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Pie XII vu de près

Extrait, transcrit par Anna des mémoires du cardinal Joseph-Marie Martin (1908-1992) (*), "Mes six Papes"

>>> Dossier Pie XII

>>> "Mes six papes - Souvenirs romains du cardinal Jacques Martin" (Mame, 1995) (**)

Chapitre 2. PIE XII VU DE PRÈS

Après Pie XI, Pie XII. Ce chapitre, comme quelques-uns des suivants, sera composé de citations. Dans celui-ci je transcrirai les passages qui concernent Pie XII dans un journal que je tenais au cours des années et où j'écrivais les commentaires que m'inspiraient les événements. Il m'a semblé que le regroupement de ces quelques "flashs" étalés sur les dix-neuf ans de pontificat de Pie XII (1939-1958) pourrait être la meilleure façon d'évoquer la figure de ce pape "vu de près" et en compléter la physionomie pour ceux qui l'ont connu de moins près.

Du Cardinal Pacelli à Pie XII

Mars 1939 - "Quel beau Pape ce sera!" La prédiction [de Pie XI] s'est vérifiée. Peut-être les missions pontificales confiées au secrétaire d'Etat dans tous les points du globe étaient-elles la préparation de l'élection du 2 mars 1939. Jour de triomphe! "Pour nous jour d'angoisse!" confiait le cardinal Pacelli devenu Pie XII à plusieurs de ceux qui l'approchèrent au lendemain de son élection.

Octobre 1939 - Parmi mes plus chers souvenirs de cette époque (1936-1939) sont les entrevues avec le cardinal Pacelli. J'ai pu voir de près son âme angélique se trahir dans la ferveur de sa prière: l'Angélus dit seul avec lui, un dimanche, dans son bureau, l'immobilité de tout son être devant le Saint-Sacrement pendant les offices et les processions… Un jour que j'attendais dans son antichambre en récitant mon bréviaire, il n'a pas voulu m'interrompre, m'a fait entrer et continuer, et a attendu que j'eusse fini pour me parler des affaires pour lesquelles il m'avait convoqué. Je n'avais pas quatre ans de sacerdoce… et il était cardinal! Presque chaque fois il me demandait mon avis, avec l'humilité des saints: comme si ç'eût été à moi de l'éclairer ou de le critiquer!
La tiare ne l'a pas changé. Il m'a fait appeler, à quelques jours de son élection, et après que je lui eus donné mon avis sur le français d'un document: "Et comme conception, cela va bien aussi? a-t-il ajouté (E comme concetto va bene pure?)" Cette humilité vraie et profonde se trahissait à chaque instant, soit qu'il confiât l'émotion intense qu'il avait ressentie en montant dans la chaire de Notre-Dame de Paris, soit qu'il parlât du pape (étant encore cardinal) ou de l'Église: "Je peux me tromper. Je me suis trompé? Je me suis trompé. Mais le Pape!" (Io posso sbagliare. Ho sbagliato? Ho sbagliato. Ma il Papa!). Aussi que de minutieuses révisions avant d'apposer au bas d'une lettre, si insignifiante fût-elle, une signature qui engageait la responsabilité du pape. Quelle minutie à corriger les phrases où tel ou tel mot pouvait être mal interprété ou risquer de froisser quelqu'un! Que de vérifications dans les dictionnaires, dont il avait une collection. "Que ferais-je, disait-il, sans les dictionnaires! (Senza vocabolarî, comme faccio?)"

