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Ecologie: l'Eglise cède aux pressions du monde

En attendant l'encyclique, une intéressante réflexion d'un théologien anglais écrivant sur The Catholic Herald, en réaction à un autre article de l'hebdomadaire dit de centre-gauche" The Observer" (5/1/2015)

>>> Ci-contre: le Père Lucy-Smith

En avril 2007, l'Avvenire écrivait:

Le Saint-Siège n'entend pas se contenter d'amplifier les alarmes sur le climat, lancées quotidiennement par des organisations internationales ou des gouvernements, en dépit de pressions considérables dans ce sens.

C'était sous Benoît XVI - appelé à tort "le Pape vert" dans le seul but de le recruter comme propagandiste de prestige de l'idéologie environnementaliste (j'ai consacré de nombreux articles à ce thème)

Depuis, là comme comme dans beaucoup d'autres domaines, les choses ont bien changé.
Il est intéressant de relire deux articles publiés dans ces pages en septembre 2014 (environnement-leglise-cede-aux-pressions-du-mond et leglise-durable).
Dans le plus récent, voici ce que remarquait Riccardo Cascioli:

(...) aujourd'hui, il y a une nouveauté. L'Eglise, poussée par de forts groupes de pression en son sein, est, elle aussi, en train de céder à [la] culture dominante.
La preuve en a été donnée par les deux interventions des ces jours-ci du secrétaire d'Etat, le cardinal Pietro Parolin, au sommet des Nations Unies sur le climat, et du cardinal Oscar Andres Maradiaga au sommet des religions sur le climat, toujours à New York.
Qu'il y ait un changement d'air au Vatican, même l'hebdomadaire scientifique Science s'en est aperçu, qui dans son éditorial du 19 septembre et prenant exemple d'un important congrès international organisé en mai dernier par l'Académie pontificale des sciences sociales, affirme que l'Eglise a finalement pris le parti du développement durable.

Il semble bien que nous y soyons, et l'encyclique écologiste, annoncée par le pape lui-même dans l'avion de retour de Corée (et dont Leonardo Boff affirme être l'un des inspirateurs, ce qui laisse craindre le pire) pourrait être le point d'orgue de cet alignement.

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Teresa a attiré mon attention sur cet article du principal journal catholique britannique (tendance conservateur) le Catholic Herald, et Anna a eu la gentillesse de le traduire.

Le Père Alexander Lucie-Smith, prêtre catholique, docteur en théologie morale, est consultant religieux au Catholic Herald.

Sa réflexion part d'un autre article, paru dans la version hebdomadaire d'un journal britannique pudiquement qualifié de centre-gauche (le Guardian), qu'il m'a paru intéressant de traduire aussi (en annexe), car il met bien en évidence les enjeux énormes...

AVONS-NOUS VRAIMENT BESOIN D'UNE ENCYCLIQUE PAPALE SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE?
Père Lucy-Smith

Une encyclique sur l'environnement pourrait se révéler prophétique, mais pourrait aussi être une loterie.
www.catholicherald.co.uk
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L'Observer a récemment publié un reportage selon lequel le Pape envisage une encyclique sur l'environnement, ou plus précisément sur le changement climatique, qui sera publiée en Mars.

Il est intéressant de voir que le fait de parler d'une encyclique papale peut encore faire la une des journaux laïques. Ce qui toutefois est vraiment intéressant est le commentaire d'un évangélique américain, Calvin Beisner, qu'il faut remercier pour son franc-parler:
«Le Pape devrait laisser tomber. L'Eglise catholique a raison sur les principes éthiques mais se trompe sur la science. Il s'ensuit que les politiques promues par le Vatican sont erronées. Notre position reflète celle de millions de chrétiens évangéliques aux Etats-Unis».

