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Pie XII ne fut pas un "Schindler"

Une interview de Vittorio Messori dans la Bussola, à l'occasion de la sortie en Italie d'un film "réhabilitant" Pie XII, ("Sfumature di verità" - Nuances de vérités). En ravivant les polémiques.

>>> Cf. Un film pour "réhabiliter" Pie XII

J'ai traduit cet article parce que j'en ai particulièrement aimé le dernier paragraphe, étant moi aussi convaincue que Pïe XII est un saint, même si l'Eglise lui a refusé jusqu'à présent les honneurs des autels (malgré les efforts de Benoît XVI, qui - ce n'est pas un hasard - est associé à son prédécesseur dans la même haine, issue des mêmes milieux), mais également pour des raisons personnelles spéciales à ce moment.
Mais je ne peux m'empêcher de trouver forcée la comparaison établie par Messori avec Jean XXIII, s'agissant du communisme... et surtout avec François, s'agissant de l'islam(isme).
A sa décharge, le pauvre Vittorio Messori a été dans l'oeil du cyclone, ou plutôt des "fans de Bergoglio" pour avoir osé formuler sa perplexité dans son fameux éditorial du Corriere, le 24 décembre 2014, il n'a donc pas intérêt à aggraver son cas, et je le comprends.

Messori: Pie XII ne fut pas un "Schindler", c'est un Saint

Stefano Magni
3 mars 2015
www.lanuovabq.it
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Pie XII, un «Schindler au Vatican»? La sortie du nouveau film-enquête "Sfumature di Verità", entièrement construit autour du rôle du pape Pacelli dans le sauvetage de 800 mille juifs de l'extermination nazie, a ravivé une vieille controverse historique, jamais apaisée. Dans l'affiche, Pie XII est représenté avec l'étoile jaune (celle des déportés juifs) sur la poitrine. Interviewé par le Corriere della sera, Marcello Pezzetti, directeur scientifique de la Fondation du Musée de la Shoah, réagit mal à la thèse du film: «Mais comment peut-on soutenir que Pie XII a sauvé 800 mille juifs? Ce n'est même pas une interprétation, c'est tout simplement une thèse idéologique, c'est tout autre chose. En somme, ce n'est même pas scandaleux. C'est hors de propos».
Dans ses paroles résonne l'écho du stéréotype sur le «pape de Hitler» qui «n'a pas condamné le nazisme» et gardé le silence face à l'Holocauste.
La thèse de Pezzetti et de nombreux autres historiens progressistes, est toutefois contrée par celle d'un autre historien et diplomate israélien, rapportée dans le même article du Corriere, Pinchas Lapide: il a été le premier à calculer l'estimation des juifs sauvés par l'Eglise au cours de la Seconde Guerre mondiale .

Sur ce débat «toujours vert», la Nuova Bussola a interviewé l'historien Vittorio Messori, qui se dit immédiatement: «las, plus qu'irrité. Il y a de quoi bâiller, plus que s'indigner. Les choses que je vais maintenant vous dire, je les ai déjà dites et répétées depuis une trentaine d'années. Et déjà dans les années 80, elles étaient vieilles et rancies. Parce que désormais tout est clair, je ne sais pas qui et pourquoi peut continuer à renouveler certaines accusations contre Pie XII. Qui d'ailleurs sont des accusations récentes».

* * *

- Comment est né le stéréotype du «pape d'Hitler»?

- Jusqu'à ce que sorte la pièce de théâtre "Le Vicaire" en 1963, l'admiration et la gratitude du monde juif envers Pie XII étaient unanimes. Ce fut donc une campagne de dénigrement créée "autour d'une table". Et il est désormais évident que "le Vicaire" a été financé par les services secrets de l'Union soviétique, dans le cadre de sa lutte anticléricale. Parmi les documents que je conserve, j'ai le manifeste qui a été publié en mai 1945 par les Juifs de Turin, qui venaient de sortir de la clandestinité. Ils remerciaient de tout coeur l'archevêque Fossati et l'ensemble du monde catholique. Si l'un de nous a été sauvé, il le doit à l'intervention charitable de l'Eglise: c'était le message que la communauté juive exprimait. Et partout, pas seulement à Turin, on retrouve ce sentiment de gratitude des Juifs envers l'Eglise. Au monastère des Trois Fontaines (Tre Fontane) à Rome, sur un mur, on peut voir une plaque gravée par une famille de juifs romains qui remerciait les moines trappistes de les avoir sauvés de l'extermination. Quand Pie XII mourut, toutes les communautés juives au monde, et les autorités d'Israël honorèrent la mémoire de ce grand pontife. Le Vatican fut inondé de messages de condoléances en provenance de tout le judaïsme mondial.
Pie XII devint une «bête noire» à l'improviste, comme si on avait découvert quelque secret sur lui. Et il est possible de dater le moment où se produisit ce retournement. Et c'est pourquoi il ne peut s'agir d'un changement d'opinion qui puisse être pris au sérieux.

