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Relation Chine/Vatican : le card. Zen gêne-t-il ?

Riccardo Cascioli fait état d’un dur commentaire sur le cardinal chinois Zen, paru sur Vatican Insider. La question se pose : quel est le statut exact de ce site (1), et est-il le porte-parole officieux du Pape ?

QUAND UN CARDINAL EST JETÉ EN PÂTURE AUX COMMUNISTES CHINOIS

Riccardo Cascioli
20.2.2015
Traduction de Anna
http://www.lanuovabq.it

Les cardinaux dans le collimateur ne sont pas uniquement ceux qui défendent l'enseignement traditionnel de l'Eglise sur le mariage et la famille. Il était impressionnant de voir hier, au premier plan du site Vatican Insider, une attaque très dure contre le cardinal chinois Zen Zu-kiun, archevêque émérite de Hong Kong, accusé de vouloir diriger l'Eglise chinoise de l'extérieur et de s'opposer au dialogue prometteur entre la Chine et le Saint Siège. Désormais, quiconque tente juste de poser quelques questions sur la "joyeuse machine de guerre" qui veut pacifier le monde entier, est détruit sans pitié, tout en invoquant la miséricorde, évidemment. Le problème est que le sincère élan missionnaire du Pape aurait besoin de collaborateurs plus compétents plus que de gardiens de la révolution et de clercs en carrière.

C'est ainsi que le pauvre cardinal Zen, une des figures plus significatives de l'Eglise chinoise contemporaine, certainement celui qui connaît le mieux les gouvernants de Pékin (à qui il a, comme évêque, plusieurs fois résolument tenu tête) a fini dans la liste des méchants. Zen est certes un chinois atypique, pour ainsi dire. De tempérament passionné, il ne fait pas dans la dentelle quand il s'agit d'affirmer une vérité, si bien que, à Hong Kong, âgé qu'il est de 83 ans, il est souvent dans la rue avec les manifestants pour demander la liberté ou exiger de Pékin - il l'a fait ces derniers jours - des comptes sur la disparition de deux évêques dont on ne sait rien depuis plusieurs années.

Mais qu'a fait de mal le Cardinal Zen? Selon l'accusation il s'oppose au dialogue entre la Chine et le Saint Siège, précisément à un moment où quelque succès historique semble proche, et il favorise la division dans l'église chinoise essayant de conditionner l'attitude des catholiques à l'égard de Pékin. Il serait donc un dangereux perturbateur dans le processus de réconciliation en Chine.

Il s'agit là d'accusations fallacieuses et ridicules, pour ceux qui connaissent la situation et le cardinal Zen. Il faut toutefois rappeler, au moins de manière synthétique, d'où commence le problème chinois: de la décision du régime communiste, peu après la victoire militaire de Mao Tsé Toung, d'instituer une Eglise nationale catholique sous le contrôle du Parti Communiste. Même traitement pour les autres religions reconnues. L'objectif était évident: mettre sous contrôle toutes les religions comme premier pas vers une extirpation complète des religions. Pour l'Eglise catholique, bien que minoritaire, la question était, et est toujours, plus compliquée car elle fait référence à un chef étranger, dont l' "influence" sur des citoyens chinois est évidemment considérée inacceptable. Ce n'est pas sans raison que la Chine et le Saint Siège n'ont jamais établi de relations diplomatiques, et le Saint Siège est désormais un des très rares états qui reconnaissent Taiwan (au moins formellement) comme le gouvernement chinois légitime.

A ce moment les catholiques avaient deux possibilités: adhérer à l'Association patriotique créée par le gouvernement et donc accepter la primauté du régime communiste; ou bien continuer de professer ouvertement la primauté de Pierre et entrer dans la clandestinité. La division des catholiques - des évêques jusqu'au dernier des fidèles - prend ici son origine, même si dans les dernières années les choses se sont progressivement compliquées et les limites entre les deux églises sont devenues de moins en moins claires (de nombreux évêques "patriotiques" sont revenus dans les années passées à la communion avec le Pape). Avec les lettres à l'Eglise en Chine de Jean-Paul II (1996 et 1999) et de Benoît XVI (2007) un chemin de réconciliation avait été entamé entre les diverses âmes du catholicisme chinois, bien qu'en des années plus récentes le régime de Pékin ait essayé de rouvrir les blessures, imposant l'ordination de ses" évêques.

