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Interview du cardinal Burke dans la Bussola

Interrogé par Riccardo Cascioli, le cardinal s'exprime librement sur de nombreux sujets, et apporte des réponses claires: les attaques dont il est l'objet, le goût pour les dentelles et les chapeaux anciens, l'"esprit du Concile", le Synode et la thèse Kasper, ses relations avec le pape, etc...

L'impression est que, côté progressiste, on devient de plus en plus agrssif (cf. Le cardinal Burke trop catholique pour certains ? et aussi Qui a peur du cardinal Burke ? (II) ), alors que de l'autre côté (que je n'ose qualifier de "conservateur"...) on cherche en quelque sorte à "calmer le jeu", voulant à tout prix éviter tout ce qui pourrait évoquer un schisme.
C'est en tout cas le sentiment que me donne dans cet entretien (qui ne le ménage pas!) le bon cardinal Burke.
C'est peut-être aussi dans ce sens qu'il faut comprendre les récents propos du secrétaire du Pape émérite, Georg Gänswein, interrogé dans le quotidien argentin "la Nacion" par Elisabeth Piqué, biographe autorisée et amie du pape François (cf. americamagazine.org, où l'on trouve également les liens vers les articles originaux en espagnol).

Burke: «Je ne suis pas contre le pape. On veut discréditer ceux qui défendent l'enseignement de l'Eglise»

www.lanuovabq.it
Riccardo Cascioli
1er avril 2015
(ma traduction)

«Je ne suis pas contre le pape, je n'ai jamais parlé contre le pape, j'ai toujours conçu mon activité comme soutien au ministère pétrinien. Je voudrais seulement servir la vérité».
Il est amer, le cardinal Raymond Leo Burke, à cause de la campagne négative qui est menée contre lui. Âgé de soixante-six ans, ordonné évêque par le pape Jean-Paul II en 1995, expert estimé en droit canonique, il est appelé à Rome par le pape Benoît XVI en 2008, comme préfet du Tribunal de la Signature apostolique, avant d'être nommé cardinal en 2010.

Ces derniers mois, il a été dépeint comme un ultraconservateur fanatique, un anticonciliaire, un complotiste contre François, et même prêt à un schisme si le Synode s'ouvre à des changements indésirables. La campagne est si forte que même en Italie plusieurs évêques ont refusé d'accueillir ses conférences dans leurs diocèses. Et quand il lui est permis de tenir une réunion - comme récemment dans certaines villes du nord de l'Italie - il trouve immanquablement des prêtres qui le contestent, l'accusant de faire de la propagande contre le pape: «Ce sont des insanités, je ne comprends pas cette attitude. Je n'ai jamais dit un mot contre le pape, je m'efforce seulement de servir la vérité, un devoir qui nous incombe à tous. J'ai toujours vu mes interventions, mon activité, comme soutien au ministère pétrinien. Les gens qui me connaissent peuvent témoigner que je ne suis absolument pas un anti-pape. Au contraire, j'ai toujours été très loyal et j'ai toujours voulu servir le Saint-Père, ce que je fais encore aujourd'hui.»
En effet, le rencontrant dans son appartement à deux pas de la place Saint-Pierre, avec ses manières affables et son parler très spontané, il apparaît aux antipodes de l'image du défenseur revêche de la «froide doctrine», décrit par la grande presse.

* * *

- Cardinal Burke, pourtant dans le débat qui a précédé et suivi le premier Synode sur la famille, certaines de vos déclarations ont effectivement résonné comme une critique de François, ou au moins ont été interprétées en ce sens. Par exemple, récemment votre «Je résisterai, je résisterai» comme réponse à une éventuelle décision du pape d'accorder la communion aux divorcés remariés, a fait beaucoup de bruit.

-- Mais c'était une phrase déformée, il n'y avait aucune référence au Pape François. Je crois que, comme j'ai toujours parlé très clairement sur la question du mariage et de la famille, certains veulent me neutraliser en me dépeignant comme un ennemi du pape, ou même prêt au schisme, en se servant simplement d'une réponse que j'ai donnée dans une interview à la télévision française .


- Et alors, comment doit être interprétée cette réponse?

