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La lettre de Jeannine...

du 24 mai: les réformes de François, et la vie de prière de Benoît XVI à Mater Ecclesiae

Chère Béatrice,
(...)

Je tente avec une réelle bonne volonté de suivre l’activité du Saint-Père ou, pour employer le titre qu’il apprécie particulièrement, celle de l’Evêque de Rome. Les grandes réunions se multiplient avec, comme de bien entendu, des conseils, des mises en garde, mais qui n’ont pas retrouvé l’intensité désobligeante, blessante du dérapage qui a accompagné les vœux à la Curie fin 2014. Dois-je en conclure que cet organisme mis en place depuis fort longtemps est imparfait au point de le molester à la face des médias du monde entier qui ont apprécié le cadeau que François leur a fait: entendre un pape démolir ses collaborateurs avec autant d’ardeur, de franchise, une première dans l’Eglise, allant tout à fait dans le sens de leurs espoirs.

Voyages, rassemblements, réunions plus ou moins secrètes, tout cela défile, et pour rien puisque l’on apprend ce que je dis depuis le début : François sait vers quoi il va et se donne tous les moyens pour brouiller les pistes et avoir ainsi plus de liberté. Une once de propos destinés à rassurer les « anciens », les traditionalistes, les trop égoïstes pour accepter qu’au nom de la miséricorde on tende la main à tous; et en plus, discrets, des actes qui rassurent les bien-pensants épris de changement et qui trouvent un allié de poids dans ce pape ouvert à tous leurs désirs. Pendant ce temps François avance son chemin – dixit J-M Guénois.

C’est la raison de la réunion ultra-secrète qui va se tenir demain lundi 25 mai au Vatican à huis-clos mais optimiste comme je suis il y aura sûrement des fuites, dans ce petit territoire rien d’important ne peut rester secret longtemps.
Dans le Figaro du 23 mai Jean-Marie Guénois revient sur le prochain synode et parle de cette rencontre « très discrète des réformateurs à Rome » (article réservé aux abonnés du Figaro; résumé sur le Forum catholique).
Deux articles dans lesquels moi, qui suis si ignorante de tout, j’ai fait la connaissance sommaire de trois théologiens (parmi les 50 membres conviés) - Alain Thomasset, Eva-Maria Faber, et Eberhard Schockenhoff - qui vont indiquer le chemin pour avancer dans le sens souhaité par le pape. Il est quand même dit qu’ « aucun théologien opposé à ces évolutions n’est d’ailleurs invité ». Sage précaution, voilà ce que j’appelle un débat orienté.
Alain Thomasset, le théologien français est professeur à la faculté jésuite de Paris ; grâce à ses propos dans La Croix (ICI) lors d’une interview datant de novembre 2011, il fait savoir que « le magistère nous éclaire, mais il ne peut donner que des repères, car souvent la complexité des situations fait qu’il est impossible de respecter l’ensemble des valeurs en jeu. En dernier ressort, notre conscience opère un travail de discernement ». Il me semble entendre parler François. J’avoue que ce travail de discernement opéré par les consciences me paraît sujet à de nombreuses variantes mais la miséricorde aidant, il sera tout pardonné. Les deux autres sont allemands dont un très connu, et critiquent l’Eglise trop rigide et plaident pour un discours dans lequel fidélité, infidélité seraient remplacés par « un discours narratif « qui allégerait la « culpabilité « qui pèse sur les couples au profit de la miséricorde. La contraception, l’encyclique autoritaire de Paul VI, l’accueil des homosexuels ne sont pas oubliés. Bref un seul but à atteindre : de profonds changements. Parmi les évêques français qui se donnent tant de peine pour satisfaire François certains sont un peu déçus de constater qu’ils sont embarqués (c’est de moi) dans une tendance qui n’est pas la leur, bravo pour la collégialité.

