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L'agenda caché

Ce n'est pas celui du Pape, dit Andrea Gagliarducci, mais d'influents personnages (ecclésiastiques?) qui gravitent autour de lui et oeuvrent en coulisses (*)

Selon Andrea Gagliarducci, dont les analyses sont en général très argumentées, mais qui est malgré tout soucieux de dédouaner le Pape, François ne serait pas exactement l'homme autoritaire (généralement décrit par les médias) ou rusé, voire machiavélique (présenté par ses détracteurs), mais un homme sous influence, manipulé par un lobby (pas vraiment identifié, mais qu'on peut deviner), en somme presque un naïf, mené par son tempérament plus que par ses convictions.
Ce n'est pas totalement exclu.
Il pense également que ce lobby a un intérêt spécial à ce que le Pape soit mal interprété.
Cela aussi est possible.
Mais c'est François lui-même qui cultive l'ambiguïté: il lui aurait suffi à un certain moment (maintenant, il est peut-être un peu tard) de quelques mots glissés par exemple à l'issue d'une audience générale du mercredi pour dissiper les soi-disant malentendus qu'il collectionne - sinon affectionne.
En tout cas, le fait même que quelqu'un d'aussi posé et aussi peu hostile a priori au Pape qu'Andrea Gagliarducci se pose des questions (CES questions) prouve qu'il y a effectivement un malaise grandissant, et que l'évoquer ne relève pas forcément de la paranoïa complotiste!

Il y a juste une dernière question: qui veut que François soit mal interprété ? Quels intérêts avancent derrière ce pontificat? Et pourquoi ces intérêts ont-ils apparemment trouvé un terrain fertile dans ce pontificat?

Les Cardinaux qui ont fait du lobbying pour l'élection de François - pour reprendre les mots d'Austen Ivereigh, le «Team Bergoglio» - peuvent peut-être répondre à ces questions. Car à la différence du Pape, ils ont vraiment un agenda pour l'Eglise.

François: Un agenda derrière son dos?

Andrea Gagliarducci
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-an-agenda-behind-his-back
23 février 2015
(ma traduction)
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Y a-t-il un ordre du jour ("agenda") à l'œuvre derrière le dos de François? Tandis qu'il réalise son plan de renouveau pour l'Église, un plan qui est basé sur la purification des cœurs, sur les efforts pastoraux et sur l'évangélisation par l'attraction, de nombreuses personnes essaient d'exploiter sa spontanéité, et aussi sa naïveté, afin de faire progresser leur agenda politique personnel pour l'Eglise. Jusqu'à quel point le Pape a compris les intérêts croisés à l'œuvre derrière son dos, voilà qui est encore à déterminer. Il est probable que la façon dont ses mots ont été si souvent pris hors contexte et mal interprétés peut l'avoir alerté dans une certaine mesure que c'est ce qui se produit.

En fait, ses plus proches collaborateurs ont compris ce risque. Il y a eu une large réaction dans l'Église après que le Pape ait prononcé la fameuse phrase «Ne vous reproduiseez pas comme des lapins» pendant le vol de retour des Philippines. Beaucoup de gens ont écrit au Secrétariat d'Etat pour demander une explication et exprimer leur préoccupation. Ils l'ont fait non pas parce qu'ils avaient mal interprété les paroles de François, mais parce qu'ils craignaient que ses mots pussent être mal interprétées par d'autres.

Il y a tout un monde d'attentes derrière François. C'est comme si l'Eglise de 1968 explosait à nouveau. Avec une différence. L'Eglise en 68 était caractérisée par la publication du controversé catéchisme néerlandais et les dérives théologiques post-Vatican II. Paul VI répondit à cette crise en publiant l'encyclique "Humanae Vitae" et en proclamant l'Année de la Foi qui culmina avec le Credo du peuple de Dieu. Cette fois, François a commencé son pontificat avec l'Année de la Foi et à la fin (??), il fait face aux questions brûlantes typiques de la période post-conciliaire qui sont aujourd'hui à nouveau en vogue.

