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Messe du jeudi Saint en prison...

et lavement des pieds. Reprise d'un article du Père Scalese d'il y a deux ans, qui reste en plein d'actualité aujourd'hui.

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Une réflexion du Père Scalese, datant du 24 mars 2013, onze jours après l'élection de François...

Du VIS

Cité du Vatican, 11 mars 2015 (VIS).
Le 2 avril le Saint-Père se rendra à la prison romaine de Rebibbia. Il y célébrera à 17 h 30' la messe du Jeudi Saint pour les détenus, lavant les pieds à certains d'entre-eux, hommes et femmes.

Relativisme dans l'Eglise?

Père Scalese
querculanus.blogspot.fr/2013/03/relativismo-nella-chiesa.html
(ma traduction)
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Jusqu'à il y a quelques années je m'occupais, de façon plus ou moins directe, de formation au sein de ma communauté religieuse.
Ce que j'ai souvent déploré, c'est la «multiplicité des formations»: pratiquement, il y avait autant de façons de former que de formateurs. Bien qu'il y eût les Constitutions, l'instruction Ratio institutionis , les résolutions des Chapitres Généraux, les traditions nationales, en fait, chaque novice ou étudiant était formé selon les goûts personnels du Père Maître qu'il venait à avoir. Avec quelles conséquences sur l'unité de la Congrégation, je vous laisse l'imaginer. Dans toutes les réunions des formateurs, et dans les chapitres, j'ai toujours insisté sur la nécessité de l'unité de formation et, je dois l'avouer, des résolutions à cet effet ont également été approuvées, mais j'ai l'impression que, malgré les résolutions, la situation est restée presque inchangée.

Eh bien, ce que je déplorais concernant la formation dans mon Ordre, constitue en réalité un problème général qui touche tous les domaines, diffus dans toute l'Eglise, surtout après le Concile Vatican II, avec lequel chacun s'est senti le droit d'en faire à sa propre tête. Ne vous méprenez pas, je ne critique pas le Concile: j'accepte avec conviction toutes les réformes promues par lui, et réalisées par la suite; ce sont des réformes qui avaient été rendues nécessaires par l'évolution des temps. Dans les années après le Concile, les Papes et les dicastères de la Curie romaine ont fait un énorme effort pour se mettre à jour dans tous les domaines, laissant parfois aussi la place à la possibilité d'une nouvelle adaptation aux situations locales, mais toujours dans les limites fixées par la nouvelle réglementation. Le problème est que souvent, ces règlements ont été complètement ignorés par la «base», laquelle croyait qu'en réalité, avec le Concile, on avait fait table rase de tout légalisme et que le seul critère de l'action était désormais l'attention au souffle de l'Esprit, coïncidant le plus souvent - comme par hasard - avec ses goûts personnels.

Pourquoi, direz-vous, cette longue introduction? Où veut en revenir le Père Scalese?
C'est la réflexion qui m'est venue à l'esprit quand, l'autre jour, j'ai lu une nouvelle qui m'a laissé quelque peu perplexe: le Pape, le Jeudi Saint, célébrera la messe in Cena Domini dans la prison pour mineurs de Casal del Marmo.
Eh bien, quel est le problème? N'est-ce pas un très beau geste que celui décidé par le pape Bergoglio? «Visiter les prisonniers», n'est-ce pas l'une des œuvres de miséricorde corporelle? Le pape ne peut-il pas choisir librement l'endroit où célébrer la messe du Jeudi Saint?

Je voudrais commencer par répondre à la dernière question, parce que je crois que de la réponse correcte dépend tout le reste. Il est vrai que le pape peut décider ce qu'il veut: il est le législateur suprême. Mais il peut décider, justement, en légiférant. S'il y a une loi qui ne lui plaît pas, il peut la changer; mais s'il ne change pas une loi existante faite par lui ou un de ses prédécesseurs, il ne semble pas opportun qu'il ne l'applique pas. Je ne suis pas un spécialiste du droit canon, mais je ne pense pas que le Pape puisse appliquer le principe “Princeps legibus solutus” (Le prince est delié des lois, cf. fr.wikipedia.org/wiki/Ulpien ): ce ne serait pas très juste pour ceux qui sont tenus de respecter ces lois. Ceci, comme un principe général.