François est pris entre deux feux; ce n’est pas une nouveauté puisque c’est lui qui les entretient. Il ne comprend pas en quoi il y a contradiction entre ses paroles depuis un long moment (même Sandro Magister l’a relevé, cf. chiesa.espresso.repubblica.it) en faveur de la famille et son désir d’ouverture pastorale.
Cette opposition lui déplait de même qu’il ne supporte pas la violence des propos tenus à l’encontre du cardinal Kasper, son préféré, celui qui fait de la théologie à genoux.
Ce perpétuel grand écart pratiqué par le pape est un grand classique. On met en retrait, pendant un temps plus ou moins long, les personnes attaquées, les idées qui déplaisent afin de laisser croire que rien n’est fait, que tout est encore en gestation mais cela n’est qu’apparence trompeuse car l’idée conductrice, elle, n’a pas changé. Le cardinal Kasper n’a plus fourni depuis un moment la moindre longue intervention en faveur de la théorie qu’il soutient avec, comme de bien entendu, l’aval de François; inutile de s’épuiser pour un résultat qui d’ores et déjà a atteint son but : imprimer dans les esprits que des solutions moins restrictives sont envisageables et déjà mises en pratique par les plus frondeurs. La décision finale ne sera prise par le pape qu’après un temps long de réflexion pour laisser mûrir toutes les idées qui vont compléter en octobre 2015 l’ébullition déjà commencée en 2014. On peut penser à 2016 à moins que le pape et ceux qui l’entourent ne décident d’accélérer le mouvement afin d’imposer le résultat final pour bien marquer la force et la nouveauté de la transformation. Même si les décisions finales ne sont pas aussi ouvertes au changement que souhaité, il restera dans les esprits les paroles, les idées émises par le Pape lui-même et partant de cela il suffira de faire pression sur les évêques, les grands managers, pour faire évoluer ces mesures prises dans un seul but : accueillir à bras ouverts tous ceux qui seront attirés. La médecine se heurte en dépit de toutes ses avancées et pour certaines grandes catégories de pathologies, à un obstacle majeur: l’impossibilité de trouver le remède miracle car chaque patient est un cas; de même, pour l’Eglise le problème des divorcés, des homosexuels et autres recouvre une multitude de formes qu’il conviendra de traiter au cas par cas car il ne faudra pas arriver au favoritisme. Vaste programme, que deviendront ceux qui resteront la voix sourde de l’Eglise, une blessure pour une Eglise qui pensera avoir tout arrangé.

Je n’aime pas le nom donné à cette fondation : Fabrique de la paix (cf. Le droit d'être consterné et La Fabrique de la Paix). Etant donné les buts qu’elle souhaite voir se développer et qui ne sont que très laïcs je reconnais qu’il convient bien, mais pourquoi avoir invité le pape qui est tout de même un chef spirituel? Flatté que l’on ait pensé à lui, ravi d’être encensé par un auditoire bruyant, il est resté dans le rôle que l’on attendait de lui. A l’enfant espagnol malade qui lui demandait le pourquoi de la chose il s’est contenté de répondre que lever les yeux au ciel ne sert à rien , inutile d’attendre des réponses qui n’existent pas. Il est resté dans le concret, les problèmes de santé publique, mais parler des soins palliatifs m’a choquée: ces soins ne sont pas des inconnus et véhiculent une conception peu réjouissante de l’avenir. La paix n’est pas un objet que l’on crée en usine, que l’on peut exposer, faire voyager. Elle demande un long travail de maturation, une infinie patience et je croyais aussi que la spiritualité, la foi, avaient un rôle à tenir et c’est dans cet esprit-là que le terme de « fabrique » ne me convient plus. Un pape parlant de foi n’aurait pas convenu pour ce rassemblement, surtout une prudente neutralité dans les paroles mais, une question pour moi : que veut François lorsqu’il parle de sortir dans les périphéries?

François a l’art incontesté de s’entourer de personnes douteuses mais qui doivent correspondre à des aspirations profondes chez lui.
Son ami théologien, Mgr Fernandez dans une interview fort libre nous a montré le futur visage de l’Eglise qu’il souhaiterait (cf. Une déclaration de guerre). A la première lecture, stupéfaction : sa nouvelle équation pour définir l’Eglise: Eglise = Pape et évêques; exit les cardinaux.
C’est drastique, radical. Le Pape devient itinérant et grâce aux nouveaux outils pour la communication il reste au contact du monde. Décidément cet archevêque a une dent contre Rome et le Vatican. Je pense que le cardinal Parolin a un titre : secrétaire d’état mais François ne lui laisse pas prendre d’initiatives, il veille au grain. Suivant la conception de Mgr Fernandez il pourrait très bien perdre sa spécificité. Changement d’herbage réjouit les veaux dit le dicton populaire fort peu respectueux de la haute société mais pourquoi choisir de préférence Bogota à une autre ville pour que le pape y ait un dicastère, si on peut m’expliquer je serai ravie. Je sais que François est le pape des pauvres et qu’il aimerait que l’on se mette à genoux devant eux, mais pourquoi faire venir deux fois de Buenos-Aires ce théologien si cher à son cœur pour la rédaction de son encyclique, cela me paraît particulièrement dispendieux. La version rêvée de la papauté de Mgr Fernandez n’est pas sans avoir un écho favorable auprès de François, sans cela elle ne serait pas traitée lors d’une interview.
François nous réserve encore beaucoup de choses à découvrir. Pourquoi avoir soulevé la question d’un déménagement dans un lieu plus sûr? y aurait-il des bruits qui circuleraient? Le terrorisme est par définition imprévisible pour les dates et je trouve bien prétentieux de penser que les fanatiques sont toujours sous contrôle. Que représente le Vatican par rapport aux USA ? François a le peuple avec lui et il est jugé l’homme le plus influent du monde. Il faudrait relativiser tout cela et dégonfler la mégalomanie de certains. Mais François sait que le temps joue en sa faveur; en faisant traîner les choses en longueur il augmente les chances de voir s’émousser les résistances, «à vaincre sans péril on triomphe sans gloire » . La réussite n’est pas garantie, cela me fait penser à un coup de poker.