Et donc des sujets de débat obsolètes sont revenus sur le devant de la scène dans l'Église.
La nécessité pour l'Église d'être moins centralisée constituait l'agenda de nombreux théologiens progressistes après le Concile Vatican II. Des décennies plus tard un dossier avec les réformes nécessaires pour atteindre cet objectif a été compilé par l'«école de Bologne», un groupe de chercheurs qui interprète le Concile Vatican II comme une rupture avec la tradition de l'Eglise, et ce dossier a été envoyé à au moins trois reprises aux Cardinaaux avant qu'ils ne se réunissent pour le conclave qui a élu François (ndt: question TRÈS IMPORTANTE, cela est-il ou non antérieur à la renonciation de Benoît XVI?).

D'autres sujets d'actualité qui peuvent être retracés à partir des débats immédiatement après le Concile Vatican II incluent la nécessité d'une ouverture plus miséricordieuse envers les couples homosexuels et une application plus compassionnelle de la doctrine du mariage.

Ces bonds en avant doctrinaux - et bien d'autres - ont été interrompus par le Bienheureux Paul VI. Saint Jean-Paul II les a bloqués avec l'enthousiasme de quelqu'un qui aimait les enseignements de l'Église, mais qui, en même temps, savait être proche des gens. Benoît XVI a élevé la doctrine à un niveau supérieur, avec l'énergie de quelqu'un qui aime la vérité et pense que la plus grande miséricorde possible est d'équiper les gens avec la vérité.

Trois papes n'étaient pas assez pour mettre en sommeil toute une génération de théologie post-conciliaire, visant à favoriser une Église non-romaine - malgré le fait qu'elle porte le titre d'Eglise catholique, apostolique et romaine.

Au cours du Conclave 2013, les partisans de cet agenda "sixties" nouvelle version se servirent de la critique généralisée de la fonctionnalité de la Curie, et de la pression exercée sur les Cardinaux pour un nécessaire renouveau, comme tremplin pour trouver un candidat en mesure de soutenir leur plan. Jorge Mario Bergoglio fut considéré comme le candidat idéal. L'espace pour une manipulation «en coulisses» s'ouvrit lorsque le nouveau pape exprima son souhait d'aller vers les périphéries et de favoriser la pastorale pour les marginalisés, dont - comme il l'a récemment expliqué aux nouveaux Cardinaux - la crédibilité de l'Eglise dépend.

François est très capable de juger l'humeur de la foule; il sait comment amener l'Eglise proche des gens. Mais il y en a d'autres derrière lui qui ont un agenda fort, et sont parfaitement maître dans l'art de courtiser les médias.

Certains épisodes de ces dernières semaines ont montré combien les attentes entourant François peuvent se retourner contre son pontificat.

Premier épisode.
Soeur Jean Grammick est une religieuse américaine qui, en 1997, a co-fondé New Ways Ministry, un groupe engagé en faveur de l'inclusion des LGBT catholiques dans l'Église. En raison de son engagement, elle a rencontré quelques problèmes avec son ordre religieux, et a ensuite été accueilli par les Sœurs de Lorette, une congrégation avec une forte tradition d'aide au monde de marginalisé. Le Père Robert Nugent, co-fondateur de New Ways Ministry, se retira après que le Vatican aût publié une notification critiquant son travail.

Il y a un an, Soeur Grammick planifia un pèlerinage de 50 homosexuels catholiques à Rome, et Francis Di Bernardo - PDG de New Ways Ministry, qui avait annoncé le pèlerinage en Juillet 2014 - reconnut qu'ils avaient demandé une audience avec François, car «avec ce pape, on ne peut jamais savoir» (voir ICI)

Auparavant, Di Bernardo avait donné une interview à “Ways of Love”, une association qui avait organisé une conférence sur l'inclusion des homosexuels dans l'Église en Octobre dernier à Rome, pendant le Synode sur la famille.