-- C'est très simple. La journaliste m'a demandé ce que je ferais si hypothétiquement - sans se référer à François - un pontife prenait des décisions contre la doctrine et contre la pratique de l'Eglise. J'ai dit que je devrais résister, parce que nous sommes tous au service de la vérité, à commencer par le pape. L'Eglise n'est pas un organisme politique dans le sens du pouvoir. Le pouvoir est Jésus-Christ et son Evangile. C'est pourquoi je lui ai répondu que je résisterais, et ce ne serait pas la première fois que cela se produit dans l'Église. Il y a eu plusieurs moments dans l'histoire où quelqu'un a dû résister au Pape, à commencer par Saint Paul contre Saint Pierre, dans l'histoire des judaïsants, qui voulaient imposer la circoncision aux convertis grecs. Mais dans mon cas, je ne suis pas du tout en train de faire résistance à François, parce qu'il n'a rien fait contre la doctrine. Et je ne me vois pas du tout en lutte contre le pape, comme ils veulent me peindre. Je ne poursuis pas les intérêts d'un groupe ou d'un parti, j'essaie juste, comme cardinal, d'être un maître de la foi.


- Un autre «chef d'accusation» contre vous est votre passion présumée pour les «dentelles», comme on le dit de façon méprisante, chose que le pape ne supporte pas.

-- Le pape ne m'a jamais fait savoir qu'il n'appréciait pas ma façon de m'habiller, qui a du reste toujours été dans la norme de l'Eglise. Je célèbre également la liturgie dans la forme extraordinaire du rite romain et il y a pour cela des vêtements qui n'existent pas pour la célébration dans la forme ordinaire, mais je porte toujours les habits que prévoit la règle pour le rite que je célèbre. Je ne fais pas de politique contre la façon de s'habiller du Pape. Et puis, on peut dire aussi que chaque pape a son propre style, mais qu'il ne l'impose pas ensuite à tous les autres évêques. Je ne comprends pas pourquoi cela devrait être un motif de polémique.


- Pourtant, souvent, les journaux ont utilisé une photo où vous portez un couvre-chef définitivement passé de mode ...

-- Ah, ça, mais c'est incroyable. Je peux vous expliquer. C'est une image qui s'est propagée après que "Il Foglio" l'ait utilisée pour publier une interview de moi durant le Synode. L'interview était bien faite, mais malheureusement, ils ont utilisé une photo hors contexte, et j'en suis désolé parce que cette manière ils ont donné la fausse impression d'une personne vivant dans le passé. Il est en effet arrivé qu'après avoir été nommé cardinal, j'ai été invité dans un diocèse du sud de l'Italie pour une conférence sur la liturgie. Pour l'occasion, l'organisateur a voulu me faire cadeau d'un antique chapeau de cardinal dont j'ignore où il avait pu le trouver. Évidemment, je l'ai gardé en main et je n'avais aucune intention de le porter régulièrement, mais il m'a demandé de faire au moins une photo de moi portant le chapeau. C'est la seule fois où j'ai mis ce chapeau sur la tête, mais malheureusement cette image a fait le tour du monde et certains l'utilisent pour donner l'impression que je me promène comme ça. Mais je ne l'ai jamais porté, même pas lors d'une cérémonie.


- Vous avez également été désigné comme l'inspirateur, sinon le promoteur de la «Supplique au Pape François sur la famille», qui a été diffusée, pour recueillir des signatures, sur quelques sites du monde traditionaliste.

-- J'ai signé ce document, mais ce n'est pas mon initiative ou mon idée. Et j'ai encore moins écrit ou co-écrit le texte. Ceux qui disent le contraire affirment quelque chose de faux. Pour ce que j'en sais, c'est une initiative de laïcs, on m'a montré le texte et je l'ai signé, comme beaucoup d'autres cardinaux.


- Un autre des accusations qui vous sont adressées est d'être anti-conciliariste, contre le Concile Vatican II.

