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W. Brandmuller explique le célibat ecclésiastique

Dans une lettre publiée en juillet dernier sur Il Foglio, le cardinal bavarois répondait (en apparence) à Scalfari, sur un sujet qui revient en force dans l'actualité avec les récents propos du Pape au clergé romain. Texte complet, traduit par Anna.

Le site Chiesa e post Concilio reproduit un texte du cardinal Walter Brandmüller, publié pour la première fois dans Il Foglio du 16 juillet 2014 .
Il s’agit d’une lettre du cardinal à Eugenio Scalfari, après les indiscrétions que celui-ci venait une fois de plus de rendre publiques sur son dernier entretien avec le Pape (il est désormais impossible de supposer que c’est sans l’accord de celui-ci, cf. benoit-et-moi.fr/2014-II-1/actualites/nouvelle-interviewe-a-scalfari).

Dans cette interview, dont on trouvera ma traduction complète ici (benoit-et-moi.fr/2014-II-1/actualites/scalfari-linterviewe-complete) , Scalfari prêtait au Pape ces propos :

«Peut-être ne savez-vous pas que le célibat a été établi au Xe siècle, c'est-à-dire 900 ans après la la mort de notre Seigneur. L'Eglise catholique orientale a à ce jour la faculté que ses prêtres se marient. Le problème existe certainement mais n'est pas d'une grande ampleur. Il faut du temps, mais il y a des solutions et je les trouverai».

Ceci permet de supposer que le cardinal Brandmuller, avec des arguments savants et difficilement réfutables, s’adressait en réalité au Pape.

Notons que le sujet semble redevenir d’actualité avec les récents propos de ce dernier s’adressant cette semaine au clergé romain (cf. Revoilà le marronnier du mariage des prêtres).

La lettre du Cardinal Brandmüller

Nous, prêtres, célibataires comme le Christ
Leçons d'histoire ecclésiastique au "bergoglien" Scalfari de la part d'un grand cardinal allemand

Monsieur Scalfari,

Bien que je n'aie pas le privilège de vous connaître personnellement, je voudrais revenir sur vos affirmations au sujet du célibat, contenues dans le compte-rendu de votre colloque avec le Pape François, publiées le 13 juillet 2014 et immédiatement démenties dans leur authenticité par le directeur de la salle de presse vaticane.

En ma qualité d'"ancien professeur" qui pendant 30 ans a enseigné l'Histoire de l'Eglise à l'Université, je souhaite porter à votre connaissance l'état de la recherche dans ce domaine.
J'attire en particulier votre attention sur le fait que le célibat ne remonte pas du tout à une loi inventée neuf cent ans après la mort du Christ. Ce sont plutôt les Evangiles selon Matthieu, Marc et Luc qui rapportent les paroles du Christ à ce sujet.

Matthieu écrit (19,29):

"…Et quiconque aura quitté maisons, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou enfants, ou champs, à cause de mon nom, il recevra le centuple … "

Très semblable est ce qu'écrit Marc (10,29):

"Je vous le dis en vérité, nul n'aura quitté maison, ou frères, ou sœurs, ou père, ou mère, ou enfants, ou champs, à cause de moi et à cause de l'Evangile, qui ne reçoive le centuple…".

Encore plus précis est Luc (18,29 ss):

"Je vous le dis, en vérité, nul n'aura quitté maison, ou femme, ou frères, ou parents, ou enfants, à cause du royaume de Dieu, qui ne reçoive plusieurs fois autant en ce temps-ci, et, dans le siècle à venir, la vie éternelle."

Jésus n'adresse pas ces paroles aux grandes foules, mais à ceux qu'il envoie partout, afin qu'ils propagent son Evangile et annoncent l' avènement du Règne de Dieu. Pour accomplir cette mission il est nécessaire de se libérer de toute attache matérielle et humaine. Et puisque cette séparation signifie la perte de ce qui est escompté, Jésus promet une "récompense" plus qu'adéquate.
Il est souvent fait observer ici que le "tout quitter" ne se réfère qu'à la durée du voyage de l'annonce de l’Evangile, et que, après avoir accompli leur mission, les disciples reviendraient à leurs familles. Mais il n'y a pas de traces de cela.
En mentionnant la vie éternelle, le texte des Evangiles parle d'ailleurs de quelque chose de définitif.

