Saint Augustin à l'époque de la transition entre l'Empire romain et les royaumes barbares (ndt: et Benoît XVI devant le Bundestag!).

Or, la conscience d'un homme, doué, justement, de conscience, le persuadera a bien se conduire avec Dieu, autant dans sa vie privée qu'en public, sans besoin de contraintes légales dans un sens ou l'autre.
Du point de vue de la conscience personnelle il n'y a aucun problème. Le problème surgit lorsque la conscience personnelle incite à s'intéresser de la chose publique et à se positionner face à des lois injustes.

Il y a plusieurs façons de prendre position: avec sa propre intervention active dans la formation de l'opinion publique, sous une variété de formes (l'enseignement, l'utilisation des médias), avec l'exemple personnel, et avec l'exercice du droit de vote lorsque les circonstance le permettent, contribuant à faire en sorte que ces lois ne soient pas approuvées, ou si elles ont déjà été approuvées, qu'elles puissent être abolies. Nombreux l'ont déjà fait et sont en train de le faire, par exemple en ce qui concerne l'avortement (question de jure condito) ou la reconnaissance publique des unions homosexuelles (question de jure condendo).

Mais parmi les aspects paradoxaux de cette opposition de l' "Etat laïque", il y a que l'idée que l'Absolu, c'est à dire Dieu, n'est pas considéré comme réel, tandis que l'Etat, qui est relatif à une idée de la société, est considéré comme réel.
Le relativisme nie tout absolu - ce qui est impossible pour les lois fondamentales de la logique - et finit ainsi par se renfermer dans le solipsisme irrationnel. C'est typique de l'irrationalisme de faire des discours qui tombent sans cesse dans la contradiction (le self-denying discourse), et plus qu'être erronés ils sont donc proprement insensés, ils sont d'authentiques non-sens. L' "Etat laïque" professe l'irrationalisme tout autant que l' "Etat islamique", autrement dit l'idéologie politico-religieuse de l'Islam dénoncée par Benoît XVI dans son discours de Ratisbonne.

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