-- Ce sont des étiquettes qui sont faciles à appliquer, mais il n'y a aucun fondement dans la réalité. Toute ma formation théologique au grand séminaire a été basée sur les documents de Vatican II, et je m'efforce encore aujourd'hui d'étudier plus profondément ces documents. Je ne suis absolument pas opposé au Concile, et si on lit mes écrits, on trouvera que très souvent je cite les documents de Vatican II. Ce avec quoi je ne suis toutefois pas d'accord, c'est «l'Esprit du Concile», cette réalisation du Concile qui n'est pas fidèle au texte des documents, mais qui a la prétention de créer quelque chose de totalement nouveau, une nouvelle église qui n'a rien à voir avec toutes les soi-disant aberrations du passé. En cela, je suis pleinement la présentation brillante qu'en a faite Benoît XVI dans son discours à la Curie romaine de Noël 2005. C'est le fameux discours dans lequel il explique que l'interprétation correcte est celle de la réforme dans la continuité, par opposition à l'herméneutique de la rupture dans la discontinuité que de nombreux secteurs promeuvent. L'intervention de Benoît XVI est vraiment lumineuse et explique tout. Beaucoup de choses qui se sont produites après le Concile et sont attribuées au Concile, n'ont rien à voir avec le Concile. C'est la simple vérité.


- Mais le fait demeure que François vous a «puni» en vous retirant de la Signature apostolique et en vous confier le patronage de l'Ordre Souverain Militaire de Malte.

-- Le pape a donné une interview au journal argentin "La Nacion" où il a déjà répondu à cette question en expliquant la raison de ce choix. Tout est dit, et ce n'est pas à moi de commenter. Je peux seulement dire, sans violer un secret, que le Pape ne m'a jamais dit ou donné l'impression qu'il voulait me punir pour quelque chose.


- Ce qui est certain, c'est que votre «mauvaise image» a à voir avec ce que le cardinal Kasper a encore, ces derniers jours, appelé la «bataille synodale». Qui semble croître en intensité à mesure que l'on se rapproche du Synode ordinaire d'Octobre prochain. Où en sommes-nous?

-- Je dirais qu'à présent, il y a un débat beaucoup plus large sur les sujets traité par le Synode et c'est bien. Il y a un plus grand nombre de cardinaux, d'évêques et de laïcs qui interviennent et cela est très positif. C'est pourquoi je ne comprends pas tout le bruit qui a été créé l'année dernière autour du livre «Rester dans la vérité du Christ», auquel j'ai contribué avec quatre autres cardinaux et quatre spécialistes sur le mariage.


- C'est là qu'est née la théorie d'un complot contre le pape, thèse reprise récemment dans Il Corriere della Sera par Alberto Melloni, ce qui lui a valu un procès intenté par l'éditeur italien Cantagalli.

-- C'est tout simplement absurde. Comment peut-on accuser de complot contre le pape ceux qui présentent ce que l'Église a toujours enseigné et pratiqué sur le mariage et la communion? Il est certain que le livre a été écrit comme une aide en vue du Synode pour répondre à la thèse du cardinal Kasper. Mais il n'est pas polémique, c'est une présentation très fidèle à la tradition, et il est également de la plus haute qualité scientifique possible. Je suis totalement disponible pour recevoir des critiques sur le contenu, mais dire que nous avons pris part à un complot contre le pape est inacceptable.

- Mais qui fomente cette chasse aux sorcières?

-- Je n'ai aucune information directe, mais il y a certainement un groupe qui veut imposer à l'Eglise non seulement cette thèse du cardinal Kasper sur la communion pour les personnes divorcées et remariées, ou pour ceux qui sont en situation irrégulière, mais aussi d'autres positions sur les questions liées aux thèmes du Synode. Je me réfère à l'idée de trouver des éléments positifs dans les relations sexuelles en dehors du mariage, ou homosexuelles. Il est évident qu'il y a des forces qui poussent dans cette direction, et pour cela ils veulent nous discréditer, nous qui tentons de défendre l'enseignement de l'Eglise. Je n'ai rien de personnel contre le cardinal Kasper, pour moi, la question est seulement de présenter l'enseignement de l'Église, qui dans ce cas est lié à paroles prononcées par le Seigneur.


- En regardant quelques-uns des thèmes qui ont émergé avec force lors du Synode, on a recommencé à parler du lobby gay.

-- Je ne suis pas en mesure d'identifier avec précision, mais je vois de plus en plus qu'il y a une force qui va dans ce sens. Je vois des individus qui, consciemment ou inconsciemment, font avancer un agenda homosexuel. Comment cela est organisé, je ne le sais pas, mais il est évident qu'il y a une force de ce genre. Au Synode, nous avons dit que parler d'homosexualité n'avait rien à voir avec la famille, il fallait plutôt convoquer un Synode spécial si on voulait parler de cette question. Et au contraire nous avons trouvé dans la Relatio post disceptationem cette question qui n'avait pas été discutée par les pères.


