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Les catholiques de gauche aiment François

... enfin, presque tous. Compte rendu par Giuseppe Rusconi d'un Congrès qui s'est déroulé à Rome pour commémorer Gaudium et Spes, et réfléchir au prochain Synode

Il est impossible que le pape ignore qui sont ses soutiens les plus enthousiastes (la voix dissonnante citée dans l'article est celle d'un "catholique" à gauche de la gauche, pro-islam, vraiment "adulte", en ce sens qu'il n'admet aucune autorité).
Il apparaît de plus en plus évident qu'il pourra difficilement continuer à faire le grand écart entre les espoirs démesurés qu'il a fait naître, sciemment ou par imprudence, à l'aile gauche, et les gages qu'il essaie de donner en ce moment à l'aile droite. Car comme le dit ce commentaire lu sur le blog Chiesa e post-concilio : Pour l’instant, face aux résistances, une pause est bienvenue ; elle lui permet de désarmer l’opposition de quelques "conservateurs" et de reprendre son souffle.

Apparemment, la gauche de l'Eglise ne s'est pas aperçue de cette pause... ou elle ne lui en tient pas rigueur, car elle comprend qu'il s'agit d'une stratégie.

Catholiques de gauche: avec François, hors des Catacombes

Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
16 mai 2015
(ma traduction)

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Quelque deux cents catholiques italiens "de base" se sont réunis à Rome pour commémorer «Gaudium et Spes» et à réfléchir sur le pape François et les défis du prochain Synode.

Il y a deux ans et demi, des dizaines de groupes de l'archipel catholique de «gauche» (définie autrefois "cattocomunisti", désormais réunis sous la devise «Chiesa-di-tutti-chiesa-dei-poveri» (Eglise-de-tous-église-des-pauvres) s'étaient réunis une première fois à Rome, pour réfléchir sur le Concile Vatican II. C'était de 15 Septembre 2012, un demi-siècle après le message radio, dans lequel Jean XXIII rendait compte des intentions profondes de ce qui était sur le point d'être inauguré. Depuis lors, il y a eu trois rencontres de réflexion , la dernière le samedi 9 mai dernier toujours à Rome. Thème de la rencontre «Joie et espoir, miséricorde et lutte - 50 ans après Gaudium et Spes ». Environ 200 participants, membres principalement de «Noi siamo Chiesa» - Nous sommes Eglise (filiale italienne de Wir sind Kirche) et bien d'autres réalités parmi lesquelles on peut signaler «Heureux les artisans de paix», le «Centre international Helder Camara de Milan», (..), la «Coordination des théologiennes italiennes», la «Coordination nationale des communautés d'accueil» (CNCA) «Pax Christi», etc..

La rencontre s'est conclue par la publication d'une lettre au «Cher Pape François», où on lit notamment: «Nous espérons avec vous que l'Esprit qui anima le Concile nous anime dans les engagements du moment présent dans l'Église et dans le monde».
Conclusion: «Nous vous saluons avec joie et espérance, avec affection et gratitude, dans le Seigneur».

Également approuvée, une lettre aux Pères synodaux, qui critique la Conférence épiscopale italienne pour la méthode de consultation sur le deuxième questionnaire; demande qu'au Synode participent davantage d'«experts en humanité familiale» (!); invite à ne plus citer Humanae vitae (sombrée, faute d'être reçue, dès le début, par le peuple chrétien); postule l'admission à l'Eucharistie des divorcés remariés («après un chemin spirituel approprié»); invoque pour les homosexuels les «ouvertures contenues» dans le rapport intérmédiaire du Synode d'Octobre dernier (bouleversé par la réaction de la majorité des Pères synodaux).
Les communautés chrétiennes - lit-on le document - «doivent soutenir et accompagner» les divorcés remariés dans leur «choix responsable» ainsi que «promouvoir par tous les moyens les unions civiles entre personnes homosexuelles». Le dernier espoir: «Que les évêques acceptent d'être illuminés d'en haut».
Est également annoncé pour les 20 à 22 Novembre une grande rencontre internationale à Rome des communautés de base du monde entier, promue par l'archipel des "Chiesadituttichiesadeipoveri": conférenciers annoncés, une théologienne zimbabwéenne et l'ex-jésuite espagnol Jose Maria Castillo.
Voici quelques élément de la rencontre, qui restituent bien l'ambiance régnant dans la salle romaine.