L'audience privée qu'ils avaient réclamée n'a pas été accordée. Et leur groupe n'a pas non plus pu accéder au «baciamano» après l'audience générale pour laquelle ils avaient des billets. Mais Soeur Grammick, qui conduisait les 50 membres du pèlerinage, réussit à obtenir des billets dans le «reparto speciale» (secteur spécial), Place Saint-Pierre. Par conséquent, son groupe était placé non loin des autorités ecclésiastiques, qui avaient les places les plus proches, mais ils n'ont pas eu droit à un traitement VIP. Néanmoins Soeur Grammick a affirmé qu'ils avaient reçu un traitement VIP, que son groupe avait été accueilli avec tous les honneurs au Vatican, et que, alors que ce ne serait jamais arrivé sous les deux papes précédents, c'était possible désormais à cause de l'esprit apporté dans l'Eglise par François.

Dommage que - selon un collaborateur du Bureau de Presse du Saint-Siège - le groupe n'avait pas été admis au «baciamano», qu'ils n'avaient pas eu de billets spéciaux au titre de «New Ways Ministry» mais plutôt comme un groupe de pèlerins américains accompagné par «une sœur de Lorette». Mais, insiste le Bureau de presse, même s'ils s'étaient présentés avec leur vrai nom, on ne leur aurait pas refusé un billet, car les audiences papales sont gratuites et accessibles à tous (ndt: oui, mais pas dans le "carré des VIPé: j'en sais quelque chose!!).

La presse laïque était néanmoins en mesure de déclarer que le pape avait maintenant ouvert les portes aux homosexuels, et que le signe de cette ouverture était clair depuis que le pape avait prononcé le célèbre «Qui suis-je pour juger?» sur le vol de retour de Rio de Janeiro à Rome. Cette déclaration du Pape a même été considérée comme une «déclaration positive» par le Rapport sur le Saint-Siège du Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Le rapport réclamait un changement dans la doctrine de l'Eglise et le droit canon, et il citait les paroles de François comme un signe de bonne volonté de la part du Saint-Siège dans l'amélioration de sa position sur les homosexuels.

Les médias laïques étaient également très excités par la conversation à huis clos que le Pape a eue la semaine dernière avec le clergé de Rome. Cette rencontre se tient traditionnellement après le mercredi des Cendres: le Pape choisit un thème pour une lecture, puis une séance de questions-réponses suit. Cette année, le Pape a parlé de l'art de la prédication, et a demandé - pour la deuxième année consécutive - que la rencontre se tienne à huis clos, afin de permettre une plus grande liberté dans la discussion.

Mais ce manque de transparence a ouvert la voie à la spéculation - comme cela avait déjà été le cas au cours du Synode des Évêques - parce que chaque participant à la réunion se sent libre ensuite de citer le pape de la manière qu'il souhaite. Le fait qu'il n'y ait pas - et qu'il n'y aura pas - de transcription officielle de la conversation publiée par le Bureau de Presse du Saint-Siège implique qu'il est difficile de contredire les rapports des médias, lesquels ont rapporté que le pape avait dit que la question des prêtres mariés était «sur mon agenda».

Est-ce vrai? Pas vraiment, selon des témoins. Voici ce qu'ils rapportent.
Le Père Giovanni Cereti - un prêtre fortement engagé dans un mouvement en faveur du renouveau de l'Eglise - a demandé au pape s'il y aurait une certaine ouverture sur la question des prêtres mariés, et il a cité l'exemple des Églises orientales qui permettent à des hommes mariés d'être ordonnés au sacerdoce. Cereti visait spécifiquement les ex-prêtres auxquels avaient été accordées des dérogations leur permettant de se marier, mais qui voudraient à présent célébrer à nouveau la messe, ce qu'ils ne peuvent plus faire. Le Pape - selon les sources - a dit que la question n'allait pas être enfermée dans un tiroir de bureau, mais qu'elle serait considérée, même s'il est difficile de trouver une solution. Ces mots exprimaient la préoccupation du Pape sur la question, mais de façon très vague. Néanmoins, à partir de ce flou, les médias séculiers ont conclu que le grand François penchait pour la possibilité de prêtres mariés.

La frénésie laïciste à dépeindre un pape qui n'existe se fait sentir, en dépit de la certitude qu'en fin de compte, l'Église est beaucoup plus grande que ce que permettrait n'importe quel programme laïc ou séculariste.