Or, puisque les Evangiles ont été écrits entre les années 40 et 70 après J.C., ses rédacteurs se seraient mis en mauvaise lumière s'ils avaient attribué à Jésus des propos qui ne correspondaient pas à leur propre mode de vie. Jésus exige en effet que ceux qui participent à sa mission adoptent aussi son style de vie.

Mais que veut dire Paul alors, dans la première Lettre aux Corinthiens, lorsqu' il écrit:

"Ne suis-je pas libre? Ne suis-je pas apôtre? …N'avons-nous pas le droit de manger et de boire? N'avons-nous pas le droit de mener avec nous une sœur, comme font les autres Apôtres, et les frères du Seigneur, et Céphas? Ou bien sommes-nous les seuls, Barnabé et moi, qui n'ayons pas le droit de ne point travailler?"

Ces questions et affirmations ne supposent-elles que les apôtres étaient accompagnés de leurs épouses respectives?
Il est nécessaire ici de procéder avec prudence.
Les question rhétoriques de l'apôtre se réfèrent au droit de celui qui annonce l'Evangile de vivre aux frais de la communauté, et cela vaut aussi pour celui qui l'accompagne. Se pose ici évidemment la question de qui est cet accompagnateur.

L' expression grecque "adelphén gynaìka" nécessite une explication. "Adelphe" signifie sœur. Et pour sœur dans la foi on entend ici une chrétienne, alors que "Gyne" indique, plus génériquement, une femme, vierge, mariée ou épouse qu'elle soit. Un être féminin, finalement.
Cela rend toutefois impossible la démonstration que les apôtres étaient accompagnés par leurs épouses. Car, dans ce cas, on ne comprendrait pas pourquoi on parle distinctement d'une adelphe comme soeur, donc chrétienne.
En ce qui concerne l'épouse, il faut savoir que l'apôtre l'a quittée au moment d'entrer dans le cercle des disciples. Le chapitre 8 de l'Evangile de Luc nous aide à y voir plus clair.
On y lit:

"[Jésus était accompagné de] quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies: Marie, surnommée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons; Jeanne, femme de Khouza intendant d'Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens".

Il semble logique de déduire de cette description que les Apôtres auraient suivi l'exemple de Jésus.

Il faut également attirer l'attention sur l'appel empathique au célibat ou à l'abstinence conjugale fait par l'apôtre Paul (1. Cor. 7, 29 ss):

"Mais voici ce que je dis, frères: le temps s'est fait court; il faut donc que ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas,…"

Et encore:

"Celui qui n'est pas marié a souci des choses du Seigneur, il cherche à plaire au Seigneur; celui qui est marié a souci des choses du monde, il cherche à plaire à sa femme, et il est partagé".

Il est évident qu'avec ces paroles, Paul s'adresse en premier lieu à des évêques et des prêtres. Lui-même se conformerait à cet idéal.

Afin de prouver que Paul ou l'Eglise des temps apostoliques ne connaissaient pas le célibat, les lettres à Timothée et à Tite, les lettres dites pastorales, sont parfois mentionnées.
Dans la première lettre à Timothée (3,2) il est en effet question d'un évêque marié.
Le texte grec est souvent traduit de la façon suivante: "Que l'évêque soit le mari d'une femme", ce qui est compris comme un précepte.
Une connaissance rudimentaire du grec serait suffisante pour traduire correctement:

"Aussi faut-il que l'évêque soit irréprochable, marié une seule fois (et il doit être le mari d'une femme!!), sobre, raisonnable…".

Ces indications tendent à exclure la possibilité que soit ordonné prêtre-évêque celui qui, après la mort de sa femme, s'est remarié (bigamie successive).
Cela parce que, à part le fait qu'à cette époque on ne voyait pas d'un bon œil un veuf qui se remariait, s'y ajoutait pour l'église la considération qu'un homme de ce genre ne donnait aucune garantie de respecter l'abstinence, à laquelle un évêque ou un prêtre devait se vouer.

