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La vraie racine de l'extrémisme

A propos des attentats de Paris, Vittorio Messori livre son analyse - en réponse à celle d'un éminent Rabbin italien - et l'illustre d'un témoignage saisissant (16/1/2015)

     

La vraie racine de l'extrémisme

14 janvier 2015
Vittorio Messori
Corriere della Sera
14 Janvier 2015
(www.vittoriomessori.it, ma traduction)
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Du rabbin Giuseppe Laras (1) - éminent dans le judaïsme italien non seulement pour sa culture mais aussi pour sa sensibilité religieuse - j'ai toujours apprécié la franchise à exposer ses convictions. Ainsi, dans l'article d'hier sur ce même journal, il n'hésite pas à commencer en affirmant que «nous sommes en guerre, nous commençons tout juste, mais nous ne voulons pas en prendre conscience».

En personne réaliste, je serais enclin à être d'accord avec lui: la troisième guerre mondiale (dite "froide", mais guerre malgré tout) terminée par effondrement et abandon du terrain par l'ennemi, voilà le nouveau Pearl Harbour, un matin du 11 septembre à New York. Voilà, disons-le avec la clarté de Laras, la quatrième Guerre mondiale. L'hypocrisie de l'idéologie aujourd'hui hégémonique, le politiquement correct, a tenté et tente des exorcismes, construisant pour se tranquilliser, un idéal d'«islam modéré», à encourager et à développer, en répétant le mantra du «dialogue». Mais ceux qui connaissent vraiment le Coran, ceux qui connaissent l'histoire, et la société qu'il a façonnée durant un millénaire et demi, savent qu'ils n'ont pas tort ces musulmans que nous appelons «extrémistes» (en utilisant nos catégories occidentales) de crier, kalachnikov à la main qu'un musulman «modéré» est un mauvais musulman. Ou, au moins, est un lâche que Dieu punira. Combien, parmi ceux qui s'en scandalisent, combien ont lu en entier sans censure mentale, le Coran, et peut-être aussi les monumentaux recueils de hadiths, les paroles attribuées au Prophète?

Un ami français, religieux catholique à Jérusalem et bibliste connu, me racontait récemment que, dans leur couvent, servait depuis toujours, comme factotum, un musulman désormais âgé. Honnête, grand travailleur, de toute confiance, il faisait maintenant partie de la famille et une sincère affection réciproque le liait à tous ces religieux. Un vendredi, l'homme revint de la mosquée, l'air effondré. Le Supérieur, en insistant, réussit à le faire parler. Il dit: «Aujourd'hui l'imam qui dirige les prières nous a dit, dans le sermon, que le jour du triomphe d'Allah et de son prophète, dans le jour qui viendra bientôt et où nous libérerons cette ville sainte des juifs et des chrétiens, tous les infidèles qui ne feront pas immédiatement une profession de foi devront être tués. Ainsi le veut le Coran auquel nous devons tous obéir». Une pause, puis: «Mais n'ayez pas de crainte, Père, vous savez que je vous aime, je sais comment faire, si je dois vous supprimer, je trouverai un moyen de ne pas vous faire souffrir».

L'histoire, malheureusement, est authentique. Comme sont authentiques les questions posées, avec courtoisie et en même temps avec rudesse, par Giuseppe Laras et que je crois qu'on peut résumer ainsi: est-il possible, pour le monde islamique, d'accepter cette tolérance, cette distinction entre politique et religion, cette égalité entre les personnes de différentes religions, ce refus - sans exception - de la violence, en somme cette réalité sur laquelle fonder un monde, si possible moins inhumain? Comme on sait, en 1948, les rares pays islamiques déjà indépendants à l'époque qui siégeait à la nouvelle-née Organisation des Nations Unies, refusèrent de signer la Déclaration universelle des droits de l'homme, disant qu'elle ne correspondait pas à leur conception de la personne et de la société. Une société, entre autres choses, où l'esclavage n'était pas officiellement abrogée, où la polygamie avait et a cours, une polygamie dans laquelle la femme est reléguée à un rôle de soumission, où le non-musulman est un citoyen inférieur, soumis à une lourde taxe et à une série codifiée d'humiliations publiques. Sera-t-il jamais possible d'arriver au moins un modus vivendi, ou la confrontation se poursuivra-t-elle et peut-être s'aggraver, parce que les valeurs fondamentales resteront tellement différentes?

