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La sérénité qui change le monde

Je re (re)propose à mes lecteurs ma traduction d'un très beau portrait de Benoît XVI par Renato Farina, datant de janvier 2010 (2/1/2015)

Il convient de préciser que Renato Farina est un grand admirateur de Jean Paul II. Il avait été interviewé par Antonio Mastino en juillet 2011 (cf. www.papalepapale.com, ma traduction partielle ici).

La sérénité qui change le monde
Un «simple et humble travailleur dans la vigne du Seigneur».

Une vigne héritée de Jean Paul II et que, dans une parfaite continuité avec "l'ami sûr et aimé", Benoît XVI entretient avec un dévouement opiniâtre et un soin attentionné. Il n'épargne pas les jugements sévères sur le monde et l'Église, mais ensuite, il cite les fleurs de la joie et de l'amitié, et vous les pose dessus. Karol le Grand, a cédé la place à "Benoît l'enfant", ce qui est une autre façon d'être grand

Renato Farina
Il Giornale
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Nous nous sommes habitués à Papa Ratzinger. Il est devenu comme une présence constante, une note de fond, douce et candide (ou blanche), qui n'entre jamais dans notre maison d'un pas ferme, ne pénètre pas le mur de notre conscience indifférente avec fracas. Un style bourgeois dans le sens le plus élevé et le plus serein du terme. Avec ce soupçon de vanité qui le rend semblable à nous. Ce couvre-chef blanc et rouge de soie et d'hermine, abandonné depuis l'époque de Jean XXIII, le Camauro, et les chaussures rouges signées Prada (ndlr: faux!), même s'il ne sait pas, n'a pas le temps de savoir qui est Prada. Benoît XVI ne s'eest jamais préoccupé d'être trop différent de son prédécesseur. Mais il le sait très bien. Il s'accepte ainsi. Au point qu'à Luanda, en Angola le 21 Mars 2009, il a dit aux jeunes africains: «Sous des traits un peu différents, mais avec le même amour dans son cœur, là, devant vous, se tient l'actuel Successeur de Pierre, qui vous embrasse tous en Jésus Christ, qui est le même hier, aujourd'hui et éternellement. "

A Papa Wojtyla, on ne s'est jamais habitué. Le grand polonais était un peu comme César, dans la définition qu'en donne Lucano dans "la Pharsalia" : "Il plie le sort et s'impose au destin."
Jean-Paul II s'est emparé de la scène de l'histoire avec une force sans précédent dans notre époque moderne.

Au contraire, Ratzinger va changer le monde par osmose, avec sa manière d'être, rationnel et enfantin en même temps.

Permettez-moi un souvenir. Piazza della città Leonina, au numéro 3. J'avais su où il habitait, grâce à l'annuaire pontifical. C'était au début des années 80. J'avais pris l'habitude de le guetter avant 8h. Il n'y avait pas de raison. J'étais dans un hôtel à proximité et je voulais voir le visage candide de la foi en l'homme, chez l'un des hommes les plus intelligents au monde. Je le saluais, il répondait "buonciorno". Il tenait la serviette noire de la main droite et allait d'un pas vif vers son (saint) bureau (ndt, jeu de mot en italien: santo uffizio). Cinq cents mètres. Non que je n'ose m'approcher de lui. Je faisais une trentaine de pas avec lui, puis je le regardais s'éloigner perdu dans ses pensées. Quand je voulais comprendre quelque chose, je posais quelque petite question. Il répondait toujours. Je peux le dire: en ces années il a été mon maître itinérant de théologie.
De temps en temps, j'osais lui apporter les salutations de Hans Urs von Balthasar, son collègue de théologie. (...) Envers Balthasar, Joseph Ratzinger avait une sujétion intellectuelle, et envers Karol Wojtyla il avait un mélange d'amour total et de doux reproche. Depuis plus de quatre ans, il est pape, et il reste le même.

Il y a eu des jours où le costume était trop grand, et où il pensait que son corps et son âme devaient s'adapter à ces nouvelles dimensions immenses. Mais alors, il s'est rendu compte que c'était lui que l'Esprit Saint voulait, lui, tel qu'il était. Embarrassé avec les gens, docile, juste "un humble travailleur dans la vigne du Seigneur." Comme il le dit en cette soirée du mois d'avril, pour la première foisvêtu de blanc mais avec le pull de laine noire qui dépassait dessous. Un "Papa minimo". La plus grande intelligence (je m'aventure, mais je sais que je ne me trompe pas) dans un caractère enfantin, dans le tempérament d'un enfant qui n'est même pas capable de jouer au football, et se cache au moment où les équipes se forment sur le terrain du séminaire pour ne porter préjudice à personne. Il le raconte lui même dans son autobiographie, "Ma vie": une biographie écrite pour dire que la vie était dure, et lui une pauvre chose.