"Un ancien (à savoir un prêtre, un évêque) doit être irréprochable et marié une seule fois…".

La pratique dans l'Eglise post-apostolique

La forme originaire du célibat prévoyait donc que le prêtre ou l'évêque poursuivissent la vie familiale, mais pas celle conjugale. C'est la raison pour laquelle on préférait ordonner des hommes en âge plus avancé. Que tout cela dérive des traditions apostoliques anciennes et consacrées, est témoigné par les œuvres d'écrivains ecclésiastiques comme Clément d'Alexandrie et le nord-africain Tertullien, qui vécurent pendant le IIIème siècle après J.C.
Une série de romans édifiants sur les apôtres témoignent aussi de la haute considération dont jouissait l'abstinence parmi les chrétiens: ce sont les soi-disant actes des apôtres apocryphes, composés encore au IIème siècle et largement répandus diffusés.
Pendant le suivant IIIème siècle les documents littéraires concernant l'abstinence des clercs se multiplient et deviennent de plus en plus explicites, surtout en orient.
Voici, par exemple, un passage tiré de ladite didascalie syriaque: "L'Evêque, avant d'être ordonné, doit être mis à l'épreuve, afin d'établir s'il est chaste et s'il a éduqué ses enfants dans la crainte de Dieu".
Le grand théologien Origène d'Alexandrie (✝ 253/'54) vit lui-aussi un célibat d'abstinence obligatoire; un célibat qu'il explique et approfondit théologiquement en de nombreuses œuvres. Il y aurait évidemment d'autres documents à l'appui à mentionner, ce qui n'est bien sûr pas possible ici.

La première loi sur le célibat

Le Concile d'Elvire en 305/'06 donna à cette pratique d'origine apostolique une forme de loi. Avec le Canon 33, le Concile interdit aux évêques, prêtres, diacres et a tous les autres clercs les relations conjugales avec l'épouse et leur interdit également d'avoir des enfants.
A l'époque on pensait donc qu'abstinence conjugale et vie familiale étaient conciliables.
Le Saint Père Léon Ier, dit Léon le Grand, écrivait ainsi lui aussi en 450 que les consacrés ne devaient pas répudier leurs épouses. Ils devaient toujours rester avec les mêmes, mais comme "n'en ayant pas"(c'est l'expression de Paul plus haut), écrit Paul dans la première lettre aux Corinthiens (7,29). Avec le temps, on finira progressivement par n'accorder les sacrements qu'à des hommes non mariés. La codification arrivera au Moyen-Age, époque où on tenait pour acquis que le prêtre et l'évêque fussent non mariés.

Autre chose est le fait que la discipline canonique ne fût pas toujours vécue à la lettre, mais cela ne doit pas étonner. Comme il est dans la nature des choses, l'observance du célibat a connu elle aussi au cours des siècles des hauts et des bas. Très connue est par exemple la vive controverse du XIème siècle, à l'époque de la réforme dite grégorienne. On assista en cette circonstance à un désaccord si profond - surtout dans l'église allemande et française - que les prélats allemands opposés au célibat chassèrent de force de son diocèse l'évêque Altmann de Passau.

En France, les émissaires du Pape chargés de soutenir la discipline du célibat étaient menacés de mort, et le saint abbé Walter de Pontoise fut battu, pendant un synode qui se tenait à Paris, par les évêques opposés au célibat et mis en prison. En dépit de tout cela, la réforme parvint à s'imposer, et on vit un nouveau printemps religieux.
Il est intéressant de remarquer que la contestation du précepte du célibat s'est toujours produite en association avec des signes de décadence dans l'Eglise, tandis qu'en des moments de foi renouvelée et de floraison culturelle on remarquait une observance plus stricte du célibat.
Il n'est certes pas difficile de tirer de ces observations historiques des parallèles avec la crise actuelle.