Tout est possible, bien sûr, à Dieu, à Yahvé, à Allah, selon les confessions, mais, dans une perspective seulement humaine, l'objectif ne semble pas réalisable. En fait, non seulement l'islam est divisé au point que les massacres entre chiites et sunnites ou entre d'autres communautés en lutte sanglante entre eux sont quotidiens. Mais, surtout, il n'y a pas une autorité supérieure, capable de prendre des décisions contraignantes pour les fidèles, comme le pape pour le catholicisme. Il n'existe même pas de clergé ni de hiérarchies religieuses au sein des communautés. Tout est laissé aux mains d'hommes seuls avec en main seulement un livre immuable depuis 1400 ans. Le califat ottoman, aboli en 1924 par Kemal, était une fiction au service du Sultanat et de toute façon son autorité évanescente n'était pas reconnue au-delà des frontières de l'empire turc. Mais même s'il revenait, que pourrait faire un «pape de la Mecque» qui n'aurait pas la ressource grande, libérante, de Rome: la ressource, en d'autres termes, d'une Ecriture qu'il est possible d'approfondir selon les époques et les situations sans toutefois la nier, flexible sans la trahir , divine mais confiée à la raison des croyants qui doivent avec elle affronter les siècles? Le christianisme, bien avant et bien plus qu'un livre, est une rencontre entre vivants, entre les hommes et le Christ vivant, avec la richesse et la flexibilité qui vient de la vie. Mais ce n'est pas le cas du Coran, c'est plutôt le contraire, avec le texte originel conservé au Ciel à côté d'Allah, éternel, immuable, dicté mot à mot à Mahomet, avec ses sentences à observer toujours et en toutes circonstances, littéralement, avec sa rigidité qui doit défier chaque culture, quel qu'en soit le coût. Est-il possible de tirer de cela un «modérantisme» musulman?

Si c'est le cas, le rabbin Laras ne cache pas une préoccupation: «Il y a une tentation qui peut se profiler, à la fois dans le christianisme et dans la politique européenne: celle de laisser seuls les Juifs et l'Etat d'Israël pour faciliter une politique de paix, culturelle et religieuse, avec le monde musulman». Pour lui, ce serait «une stratégie vouée à l'échec» dont les effets désastreux pour les chrétiens seraient déjà visibles. Il dit, en effet: «Après que presque tous les pays islamiques se soient débarrassés de "leurs" Juifs, il se sont concentrés par les violences et les massacres sur les minorités chrétiennes bien fournies».
Sur cette conviction du Rabbin, on pourrait toutefois ouvrir une discussion (2): la persécution en acte des baptisés a d'après nous, des causes plus complexes de le défoulement sur eux d'une religion violente à la recherche de victimes. Une discussion d'une grande importance, et donc impossible à affronter dans un espace aussi réduit.
Pour l'instant, il suffit de prendre au sérieux l'avertissement de Laras: il y a une guerre et il n'est pas opportun de la masquer derrière les gentillesses occidentales envers les antagonistes et les reproches sévères pour les "prophètes de malheur" qui se limitent à constater une réalité dramatique.

     

NDT

(1) Président du rabbinat du Centre-Nord de l'Italie, déjà rencontré dans ces pages en raison de ses relations pas vraiment lisses avec Benoit XVI (cf. tinyurl.com/lebrw6n). L'article évoqué est ici: www.corriere.it.
(2) Voir (peut-être) une explication des propos sibyllins de Messori ICI. Il s'agit d'un article écrit au lendemain des attentats d'Alexandrie du 1er janvier 2011, qui avait déjà valu à son auteur une volée de bois vert!

(...) jusqu'à une date récente, la cohabitation, cimentée par tant de siècles, n'a jamais été sérieusement mise en discussion. Qu'est-il donc arrivé, depuis quelque temps?
Je pense que le Grand Imam du Caire, Al Tayyeb, n'a pas tort - au moins sur ce point - dans l'interviewe d'hier au Corriere: "L'attentat criminel d'Alexandrie n'est pas une attaque contre les chrétiens, mais contre l'Égypte toute entière".
En effet, tous les gouvernements de toutes les nations musulmanes sont sous le tsunami ayant eu comme détonateur l'intrusion violente du sionisme, qui a été jusqu'à mettre sa capitale à Jérusalem, la ville sainte pour les croyants presque à égalité avec la Mecque.

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