Dans le cas présent, il ne s'agit pas exactement de lois, mais d'indications pastorales qui cependant, ont, à mon avis, une valeur plutôt contraignante. Il y a une trentaine d'années a été publiée l'instruction Caeremoniale Episcoporum (Cérémonial des évêques), dont je ne pense pas qu'elle était destinée uniquement aux cérémoniaires des cathédrales, mais tout d'abord aux évêques eux-mêmes. Je fais remarquer que je ne fais pas allusion au Cérémonial de 1600, mais à celui de 1984, “ex decreto Sacrosancti Œcumenici Concilii Vaticani II instauratum, auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatum”.
Eh bien, que nous dit ce Cérémonial à propos des rites du Triduum pascal?

«Compte tenu de la dignité particulière de ces jours et de la grande importance spirituelle et pastorale de ces célébrations dans la vie de l'Eglise, il est hautement souhaitable que l'évêque préside dans sa cathédrale la messe de la Cène du Seigneur, l'action liturgique du Vendredi Saint «dans la Passion du Seigneur», et la veillée pascale, surtout si on doit y célébrer les sacrements de l'initiation chrétienne» (n. 296).

Et plus particulièrement sur le Jeudi Saint, le Cérémonial poursuit:

«L'évêque, même s'il a déjà célébré le matin la messe chrismale, aura aussi à cœur de célébrer la Messe de la Cène du Seigneur avec la pleine participation des prêtres, des diacres, ministres et fidèles autour de lui» (n. 298) .

Il ne s'agit pas de règles impératives, mais d'indications malgré tout pressantes, dont on ne pourrait selon moi s'écarter que pour des raisons très graves.
Mais, selon ce qui a été signalé, Papa Francesco ne fait rien d'autre que continuer une habitude qu'il avait quand il était archevêque de Buenos Aires (ce qui laisse présumer qu'il a l'intention de répéter ce geste chaque année). Il est clair que le problème n'émerge pas seulement maintenant que Bergoglio est devenu pape, mais existait déjà quand il était archevêque. Je peux imaginer le raisonnement qu'il aura fait: «J'ai déjà célébré ce matin la messe chrismale avec tous mon clergé; ce soir, la messe de la Cène sera célébrée dans les paroisses; avec qui vais-je célébrer dans la cathédrale? Peut-être n'y aura-t-il même pas les séminaristes parce qu'ils auront été envoyés pour aider dans leurs paroisses respectives. Donc, je vais célébrer la messe pour les prisonniers (ou les malades ou les personnes âgées), et je ferai donc également une œuvre de miséricorde».
Un raisonnement tout à fait compréhensible, et même louable, mais qui est susceptible de «démystifier» tout d'un coup ce que le Concile avait affirmé avec autorité:

«L'évêque doit être considéré comme le grand prêtre de son troupeau; de lui dérive et dépend en quelque sorte la vie des fidèles dans le Christ. Par conséquent, tous doivent accorder plus d'importance à la vie liturgique du diocèse qui se déroule autour de l'évêque, surtout dans l'église cathédrale, convaincus qu'il y a une manifestation spéciale de l'Eglise dans la participation pleine et active de tout le peuple saint de Dieu aux mêmes célébrations liturgiques, surtout à la même Eucharistie, à la même prière, au même autel, auquel préside l'évêque entouré de ses prêtres et de ses ministres » (Sacrosanctum Concilium , n. 41).

Un texte tiré du Cérémonial, qui ajoute:

«Ainsi, les célébrations sacrées présidée par l'évêque, manifestent le mystère de l'Eglise auquel est présent le Christ; par conséquent, elles ne sont pas un simple appareil de cérémonies ... En certaines périodes et dans les jours les plus importants de l'année liturgique, est attendue cette pleine manifestation de l'Église particulière, à laquelle est invité le peuple des différentes parties du diocèse et, autant que possible, les prêtres» (n ° 12-13).

