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Qui est le Pape Bergoglio?

Tentative de réponse par un compatriote argentin, Jack Tollers (13/2/2015)

.... et la réponse est: il est un Jésuite argentin, péroniste, de la deuxième moitié du 20ème siècle.

A propos de l'auteur

Jack Tollers a accordé une interview (par mail) au site anglophone From Rome, où il se présente brièvement en ces termes:

Je suis un argentin d'âge moyen, avec une mère anglaise et un père argentin, né à Buenos Aires, partiellement éduqué en Angleterre et en France. Je suis procureur. Je suis marié depuis presque 40 ans , et j'ai une de ces "familles de lapins" que Bergoglio semble si peu aimer (15 petits-enfants)

Il vit à Buenos Aires.
Il est l'auteur de plusieurs livres, dont l'un sur un jésuite argentin Fr. Leonardo Castellani: an Introduction, et d'autres dont on trouvera la liste ici: www.smashwords.com.
Il a traduit des textes de Castellani mais aussi CS Lewis, Simone Weil, Jean Daniélou, Vladimir Volkoff, Evelyn Waugh, etc... que l'on peut trouver en ligne ici: www.etvoila.com.ar/traducciones.php
Bref, c'est clairement un homme cultivé, qui n'a rien d'un excité ou d'un extrêmiste.

L'interview à From Rome est très intéressante, et vaut d'être lue.
Elle est complétée par ce texte qu'a traduit Anna.
Il se présente comme une tentative de décryptage de la personnalité du Pape actuel à l'usage du public américain (mais cela vaut évidemment aussi pour les européens).
Ce décryptage utilise la triple clé de son pays (Argentine/péronisme), sa condition de jesuite, et l'époque où il a grandi et s'est formé. On pourra dire qu'il s'agit de généralisation abusive, et qu'on ne peut pas tirer de conclusions sur un individu à partier de son appartenance à un ou des groupes. L'objection est recevable, aussi ce texte n'est-il qu'un document.
Le portrait qui en émerge est sévère, les mots sont rudes: vous êtes prévenus!!
Mais c'est un argentin qui l'écrit, on peut supposer qu'il connaît mieux son pays que les journalistes qui écrivent généralement sur le pape sans rien connaître du background (et sans enquête sérieuse!).
Récemment interviewé par Die Zeit, Mgr Gänswein disait: "Le Saint-Père est un homme d'une extraordinaire créativité, avec un zeste d'Amérique latine".
Langage diplomatique? A la lecture de ce qui suit, il semble que ce soit plus qu'un zeste.

J'oubliais: il y a seulement un an, je n'aurais pas publié ce texte sur mon site.

Qui est le Pape

Jack Tollers
www.unamsanctamcatholicam.com/images/tollers-on-francis.pdf
Traduction de Anna
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Bon, pour ce qu'elle vaut, voici ma tentative de traduire, pour le lecteur américain moyen, qui est le Pape et ce que signifie d'être un argentin et pourquoi il est si difficile de comprendre l'un et l'autre…
Ai-je dit "traduire"? C'est mon boulot, après tout (même s'il est toujours plus facile de traduire d'une langue étrangère que dans l'autre sens), comme chacun peut le vérifier visitant ma page web, quoique il soit évident que j'utilise le terme dans un sens plus large, les différences entre l'Argentine et l'Amérique étant plus profondes qu'elles ne paraissent au premier abord…

Commençons par l'Argentine.

Ne vous méprenez pas, ce n'est pas que je n'aime pas mon Pays, mais de temps à autre il vous donne envie de pleurer (comme Jésus avec le Sien, si j'ai bien compris mon Evangile). Simone Weil a dit avec justesse qu'il n'y a pas d'autre moyen d'aimer son propre pays qu'avec de la compassion.

Ceci dit, ce pays est pratiquement un désastre.
Dans la façon dont les Argentins perçoivent les choses, parlent, se comportent - bien ou mal - c'est un pays anormal, un endroit où on ne peut pas prendre les mot pour argent comptant, où le manque de ponctualité est la norme, où les règles de la loi son pratiquement narguées; un endroit plein de double discours, où les personnes vous donnent rarement une réponse franche, où "demain" ne se réfère pas au jour suivant, mais au jour présent: il signifie simplement pas aujourd'hui.