Pendant la guerre de 1940. Les persécutions en Allemagne et le silence reproché à Pie XII

Août 1941 - Du père Leiber, s.j., confident du pape. Persécutions en Allemagne: les bénédictins sont chassés de partout, sauf Marialaach et Beuron: les instituts missionnaires n'ont plus une seule maison; les jésuites en ont encore quelques-unes, notamment celle de Francfort. Le silence du pape, dit le Père Leiber, ne pourra pas durer toujours. Mais ce sont les évêques polonais eux-mêmes, les plus persécutés, qui le supplient de se taire, pour éviter des représailles qui rendraient leur condition encore plus affreuse. D'où la phrase du Saint Père dans son message du 29 juin sur les "indicibles persécutions que la sollicitude envers ceux qui souffrent ne permet pas de révéler dans tous leurs douloureux et émouvants détails".
Vers la même époque, Monseigneur Tardini me dit: "Le Pape parle, il ne crie pas" (Il Papa parla, non grida). Rien ne serait plus facile qu'une protestation à grand effet. Le moment n'est pas venu. C'est au Pape de juger quand elle sera le plus utile. Avant tout il doit réaliser le Pasce oves meas (Pais mes brebis): garder le contact avec les évêques d'Allemagne, avec les évêques de Pologne, les soutenir, les encourager, sans quoi même les plus virils finiraient par se laisser abattre. Monseigneur Gall est mort avec un autographe du Pape entre les mains. Pratiquement on arrive à faire passer tout ce qu'on veut, en utilisant tantôt l'un tantôt l'autre. Tout cela disparaîtrait le jour où le pape parlerait trop haut.
6 octobre 1941 - Le Pape a dit hier soir à Monseigneur Montini: "Si l'Axe gagne cette guerre, c'en est fait du christianisme en Europe!"

Noël 1941 - Discours du Pape, qui dit cette fois clairement que malgré son souci d'éviter jusqu'à l'apparence de l'esprit de parti, il est obligé, au nom de la vérité, de dire un mot sur la persécution religieuse de plus en plus violente "en certaines régions", pour empêcher aussi que son silence ne soit une cause d'égarement pour les consciences des fidèles (…). Le Père Leiber, rencontré hier, m'a avoué qu'il n'espérait même pas que le Pape en dirait si long. Il ne doute pas que l'effet en Angleterre et en Amérique ne soit excellent. Il m'a dit qu'on évalue à quatre mille les prêtres détenus dans les camps de concentration en Allemagne et dans les pays annexés actuellement.

Février 1942 - Le Pape a reçu de source sûre des détails effrayants sur le traitement infligé par l'armée allemande aux prisonniers russes. Il a dit à l'un de ses familiers: "Si nous avions su tous ces détails à Noël, nous aurions parlé plus fort dans notre message à la radio."

Mai 1942 - Jubilé épiscopal du Saint-Père. Son discours a été retransmis par les radios nationales de bien des pays mais pas par l'Allemagne ni par l'Italie. "Voilà leur cadeau pour mon jubilé! (Ecco il loro regalo per il mio giubileo)", a dit le Pape à un de ses familiers, Monseigneur Rossignani.
Cela a provoqué quelques trop rares mais bienfaisantes réactions. Le cardinal Piazza, patriarche de Venise, prenant la parole à Saint Marc, a dit entre autres"

Nous protestons contre le fait qu'on empêche la voix du Père d'arriver jusqu'à ses fils. Nos paroles, nous le savons, ne seront pas agréables aux Autorités - qui sont absentes ici - mais l'heure est venue de parler clairement. Tant qu'il ne s'agit que des sacrifices imposés à tous par la guerre, le pain noir, la réduction des bulletins religieux par manque de papier, patience. Mais qu'on empêche encore par surcroît la parole du Père de venir réconforter ses fils dans leurs peines, c'est là une exécrable imposition (questa è un' imposizione esecrabile).

Le cardinal a été applaudi à deux reprises en pleine basilique au cours de son discours.

