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Les critiques de Robert Spaemann

Des détails sur l'interview qu'a accordée récemment le philosophe allemand à "Herder Korrespondenz"

>>> Cf. Un philosophe catholique allemand critique le pape
>>> L'article auquel il est fait allusion est disponible aux abonnés: www.herder-korrespondenz.de

Le célèbre philosophe catholique allemand fait des vagues pour avoir critiqué le style «autocratique» du pape François

Rober Spaemann et Hans Joas

(© Herder Korrespondenz)

"Un sentiment de chaos"

27 avril 2015
LifeSiteNews.com
(ma traduction)

Récemment, lors d'une longue interview à la revue catholique allemande Herder Korrespondenz, dans un numéro spécialement consacré au pape François, le célèbre et sans doute le plus éminent philosophe catholique allemand, le professeur Robert Spaemann, ami de longue date du pape Benoît XVI, a publiquement formulé une forte critique du pape François, discutée dans tout le pays

Au début de cette interview croisée qui impliquait également un autre philosophe catholique allemand, le professeur Hans Joas, Spaemann, de manière calme et nuancée, a d'abord reconnu les points forts du Pape François, et surtout ce qu'il appelle sa «piété traditionnelle»: «Il parle comme un évêque latino-américain qui est totalement enraciné dans la piété de son peupl»
Spaemann poursuit :
«D'un autre côté, à mon avis, son culte de la spontanéité n'aide pas. Au Vatican, certaines personnes soupirent déjà: "Aujourd'hui, il a encore une nouvelle idée, différente d'hier".
Difficile de se débarrasser complètement d'un sentiment de chaos. Et la façon dont il prépare le Synode est irritante. L'intention est qu'au synode, deux parties se rencontrent, que le pape veut orienter vers un dialogue dans lequel lui-même joue le rôle de modérateur. Dans le même temps, cependant, il prend déjà parti à l'avance en favorisant la position du cardinal Walter Kasper, il a exclu l'Institut Jean-Paul II pour les études sur la famille des consultations du pré-Synode et tente, à l'aide de pressions explicites d'influencer ces consultations».

Spaemann a ensuite également critiqué le pape François pour avoir licencié du personnel qui avait été proche de Benoît XVI: «Le pape François insiste toujours sur son lien étroit avec le Pape Benoît. Il se peut que cela soit vrai aussi. Mais je me demande pourquoi il vire hors du Vatican autant de gens qui avaient été appelés par Benoît».

Spaemann, 87 ans, qui a enseigné dans des universités importantes, comme l'Université de Heidelberg et l'Université de Munich, a également critiqué le pape François pour sa façon de choisir les nouveaux cardinaux:

«Prenez les récentes nomminations de nouveaux cardinaux. Des évêques complètement inconnus qui, parfois, ont seulement 15.000 catholiques dans leurs diocèses, sont maintenant entrés dans le gouvernement de l'Église universelle. Mais des évêques ayant de plus grands diocèses, ont été ignorés, même si on peut avoir vu chez eux quelque qualité extraordinaire quand ils ont été choisis pour être archevêques. Pourquoi, alors, ne sont-ils pas appelés au sommet? Je me demande ce que sera le résultat à la fin - un geste symbolique éphémère? Le prochain Synode devra, en particulier, montrer ce que le Saint-Père a l'intention de faire».

Le professeur Hans Joas, un progressiste, le partenaire de Spaemann dans cette interview, a largement soutenu le pape François, allant même jusqu'à défendre les relations sexuelles hors-mariage en tant que telles. Mais lui-même est d'accord avec Spaemann dans certaines de ses critiques concernant le précédent et le prochain Synode sur le mariage et la famille:
«Le plus grand danger est toutefois - et ici nous sommes d'accord - qu'à travers cette dynamique qu'il [le Pape François] favorise, il puisse laisser libre cours à des conflits massifs, et des forces centrifuges mauvaises pourraient mettre en danger l'Eglise dans son ensemble. L'analogie avec Mikhaïl Gorbatchev vient à l'esprit - avec toutes ses différences: ici arrive un réformateur d'en haut et les changements font tanguer tout l'édifice. Cela doit être évité à tout prix».