Ce n'est pas un endroit facile à vivre: faible logique, incohérence, manque de sérieux, courtoisie presque inexistante, fausse modestie, malhonnêteté, mauvaises habitudes et déloyauté générale sont la monnaie courante.

Nous sommes en quelque sorte habitués à tout cela (et à davantage), d'une façon que votre Américain moyen ne pourrait jamais comprendre, à moins qu'il ne lui arrive d'y passer quelque temps.

Il y a plein de mots argentins qu'un étranger (qu'il soit d'Espagne, disons, ou même du Mexique) aurait du mal à expliquer: des mots comme "piola" (débrouillard), "macaneador" menteur, "chanta" magouilleur, et encore tant d'autres décrivent un peuple qui considère risible de tricher, piéger, escroquer, de s'en tirer coûte que coûte, que rien n'amuse plus que de casser les règles. En règle générale, les Argentins détestent les règles, et c'est la raison de leur propension à l'anarchie qui se manifeste toujours dans la sphère publique. En général les Argentins aiment faire semblant et n'ont pas de temps pour la droiture, la loyauté ou le franc-parler. Le mensonge est commun, les mots ne signifient rien, à moins d'être utilisés pour des objectifs sournois, pour une ruse, quelque arnaque ou vous jouer un tour. C'est un pays du faire semblant.

D'accord, je sais que vous pensez que j'exagère (que c'est moi, l'Argentin, qui maintenant se moque de vous); qu'aucune société ne pourrait survivre avec de tels us et coutumes, qu'il doit y avoir plus dans le pays que mon triste portrait.

Et vous avez raison. Il y a plus. Si ce n'était pas pour un tas d'Argentins parfaitement honnêtes, le pays aurait pratiquement disparu depuis de décennies. A mon avis cela est surtout vrai des femmes argentines; mais non, vous pouvez trouver plein de personnes attachantes aussi parmi les hommes. Accueillants, de bonnes manières, avec une bonne éducation, courageux, on peut trouver de vaillants jeunes argentins en toute activité et école, dans tous les coins du pays (si vous êtes intéressés, j'ai écrit un roman sur les meilleurs argentins qu'il m'est arrivé de connaître, et que vous pouvez trouver ICI).

Ils sont toutefois une minorité (et, d'après moi, l'ont toujours été), ce qui contribue en grande partie à expliquer le gâchis financier, économique, institutionnel et moral qui nous caractérise en tant que pays, et je pèse mes mots.

Prenez Péron. Comme vous pouvez le savoir, il a gouverné le pays à trois reprises créant un mouvement politique (appelé en plus "Péronisme") qui a tenu la place par intermittence une bonne partie des derniers soixante ans. Or le péronisme n'est pas seulement un mouvement très populaire, c'est une façon de faire de la politique, de gérer le pouvoir, de faire les affaires, de voir le monde, qui est très marquée surtout de ces horribles traits argentins dont j'ai parlé. Le péronisme reflète l'ethos des classes inférieures du pays… et Péron lui-même était un bien vilain type, croyez-moi (pour ceux qui y seraient intéressés, il y a un bon article sur lui, un peu long, dans Wikipedia).

Venons-en à Bergoglio. Il est un peronista typique: ses manières, langage, style (ou son manque), son arrière-plan social et idéologique est peronista jusqu'au bout. Provenant des classes populaires, il étudiait la chimie lorsqu'il décida de devenir jésuite et fut ordonné dans les années immédiatement après Vatican II.

Considérez l'Eglise catholique argentine, et surtout les Jésuites dans ce Pays. Si, en règle générale, le pays était peu fiable, vous ne pouvez pas imaginer quel gâchis était l'Eglise Catholique avant Vatican II, et à plus forte raison après.

Ici il faut faire une brève parenthèse. J'ai consacré la plus grande partie de ma vie à promouvoir, traduire et faire connaître les travaux d'un jésuite argentin, le Père Leonardo Castellani (1899-1981), qui est comme une grande exception: un érudit très intelligent, un prêtre sérieux et fervent, qui se consacra à la dénonciation de la situation affreuse, de l'état calamiteux de l'Eglise Catholique argentine de son temps (sur mon site, vous trouverez quelques-uns de ses travaux traduits par moi en anglais, ainsi qu'une petite introduction qui devrait vous dire plus ou moins de quelle classe de prêtre je parle).