[insertion tirée du chapitre suivant]

20 juillet 1943 - Hier journée d'intense émotion: bombardement de Rome. Il y a trois semaines encore, le Pape faisait faire par le cardinal Maglione une démarche auprès des autorités italiennes pour qu'on éloignât de Rome les Allemands et qu'on ôtât tout motif à un bombardement. Peine perdue! Le Pape a voulu aller hier en personne avec Monseigneur Montini voir les dégâts, prier, consoler, bénir, distribuer des secours. Les femmes en pleurs l'accueillaient en criant: "Saint Père, donnez-nous la paix, la paix! Nous n'en pouvons plus! (Santo Padre, dateci la pace, la pace! Non ne possiamo più!). Mais de ces cris ce n'est pas dans les journaux qu'il faut chercher l'écho. De même ce n'est pas dans les journaux qu'on apprend qu'il y avait un état-major allemand installé dans un bâtiment à cent mètres de la basilique de San Lorenzo…

24 juillet 1943 - A propos de la gare de triage de San Lorenzo, recueilli ce témoignage intéressant et non suspect: un employé du consulat suisse, lundi à dix heures du matin, disait à quelqu'un qui l'a répété à l'auditeur de Rote anglais: "Si les Anglais savaient ce qu'il y a en ce moment au Scalo San Lorenzo, ils n'attendraient pas une demi-heure pour venir bombarder!" Vingt minutes plus tard, les premières bombes tombaient…

(…)
Fin janvier 1944 - Débarquements alliés à Anzio et Nettuno.
Enfin! À Rome, le Pape veut avoir sa part des souffrances communes et a décidé de ne pas se chauffer de l'hiver. Par contre-coup nous partageons la pénitence. Aucun bureau n'est chauffé. Au froid va peut-être s'ajouter bientôt la faim. Il n'y a plus que pour huit jours de farine dans Rome, et une colonne de camions du Vatican part aujourd'hui pour en chercher, à la demande du Gouverneur de Rome (dans l'espérance que le pavillon pontifical assurera la réussite de l'entreprise). À la faim s'ajoutera normalement l'émeute. La foule se jette déjà sur les arbres des routes et a mis en coupe toute une surface du parc de la Villa Doria-Pamphili au Janicule (on ne trouve plus de charbon de bois qu'à des prix astronomiques). Le Vatican semble prévoir l'irruption possible de la foule. De solides grilles de fer ont été installées, il y a déjà quelques mois, à la porte Sainte-Marthe, et on vient de les renforcer tout dernièrement par des arc-boutants, en fer également, destinés à empêcher qu'elles ne cèdent à une forte pression.
(…)
Mars 1944 - Massacre d'otages (enterrés aux Fosse Ardeatine.
Atmosphère lourde à Rome. Ration de pain: 100 grammes par personne et par jour.
5 juin 1944 - Hier, à neuf heures du soir, les armées alliées sont entrées dans Rome. La cloche du Capitole a sonné. Ce matin, dans un délire de joie, le peuple romain acclame les longues colonnes qui continuent rapidement vers le nord, poursuivant les Allemands en déroute. Les soldats alliés distribuent des cigarettes et du chocolat. Les Romaines répondent en leur jetant des fleurs. Autant l'arrivée des Allemands le 8 septembre a été un jour sombre, autant le 5 juin est un jour radieux. Tous les malheureux jeunes gens sur qui pesaient une condamnation à mort et une menace continuelle d'arrestation à domicile respirent maintenant librement et sortent de leurs cachettes.
Quel changement d'atmosphère! On peut bien à nouveau dormir dans son lit, sortir de chez soi…La Canonica vaticane se vide de ses hôtes. De leurs cachettes sortent également les pauvres juifs, les officiers italiens…La presse de nouveau libre (après vingt-deux ans!) s'en donne à cœur joie. Chaque jour voit naître quelque nouveau parti et paraître quelque nouveau journal.
Pour nous, Français, jours de gloire inoubliables. Dès le 5 juin, le conseiller De Blesson et le secrétaire De Vial ont remis leurs démissions à Léon Bérard, pris contact avec les envoyés d'Alger et repris possession, au nom de la France, du Palais Farnèse, de la Villa Médicis. Quelle revanche sur juin 1940! Puis cela a été l'émouvante réception au Farnèse de la colonie française. Quand le général Juin a évoqué en phrases brèves la signification à Rome de l'armée française, tout le monde, à commencer par le cardinal Tisserand, avait les larmes aux yeux. Le général nous a demandé de prier.
Le Pape a reçu les généraux français et le général Juin en audience privée. "Portez à la France, leur a-t-il dit, l'assurance renouvelée de notre amour, de nos vœux, de nos espérances!"
30 juin 1944 - De Gaulle à Rome. Je j'ai accueilli dans la cour Saint-Damase et accompagné jusqu'à l'antichambre du Pape. Impression: un homme grave, méditatif, qui ne sourit jamais, lent dans sa démarche et dans ses mouvements; curieux contraste avec sa vie si prodigieusement active. Nous essayons de faire coïncider l'idée que nous nous faisons du personnage avec le personnage lui-même. Du côté du Saint Siège, on fait le maximum de ce qu'on pouvait faire pour honorer un chef d'État non reconnu: cortège, visite à Saint-Pierre et entrée par le grand portail, accueil par les chanoines…
Grand remue-ménage au Vatican tous ces jours-ci. Les diplomates de l'Axe sont contraints à entrer dans la Cité par les autorités militaires alliées. Les diplomates alliés n'en finissent pas d'en sortir. Pénible embouteillage. Seize Japonais ont dormi la nuit dernière dans sept pièces dont plusieurs encore occupées par le chauffeur et les meubles du prédécesseur. Allemands, Roumains et Finlandais s'installent à Santa Marta.
29 août 1944 - Les événements ont marché en France à une allure vertigineuse: débarquement sur la Côte d'Azur, Toulon, Marseille, Avignon, Grenoble, rejointes en un rien de temps, tandis qu'au nord c'était l'avance sur Paris, enfin délivré il y a trois jours à peine, acclamant la division Leclerc et le général de Gaulle dans un délire d'enthousiasme.