Le Synode des Évêques a été le premier test. Malgré les tentatives fortes pour pousser en avant certaines positions, les évêques eux-mêmes se sont avérés être très conscients des défis actuels ; ils ont défendu la tradition et n'ont pas eu peur de s'exprimer en sa faveur. Ce n'est qu'à la suite d'un "coup de force" qu'il a été possible pour les paragraphes n'ayant pas atteint le consensus du Synode d'être conservés dans le rapport final . Cela s'est produit à la suite de l'intervention de François. Mais qui l'a conseillé?

Le deuxième test a été le récent Consistoire sur la réforme de la Curie.
Comme c'était arrivé en Novembre lors de la réunion avec les chefs des dicastères du Vatican, et malgré le fait que le projet de réforme présenté par Mgr Marcello Semeraro eût ensuite été étayé par un fondement théologique, de nombreux cardinaux, durant le consistoire, ont exprimé leur préoccupation à propos de la façon dont la réforme avait été esquissée. Ils ont accepté ses lignes directrices de base (rationalisation, subsidiarité, un meilleur emploi des fonds), mais aussi insisté sur la nécessité de faire des distinctions claires entre certaines structures de la Curie (la première distinction à faire est celle entre le Saint-Siège et la Cité du Vatican) et de fournir un concept unifié. Cette réaction des Cardinaux prouve que ce qui avait d'abord été désigné par beaucoup comme une «révolution» est devenue désormais encore un autre «renouveau» qui exigera beaucoup plus de temps.

Le troisième test viendra en Octobre lors de la deuxième session du Synode des évêques sur les questions familiales. Les jeux ont déjà commencé. Tandis que le cardinal Lorenzo Baldisseri, Secrétaire Général du Synode des Évêques, prend part à de nombreuses tables rondes et conférences destinées à faire avancer l'ordre du jour du cardinal Kasper, et tandis que le cardinal Kasper est actuellement en train de publier un deuxième livre sur la miséricorde (cf. Il Sismografo) louant la «papauté radicale» de François, les conférences épiscopales du monde entier élisent leurs représentants au Synode.

Les représentants choisis jusqu'à maintenant semblent pencher davantage vers l'aile conservatrice , mais plus tard, François rééquilibrera le tout à travers ses propres nomminations. Qui sait si le cardinal Godfried Daneels, primat émérite de Belgique, sera choisi une fois de plus en tant que délégué du pape?

Daneels est un champion du progressisme, et il a déjà dit son inquiètude que les réformes de la Curie soient au point mort, mais il a aussi dit qu'il est confiant que les nécessaires pas en avant seront faits. Et le changement de perspective comprendra le Synode des Évêques, étape par étape.

Toutes ces déclarations montrent une certaine nervosité, combinée avec l'idée que le pape a été mal interprété.
Il semble que François soit animé principalement par une sorte particulière de comportement, plutôt que par un agenda déterminé, et que ce comportement est ce qui se cache derrière ses mots, derrière ses gestes parfois controversés (comme la récente rencontre avec un transsexuel et son "fiancé", ou la conversation avec le leader de la presse laïque, Eugenio Scalfari).
Il semble également que ses choix pour le gouvernement de l'Eglise sont principalement destinés à suivre le mandat qu'il estime avoir reçu des Cardinaux avant son élection. C'est probablement la raison pour laquelle ses positions semblent fluctuer, d'un énoncé à une autre, entre hyper-conservatisme et hyper-progressisme, dévotion, mais en même temps négligence envers la tradition de l'Église.

Il y a juste une dernière question: qui veut que François soit mal interprété ? Quels intérêts avancent derrière ce pontificat? Et pourquoi ces intérêts ont-ils apparemment trouvé un terrain fertile dans ce pontificat?

Les Cardinaux qui ont fait du lobbying pour l'élection de François - pour reprendre les mots d'Austen Ivereigh, le «Team Bergoglio» - peuvent peut-être répondre à ces questions. Car à la différence du Pape (???), ils ont vraiment un agenda pour l'Eglise.

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(*) The hidden agenda, c'est le titre que j'avais donné à un dossier dans ces pages dès le mois de mai 2013, essayant de décrypter la personnalité et les projetsdu Pape à travers ses premiers gestes et les premières réactions qu'il avait suscitées... (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/the-hidden-agenda)

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