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Raniero La Valle: nous avons risqué de nous rencontrer comme les carbonari d'une église qui n'existe plus
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Qui est Raniero La Valle, 84 ans? Pendant des décennies, l'une des principales figures intellectuelles de référence de la «gauche catholique»: ancien directeur, de 1961 à 1967 de l'“Avvenire d’Italia”, de Bologne (fusionné ensuite avec “L’Italia” de Milan avant de donner naissance à l'“Avvenire” d'aujourd'hui), parlementaire élu comme indépendant sur les listes du Parti communiste italien (1976-1992), rédacteur du «manifeste pour la gauche chrétienne» et candidat aux élections européennes en 2009, pour la «Sinistra», dans la «Liste communiste anti-capitaliste».

La Valle a prononcé le discours d'ouverture du Congrès, l'introduisant par ces mots:
«Quand il y a trois ans, nous avons commencé nos rencontres pour célébrer les 50 ans du Concile (...) nous avons couru un grand risque. Parce que si entre-temps, rien ne s'était passé, si le pape François n'était pas arrivé, aujourd'hui, nous aurions risqué de faire de l'archéologie». En effet, «les pauvres seraient dans les catacombes et ne se réuniraient pas au Vatican dans la salle de l'«ancien Synode», ils ne prendraient pas leur douche et ne se raseraient sous la colonnade de Saint-Pierre, ils n'iraient pas au concert aux premières places dans la Salle Paul VI et ne seraient pas invités à visiter la Chapelle Sixtine, étant donné qu'ils ont eux aussi droit non seulement au pain, mais aussi à la beauté».

Un début "crépitant", avec une suite non moins pyrotechnique:
«Et si nous étions encore dans le désert où nous étions il y a trois ans ( Ndlr: au temps de Benoît XVI ), le Concile lui-même serait aujourd'hui déchiré entre les différentes herméneutiques, il serait déclassé au rang de "non-événement", il serait exorcisé car, comme l'avait dit Paul VI, à travers ses fissures, la fumée de Satan était entrée dans le temple de Dieu, et, enfin, il serait remplacé par le Catéchisme de l'Eglise catholique de 1992, qui, selon le cardinal Levada et Benoît XVI, devait être considéré comme la véritable réception du Concile en l'année de la foi de 2012 »
Bref, quelle peur!

«Tout cela, nous avons risqué de le vivre aujourd'hui; nous avons riqué de nous rassembler comme les Carbonari d'une Eglise qui n'existe pas, de nous souvenir d'un Concile désormais "digéré", pour reprendre les paroles de Benoît XVI». Mais il y a eu un «signe des temps», qui «a pris les traits du pape François», de sorte que nous savons maintenant que «le Pape François n'est pas un champignon surgi dans l'Église, mais n'est rien d'autre que le Concile, qui reprend et continue». Bref, «Le Concile et le pape François ne sont plus deux événements à 50 ans de distance, mais sont désormais un événement unique».
Pour Raniero La Valle - qui dans la partie centrale de son exposé a valorisé la joie («qui s'était perdue au cours des siècles») et l'espérance indiquées dans la constitution pastorale fondamentale promulguée en conclusion du Concile -, avec François «de l'Eglise des pauvres à Gaudium et Spes, au Jubilé de la Miséricorde la ligne est tracée et le cercle se ferme».

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Don Giovanni Cereti: J'ai hurlé de Joie au nom de Bergoglio
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Don Giovanni Cereti (1) est un prêtre et théologien gênois bien connu, cité par exemple par le cardinal Walter Kasper à propos de l'admission à l'Eucharistie des divorcés remariés. Son exposé, lors de la rencontre du 9 mai, était placé sous le titre: «Le prochain Synode: problèmes ouverts». Il a lui aussi commencé avec une image forte: «Le soir de l'élection du Pape François je n'étais pas loin de Place Saint-Pierre: à la fumée blanche, j'ai tout laissé, et j'ai couru sur la Place pour vivre avec les autres l'attente du nom du nouveau pape. Quand j'ai entendu le nom de Bergoglio, que j'espérais après le conclave de 2005, j'ai commencé à hurler de joie comme peut-être cela ne m'était jamais arrivé de ma vie, et quand j'ai entendu le nom de François, les hurlements de joie se sont multipliés, parmi la stupeur de tous les voisins «mais c'est qui?».
Don Cereti note immédiatement: «Je dois dire que jusqu'ici, je n'ai pas eu de motif de diminuer ma joie», car «un autre printemps, selon ma façon de penser, s'est ouvert à l'Eglise, après le printemps du Pape Jean XXIII». Bref, «nous vivons un moment extraordinaire dans l'histoire de l'Eglise». La nouveauté enthousiasmante, c'est qu'à la fois Jean XXIII et François «ont mis l'homme au centre (ndt: et pas Dieu, cqfd!!!): le pape Jean XXIII avait déplacé l'attention de l'erreur (la faute) à l'errant (le pécheur), Gaudium et Spes avait confirmé cette centralité de la personne humaine que reconnaissent à la fois croyants et incroyants, et le Pape François a déplacé l'attention de la doctrine abstraite à la personne concrète avec tous ses problèmes, ses joies et ses souffrances».