M. Beisner soulève un point intéressant que je vais essayer d'expliquer.
Si nous revenons à la dernière encyclique papale à avoir fait les gros titres, Humante Vitae, qui a aussi provoqué une tempête dans l'Eglise catholique, la seule (et je dis vraiment la seule) critique pertinente de l'enseignement de la lettre fut celle avancée entre autres par le Père Charles Curran (1), affirmant que la perception de la lettre de la Loi Naturelle était imparfaite ou plus exactement que le modèle de Loi Naturelle utilisé par le Pape Paul VI était obsolète et ne reflétait pas la pensée catholique actuelle. Il s'ensuivait par conséquent, selon Curran , que l'encyclique avait tort d'insister sur le fait que tout acte de relation sexuelle devait être ouvert à la transmission de la vie humaine. Le problème comme il le voyait n'était pas l'enseignement en soi, mais dans les présupposés erronés de l'enseignement.

Or, je ne suis pas d'accord avec le Père Charles Curran sur Humante Vitae, mais sa logique est respectable, et en pensant à une encyclique sur l'environnement, et à ce qu'en disait M. Beisner, le risque encouru par une telle encyclique devient évident.

Les principes ethiques ne sont pas en doute. On a tort, par exemple, de détruire la nature sans une justification proportionnée. Tout le monde le sait. Ce qui constitue une raison proportionnée est une chose à laquelle doivent travailler les scientifiques et les spécialistes d'éthique. Si par exemple on doit construire une digue, qui est certainement une interférence dans la nature et une destruction du milieu naturel, en vaut-elle la peine? La digue va-t-elle apporter des bénéfices proportionnés? Il est difficile de le déterminer. Quand j'étais écolier nous faisions des projets sur le Grand Barrage d'Aswan, qui était considéré une imposante oeuvre humaine dans les années 70. Le construirait-on encore aujourd'hui? Notre perception de l'utilité des barrages a changé, et va ainsi continuer dans le temps. Pensez au Barrage des Trois Gorges en Chine, un projet condamné par pratiquement tout le monde. Je crois qu'il y a quarante ans l'unanimité aurait été bien différente.

La réalité est que notre compréhension de tout dans le monde est conditionnée par l'histoire. Quand j'étais enfant nous nous dirigions tous vers un nouvel Age glaciaire; maintenant que j'ai grandi nous allons dans la direction opposée. Nos principes éthiques, dans la mesure où ils sont abstraits, ne changent pas avec le temps, mais le danger évident est que nos déclarations morales sur quelque chose comme le changement climatique paraîtront insensées ou dépassées après quelques décennies. Ce fut le cas avec l'usure: les condamnations du passé se fondaient sur un modèle fallacieux de compréhension de l'argent. La même chose avec l'esclavage: l'ancienne indulgence s'appuyait sur un modèle très défectueux des droits humains. Dans le cas du changement climatique: comprenons-nous vraiment ce dont nous parlons? Souvenez-vous de l'idée des biocarburants? Les biocarburants étaient censés être une partie de la solution. Aujourd'hui ils sont considérées juste comme une mauvaise idée de plus.

Vue la difficulté sur le sujet, on pourrait penser que je plaide le silence. Bien sûr que parfois le silence est mieux, mais pour l'Eglise se taire complètement sur les questions sociales serait une vraie catastrophe, en plus d'être un manque de responsabilité morale. L'environnement est un "problème" et il faut y faire face. On ne peut pas l'enfermer dans une boite marquée "trop difficile". Mais que pouvons-nous exactement dire, et que devrions nous dire? Voici quelques suggestions.

. Premièrement, en accord avec la tradition, l'Eglise doit rappeler à tous la folie et l'immoralité de la surconsommation. Nos problèmes environnementaux sont aggravés par la sur-alimentation, le sur-chauffage, le sur-refroidissement/climatisation, les voitures qui consomment trop d'essence, le fait de jeter des tonnes de matériel utilisable dont nous ne voulons plus, vêtements, aliments et jouets. Tous non conformes aux idéaux chrétiens traditionnels d'humilité et de frugalité. Les gens doivent arrêter d'exhiber, surtout dans un monde où plusieurs s'en sortent avec si peu (voire avec rien).