Bref, en 1949 il fut expulsé de la Société de Jésus d'une façon scandaleuse - à cause justement de ses plaintes et de la dénonciation publique de l'état de choses de l'Eglise locale. Il était surtout critique des curricula des séminaires, des enseignants exécrables, des pires livres et du manque total de connaissances et cela dans les années 40!
A cette époque il était très difficile de trouver dans ce pays un prêtre cultivé, suffisamment formé (comme lui, la grande exception, comme je l'ai déjà dit).

Les séquelles de Vatican II en de telles circonstances ne pouvaient qu'aggraver la situation, et c'est exactement ce qui se produisit. Ce fut une complète débâcle.

Prenez Bergoglio, par exemple. Ses études n'équivalent à rien de substantiel. Les Jésuites d'ici n'ont pas de professeurs dignes de ce nom, les sujets étaient rabibochés de manière non scientifique, la philosophie n'était jamais enseignée correctement (ce n'était dans le meilleur des cas que du Suarez grossièrement digéré) [ndlr: à propos de Francisco Suarez, voir benoit-et-moi.fr/2012(II)]. Les chaires de théologie étaient presque toutes occupées par des jésuites mal formés qui étaient enclins à répéter le dernier des travaux de Teilhard ou de Rahner, sinon à divulguer les derniers préceptes de la Théologie de la Libération (la Nouvelle Théologie n'est jamais arrivée jusqu'ici, peu de monde lisait le français ou l'allemand, et Saint Thomas était presque parfaitement ignoré).

La liturgie était terrible, personne ne connaissait le latin, les études des Ecritures étaient rien moins qu'une comédie (a sham). (Laissez-moi vous dire, je sais de quoi je parle, le principal Collège Jésuite est situé très près d'où j'écris, un oncle Jésuite à moi y a étudié, j'y ai été des douzaines de fois, et j'ai fait une partie de mes recherches sur le Père Castellani dans leur bibliothèque - l'appeler une bibliothèque! une des plus pauvres que j'aie vues dans ce Pays, et ça veut dire beaucoup).

Que connaît Bergoglio, donc? Avec ce genre de formation, pratiquement rien. Pas de latin, pas de langues du tout d'ailleurs. Son italien est affreux, pas un mot d'anglais, pas de français, sans parler de son espagnol maladroit! (Je me demande ce qu'il a étudié en Allemagne pendant quelques mois, comme il est rapporté, car à cet égard, il ne connaît pas l'allemand non plus. Et il n'a certes pas obtenu de diplôme là-bas).

Alors, comment se fait-il qu'il ait été élu Pape? Allez deviner.

Tout ce que je peux vous dire est qu'il est l'exemple parfait d'un Jésuite argentin, péroniste, de la deuxième moitié du 20ème siècle. Un fourbe (double-dealer) impitoyable, il a gravi les échelons de la Société de Jésus à une vitesse étonnante: considérez qu'il a été ordonné en 1969 et juste quatre ans plus tard il commandait tous les Jésuites d'Argentine comme Supérieur Provincial! Après six ans il est devenu Recteur du Collège dont je vous parlais ("Colexio Maximo"), et cela se passait entre 1980 et 1986. C'est alors qu'il se brouilla avec presque tous les Jésuites du Pays car il jouait son rôle contre Arrupe et la Congrégation Générale n.34 - et dans les mains de Jean-Paul II. C'est ainsi qu'il fut finalement réhabilité par le Vatican et, avec l'aide de l'évêque de Buenos Aires (Mgr. Quarracino), il devint son auxiliaire (1992) et, finalement, lui-même évêque de Buenos Aires (1997). En 2001 il fut fait Cardinal et Primat de ce Pays.

Donc, oui, il a joué soigneusement sa partie et en bout de ligne, il l'a emportée. Ce serait sans importance si ce n'était pour le fait que son élection est très révélatrice de la condition actuelle de l'Eglise Catholique.

Mauvaises nouvelles, n'est-ce pas?
Bon, je sais que vous pensez que j'ai exagéré, que les choses ne pouvaient pas être aussi mauvaises, qu'il doit y avoir quelque chose en cet homme, notre nouveau Pape.
Je ne vous ai pas convaincus, donc. D'accord, c'est ma faute.

Et tout de même, un Pape Argentin! Et péroniste en plus!
J'ai hâte de reconnaitre que tout est assez incroyable, mais d'ailleurs l'abdication de Benoît l'est aussi, et sa conduite successive. Ce sont des temps vraiment étranges.

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