De la fin de la guerre à la mort de Pie XII (1945-1958)

Juin 1945 - Magnifique discours du Saint-Père aux cardinaux. Parlant enfin "en clair", il a fait le bilan des abominables persécutions dont le nazisme s'est rendu coupable contre le christianisme et l'humanité en général.

Noël 1945 - Par une promotion de trente-deux cardinaux (unique dans l'histoire jusqu'ici) Pie XII porte au complet le Sacré Collège, ce qui ne se faisait plus depuis le XVIIIe siècle, et étend la pourpre aux cinq parties du monde. C'est l'universalité de l'Église qui resplendit cette fois. Autre note très suggestive: au lendemain des longues souffrances de l'Église sous la tyrannie national-socialiste, le Pape récompense de façon éclatante ceux qui ont lutté avec courage pour la liberté de l'Église et ont refusé de pactiser avec l'ennemi: un Saliège en France, un Von Galen en Allemagne, un De Jong en Hollande, un Sapieha en Pologne.

Mars 1946 - Splendeurs du consistoire public du 21 février dans Saint Pierre éblouissant de lumières, d'uniformes bigarrés et d'étoffes chatoyantes. Quand l'héroïque évêque de Münster, Monseigneur Von Galen, s'est avancé vers le trône pontifical, les applaudissements ont crépité de tous les points de l'immense basilique: juste hommage au courage intrépide de ce confesseur de la foi! Il unit d'ailleurs la grandeur à la simplicité, comme tous ceux qui sont vraiment grands. Ayant à traiter avec lui de son retour en Allemagne, je l'ai entendu me dire avec un bon sourire: "Qu'on tâche de me réserver un compartiment…à cause de cela (il montrait sa pourpre). Si ce n'était que pour moi, j'entrerais aussi bien dans Münster sur le dos d'un âne! (Für mich, auch auf einem Esel!)"

Août 1946 - Le Pape cédant aux pressions de son entourage a été se reposer à Castel Gandolfo. Etonné de l'accueil enthousiaste d'une population qui a voté communiste il y a quelques mois. il a dit, en se retournant vers ses familiers: "On ne dirait pas que c'est la population qui résulte des élections! (Non sembrerebbe la popolazione quale risulta dalle elezioni!)"

