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La lettre de Jeannine du 19 juin

Un nid de frelons

... Sur Sandro Magister, et un peu sur Benoît

Chère Béatrice,

Au Vatican, comme dans beaucoup d’endroits, la vengeance est un plat qui se mange froid.
La décision devait couver depuis longtemps mais cette fois l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir et régler ainsi son compte au gêneur.
Sous le nouveau pontificat il faut adorer le nouveau dieu, l’apprécier sans restriction, être comme un bon petit soldat et observer le devoir de réserve comme dans la Grande Muette.
Miséricorde, Miséricorde, le grand souci du pape au point d’en faire une année jubilaire et de déléguer des pouvoirs exceptionnels à des prêtres qui absoudront les pêchés les plus graves, voilà une notion qui m’échappe. Je dois ne rien comprendre et ce n’est pas étonnant quand on connaît mon manque de compréhension des incohérences de l’actuel pontificat.
Parmi les péchés les plus graves de la dite Année jubilaire, je n’aurais pas eu l’idée d’’inclure «une initiative manifestement incorrecte» pour l’ego des collègues et le fonctionnement du service de presse (*). Ma notion du religieusement incorrect est à revoir mais comme je suis rationnelle je pense que mon évaluation de la gravité est en cette cirsonstance la plus sensée; cette faute professionnelle – si tant est qu’elle est soit une - est l’arbre qui cache la forêt et ouvre la porte à la mise au jour de ressentiments personnels, ce qui est très éloigné de la miséricorde, même simplement humaine - je ne précise pas pour la Miséricorde si chère au cœur du pape. Il y a un proverbe religieux qui dit « à tout péché miséricorde », la miséricorde de Dieu, oui, mais pour celle des hommes il vaut mieux ne pas y compter. Pas de circonstances atténuantes, pas de pardon pour Sandro Magister, pas d’explications: décision immédiate et radicale.

Prendre cette faute comme prétexte pour régler un problème qui est latent depuis longtemps est, pour moi, un abus de pouvoir, un leurre et me fait penser de plus en plus à un régime autoritaire.

Les collègues journalistes ulcérés par ce manque de tact à leur égard, cette révélation qui les a tant affectés, ce couac dont je dois être incapable d’apprécier la gravité, ont saisi l’occasion de clouer l’offenseur au pilori. Etrange, mais je ne me souviens pas, sous le pontificat de Benoît XVI, avoir eu vent d’une telle décision et pourtant Vatileaks a été une série de fuites qui a porté atteinte à l’intégrité morale et spirituelle du Pape: le poids des mauvaises actions est donc variable suivant l’importance de la personne visée.

J’en conclus fort logiquement que l’avis des journalistes et leur état d’âme peuvent avoir plus d’importance que le Chef de l’Eglise Catholique, suivant qu’il est aimé ou non. Je trouve cela choquant mais il est vrai qu’avec François il ne faut s’étonner de rien.
Une fois de plus, on se trouve face à une décision ultra-rapide, brutale, ce n’est pas la première mais toutes ont un point commun : les personnes concernées ont l’audace de critiquer le Pape, c’est à dire de porter un autre éclairage sur une ambiance qui se veut idyllique, sur un nouveau visage de l’Eglise qui en déconcerte certains, ceux que le pape décrit comme des « égoïstes» , incapables d’accueillir toutes les surprises, les nouveautés, les changements de cette Eglise nouvelle, merci François. Rien à voir avec l’éreintement orchestré par les médias et d’autres pendant le pontificat de Benoît XVI.

Les deux tweets que vous citez (ici) ne viennent pas de très haut. Ils révèlent que, malgré l’air printanier qui souffle depuis le 13 mars 2013 derrière les hauts murs de la cité vaticane, rien n’a changé. La hache de guerre n’est pas enterrée, grands sourires qui cachent de solides mécontentements, des rancœurs, une union de façade et le Vatican est toujours un nid de frelons.

On entendra encore parler de cette histoire car Sandro Magister, j’espère, va se défendre.

* * *

L’été qui n’est pas loin va être agité et je crois que nous aurons droit à quelques morceaux de bravoure dont le Pape émérite sera le centre si ce qui est annoncé se réalise.
Il Sismografo en a donné un avant-goût (cf. Des nouvelles de Benoît XVI... ).
Au moment de l’effacement, Benoît XVI a eu ces quelques paroles un peu maladroites qui m’ont fait si mal : « vous ne verrez plus mais nous resterons unis dans la prière ». La première photo - volée, mais tant pis -, a été un véritable baume pour moi. Une chose reste certaine, dans le temps présent personne ne peut rivaliser avec lui, que ce soit pour la musique, la beauté des textes, l’enseignement de la foi.
Pour tout dire je pense qu’il serait bien pour les memores et Mgr Gänswein de changer un peu d’air avec lui. Il y a deux ans qu’ils vivent à Mater Ecclesiae et peut-être serait-il bon d’apporter quelques modifications au bâtiment, pratique avant tout. Notre pape émérite reçoit des visites et sort dans les Jardins du Vatican, il est entouré, son secrétaire avec parapluie noir en main et sourire éclatant l’abrite sous les ombrages, cadeaux, un geste de la main de Benoît XVI depuis la voiture électrique pour dire au revoir avant de rentrer à la maison; rien que de la joie avec les visiteurs comblés (cf. Rencontre avec les séminaristes de Faenza) .

(…)

A bientôt
Jeannine

* * *

(*) Allusion à la lettre du Père Lombardi, affichée dans la Salle de presse du Vatican, pour signifier à Sandro Magister l’annulation de son accréditation, cf. Eviction de Sandro Magister (I).

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