- Une autre polémique concerne le «silence» du pape Pacelli sur le régime nazi ...

- Il été démontré à maintes reprises que le présumé silence de Pie XII était la seule façon de ne pas aggraver le drame. On a mille fois rappelé l'exemple néerlandais: la Conférence épiscopale a envoyé une lettre aux catholiques, condamnant la déportation des Juifs. Le lendemain, même les Juifs qui s'étaient convertis au catholicisme, qui jusque-là avait été épargnés, furent rassemblés et envoyés dans des camps de concentration. La sortie des évêques hollandais, certainement courageuse, mais inopportune dans son timing, a causé la mort de milliers d'autres Juifs, déjà baptisés, qui auraient pu éviter la déportation.

- Et aussi de Berlin, l'évêque Von Preysing envoya dix lettres au pape Pacelli, en six mois de 1943, au point culminant des déportations, lui demandant d'intervenir contre la persécution. Le Pape ne répondit pas. Comment cela s'explique-t-il?

- L'attitude de Pie XII fut semblable à celle de Jean XXIII et à celle du Pape actuel, François (???). Jean XXIII, parce qu'il jugeait que le Concile Vatican II, qu'il venait de convoquer, était oecuménique, transigea avec les Soviétiques. Ce qu'il restait de l'Eglise orthodoxe russe, était alors tout juste un fantôme. Il suffit de penser qu'en une nuit, 20 mille popes avaient été noyés: ceux qui avaient survécu étaient des officiers du KGB déguisés en archimandrites et évêques locaux. Le Pape Roncalli, malgré tout, fit un pacte justement avec ces services secrets soviétiques, au nom de l'œcuménisme. Ce n'est pas une thèse de complotiste, c'est désormais établi, étayé par des documents émergés des archives après la fin de l'URSS. Les termes étaient clairs: les évêques Soviétiques assisteraient au Concile, mais au cours de celui-ci, non seulement on ne condamnerait pas, mais on ne mentionnerait même pas le communisme. Le résultat fut celui-ci: dans tous les documents de Vatican II, le communisme n'est jamais mentionné, pas une seule fois. Pourquoi cela? Pour la même raison pour laquelle Pie XII a maintenu une attitude réservée sur le nazisme (ndt: c'est peut-être passer sous silence le fait qu'au moment de Vatican II le ver était déjà dans le fruit, càd qu'une partie de l'Eglise était acquise aux idées communistes) (*). En cas de condamnation, la tragédie aurait été encore pire, pour les croyants sous la botte du régime. Le pape actuel, François, est accusé par beaucoup d'être tout aussi timoré dans ses déclarations sur les atrocités de l'islamisme. Le Pape Bergoglio fait le même raisonnement que Roncalli et Pacelli (ndt: cette fois, il s'agit d'une pure hypothèse: contrairement aux faits qui viennent d'être mentionnés, il n'y a évidemment à ce jour aucun document qui l'atteste): toute condamnation explicite de la barbarie islamiste, se traduirait par beaucoup de vengeances et de souffrances en plus pour les chrétiens locaux. Pie XII a fait le bon choix et le cas néerlandais est là pour le prouver: une condamnation explicite aurait encore aggravé la situation des croyants. Que restait-il à faire? Faire comme si de rien n'était au niveau de la théorie, mais se mettre au travail sur un plan pratique. Et en fait, tous les sites religieux à Rome (et pas seulement à Rome) étaient remplis de Juifs. C'est la stratégie de quelqu'un qui est réaliste, qui ne veut pas s'ériger en héros en mettant en danger la vie des autres.

- L'historien et ambassadeur israélien Sergio Minerbi, tout en ne niant pas le sauvetage de nombreux Juifs par les catholiques, estime cependant qu'il n'y a aucune preuve que l'ordre de les sauver est parti de Pie XII. Le pape est-il intervenu en personne?