Décembre 1947 - Une note gaie, après des compliments à Pie XII sur sa maîtrise de la langue française: "Si ce sont les communistes qui gagnent, j'aurai un métier: enseigner le français! (Se vincono i comunisti, avrò un mestiere: insegnare il francese!)"
Un autre mot, à propos de De Gaulle, que tout le monde alors n'approuvait pas. Il en avait parlé avec l'amiral D'Argenlieu, venu lui offrir toutes ses décorations: "De Gaulle? Mais il a sauvé la France.

2 janvier 1949 - Notes sombres au seuil de la nouvelle année: persécutions en Roumanie et en Hongrie (arrestation du cardinal Mindszenty), la Chine presque entièrement aux mains des communistes, continuation de l'interminable conflit indochinois… Le Pape est triste, préoccupé, conturbato, nous a dit Montini à l'occasion des veux de Noël, plus qu'il ne l'était pendant la guerre.

29 octobre 1949 - Émouvante audience du Saint-Père hier soir pour présenter l'abbé Veuillot (venu de Paris pour m'aider) et … le décider à rester! Le Pape seul dans son perchoir de Castel Gandolfo, surplombant le lac d'Albano. Tout autour, solitude et silence. Dans les lointains, quelques lumières. Le Saint-Père, en "tenue de travail", avec une espèce de camail en grosse laine blanche: "Le Pape-ouvrier!" nous a-t-il dit dès l'entrée, en s'excusant (il voulait se changer pour nous recevoir!). Il a fallu l'insistance de Monseigneur Montini pour l'en dissuader: "Avertissez-les qu'ils me trouveront comme cela. Qu'ils m'excusent! (Li avverta però, li avverta che mi troveranno così. Mi scusino!)" Couronnant cette exquise humilité, une charité plus exquise encore. Tout préoccupé des sacrifices qu'il impose au cher abbé en l'arrachant à son apostolat parisien, il lui explique que c'est pour un plus haut service et lui cite un mot de saint Ignace: "Quo universalius, eo divinius (plus c'est universel, plus c'est divin)." L'abbé ne résiste pas à cette émouvante invitation: il restera. Le Pape nous remercie tous deux "de vouloir bien l'aider", il nous force presque à accepter des chapelets et nous bénit. Une particularité de ce pontificat: l'absence de titulaires aux postes réputés les plus importants de la curie. Quand on a eu rédigé la bulle d'Indiction, de la prochaine année sainte, on ne trouva pour la signer ni secrétaire d'État, ni chancelier, ni camerlingue, les trois charges étant depuis des années sans titulaire! C'est le Pape lui-même qui a tout signé (y compris les bulles annexes réservées normalement à la signature des moindres personnages).

1950 - L'année sainte. Elle s'achève par la proclamation de l'Assomption comme dogme de foi et par la publication de l'encyclique Humani generis. Au sujet de celle-ci, le Pape aurait dit à un évêque français: "On voulait me faire faire un Syllabus, mais je n'ai pas voulu!"
On s'attendait aussi à une promotion cardinalice couronnant l'année sainte (le poste de secrétaire d'Etat - entre autres - est depuis six ans sans titulaire!). Le cardinal Canali ayant fait une discrète allusion à un éventuel consistoire à Noël, "Non lo faccio, non lo faccio", a répondu le Pape avec vivacité.
La définition de l'Assomption le 1er novembre a rassemblé sur la place Saint Pierre huit cent évêques, plusieurs souverains et chefs d'Etats, des ambassadeurs, une foule incalculable…Un soleil de printemps baignait l'inoubliable spectacle. Et l'on devinait l'émotion de ce demi-million de chrétiens mis en prière par le Pape "Et maintenant, prions! (E adesso preghiamo), sans compter les millions d'autres reliés par la radio. Et puis la voix claire du chef, humble et doux, mais sûr de lui et maître infaillible: "pronuntiamus, declaramus, definimus"… et la tempête d'acclamations succédant au silence de la prière. Un grand moment dans l'histoire de l'Eglise de ce temps!
A propos du dogme de l'Assomption, un mot vraiment inspiré de Pie XII aux deux pasteurs protestants de Taizé, qui, reçus en audience, lui faisaient de timides objections: "Comment voulez-vous que je ne proclame pas la foi de l'Eglise?"