Entre temps, cette ligne de division entre les catholiques chinois s'est reproduite à Rome entre ceux disposés à faire des concessions unilatérales à Pékin dans le but d'arriver à normaliser les relations et ceux qui au contraire invoquent la fermeté à l'égard d'un régime qui n'a jamais donné des signes de réel changement en ce qui concerne la liberté religieuse. Il est évident que le premier courant prévaut au sein de la Secrétairerie d'Etat (ce n'est pas une nouveauté du Pontificat de François), et qu'il est très critiqué par contre par le Cardinal Zen, qui ne s'est jamais opposé au dialogue mais plutôt à une compromission politique, jugeant les gouvernants de Pékin non sincères.

Deux sont les problèmes jusqu'à présent insurmontables dans le dialogue Chine-Saint Siège: la nomination des évêques et le rôle de l'Association patriotique. Pour les évêques, l'Eglise ne peut pas accepter que leur nomination soit décidée ou lourdement conditionnée par un gouvernement, tandis que le régime communiste de Pékin ne peut pas accepter qu'il y ait des nominations en dehors du contrôle du Parti. L'autre question, liée à la précédente, concerne l'Association patriotique dont la nature de contrôle de l'Eglise ne peut pas évidemment être acceptée par le Saint Siège.

Le cardinal Zen estime depuis des années que l'Eglise a déjà trop accordé à Pékin, et considère aujourd'hui injustifié l'optimisme du Secrétaire d'Etat, le cardinal Parolin, qui a récemment parlé de relations "prometteuses" et que les deux parties veulent le dialogue. Il a ainsi écrit: "Personne ne nie que sans dialogue on ne résout pas les problèmes. Mais pour que le dialogue réussisse il faut la volonté des deux parties. Du côté de Rome, cette bonne volonté existe évidemment. Mais existe-t-elle aussi du côté de Pékin? Le supposer, dans un optimisme sans fondement, est dangereux. Il peut s'agir de "wishful thinking". Si la contrepartie n'est disposée à céder quoi que ce soit et nous voulons parvenir à un accord à tout prix, la seule chose à faire est de nous rendre, de nous vendre nous-mêmes. Nous ne sommes donc pas contraires au dialogue, mais redoutons/craignons un compromis à outrance, une cession sans une ligne de fond."

Zen a également critiqué deux interviews de Vatican Insider à deux évêques chinois, qui semblaient "pilotées" dans le but de critiquer ceux qui, comme Zen, sont pointilleux. "Il semble que quelqu'un veuille nous faire taire", avait dénoncé Zen il y a trois jours à l'Agence Asia News, faisant remarquer qu'il est "cruel et injuste" d'interviewer des évêques qui ne sont pas en condition de parler librement, comme c’est le cas pour ceux qui sont en Chine. Voici donc la prompte réponse de Vatican Insider sous la forme d'une lettre ouverte d'un "prêtre clandestin" niant à Zen le droit de parler d'Eglise chinoise. Sans attendre, Asia News a publié l'intervention d'un autre "prêtre clandestin" soutenant au contraire les raisons de l'archevêque émérite de Hong Kong (réellement curieuse cette coïncidence de courrier parvenant le même jour de Chine).

Vu la position du titre, Il est évident que l'attaque de Vatican Insider est significatif. Quelqu'un pense clairement que faire taire Zen est un pas fondamental pour faire progresser les relations avec la Chine et réconcilier les catholiques. Illusion: on fait seulement plaisir au Parti Communiste chinois. Lorsqu'en 2009 le cardinal Zen prit sa retraite, il y eut à Rome quelqu'un qui trinqua prévoyant une rapide normalisation des relations avec Pékin, mais au cours des années les choses, non seulement n'ont pas progressé, mais ont même empiré pour les catholiques.

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(1) Sans rapport avec la Chine, mais lié à cette question, voir ce que dit ici Sandro Magister : magister.blogautore.espresso.repubblica.it/2015/02/16/ma-sopra-pell-ce-uno-zar-piu-potente-di-lui/

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