«L'événement principal de l'Eglise locale, c'est quand l'évêque, comme le grand prêtre de son troupeau, célébre l'Eucharistie, en particulier dans la Cathédrale, entouré de ses prêtres et de ses ministres, avec la participation pleine et active de tout le saint peuple de Dieu - Cette messe, appelé "stationnale", manifeste l'unité de l'Eglise locale et la diversité des ministères autour de l'évêque et de l'Eucharistie. - Donc, à elle, doivent être convoqués le plus possible de fidèles, les prêtres doivent concélébrer avec l'évêque, les diacres prêter leurs services, les acolytes et les lecteurs exercer leurs fonctions » (n. 119).

« Cette forme de Messe sera observée surtout dans les grandes solennités de l'année liturgique, quand l'évêque prépare le saint chrême et dans la Messe du soir de la Cène du Seigneur, dans les célébration du saint fondateur de l'Église locale ou du patron du diocèse, à l'occasion de l'anniversaire de l'ordination de l'évêque, dans les grandes assemblées du peuple chrétien, lors de la visite pastorale» (n. 120).

Dans le communiqué qui nous informe de la décision du pape François, il est ajouté: «Comme on le sait, la Messe de la Cène du Seigneur est caractérisé par l'annonce du commandement de l'amour et le geste du lavement des pieds» (21 Mars 2013).
Dans ce cas encore, le Cérémonial des Évêques est plus complet et précis:

«Ainsi, avec cette messe, on fait mémoire de l'institution de l'Eucharistie, ou mémoire de la Pâque du Seigneur, par laquelle il est toujours présent parmi nous, sous les signes du Sacrement, le sacrifice de la nouvelle alliance; on fait également mémoire de l'institution du Sacerdoce, par lequel se rendent présents dans le monde entier la mission et le sacrifice du Christ; et finalement on fait mémoire de l'amour avec lequel le Seigneur nous a aimés jusqu'à la mort. L'évêque se préoccupera de proposer correctement toutes ces vérités aux fidèles par le ministère de la parole, de sorte qu'ils puissent pénétrer plus profondément par leur piété dans ces mystères si grands, et puissent les vivre plus intensèment dans la vie concrète»(n. 297).
Le lavement des pieds est certainement un moment important dans la célébration du Jeudi saint, mais ce serait une erreur de le considérer comme l'élément essentiel. Tant et si bien que ce n'est pas un rite obligatoire: il est accompli uniquement « lorsque des raisons pastorales le recommandent» (n. 301). Malheureusement, ces dernières années, dans de nombreux endroits, il était chargé de significations qui allaient au-delà de sa valeur d'origine.

Certains diront que je fais d'une souris une montagne; certains m'accuseront de pinaillage, ou même de rubricisme (ndt: attachement excessif aux règlements, très dans le collimateur de François) ou de légalisme; certains convoqueront également les Pharisiens qui accusaient Jésus de ne pas respecter la loi quand il guérissait le jour du sabbat; certains diront que je veux apprendre son métier au Pape. Que chacun dise ce que bon lui semble.
Mais personne ne peut m'empêcher de penser que certaines décisions, apparemment inoffensives, pourraient avoir des conséquences dévastatrices:

a) Tout d'abord, en n'observant pas les règles existantes, y compris celles qui peuvent sembler mineures, on risque de remettre en cause certaines valeurs fondamentales, que le Concile a remises en lumière et dont il a voulu qu'elles deviennent patrimoine commun de l'Eglise;
b) En second lieu, cela pourrait accréditer l'idée que les règles sont là, oui, mais que ce n'est pas si important de les respecter: si le pape considère qu'il est possible de les négliger, cela signifie qu'elles ne sont pas si importantes que cela; et s'il le fait, lui, pourquoi ne pourrais-je pas faire la même chose?;
c) En outre, on pourrait donner l'impression qu'il n'y a pas de norme objective et stable, valable pour tous et pour toujours, mais que tout dépend uniquement de la discrétion du responsable du moment;
d) Enfin, il y a le risque que le relativisme, si contrecarré en paroles dans la société, ne devienne de fait la loi suprême même au sein de l'Église.

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