Septembre 1951 - (de Monseigneur Principi). Pie XII a défini l'Assomption, mais il ne définira pas Marie-Médiatrice: il n'en est pas persuadé (non ne è persuaso).

Décembre 1952 - Annonce d'un consistoire et révélation faite par le Saint-Père du refus de Monseigneur Tardini et de Monseigneur Montini, qu'il avait mis en tête de sa liste. Voilà leur humilité révélée au monde entier! Et l'esprit romain n'a pas tardé à découvrir dans la Ville sainte les deux rues qui conduisent aux grandes destinées: la via dell'Umiltà et la via della Lungara… Deux nominations dans des pays à gouvernement communiste: Wyszynsky (Pologne) et Stepinać (Yougoslavie).

Décembre 1954 - Grave accroc de santé su Saint-Père: hoquet provoqué par une hernie du diaphragme. On l'a cru mort. Il se rétablit doucement.

Mars 1956 - Apothéose de la Papauté à l'occasion de quatre-vingts ans de Pie XII, fêtés triomphalement dans le monde catholique. Un vrai plébiscite! Jamais sans doute un pape n'a été connu et aimé dans d'aussi vastes proportions, même au-delà des frontières du catholicisme. Afflux incroyable de dons de toutes sortes, de trésors spirituels, d'adresses, de télégrammes (quatorze mille le 2 mars!), de lettres… Missions extraordinaires de cinquante nations à la basilique vaticane pour la Chapelle papale du dimanche 11 mars…

9 octobre 1958 - Après deux jours d'attente angoissée, mort du pape Pie XII ce matin, un peu avant quatre heures, dans sa villa de Castel Gandolfo. Son rythme d'activité en septembre avait passé les bornes de la prudence humaine (plusieurs grand discours chaque semaine). Il est mort sur la brèche, à quatre-vingt-deux ans.

14 octobre 1958 - Cortège triomphal pour ramener la dépouille de Castel Gandolfo à Rome. Affluence sans précédent pour la vénérer dans Saint Pierre. Plébiscite mondial de condoléances. L'homme le plus universellement connu et aimé disparaît. Une grande voix se tait. Le monde se sent tout à coup orphelin…

Mars 1991 - Un complément peut et doit être ajouté aujourd'hui, concernant le silence reproché à Pie XII notamment vis-à-vis des juifs. Il s'agissait d'une véritable campagne de dénigrement, dont un des sommets avait été la pièce de Rolf Hochhut "Le Vicaire". Paul VI en avait été si choqué que, dès novembre 1963, il adressait aux évêques d'Allemagne une lettre rédigée dans un style d'une vigueur qui ne lui était pas habituelle:

Nous déplorons avec vous, leur écrivait-il, les calomnies et les injures portées faussement dans votre pays contre la vénérable mémoire du pape Pie XII, par des fables insolentes que l'on devrait avoir honte d'avoir forgées et divulguées. Il faut qu'une pareille ignominie cesse, et que l'iniquité, qui se réjouit misérablement de cette lucrative falsification, cède le pas à la vérité. La vérité, c'est que Pie XII fut bien le protecteur des opprimés, le messager et l'ouvrier actif de la charité évangélique, le défenseur acharné des persécutés. Pendant la guerre, et au milieu des difficultés de l'après-guerre, il s'employa généreusement à soulager les misères et à protéger les droits de la société humaine, ne négligeant rien de ce qui pouvait être fait dans ce sens, même si les circonstances empêchaient très souvent que son action multiforme pût être commue et bien appréciée de tous.