. Deuxièmement, le Pape (ou tout autre évêque de l'Eglise) aurait de bonnes raisons de condamner l'inlassable poursuite de la laideur dans le monde moderne, et de promouvoir une esthétique proprement chrétienne et humaine. Une bonne partie du développement moderne est incroyablement hideux, et est une blessure sur la face de la planète. Un genre d'impact environnemental à déplorer, alors que l'impact de quelques grandes constructions humaines dans le passé, mais aussi contemporaines, sont bien le contraire. Nous devons améliorer le monde, pas le ruiner.

. Troisièmement. le Pape devrait assurément féliciter le travail de conservation, qui a sauvé tant de beautés naturelles pour les futures générations, ainsi que tant de joyaux de l'environnement édifié [par l'homme]. On devrait louer le travail de conservation, dans lequel l'Eglise s'est longtemps impliquée avec ses musées, bibliothèques et projets archéologiques, sans pour autant adhérer aux motivations ou croyances de nombreux conservateurs, qui sont une question toute différente. La conservation est un devoir qui vient de Dieu, comme le suggère le livre de la Genèse (voir Genèse 2:15). Le Pape pourrait aussi ajouter qu'il y a plus à faire pour la conservation que des discours. La conservation requiert des actes autant que les paroles, et il nécessitera de vrais sacrifices.
Beaucoup de tout cela a toutefois été affirmé en de nombreux documents de l'Eglise, et n'est en bonne partie que du simple bon sens. Comme le suggèrent les propos de Beisner, il n'y a pas de vraie controverse sur la morale. Avons-nous donc vraiment besoin d'une encyclique sur ce sujet? Une encyclique qui prendrait une forte position sur les causes du changement climatique pourrait être prophétique, mais aussi une loterie ("a hostage to fortune": tributaire du hasard).

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NDT:
(1) Charles Curran: Théologien américain né en 1934.
En 1968, il fait partie des 600 théologiens qui signent une réponse à critique l'encyclique Humanae Vitae.
Curran continuera ses activités de recherche et d'enseignement de l'Église sur divers sujets de mœurs, dont les relations pré-conjugales, la masturbation, l'avortement, le divorce, l'euthanasie et la fécondation in vitro pendant les années 1970 et 1980. Il sera exclu de l'Université catholique d'Amérique en 1986 en raison de ses positions dissidentes ; la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont Joseph Ratzinger est alors le préfet, le déclare « ni apte ni éligible pour enseigner la théologie catholique».

Annexe:
The Observer

Le décret de François sur le changement climatique va susciter la colère des "négationistes" et des églises américaines
www.theguardian.com
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Il a été appelé le «pape surhomme», et il serait difficile de nier que François a eu un bon mois de Décembre. Cité par le président Barack Obama comme un acteur clé dans les relations de dégel entre les Etats-Unis et Cuba , le pontife argentin a continué en sermonnant ses cardinaux sur la nécessité d'assainir la vie politique du Vatican. Mais François peut-il réaliser une prouesse qui a jusqu'ici échappé aux pouvoirs séculiers, et inspirer une action décisive sur le changement climatique?

Il semble qu'il va essayer. En 2015, le pape publiera un long message sur le sujet, adressé à 1,2 milliard de catholiques dans le monde, il adressera un discours à l'assemblée générale des Nations Unies et convoquera un sommet des principales religions du monde.
La raison de cette activité frénétique, dit Mgr Marcelo Sorondo, chancelier de l'Académie pontificale des sciences, au Vatican, est le souhait du pape d'influencer directement le sommet crucial des Nations Unies sur le climat, qui se tiendra à Paris en 2015, quand les pays tenteront de conclure 20 années de difficiles négociations par un engagement universel pour réduire les émissions.
«Nos chercheurs soutiennent l'initiative du pape pour influencer les décisions cruciales de l'année prochaine», a déclaré Sorondo à la Cafod (Catholic Agency For Overseas Development), l'agence de développement catholique, lors d'une réunion à Londres. «L'idée est de convoquer une réunion avec les dirigeants des principales religions, pour rendre tous les gens conscients de l'état de notre climat et de la tragédie de l'exclusion sociale».
Faisant suite à une visite, en mars, à Tacloban, la ville philippine dévastée en 2012 par le typhon Haiyan, le pape va publier une rare encyclique sur le changement climatique et l'écologie humaine. Exhortant tous les catholiques à prendre des mesures pour des raisons morales et scientifiques, le document sera envoyé à 5000 évêques catholiques du monde et 400 mille prêtres, qui le distribueront aux paroissiens (ndt: ah bon? il ne me semble pas que les encycliques de Benoît XVI aient été "distribuées aux paroissiens").
Selon des connaisseurs du Vatican, François rencontrera d'autres chefs religieux et des lobbyistes à l'Assemblée générale à New York en Septembre, quand les pays souscriront aux nouveaux objectifs anti-pauvreté et environnementaux.

