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Chrétiens et musulmans

En décembre 2013, Samir Khalil Samir analysait avec beaucoup de clarté les deux paragraphhes de EVANGELII GAUDIUM sur les rapports entre l'islam et le christianisme. Un éclairage dont l'actualité rend la lecture encore plus nécessaire, sur des faits ignorés par presque tout le monde.

(Merci à Monique, qui a attiré mon attention sur ce texte)

Le dernier article de Sandro Magister dans son blogue multilingue <chiesa> est consacré à la nomination à titre provisoire à la tête de l’Institut Pontifical Oriental du jésuite égyptien et islamologue réputé Samir Khalil Samir, souvent rencontré dans ces pages.
A cette occasion, Sandro Magister rappelle une conférence que ce dernier avait donnée en décembre 2013, où le jésuite égyptien passait au crible de la critique les deux paragraphes de l'exhortation apostolique "Evangelii gaudium" (§252 et §253, cf. w2.vatican.va) consacrés au dialogue avec les musulmans, relevant minutieusement les points qui selon lui posaient problème.

Le titre de l'exposé était:
LES POINTS D’"EVANGELII GAUDIUM" QU’IL EST NÉCESSAIRE DE CLARIFIER

Je renvoie pour la lecture au site de Sandro Magister: http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/1350689?fr=y

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Sur ce sujet, en 2007 paraissait en France un livre écrit par le Père François Jourdan, un prêtre eudiste, spécialiste des relations avec l'islam, préfacé par Rémi Brague, intitulé "Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans: des repères pour comprendre", Editions de l'Oeuvre (cf. www.amazon.fr).

Voici le résumé que j'avais fait à l'époque de la longue préface de Rémy Brague:

La condition d'un dialogue authentique entre chrétiens et musulmans devrait être - au minimum - une bonne connaissance réciproque.
Elle est loin d'être avérée. "Les islamologues ne sont pas théologiens, les théologiens ne sont pas islamologues", et "ainsi, les deux équipes d'amateurs recouvrent leurs entreprises de fumigènes sentimentalistes".
Circonstance aggravante, il y a chez les "spécialistes" actuels une absence regrettable de culture classique, "les islamologues d'aujourd'hui sont en général passés par Langues O, et n'ont aucune idée de ce qu'est une religion".
En réalité, ce qui tient aujourd'hui lieu d'islamologie, c'est-à-dire propre à faire la "une" des medias, n'est rien d'autre qu'une "sociologie des populations musulmanes".

Pire, si on commence à poser dans un cénacle intellectuel la question "qu'est-ce que l'islam?", on se voit immédiatement brandir à la face comme une insulte l'accusation d'"essentialisme".
Or, dit Rémy Brague, si l'on parle de l'essence de l'islam, il convient déjà de distinguer la religion (islam, avec une minuscule) de la civilisation (Islam, avec une majuscule).

En ce qui concerne la religion, au-delà de toutes leurs différences, leurs antagonismes, et même leur haine, Rémy Brague cite les 4 points essentiels qui rassemblent tous les musulmans: le prophète Mahomet, le Coran, livre sacré, la prière en direction de La Mecque, et l'obligation du pélerinage à la Mecque.

Rémy Brague fait ensuite la liste de ce qu'il nomme les "fausses ressemblances", entre les religions chrétiennes et musulmanes.
Par paresse intellectuelle, on applique selon lui à l'Islam les schémas de la pensée chrétienne.
"Ce n'est pas respecter l'autre, dit-il, que lui imposer des catégories qui lui sont étrangères"...
"De nos jours, on s'imagine que le dialogue sera plus facile si on insiste sur les points communs, et minimise les différences."

Or, "il y a ressemblance et ressemblance", et pour illustrer son propos, Rémi Brague a recours à cette belle métaphore: la ressemblance entre le christianisme et l'islam évoque pour lui la ressemblance entre un visage et son reflet dans le miroir; tout y est inversé ("on a changé tous les signes").
Il y voit une explication historique: l'islam naissant a dû se définir 'contre' les deux religions monothéistes déjà existantes, le judaïsme et le christianisme, ce qui en fait une sorte de "post-biblisme".
Il constate donc:

1. Il est impossible de comparer le Coran avec d'autres textes.
Contrairement à ce qui est sans doute une idée reçue, il n'y a pas d'"écriture" en commun.
L'islam professe que les Ecritures ayant précédé le coran ont été "trafiquées" et ne représentent pas le vrai message de Moïse ou de Jésus.
Le Coran prétendrait "confirmer" les livres qui l'ont précédés (formulation que Rémy Brague trouve étrange, car inversée). Mais ce qu'il "confirme" ainsi, ce n'est ni l'Ancien, ni le Nouveau Testament (autrement dit les textes actuellement disponibles)... mais des textes introuvables, qui auraient existé avant la falsification.

2. Les concepts de "révélation" s'opposent.
D'un côté, la Bible fait précéder les prophètes par l'irruption de Dieu lui-même dans l'histoire. Dieu a choisi de mener une vie commune avec l'homme (ceci culmine, dans la religion chrétienne, avaec la vie de Jésus), et les prophètes de l'Ancien Testament n'ont pour tâche que de rappeler une alliance qui existe déjà. Jésus lui-même n'est pas un prophète, il n'est pas le porteur d'un message, il est lui-même le message, "le Verbe qui s'est fait chair", de l'Evangile selon Saint-Jean.
Alors que pour l'islam, "Dieu ne s'engage pas lui-même dans l'aventure humaine"
La révélation de Dieu est un message qui n'enseigne pas "qui Dieu est", mais "ce que Dieu veut".

3. Le prophète Mahomet.
Pour finir, Rémi Brague se pose la question de savoir si les chrétiens peuvent reconnaître en Mahomet un prophète.
Oui, sans doute, dans le sens métaphorique que l'on donne à ce mot en évoquant certains réformateurs, ou meneurs d'hommes.
Mais...
si un chrétien "prend le mot au sens fort d'envoyé, un musulman aura le droit de lui demander pourquoi... il ne se soumet pas à sa loi, et s'accroche à celle de Jésus, que Dieu a abrogée et remplacée par celle, définitive, de Mahomet.

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Le livre est complété par une série d'annexes, parmi lesquelles une rubrique intitulée "Quelques expressions fausses et très répandues". Et sont citées:
- L'expression "les religions du livre" (qui m'a toujours hérissée)
- La notion de "tronc commun".
- L'islam, religion révélée

Ce que Rémi Brague appelle "une triste anthologie de la confusion mentale"

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