Mais il ne suffisait pas que cette mémoire de Pie XII fût limitée aux évêques d'Allemagne. Le monde entier devait en être informé. Or il se trouvait qu'à quelques semaines de là Paul VI exécutait son voyage en Terre sainte, que nous étions allés préparer avec son secrétaire Don Macchi. Il voulut profiter de l'occasion pour faire une déclaration très explicite en un endroit et à un moment qu'il avait délibérément choisis parce que particulièrement suggestifs: ce fut dans le discours d'adieu à Israël à la porte de Mandelbaum, le 5 janvier 1964. Après les remerciements d'usage pour l'accueil qui lui avait été réservé, Paul VI s'exprima ainsi:

Nous sommes venus parmi vous avec les sentiments de Celui que Nous avons conscience de représenter et que les prophètes ont annoncé jadis avec le nom de "Prince de la Paix". C'est dire que Nous ne nourrissons envers tous les hommes et envers tous les peuples que des pensées de bienveillance. L'Eglise, en effet, les aime également tous.
Notre grand prédécesseur Pie XII l'affirma avec force et à maintes reprises au cours du dernier conflit mondial, et tout le monde sait ce qu'il a fait pour la défense et le salut de tous ceux qui étaient dans l'épreuve, sans aucune distinction. Et pourtant vous le savez, on a voulu jeter des soupçons et même des accusations contre la mémoire de ce grand pontife. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de l'affirmer en ce jour et en ce lieu: rien de plus injuste que cette atteinte à une aussi vénérable mémoire.
Ceux qui ont comme Nous connu de près cette âme admirable savent jusqu'où pouvait aller sa sensibilité, sa compassion aux souffrances humaines, son courage, sa délicatesse de cœur. Ils le savaient bien aussi ceux qui, au lendemain de la guerre, vinrent, les larmes aux yeux, le remercier de leur avoir sauvé la vie. Vraiment, à l'exemple de Celui qu'il représente ici-bas, le Pape ne désire rien tant que le bien véritable de tous les hommes.

Nous avons là, pour la défense de la mémoire de Pie XII, deux témoignages des plus autorisés, tant par la netteté de leurs affirmations que par la qualité exceptionnelle de la personne de leur auteur.

Notes

(*) Jacques Martin (né en 1908 à Amiens - mort en 1992 au Vatican) est un cardinal français de la Curie romaine, préfet émérite de la Maison pontificale.
Jacques Martin est ordonné prêtre le 14 octobre 1934 pour l'archidiocèse de Strasbourg après des études de lettres et de théologie à Strasbourg et à Rome. Il poursuit ses études à Rome jusqu'en 1938, date à laquelle il entre à la Curie romaine1.
Nommé évêque titulaire de Neapolis en Palestine le 5 janvier 1964, il est consacré le 11 février suivant par le cardinal Paolo Marella.
Le 9 avril 1969, il est nommé préfet de la Maison pontificale, charge qu'il assume jusqu'à sa retraite en 19863. Il est alors élevé au rang d'archevêque.
Il est créé cardinal par Jean-Paul II lors du consistoire du 28 juin 1988 avec le titre de cardinal-diacre du Sacro Cuore di Cristo Re.
(fr.wikipedia.org/wiki/Jacques-Paul_Martin)

(**) "Mes six papes":
Étonnant mémorialiste, ce grand commis de l'Église, que ses familiers appelaient "Monsieur de Naplouse", prit des notes tout au long de sa vie vaticane afin de ne pas laisser dans l'oubli la petite histoire de l'Église.
Ce sont ces notes résumées, contractées, ou bien transcrites telles quelles, qui forment l'essentiel de son ouvrage. Il ne s'embarrasse pas de décrire ce que tout le monde sait, et que tous les journaux ont dépeint ou commenté. IL consigne ce qu'on ne sait pas, ou peu, ce dont il a été témoin direct ou confident de première main. Ce livre est une mine, non pas d'or, mais de vérités."
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