Les problèmes de l'Eglise d'orient

Deux questions fréquemment posées restent encore ouvertes. Il y a celle concernant la pratique du célibat dans l'église catholique du règne byzantin et du rite oriental: celle qui n'admet pas le mariage pour les évêques et moines, mais l'accorde aux prêtres, pourvu qu'ils aient été mariés avant de prendre les sacrements. Prenant exemple de cette pratique, certains se demandent si elle ne pourrait pas être adoptée aussi par l'occident latin.
Il faut tout d'abord remarquer à ce propos que c'est justement en orient que la pratique du célibat abstinent a été considérée obligatoire.
Ce ne fut qu'au Concile de 691, le soi-disant Quinisextum ou Trunnanum, alors qu'était évidente la décadence religieuse et culturelle du règne byzantin, qu'on arriva à la rupture avec l'héritage apostolique.
Ce Concile, influencé en grande partie par l'empereur qui, avec une nouvelle législation, voulait remettre de l'ordre dans les relations (avec le Pape ?), ne fut toutefois jamais reconnu par les papes. A ce moment remonte la pratique adoptée par l'Eglise d'Orient.
Par la suite, à partir du XVI et XVII siècle, et successivement, lorsque plusieurs églises orthodoxes retournèrent à l'église d'occident, on se posa à Rome la question de comment se comporter avec le clergé marié de ces églises.

L'exception de notre temps

Sur une motivation semblable est également fondée la dispense papale du célibat accordée - à partir de Pie XII - aux pasteurs protestants qui se convertissent à l'Eglise catholique et qui souhaitent être ordonnés prêtres.
Cette règle a été récemment appliquée aussi par Benoît XVI aux nombreux prélats anglicans qui souhaitaient s'unir, en conformité à la Constitutio apostolica Anglicanorum Coetibus, à l'Eglise mère catholique
Avec cette extraordinaire concession, l'Eglise reconnaît à ces hommes de foi leur long et parfois douloureux cheminement religieux, parvenu à son but avec la conversion. Un but qui au nom de la vérité conduit les intéressés à renoncer aux moyens économiques perçus jusqu'à ce moment.
C'est l'unité de l'Eglise, bien de valeur immense, qui justifie ces exceptions.

Un héritage contraignant?

A part ces exceptions, une autre question fondamentale se pose toutefois, à savoir: l'Eglise est-elle autorisée à renoncer à un héritage apostolique évident? C'est une option qui est constamment prise en considération.
Certains pensent que cette décision ne doit pas être prise uniquement par une partie de l'Eglise, mais par un Concile général. On pense que de cette façon, sans impliquer tous les secteurs ecclésiastiques, l'obligation du célibat pourrait être assouplie, voire même abolie, au moins pour quelques-uns d'entre eux. Ce qui semble aujourd'hui encore inopportun, pourrait ainsi demain devenir une réalité. Mais ce faisant, on devrait remettre au premier plan l'élément contraignant des traditions apostoliques.
On pourrait également se demander si, avec une décision prise au sein d'un Concile, il serait possible d'abolir la fête du dimanche qui, pour être pointilleux, a moins de fondements bibliques que le célibat.
En guise de conclusion, qu'on me permette d'avancer une considération projetée vers le futur: s'il est toujours valide de constater que toute réforme ecclésiastique digne de ce nom résulte d'une profonde connaissance de la foi ecclésiale, de même l'actuelle controverse sur le célibat sera dépassée par une connaissance approfondie de ce que signifie être prêtre.

On comprendra et enseignera alors que le sacerdoce n'est pas une fonction de service, exercée au nom de la communauté, mais que le prêtre, en vertu des sacrements reçus, enseigne, guide, sanctifie in persona Christi; on comprendra d'autant plus que précisément pour cela il assume aussi la forme de vie du Christ.

Un sacerdoce ainsi compris et vécu redeviendra une force d'attraction sur l'élite des jeunes.

Pour le reste, il faut prendre acte que le célibat, ainsi que la virginité au nom du Royaume des Cieux, resteront pour ceux qui ont une conception sécularisée de la vie toujours quelque chose d'irritant.
Mais déjà Jésus disait à ce propos:

Que celui qui peut comprendre comprenne".

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