Interrogé sur sa réaction au fait que les premiers mots prononcés sur le balcon par le Pape François nouvellement élu étaient, "Buona sera [bonne soirée]", Spaemann a répondu: «j'ai dit: "O mon Dieu, est-ce possible?"».

Le point de vue très critique de Spaemann sur le pape François se fait encore plus clair après qu'il ait été interrogé sur les possibles futurs résultats de cette papauté. Dans sa critique, Spaemann se réfère à l'enseignement de l'Évangile comme étant son guide formatif décisif:
«Il se peut que la voie de François soit perçue comme un nouveau départ - ou comme un échec. J'essaie toujours de trouver une norme de mesure, en lisant les Évangiles et les Lettres des Apôtres. Saint Paul dit qu'il viendra des enseignants qui diront des choses qui sonnent bien aux oreilles, et les gens les suivront. Mais toi, dit saint Paul à Timothée, tu ne sera point confus. Transmets le trésor que tu as reçu, de façon inaltérée et sans raccourci» (1).

Spaemann insiste en particulier dans cet entretien sur le fait que l'on ne devrait pas séparer la doctrine de la pratique. Interrogé sur le Pape François mettant en garde contre une chrétienté d'idées et accordant sa faveur à une chrétienté d'actes, le philosophe répond:
«Je trouve cette formulation maladroite. Les deux doivent aller ensemble. François sépare les deux parties de l'Eglise - théologie et pratique. Et veut les garder séparées. Les théologiens doivent faire leur travail, mais les pasteurs ne doivent pas leur prêter trop d'attention. Il me semble qu'il ne lit pas beaucoup, et ne se soucie pas beaucoup de théologie. Cependant, à mon avis, les deux doivent être réunis. La théologie devient exsangue et abstraite, lorsque l'expérience pastorale ne coule pas en elle. Mais inversement, la pastorale aussi devient vide et ne sait pas ce qu'elle doit enseigner si elle n'a pas de fondement théologique».

Lorsqu'on lui demande si le message aimant et libérateur du Christ doit se tenir au centre de l'enseignement de l'Eglise, Spaemann nous rappelle que Jésus Christ nous a mis en garde contre le danger de la perte éternelle de nos âmes:
«Mais l'enseignement du catéchisme est sans ambiguïté: Jésus ne proclame pas seulement le Dieu d'amour; Il annonce Lui-même comme le juge des vivants et des morts. Ceux qu'Il recevra dans son royaume, les autres qu'Il condamne. Par conséquent, les sermons de Jésus sont remplis d'avertissements. Voulons-nous les ignorer? Cela signifie-t-il ignorer les signes des temps?»

Jetant un regard rétrospectif vers le pontificat de Benoît XVI, Spaemann voit que Benoît a fait à l'Église le don d'une plus grande liberté spirituelle. «Il y a une liberté spirituelle que Benoît XVI a apportée dans l'Eglise», dit-il. Le philosophe allemand loue également Benoît XVI pour avoir levé plusieurs injustices graves concernant la liturgie:
«Il a essayé d'intégrer dans l'Église le potentiel spirituel de ceux qui aiment assister à l'ancienne messe. C'est une grande réussite. François fronce parfois le nez face aux amis de l'ancienne messe. Je considère que c'est blessant. [...] A Buenos Aires, il était [connu] de tous que Bergoglio, une semaine après la publication de Summorum Pontificum, accorda aux partisans de l'ancienne messe une église importante» (?).

Spaemann, et son collègue Joas, ont tous deux exprimé dans cette interview leur critique de la gouvernance et des méthodes parfois "autocratiques" du pape François.
Spaemann dit:
«Le pape a le pouvoir illimité de définition et aussi la pleine juridiction, quelque chose que l'orthodoxie par exemple rejette complètement. François souligne qu'il peut intervenir directement dans chaque diocèse du monde. Si Benoît avait dit quelque chose d'analogue, il y aurait eu un tollé. Mais avec François, les pouvoirs du pape sont soulignés à nouveau d'une manière encore plus forte. Et aucun journal n'est contrarié».

