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Un texte peu connu du cardinal Ratzinger

Il s'agit de la préface à un ouvrage du théologien et philosophe catholique allemand Dietrich von Hildebrand (1889-1977) traduit en français par l'abbé Iborra (*). Une magnifique trouvaille d'Anna, qui l'a transcrite pour nous

>> Ci-contre: Liturgie et personnalité: La valeur formatrice de la prière rituelle (En suivant le lien, on trouve la présentation de l'éditeur). Edition Ad Solem, 2008

On lira la riche notice wikipedia de Dietrich von Hildebrand en français ici: fr.wikipedia.org/wiki/Dietrich_von_Hildebrand

Le nom du théologien allemand nous renvoie à une très craquante anecdote impliquant le jeune professeur Ratinger que j'avais trouvée sur Zenit et reproduite ici: benoit-et-moi.fr/ete2010

>> Ci-dessous: Alice, la veuve de Dietrich von Hildebrand, avec Benoît XVI (pontifexlibris.blogspot.fr/2012/09/catholic-speaker-month-alice-von)

PRÉFACE du Cardinal Joseph Ratzinger à Liturgie et Personnalité. La valeur formatrice de la prière rituelle.
Traduit de l'anglais par le Père Iborra et Pierre Lane
Editions Ad Solem, 2008
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Comment rendre, en quelques lignes, justice à un homme dont la vie et l'oeuvre ont laissé une marque aussi indélébile sur l'histoire de l'Église en ce siècle de triomphes et de tragédies? Dietrich von Hildebrand est exceptionnel à bien des égards. Ses amples essais sur la philosophie chrétienne, sur la théologie spirituelle, et pour la défense de la doctrine de l'Église, le rangent parmi les grands penseurs du XXe siècle. Son opposition résolue et inébranlable au totalitarisme, qu'il se présente sous la forme du national-socialisme ou du marxisme-léninisme - conviction qui lui aura coûté cher tout au long de sa vie -, signe la profonde clarté de sa vision morale et son consentement à souffrir pour ce qu'il savait être vrai.

En chaque vie se trouvent des moments "épiphaniques", des incidents ou des rencontres où se révèle quelque chose de la personnalité intime, où irradie une qualité personnelle spéciale.
Dans la biographie qu'elle a donnée de son mari, Alice Von Hildebrand a rendu avec une vive sensibilité ces moments qu'une profonde intuition lui a permis de discerner. Un épisode de cette nature eut lieu quand von Hildebrand était âgé de quatorze ans. Au cours d'une longue promenade avec sa soeur aînée, celle-ci essaya - avec une exaspération croissante - de lui faire admettre la relativité de toute valeur morale, qui ne peut être que déterminée par les circonstances, l'endroit et l'époque où l'on se trouve. Le jeune von Hildebrand réagit instinctivement contre une telle façon de voir, et argumenta avec force qu'il ne pouvait en être ainsi. Quand ils furent de retour à la maison, sa soeur demanda l'arbitrage, et obtint le soutien de leur père, qui éluda, jugeant de manière assez peu conséquente que c'est un point de vue qu'on ne peut soutenir que quand on a quatorze ans; ce à quoi Dietrich rétorqua que la question de son âge n'avait pas grande pertinence dans cette discussion.
Cet incident, sans doute pas si rare dans la vie familiale, révèle un aspect fondamental de la personnalité de l'auteur des pages qui suivent. (Il nous instruit aussi sur la façon dont le relativisme moral, pour triompher, en appelle tôt ou tard à la force coercitive de l'autorité; en un mot, comment le relativisme finit en totalitarisme.)
Nous voyons par cet épisode comment, dès son plus jeune âge, Dietrich von Hildebrand fut un homme captivé par la splendeur de la vérité, par l'irradiation d'une vérité qui aimante et unit précisément parce qu' elle se tient bien au-dessus de notre subjectivité. Plus d'une décennie après, à l'aube grise de la Première Guerre mondiale, cette même attraction pour ce qui est vrai devait conduire Dietrich von Hildebrand et son épouse à rejoindre l'Eglise catholique.
Outre sa passion de la vérité, von Hildebrand disposait depuis ses jeunes années d'une profonde réceptivité à la beauté et d'un grand amour pour elle. Sans nul doute, la vocation artistique de son père, son enfance florentine et son éducation musicale contribuèrent au développement de cette sensibilité esthétique. Pourtant, ce fut bien son expérience de la grâce de Dieu qui l'enracina dans la certitude que la vérité et la beauté ne sont pas sans relation. Qu'au contraire elles convergent. Qu'elles sont une en la Personne de Jésus Christ. En cette convergence, l'amour de la vérité et de la beauté conduit à une authentique communion avec les autres, par laquelle se trouve balayée toute forme d'égoïsme et de solipsisme. En 1933, il exprimait cette pensée avec sa clarté caractéristique:

Toute vraie valeur, par exemple la beauté de la nature, un chef d'oeuvre artistique comme la Neuvième symphonie de Beethoven, la lumière morale d'un acte généreux de pardon, ou encore une fidélité à toute épreuve, tout cela, qui nous parle de Dieu et touche nos cœurs, tire notre esprit vers le monde véritable, nous mène jusque devant la face de Dieu, et dès lors les barrières de l'orgueil, de l'égoïsme et de l'affirmation de soi, qui nous isolent et nous font voir de l'extérieur nos compagnons, comme des adversaires ou des concurrents, s'effondrent. (Liturgie et personnalité, cf. infra, p. 46)

Sa vie et son oeuvre en leur entier portent la marque de son sens de la vérité, de sa réceptivité à la beauté spirituelle comme matérielle, et de son indéfectible fidélité.
Mon souvenir est vif de ce jour des années cinquante où, jeune prêtre, je fus convié à la demeure familiale des von Hildebrand, qui se situait dans les terres de la paroisse qui m'était alors confiée, pour assister à l'une des conférences qu'il avait pris coutume d'y donner durant ses visites d'été en Europe. Comme un fait exprès, le thème en était "la beauté" et il parla avec beaucoup d'éloquence et d'enthousiasme de son importance philosophique et spirituelle. La joie et la fraîcheur de sa compréhension de la doctrine catholique étaient contagieuses, et offraient un contraste frappant avec la sécheresse d'un type de scolastique qui semblait être devenu poussiéreux et rassis. À l'écouter, on réalisait que la transcendante beauté de la vérité avait capturé son coeur et son esprit, une beauté dont il trouvait l'expression sous sa plus haute forme dans la liturgie vivante de l'Église, et en son centre, dans le saint Sacrifice de la messe.
En un certain sens, c'est encore cet amour de la beauté et de la vérité qui, bien des années plus tard, dans la crise qui secoua l'Église suite à la publication de l'encyclique Humanae Vitae, lui dicta de demeurer constamment fidèle et de défendre l'enseignement du magistère dans un petit livre qui parut très peu de temps après l'encyclique.
Comme le montrent ces brèves réflexions, je suis personnellement convaincu que le jour où, tôt ou tard, l'histoire intellectuelle de l'Église catholique du XXe siècle sera écrite, le nom de Dietrich von Hildebrand occupera une place éminente parmi les grandes figures de notre temps.

Joseph, Cardinal Ratzinger

Note

(*) Nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises l'abbé Iborra dans ces pages (ce n'est pas fini!) et cette dernière occurrence est une pure coïncidence!

¤ Un familier de Benoît XVI (I)
¤ Un familier de Benoît XVI (II)
¤ Messe d'action de grâce pour Benoît XVI
¤ Mort du Roi et destruction de l'ordre naturel

Anna nous rappelle que l'abbé Iborra enseigne au Collèges de Bernardins et que ses cours de 2009 à 2013 sur la pensée de Ratzinger, puis de Benoît XVI et sur la grâce, sont en ligne sur site des Bernardins et peuvent être écoutés librement ici: www.collegedesbernardins.fr/fr/le-college/les-acteurs/enseignants-de-la-faculte/eric-iborra.html?category_id=.
Il s'agit d'une véritable manne.


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