Comme théologien, Ratzinger a enseigné trois choses. La foi est beauté, elle ressemble à la musique. La foi est rationnelle. Jésus est le point culminant de la beauté et la rationnalité. En lui, la raison et la beauté se révèlent comme une unité de l'être qui est une personne, Lui, Jésus de Nazareth, "mon Seigneur bien-aimé, mon Sauveur."
Dans le livre écrit comme pape, justement intitulé Jésus de Nazareth, tous les commentateurs ont fait l'éloge du fait qu'il avait déclaré qu'il acceptait d'être contredit. Mais comment cela? On entend Jésus parler, prier, on le voit marcher. Aujourd'hui! Pour un théologien, c'est le comble: être le chroniqueur, le portraitiste, le photographe, l'ami de quelqu'un qui meurt pour nous, et mourir derrière lui comme un amant, comme Pierre, comme Pape.
La rationalité du penseur de Munich atteint son apogée quand il soulève la question de Dieu. La rationalité de Joseph Ratzinger est enchanteresse, sans fioritures, et pourtant baroque. Bach et Mozart ensemble. Comme cardinal et avant cela comme prêtre, ce prêtre bavarois a enseigné que tout cela se passe dans une rencontre. Et il faut obéir.
Sans jamais mettre l'intelligence entre parenthèses. A ce que Karol atteignait avec l'intuition de la poésie, et déroulait en cercles concentriques, Joseph donne la rigueur géométrique, en ajustant les arcs, et consolidant les flèche du magistère de Pierre.

Qu'il aimait le pape, on le voit sur les photos. Je l'ai perçu en 1987, en Mai quand le le vis se blottir près de lui dans l'avion, comme un enfant qui se fait câliner par son père. Il avait demandé l'autorisation de quitter le domicile paternel, Joseph. Il était devenu grand, il avait 75 ans. Il avait arrangé une petite maison de Bavière, avec des chats, des livres et un piano, avec des fleurs sur le rebord de la fenêtre, la rivière et les bois. Jean-Paul II lui a dit: «Restez, je vous en prie, Monsieur le Cardinal."
Il lui a dit en allemand. Ils se sont dit au revoir en allemand, le jour de la mort de Jean Paul. Joseph a reçu son merci, et quelques mots que nous ne connaissons pas.

Il y a eu deux moments où j'ai appris de lui ce que signifie l'amour entre un père et son fils, mais aussi l'amour entre deux amis. Et ce que signifie l'obéissance.
La première fois, c'était pour les vingt-cinq ans de pontificat du pape polonais. Ratzinger était le doyen du Sacré Collège, c'est à lui que revenait le discours pour la circonstance. Dans la basilique Saint-Pierre, tout semblait prêt pour l'ennui d'une célébration rhétorique. A la place, nous avons été transportés sur les rives du lac de Tibériade. Ici, Jésus est ressuscité, mais il a le côté troué, le coeur percé d'un homme blessé. Simon Pierre demande: "M'aimes-tu?".
Wojtyla a entendu cette question chaque jour. Son ami le plus proche, en ce mois d'Octobre de l'année 2003, rempli de guerre, le rassura d'une tendresse romantique. Il était en mesure de témoigner qu'il avait dit oui: «Il a été attentif à ses enfants comme une mère. Il n'a pas seulement offert au monde l'évangile, mais sa vie même, abattant les murs de la haine. Il s'est laissé blesser par la croix, il s'est laissé consommer"
Dans cette société de consommation vide, un homme s'est laissé consommé comme une boisson, afin de donner un peu "de bonne eau".

Le pape, depuis son fauteuil roulant, répondit ainsi à son «collaborateur et fidèle ami»: "Dieu, tout en étant conscient de ma fragilité humaine, m'encourage à répondre avec confiance. J'ai pleine confiance, ô Christ, dans ta miséricorde". Ratzinger semblait être l'Apôtre Jean, tandis que le maître suait sang et eau. Il pressentait que ce serait bientôt son tour, le Pape lui avait prédit, mais Joseph ne voulait pas.

