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Le sang de saint Janvier

Réflexion sur l’épisode récent de la liquéfaction « miraculeuse » de ce sang, lors de la récente visite du Pape à Naples.

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Titre de La Croix, 22 mars 2015 :

Saint Janvier, le pape et le clergé parthénopéen.

www.scuolaecclesiamater.org
Traduction Anna

Nous avons assisté dans l'après-midi du 21 mars dernier, lors de la visite pastorale du Pape à Naples, à la rencontre dans la Cathédrale avec le clergé, les religieux et les religieuses. À part l'amusant "siparietto" (ndt: sketch, petit théâtre) dans le style napolitain, de l'assaut des religieuses cloîtrées au pape, tandis que le cardinal Sepe, en dialecte local et de manière presque… - avec tout le respect dû - grotesque et propre à un film de Fellini, invitait les religieuses à calmer leur… enthousiasme (voir ci-dessus la vidéo de La Repubblica), à l'issue de la rencontre l'ampoule contenant les reliques du sang de Saint Janvier, le saint évêque martyre et patron de la ville parthénopéenne, a été prélevée.
Selon ce qu'annonçait l'archevêque Sepe, le sang s'était - à ce même moment - "déjà à moitié liquéfié". L'ampoule a été ensuite présentée au pape, qui a béni les personnes présentes. "Saint Janvier aime le Pape et Naples" s'est réjoui le cardinal Crescenzio Sepe. Au même moment le Pontife commentait toutefois: "On voit que le saint nous aime à moitié et qu'il nous faut nous convertir afin qu'il nous aime davantage".

Nous ne savons pas dans quelle mesure le sang s’est liquéfié. Des vidéos disponibles en ligne, on ne peut pas tirer une certitude. Nous ne sommes surtout pas en mesure d'affirmer si le sang n'était pas déjà dissous - depuis quelques heures peut-être ou depuis quelques jours. D'après Giacomo Galeazzi, de Vatican Insider, le sang se serait même dissous complètement, au point de faire crier au "miracle" (cf. vaticaninsider.lastampa.it).

Certes, d'après les chroniques, l'événement prodigieux ne se produisit ni avec Jean-Paul II en 1990, ni avec Benoît XVI en 2007.
Il pourrait s'agir d'un fait emblématique.
Mais quelle signification donner à cette "liquéfaction" plus ou moins partielle? Pouvait-il au moins se dissoudre complètement, ou pas du tout, comme c'était advenu avec les prédécesseurs?
Les hypothèses presque cabalistiques abonderaient si nous voulions répondre à toutes ces questions.
Cela n’exprimerait-il à lui seul l'agrément et le contentement du Saint ou de Dieu?

Le Professeur Baima Bollone rappelait justement hier, sur Il Mattino, que le sang s'était dissous aussi en d'autres occasions (en plus des fêtes liturgiques, évidemment): en 1848 pour Pie IX. A cette occasion, le saint pontife de l'Immaculée (ndt : le Bienheureux – et non saint - Pie IX proclama le 8 décembre 1854 le dogme de l’Immaculée Conception), en fuite de Rome, fut témoin du miracle et en signe de reconnaissance pour le Patron de Naples donna à la Chapelle du Trésor un calice en or pur d'un coût très élevé, bien supérieur à celui, pour l'époque, d'un carrosse de luxe.

Une autre liquéfaction s'était produite auparavant, en 1799, pendant la dite «République Parthénopéenne», philo-lumières et philo-révolutionnaire, qui avait chassé les Bourbons et avait un caractère nettement anti-catholique. En cette circonstance, l'événement prodigieux fut interprété comme un signe de bienveillance céleste à l'égard des révolutionnaires. À cause de cela, Saint Janvier fut "dépossédé" du patronage et, en tant que traître, fut même "condamné à l'enfer". À sa place fut nommé Patron le très populaire Saint Antoine de Padoue. Après quelques années, lorsque les Bourbons furent revenus, Saint Janvier fut "pardonné" et réadmis en son patronage.

Nous ne pouvons donc pas déduire de la liquéfaction, complète ou partielle, ou même de la non liquéfaction, un signe ou un agrément céleste. Ou bien cela est, à lui seul, pour le moins insuffisant. Si nous le faisions, nous accréditerions l'idée, pourtant partagée par de nombreux prêtres et prélats, que dévotion rimerait avec superstition et justifierait les convictions de ceux qui doutent de la prodigiosité même de l'événement. À savoir, que le phénomène peut être diversement interprété, de façon contradictoire, selon les circonstances.

Au-delà de la signification qu'on pourrait attribuer à l'événement, nous avons donc été frappés par la boutade - disons "légère" - du pape, qui même face à un événement prodigieux (ne parlons pas d'un véritable miracle), n'a pas su transformer le "siparietto" en une assemblée orante, remerciant Dieu du don agréé et advenu sous ses propres yeux et ceux des personnes présentes. Ce qui est bien plus blâmable s'il est considéré un miracle, car dans ce cas les boutades irrévérencieuses, déjà d'un goût douteux, le seraient davantage surtout parce que prononcées par des ecclésiastiques.
La familiarité avec un Saint - tel que l'est saint Janvier pour les napolitains - est très compréhensible; il est très "napolitain" de plaisanter ou même de se mettre en colère avec saint Janvier, même si la sagesse populaire exhorte à rigoler avec les fantassins, et à laisser tranquilles les saints ("scherza coi fanti e lascia stare i santi")!

Une telle intimité et familiarité ne doivent toutefois pas faire oublier que le Saint n'est qu'un "intermédiaire", un moyen, et que ce qui est donné au travers de cet instrument doit toujours ramener l'attention vers le Véritable Protagoniste, au Dieu de toute miséricorde et donateur de tous les dons. Revoyant les images et les vidéos de l'événement on a la nette perception qu'il s'agissait de tout (y compris les "siparietti") sauf d'une rencontre orante et recueillie entre le pape et les prêtres, et entre ceux-ci et le Saint, où le plus recueilli était bien le pape.…
Une dernière remarque. Nous sommes,- on l'a peut-être oublié - en période de Carême. Il aurait peut-être fallu que les prêtres et les religieux napolitains ici réunis se rappellent que dans quelques jours ils vont entendre, dans les récits de la Passion, du Sang du Protagoniste versé sur la Croix. Il était donc pour le moins opportun de donner du relief à ce Protagoniste là. Les Saint eux-mêmes le savent d'ailleurs, et ne feraient jamais les "protagonistes" hors de propos, se plaçant au centre aux dépens de Celui qui est le Vrai.

  Benoit et moi, tous droits réservés