Le théologien génois a ensuite abordé la «question» des divorcés remariés, réitérant sa thèse: la ré-admission à l'Eucharistie, après une période de pénitence, «semble être pleinement conforme, non pas à la tradition plus récente, mais à la grande Tradition suivie dans l'Église primitive».
Don Cereti dit: «Le mariage-sacrement n'est pas une la cage dont, une fois dedans, on ne peut plus sortir: il est confié à la responsabilité des époux qui en sont les ministres». C'est pourquoi «quand la volonté des époux d'être mari et femme n'existe plus», disparaît aussi «la grâce du sacrement».
Don Cereti admet que «les résistances à cette nouvelle approche sont très fortes, et parmi ceux qui s'y opposent, il y en a ceux qui menacent ouvertement d'un schisme».
Toutefois, «un débat ouvert comme celui voulu par le pape peut justement éviter un tel schisme, en essayant d'amener à travers le dialogue et le débat ouvert à une solution partagée».
Mais il est clair que «le résultat de la deuxième session du Synode ne semble pas acquis à ce stade, compte tenu de l'attitude dure d'une grande partie de l'aile la plus conservatrice, exprimée par exemple par l'épiscopat des Etats-Unis».
Il y a, cependant, «heureusement», un fait nouveau: «L'annonce du Jubilé de la Miséricorde, la clarté et l'ouverture de la bulle d'indiction "Misericordiae vulnus" qui laissent vraiment bien espérer».

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Don Giovanni Sarubbi, une voix dissonante
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Dans l'archipel catholique de «gauche» tous ne partagent pas entièrement l'enthousiasme pour le pape François. Empêché de participer, Giovanni Sarubbi (ndt: bio en italien ici www.ildialogo.org) a envoyé un long message, dans lequel il souhaite que «l'alignement sur les positions du pape François, qui imprègne presque complètement notre milieu, soit dépassé au plus vite. Marcher à la remorque de quelqu'un, quel qu'il soit, est toujours une mauvaise chose en soi». Pour Sarubbi - dont les positions sont connues depuis longtemps et recueillent de l'attention, mais pas grand consensus - la «troisième guerre mondiale a commencé le 11 Septembre 2001» et «on n'en voit pas la fin»; «les musulmans européens vivent aujourd'hui la même condition que les Juifs ont vécu dans les années 30 du siècle dernier»; il existe «d'énormes inégalités économiques» qui engendrent des guerres et des millions de réfugiés; les médias avec leurs mensonges «favorisent un climat de guerre, soutiennent et fomentent le terrorisme et la haine raciale». Et le pape François? «Avec les initiatives sur le Moyen-Orient et sur la Syrie, il semblait s'être engagé sur la route de l'opposition décidée à la guerre». Mais «l'embardée sur la question arménienne et la référence constante à la défense des chrétiens, comme si dans la guerre, seuls les chrétiens mouraient, et non pas des personnes de toutes les religions, font entrevoir une divergence d'opinion au Vatican sur ce qui est une question cruciale dans nos vies . (...) L'indiction du "Jubilé de la Miséricorde", sans dire un mot à propos de la guerre, ne laisse rien augurer de bon».
Dans le débat, plusieurs interventions sur divers sujets, de la guerre au Moyen-Orient à la nécessité de «supprimer» Humanae vitae, de la fidélité au choix religieux personnel, aux notes sur un voyage au Salvador et au Guatemala, dans le sillage des évêques assassinés Romero et Girardi.

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