- L'une des justifications théologiques à l'appui du cardinal Kasper, qui est aujourd'hui très reprise, est celle du «développement de la doctrine». Pas un changement, mais un approfondissement qui peut conduire à une nouvelle pratique.

-- Ici, il y a un grand malentendu. Le développement de la doctrine, comme il l'a par exemple été présenté par le bienheureux cardinal Newman ou d'autres bons théologiens, signifie un approfondissement dans l'appréciation, dans la connaissance d'une doctrine, pas le changement de la doctrine. Le développement, en aucun cas, ne conduit au changement. Un exemple est celui de l'exhortation post-synodale écrite par le pape Benoît XVI sur l'Eucharistie, «Sacramentum Caritatis», dans laquelle est présenté le développement de la connaissance de la présence réelle de Jésus dans l'Eucharistie, également exprimée dans l'adoration eucharistique. Certains, en effet, étaient opposés à l'adoration eucharistique, parce que l'Eucharistie est à recevoir 'à l'intérieur'. Mais Benoît XVI a expliqué - citant également Saint Augustin - que s'il est vrai que le Seigneur se donne lui-même dans l'Eucharistie pour être consommé, il est également vrai qu'on ne peut pas reconnaître cette réalité de la présence de Jésus sous les espèces eucharistiques sans adorer ces espèces. C'est un exemple de développement de la doctrine, mais ce n'est pas que la doctrine de la présence de Jésus dans l'Eucharistie ait changé.


- Un des motifs qui revient dans la polémique sur le Synode est la prétendue opposition entre la doctrine et la pratique, la doctrine et de la miséricorde. Même le pape insiste souvent qur l'attitude pharisienne de ceux qui utilisent la doctrine pour empêcher l'amour de passer.

-- Je pense qu'il faut faire la distinction entre ce que dit le Pape en certaines occasions et ceux qui affirment une opposition entre doctrine et pratique. On ne peut jamais admettre dans l'Église une opposition entre la doctrine et la pratique parce que nous vivons la vérité que le Christ nous communique dans sa sainte Église et la vérité n'est jamais quelque chose de froid. C'est la vérité qui nous ouvre l'espace pour l'amour, pour aimer vraiment on doit respecter la vérité de la personne, et de la personne dans les situations particulières où elle se trouve. Donc, établir une sorte de contraste entre la doctrine et la pratique ne reflète pas la réalité de notre foi. Ceux qui soutiennent les thèses du cardinal Kasper - changement dans la discipline qui ne touche pas la doctrine - devraient expliquer comment c'est possible. Si l'Eglise admet à la communion une personne qui est liée par un mariage, mais vit avec une autre personne une autre relation de mariage, c'est-à-dire qui est dans un état d'adultère, comment peut-on permettre cela et considérer en même temps que le mariage est indissoluble? L'opposition entre la doctrine et la pratique est une fausse opposition que nous devons rejeter.


- Pourtant, c'est vrai qu'on peut utiliser la doctrine sans amour.

-- Bien sûr, et c'est ce que le pape dénonce, l'utilisation de la loi ou de la doctrine pour faire avancer un agenda personnel, pour dominer les personnes. Mais cela ne signifie pas qu'il y a un problème avec la doctrine et la discipline; seulement qu'il y a des gens de mauvaise volonté, qui peuvent commettre des abus, par exemple en interprétant la loi d'une manière qui nuise aux personnes. Ou en appliquant la loi, sans amour, insistant sur la vérité de la situation de la personne, mais sans amour. Même quand une personne se trouve en état de péché grave, nous devons aimer la personne et l'aider comme le Seigneur l'a fait avec la femme adultère et la Samaritaine. Il a été très clair en leur annonçant l'état de péché dans lequel elles étaient, mais en même temps il a montré un grand amour en les invitant à sortir de cette situation. Ce que ne faisaient pas les Pharisiens, qui témoignaient au contraire d'un légalisme cruel: ils dénonçaient la violation de la loi, mais sans donner aucune aide à la personne pour sortir du péché, de façon à retrouver la paix dans sa vie.

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