Ces derniers mois, le pape a plaidé pour un nouveau système financier et économique radical, pour éviter les inégalités la dévastation écologique. En Octobre, il a dit devant des paysans sans terre d'Amérique latine et d'Asie et d'autres mouvements sociaux: «Un système économique centré sur le dieu de l'argent a besoin de piller la nature pour soutenir le rythme frénétique de la consommation qui lui est inhérent».
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Sorondo, un compatriote argentin réputé proche de François, dit: «Tout comme l'humanité a été confrontée au 19ème siècle à des changements révolutionnaires au moment de l'industrialisation, aujourd'hui, nous avons énormément changé l'environnement naturel. Si les tendances actuelles se poursuivent, le siècle sera témoin d'un changement climatique sans précédent et de la destruction de l'écosystème avec des conséquences tragiques».

Selon Neil Thorns, responsable du lobbying à la CAFOD (head of advocacy): «L'attente autour de la prochaine encyclique de François est sans précédent. Nous avons vu des milliers de nos partisans s'engager pour s'assurer que leurs députés savent que le changement climatique affecte les communautés les plus pauvres».

Cependant, le radicalisme environnemental de François risque d'attirer la résistance des conservateurs du Vatican et de l'aile droite de l'Eglise, en particulier aux Etats-Unis - où les climato-sceptiques catholiques incluent également John Boehner, leader républicain de la Chambre des représentants et Rick Santorum, l'ancien candidat républicain à la présidentielle.

Le Cardinal George Pell, ancien archevêque de Sydney, responsable des finances du Vatican, est un sceptique du changement climatique (1), critiqué pour avoir prétendu que le réchauffement climatique avait cessé, et que si le dioxyde de carbone dans l'atmosphère doublait, les plantes aimeraient cela.

Dan Misleh, directeur de la Convention catholique pour le climat, a déclaré: «Il y aura toujours 5 à 10% des personnes qui le prendront mal. Ils parlent très fort et ont un poids politique. Cette encyclique menacera certaines personnes et apportera de la joie aux autres. Elle concerne l'économie et la science plutôt que la morale.
Une encyclique papale est rare. Elle est parmi les plus hauts niveaux d'autorité d'un pape. Elle aura entre 50 et 60 pages; c'est une grosse affaire. Mais il y a un contingent de catholiques ici qui disent qu'il ne devrait pas s'impliquer dans les questions politiques, que c'est en dehors de son expertise».

François sera également contrecarré par le puissant mouvement évangélique américain, a dit Calvin Beisner, porte-parole de l'Alliance Cornwall (conservatrice) pour la sauvegarde de la création, qui a déclaré le mouvement environnemental américain «non-biblique» et une fausse religion.

«Le pape doit faire marche arrière», a-t-il dit. «L'église catholique est correcte sur les principes éthiques, mais a été induite en erreur sur la science. Il s'ensuit que les politiques que le Vatican préconise sont incorrectes. Notre position reflète les opinions de millions de chrétiens évangéliques aux Etats-Unis».

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NDT:
(1) Le cardinal Pell, climato-sceptique: http://benoit-et-moi.fr/2011-III/0455009f700cc020c/0455009fad0e6c210.html





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