- Dans l'Eglise monolithique des années 40 (et nous n'avons aucune idée aujourd'hui à quel point elle l'était) où les évêques ne faisaient rien sans l'impulsion, l'assentiment ou au moins le consentement tacite du Pape, il est impensable qu'une gigantesque opération de sauvetage, dans toute l'Europe, ait eu lieu sans que le Vatican n'en sache rien. Un évêque n'aurait jamais pensé à cacher des milliers de Juifs dans son propre diocèse, sans d'abord avertir Rome, ou au moins sans savoir avec certitude qu'il avait l'approbation tacite du pape. Ce serait absurde. Seuls ceux qui ne connaissent pas l'Eglise de Pacelli peuvent penser que le pape n'avait rien à voir avec le sauvetage de près d'un million de Juifs à travers le continent. Quant à l'absence de preuves: en temps de crise, l'Eglise revient à la tradition orale, rien d'écrit, tout est communiqué verbalement. Et puis, pour des raisons chronologiques, la plupart des documents de l'époque de la Seconde Guerre mondiale ne peuventt pas encore être consultés. Il n'est pas exclu que l'on puisse même trouver un ordre écrit de Pie XII. Toutefois, il s'agit d'un ordre qui, presque certainement, n'a jamais été mis par écrit, mais transmis oralement. Exactement pour la même raison pour laquelle je ne crois pas qu'en ce moment, le pape Bergoglio envoie une circulaire aux évêques les appelant à être tendre avec l'islamisme (???).

- Marcello Pezzetti, dans le Corriere della Sera, parle à nouveau du «Pape pré-conciliaire» et donc «ayant vécu dans l'époque des accusations contre les perfides Juifs». Encore ce préjugé sur le catholicisme comme «précurseur» de l'extermination nazie?

- Ici aussi, il a été précisé à de multiples reprises, au cours du dernier demi-siècle, que l'anti-judaïsme chrétien (et pas seulement catholique, Luther et Calvin aussi étaient très durs) n'a rien à voir avec l'antisémitisme moderne. Le terme «anti-sémitisme» lui-même a ses origines à la fin du XIXe siècle. Il a été inventé par des Lombroso (Cesare Lombroso, professeur italien de médecine légale 1835-1909, auteur d'un essai « L'antisémitisme et la science moderne ») et la science positiviste: comme juif, vous êtes marqué dans la chair, quoi que vous fassiez ou pensiez, dans un système de pensée où l'humanité est divisée en races supérieures et inférieures. L'anti-judaïsme chrétien est uniquement religieux. Le Juif qui se convertissait, non seulement était accueilli à bras ouverts, mais il était traité comme un Benjamin, comme celui qui reconnaissait que le Messie était venu. Même les persécutions anti-juives ont toujours été faites pour des raisons religieuses, pas raciales. L'antisémitisme nazi, au contraire, vient d'une science anti-chrétienne, elle est du pur racisme, fruit du XIXe siècle positiviste. Sous le nazisme, aucune «conversion» n'était possible, un Juif aurait même pu demander sa carte du parti et participer dûment à tous les rassemblements, il n'aurait pas été épargné pour autant.

- Une encyclique contre le nazisme était-elle prête?

- Cela aussi est un fantasme de l'histoire. La seule encyclique en allemand, Mit brennender Sorge («avec une profonde préoccupation») de Pie XI en 1937, n'était pas une apologie du nazisme. Le Reich, en effet, empêcha strictement sa diffusion et fit saisir toutes les copies. Quand Hitler se rendit en visite à Rome, le Pape se transféra à Castel Gandolfo, anticipant son séjour d'été de deux mois. Hitler était très désireux de visiter les Musées du Vatican, en peintre raté qu'il était. Mais le pape, en plus de s'en aller à Castel Gandolfo, fit fermer les musées avec le prétexte officiel de «travaux en cours», la veille de l'arrivée de Hitler. Au lieu de prêcher contre lui de la place Saint-Pierre, il choisit de ne pas le recevoir.

- Aujourd'hui on qualifie Pie XII de «Schindler au Vatican». Vous êtes d'accord?

- Non, parce que Schindler n'était pas un héros sans tache, comme on le rappelle aujourd'hui. Je renoncerai à cette comparaison. Je lui fais peu confiance. Chaque soir avant d'aller dormir, je dialogue avec certains saints que je sens plus proches. Pie XII n'en est jamais absent, et une demande d'intercession de sa part. Parce que non seulement je suis convaincu qu'il est au Ciel, mais aussi dans une position éminente. Personnellement, je suis un grand dévot de Pie XII, comme s'il était déjà Saint. Par ailleurs, il partage le sort d'un autre Pie, un autre grand diffamé: Pie IX. Jusqu'à récemment, la béatification de Pie IX semblait impossible, mais nous y sommes arrivés. Le jour de la béatification puis de la canonisation du pape Pacelli viendra également.

Note

(*) Anna me rappelle que c'est le sujet du livre de Jean Madiran "L'accord de Metz" - accord entre le Vatican et l'URSS, pour permettre à quelques évêques de participer à Vatican II en échange du silence du Vatican sur tous les crimes communistes.
Voir aussi:
¤ benoit-et-moi.fr/2012%28III%29/articles/la-faute-de-vatican-ii
¤ leblogdumesnil.unblog.fr/2011/10/11/2011-78-jean-madiran-a-presente-a-rome-son-livre-sur-laccord-de-metz/

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