Et à un autre endroit, Spaemann dit: «Ce pape est l'un des plus autocrates que nous ayons eu depuis longtemps».

Joas ajoute à cette critique:
«En ce qui concerne les changements au Vatican, je considére comme problématique l'humiliation publique de ses subordonnés dans le discours du pape avant Noël. Une telle critique doit soit se passer sous une forme non-publique, soit il doit y avoir la possibilité d'exprimer un désaccord. Humilier les gens publiquement, c'est d'après moi être autocratique dans un sens négatif».

Concernant le dernier et le prochain Synode des évêques sur la famille, Spaemann montre clairement une inquiètude que le pape puisse provoquer une scission au sein de l'Eglise:

«Il doit y avoir un véritable dialogue. [...] Mais à la fin, il y aura la question de l'issue. La scission au sein de l'Église grandira-t-elle, ou bien quelque chose pourra-t-il être rapproché? Le Synode doit inviter tout le monde, ce qui est une bonne pensée, si seulement le pape omet d'être modérateur et partisan dans le même temps».

Vers la fin de l'interview, Robert Spaemann fait quelques forts commentaires sur la question des divorcés «remariés» et sur le fait que les diocèses à travers le monde traitent cette question de manière très différente. Spaemann commente:
«Non, il n'est pas possible que dans un diocèse, elle soit traitée d'une autre manière que dans un autre. Chaque évêque a le pouvoir dans son diocèse. Mais une véritable autorité, par exemple, de la Conférence des évêque n'existe pas. Par conséquent, des solutions unifiées sont nécessaires. Et surtout, les choses doivent correspondre ensemble. Je ne peux pas parler d'une part de l'indissolubilité du mariage et du caractère de péché des relations sexuelles hors mariage, et puis d'autre part donner la bénédiction de l'Église à une «nouvelle communauté de lit».

Le Professeur Spaemann insiste que l'Église a besoin de transmettre l'enseignement moral d'une manière nouvelle et adaptée, mais pas d'adapter l'enseignement lui-même:
«Si une plus grande adaptation de l'Eglise au 'mode de vie' moderne était le bon moyen, alors le protestantisme, qui va dans cette voie, devrait avoir moins de pertes que l'Eglise catholique, ce qui n'est pas le cas. L'approbation de la vraie indissolubilité du mariage doit être la condition pour admettre quelqu'un au sacrement du mariage. (...)» (?)

Dans ce contexte, Spaemann répète l'enseignement de l'Eglise concernant les relations sexuelles hors-mariage et renvoie à l'époque de Jésus-Christ, où les gens étaient choqués par Son enseignement:
«Les évangiles le disent [que c'est interdit]. Ce sont les paroles de Jésus. Ensuite, les gens disent que c'est trop difficile pour les gens d'aujourd'hui. Oui, c'était également difficile pour les gens de l'époque de Jésus. Quand Jésus a dit que le mariage ne peut être dissous, la réaction des Apôtres n'était pas l'enthousiasme; au contraire, ils ont été choqués et ont demandé qui, après cela, voudrait encore se marier. Ils ont été choqués, exactement comme les gens sont choqués aujourd'hui».

Avec ces mots, le philosophe allemand Spaemann nous rappelle à tous que la norme du Christ est toujours la même et sera toujours la même, et que le monde pécheur et adultère de l'époque du Christ devait Lui obéir, tout comme notre propre monde aujourd'hui doit s'adapter à Celui qui est venu pour nous racheter et nous sauver.

NDT:

Deuxième Lettre de Paul à Thimothée, ch. 4:

1 Je t'adjure devant Dieu et le Christ Jésus, qui doit juger les vivants et les morts, et par son apparition et par son règne:
2 prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, censure, exhorte, avec une entière patience et (souci d')instruction.
3 Car un temps viendra où (les hommes) ne supporteront pas la saine doctrine, mais au gré de leurs désirs se donneront une foule de maîtres, l'oreille leur démangeant,
4 et ils détourneront l'oreille de la vérité pour se tourner vers les fables.
5 Pour toi, sois sobre en toutes choses, endure la souffrance, fais oeuvre de prédicateur de l'Evangile, remplis pleinement ton ministère.

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