La deuxième fois, c'était le jour des funérailles de Jean Paul II. C'était le vendredi 8 Avril 2005, et sur la Place, le vent biblique soufflait l'Evangile sur le cercueil de celui que Ratzinger appelait "notre Pape bien-aimé". Ratzinger n'en finissait plus, d'enterrer des amis. Le 24 Février, Giussani dans la cathédrale de Milan, aujourd'hui Wojtyla. Je regarde les notes de ces heures sous un ciel abrupt. "A 13h47 la foule ne voulait pas que son corps s'en aille. Elle agite des mouchoir blancs, remue la main sur la Place Saint-Pierre, mais aussi devant les écrans géants de Santa Maria Maggiore, partout. Elle crie et applaudit. Elle ne croit pas qu'il est vraiment mort, mais il est vraiment mort. Sauf une hypothèse que je propose ici: c'est que Wojtyla avait dit la vérité. Et que la mort est un transit de la vie à la vie. Mais ce n'est pas si facile à supporter sans risque de confusion, c'est une terrible blessure.
Je voudrais demander au cardinal Joseph Ratzinger: Je sais que tu en es certain, tu l'as dit. "Nous pouvons être sûrs que notre Pape bien-aimé est maintenant à la fenêtre de la maison du Père, il nous voit et nous bénit". Tu as précisément usé de cette formule, tu es sûr de ton espérance. Quelque chose de physique, charnel. Tu as pointé ton doigt vers le ciel. Mais alors, pourquoi as-tu les yeux rouges, pourquoi pleures-tu? ".

Wojtyla lui avait prédit, il avait conseillé aux cardinaux les plus proches de lui, de voter Ratzinger. Lui ne levoulait pas. Il a tout fait pour décourager les cardinaux et Dieu avec eux. Il avait tous les journaux contre lui. Les voix le donnaient en baisse, et avaient été habilement dispersées. Je peux le dire avec certitude: la Communauté de Sant'Egidio avait déployé toute sa puissance diplomatique pour pousser le célèbre Dionigi Tettamanzi, le cardinal de Milan. Selon moi, le cardinal bavarois s'était mis d'accord avec eux pour éviter cette tâche qu'il considérait inadaptée à lui.

J'étais à Saint-Pierre au moment de la Missa Pro eligendo Pontifice, à 10 heures, le lundi 18 avril. C'est le rituel qui précède l'entrée des cardinaux en conclave. L'homélie revint à Ratzinger. Elle fut dure, impitoyable. Une façon de détourner de lui la voix des timides, et de ceux qui souhaitaient un pape soumis au monde,abordable pour les médiateurs en théologies et en dialogue interreligieux. Il dit que le Seigneur est bon, mais qu'il n'est pas un imbécile. "La miséricorde de Dieu n'est pas une grâce à bon marché." Et encore: «La foi ne suit pas les vagues de la mode."
Personne n'avait parlé aussi mal de l'Église au cours des dernières décennies. Il la décrit comme "une petite barque battue par les flots". Inexplicablement, il prononce deux mots étranges «amitié» et «joie».
Comment est-ce possible? Un jugement dur sur le monde et l'Église, puis il a déposé ces fleurs dans la boue. La joie et l'amitié.

Maintenant que les années ont passé, et que Benoît XVI règne avec sérénité au milieu des tumultes, je comprends mieux. Il y croit. Il a le sourire d'un chérubin, et les manches noires du chandail des vieux qui ont froid.
Et ce serait là -selon certains - le Grand Inquisiteur?
Ils l'avait décrit ainsi. Un homme carré et glacial. Alors que depuis ce moment, et "ad multos annos" il remplira le monde de musique, l'Évangile sera livrée avec simplicité, oui, non, non, le mot bonheur revient souvent avec un autre: vérité. Il passait pour un Torquemada, mais son langage est celui d'un fiancé "Tomber amoureux de la beauté, une histoire d'amour avec Jésus."
Dans un monde où «"il y a une dictature du relativisme ... la limite du mal est la miséricorde".

Oui, "la petite barque est ballottée", mais "une fois qu'elle aura passé à travers les vallées obscures", il sera possible de "retourner aux origines ". Et l'origine est "les yeux du Christ, comme au jeune homme riche".

Lui, durant ces années a été le travailleur qui vient après le conquérant . Jean-Paul II a brisé les murs, lui, il répare la vigne, soigne les plantes flétries.
La continuité sans rupture avec "l'ami de confiance et bien-aimé". Mais un autre style. Nous sommes passés de Karol le Grand, à Benoît l'enfant. Ce qui est une autre manière d'être grand.

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