Le Jubilé de la Miséricorde avec une Année Sainte; je me souviens avoir lu, je ne sais plus où que l’Année Sainte de l’an 2000 avait crée une joyeuse pagaille à Rome et que le cardinal Joseph Ratzinger avait déclaré, au sujet de l’évènement, « une fois tous les vingt-cinq ans, cela suffit « Je le verrais bien dire cela, en soutane noire, jambes croisées, installé dans un fauteuil, près d’une fenêtre, c’est tout à fait son style : concision, clarté. Est-ce en vue du prochain Jubilé que François manifeste tant de miséricorde, tant de sympathie à Emma Bonino? Toujours le même écart entre ses paroles sur la vie et sa bienveillance envers celle qui est connue pour son action et son influence dans le monde de l’avortement. Etant donné que les 100 prêtres itinérants auront le pouvoir de remettre les péchés les plus graves pour le jubilé rien n’empêche de prendre un peu d’avance puisque pour le pape tout est pardonnable et tout est pardonné. Qui suis-je pour attacher de l’importance à tout cela? Logique, rationnelle, je ne cède pas à la colère et bizarrement les jugements que j’émets après coup n’en sont que plus stricts, alors ne me demandez pas de comprendre ce pape.

* * *

Pendant ce temps de préparation du futur synode nous avons Benoît XVI qui continue sa vie calme, priante, recevant qui il lui est agréable de rencontrer. Les photos de visiteurs nous montrent un visage souriant, reposé, un personnage attentif à celui qui vient le voir. La soutane blanche est toujours impeccable et en feuilletant le si beau livre sur Jean-Paul II qui vient de lui être offert, on retrouve les mains fines qui, dans un geste familier, accompagnent son commentaire sur l’ouvrage qu’il regarde avec son visiteur (cf. Un cadeau pour le Pape émérite). La formule de bienvenue est magnifique et montre que la tête va toujours bien. Simple, sincère, accueillante, pour entamer une rencontre, un entretien sur un sujet qui lui est cher: Jean-Paul II ; les souvenirs sont liés aux nombreuses années de collaboration intense entre le pape qui parcourait le monde et celui qui lui gardait la maison en toute amitié, toute confiance, sans messes basses, sans papotages. Du temps où il était à la CDF le cardinal disait que, devant lui, les bavardages, les critiques, n’avaient pas lieu. Cet homme discret, fidèle en amitié, était le collaborateur rêvé pour l’aider à mener l’Eglise. Cette visite a dû faire revivre bien des souvenirs liés à ce temps qui reste si précieux au pape émérite.
Le 29 avril une photo nous permet de retrouver Benoît dans les jardins du Vatican entouré de trois théologien (Benoît XVI et les trois théologiens) : dans la verdure, visages souriants, un moment de calme où la différence d’âge ne joue aucun rôle, on vient voir, écouter celui qui sait quoi dire et le dit bien.

La lettre écrite par Benoît XVI pour le livre du cardinal Bertone (Témoignage d'estime pour un ami) est pleine de sensibilité, de vérité. Rien n’est oublié de leur longue collaboration, de la profondeur du travail effectué en dépit des critiques féroces dont ledit cardinal est l’objet. Benoît XVI n’a jamais eu une vision restrictive de l’Eglise mais cela arrangeait ses détracteurs de le faire croire.

Il est réconfortant de voir que notre pape émérite vit fort bien cette nouvelle vie, que sa parole est toujours recherchée et qu’il ne soustrait pas à ces rencontres. A notre époque il faut savoir donner avec modération, évidemment, des signes de présence dans le cadre qu’il a lui-même choisi et fixé pour se retirer, les nouvelles erronées sont si vite créées. Pour un grand esprit comme le sien assurer de la correspondance, recevoir des visites valables, intéressantes, doit être une source d’enrichissement, d’approfondissement de ses idées, de ses connaissances, une manière de rester lié au monde.

Comme le temps ne me manque pas je recherche les photos et les textes qui font revivre son passé et celui de son frère (sur la page Facebook <Un Cuore baverese> et d’autres, voir aussi sur ce site Un cuore bavarese ). Bien sûr j’ai les livres mais il me plaît de traduire les légendes qui accompagnent les photos et de replacer ces moments illustrés dans les ouvrages qui me paraissent bien plus vivants. Toutes les remises en mémoire des si beaux textes qu’il a écrits et que vous nous fournissez entre autres ne font que nous confirmer la valeur de ce pontificat, merci à lui de continuer à nous guider dans le monde instable qui nous entoure.

* * *

Je me demande encore comment ont pu être menées à bien les transformations à Mater Ecclesiae sans que rien ne transpire. Comment ce pape tant critiqué a-t-il trouvé la force de ce geste unique, qualifié de coup de tonnerre dans un ciel serein, pour tout manager dans la mise en ordre des affaires afin de quitter la barque dans un climat apaisé ainsi qu’il l’avait dit à Peter Seewald . J’appelle cela du grand art, compte tenu de sa fatigue qui était bien réelle et inquiétante. Comme il est bon de le voir dans sa forme actuelle !!

A bientôt!
Jeannine

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