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L'inquiétude des intellectuels catholiques

.. ceux "de gauche", s'entend. Leurs pairs ne comprendraient pas le Pape, à la différence du peuple, emballé. Ils ont consacré à ce thème un congrès à la "Catholique" de Milan, sous la houlette de Mgr Galantino, le secrétaire de la CEI

En tout cas, le sujet doit être sensible (l'inquiètude serait-elle justifiée, mais par d'autres raisons?), puisqu'il a suscité au moins deux articles dans l'Avvenire (ma traduction ci-dessous ), présentant l'initiative de "certains des meilleurs chercheurs catholiques italiens", réunis pour réfléchir "sur la «nouveauté» de la langue utilisée par le Pape et sur la difficulté rencontrée à l'écouter, non pas de la part des masses (qui ont immédiatement aimé le Pape Bergoglio), mais des intellectuels".
Les déviants sont en conclusion rappelés vertueusement à l'ordre: " La primauté, le Christ ne l'a pas donnée à Jean (que l'Eglise d'Orient a toujours honoré avec le titre de «théologien»), mais à Pierre, lui conférant à LUI (et à ses successeurs) un mandat explicitement pastoral («Pais mes agneaux»), avant d'être doctrinal."

Il est curieux de trouver ainsi renversé l'argument que les sociologues nous ressortent à chaque fois qu'ils se mêlent de "décrytper" (!!) le vote dit "populiste" aux élections politiques dans les pays occidentaux. Selon eux, ce seraient les gens de plus faible niveau culturel qui constitueraient le gros de cet électorat, car les pauvres, on le sait, sont souvent sous-informés, et insuffisamment équipés intellectuellement pour comprendre ce qui est en jeu. En gros chez nous, ils ne lisent ni le Monde, ni l'Obs. Ils sont donc trop bêtes.
Ici, c'est l'inverse, qui se passe. Les rares intellectuels (forcément de droite, on le devine) qui osent émettre des doutes sur le nouveau cours du Pontificat sont opposés défavorablement à la clairvoyance d'un peuple spontanément acquis aux manières de François.

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A propos: je ne me souviens pas de congrès organisés entre 2005 et 2013 par les intellectuels catholiques (toutes tendances confondues!) pour défendre Benoît XVI, pourtant si attaqué - mais pour d'autres raisons. Benoît XVI auquel il est rendu par ailleurs un hommage perfide, feignant d'oublier qu'il a été Jean ET Pierre, le théologien ET le pasteur.

Les «silencieux» et les «enthousiastes»: le monde de la culture regarde Bergoglio

L'Avvenire, 7 mai 2015
Paolo Viana
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Le monde de la culture cultive encore une sorte de préjugé contre le pape François, dicté par l'incompréhension.
C'est ce qu'a dit clairement hier après-midi l'historien Agostino Giovagnoli («il y en a qui voient en lui une certaine étrangeté au monde de la culture») expliquant pourquoi l'Université catholique de Milan a décidé de consacrer un congrès à la «culture de la rencontre», centrale dans l'enseignement de Bergoglio.
«En général, l'académie (le milieu universitaire) estime que certains contenus ou bien passent à travers tel langage en particulier ou bien qu'il n'en permet pas le transit. On ne comprend pas, par exemple, que dans toute chose que fait le Pape François, il y a la conviction que dans le geste, il y a la rencontre avec le Christ et que le geste est une expérience profonde de réciprocité »: le nœud était emmêlé et Mgr Nunzio Galantino, Secrétaire général de la CEI, l'a ainsi dénoué, au terme du débat.

Giovagnoli est parti du thème du caractère «étranger» pour expliquer que le pape Francis utilise un langage nouveau, qui valorise l'unité par rapport aux antinomies. Une innovation pas toujours appréciée, et pas seulement dans le monde laïc, comme l'a dit Maurizio Ambrosini, sociologue à l'Université de Milan, selon lequel il existe un «consensus qui prévaut pour le message de Bergoglio, qui peine, cependant, à aboutir à un engagement actif» et génère des réactions variées, allant des "apocalyptistes" aux "contunuistes", des silencieux à ceux qui applaudissent, et à ceux qui se sont mis en marche.
Une "démoscopie" sur laquelle allait s'attarder, entre gravité et humour, également le secrétaire de la CEI.

Selon Luciano Eusebi, juriste de [L'Université] catholique, au contraire, avec ce pontificat, «l'Eglise est redevenue un interlocuteur pour tous, au moment même où elle semblait remisée dans un coin» et cela parce que le pape François refuse la lamentation et «réussit à communiquer que l'Evangile a à voir avec la réalité humaine concrète de tous».
Eusebi place la «révolution» tout d'abord au sein de l'Eglise, dans l'espoir que François conduise à «reproposer les contenus dogmatiques de la foi, non pour les changer, mais pour les rendre compréhensibles à l'homme d'aujourd'hui».

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«Le pape relance le désir de faire des choses - a confirmé Galantino - qui ne peuvent être schématisées et qui surprennent souvent. Il est capable de revenir lui-même sur ses propres décisions. Et pourtant, on ne serait pas surpris si on se rappelait que tout, chez François, vient de la rencontre avec le Christ, qu'il fait avec sérieux. Etre une Église qui sort signifie rencontrer et se faire rencontrer, un lieu où j'apprends toujours quelque chose, pas un slogan».

Enfin, revenant à la notion guardinienne de réciprocité (Gegenseitigkeit, la rencontre qui transforme) il a ajouté: «Comme ce serait bien si les sacrements étaient toujours vraiment cette rencontre. Imaginez que nous puissions toujours combiner cette figure anthropologique dans l'Eucharistie, dans la Réconciliation ... ».

Dans les mots du Pape la primauté de la "pastorale"
C'est toujours l'amour qui nous sauve

Francesco D'Agostino
L'avvenire
13 mai 2015
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Que, dans le monde de la «culture» il existe un préjugé contre le pape François, considéré comme étranger à ce monde, ou au minimum difficile à situer à ses marges, cela ne fait aucun doute (témoins les récentes polémiques apparue dans la presse allemande, qui ont impliqué même Robert Spaemann, considéré comme le plus grand philosophe catholique vivant).
Et l'Université catholique de Milan a eu raison de réagir contre ce jugement sommaire, invitant certains des meilleurs chercheurs catholiques italiens à réfléchir sur la «nouveauté» de la langue utilisée par le Pape et sur la difficulté rencontrée à l'écouter, non pas de la part des masses (qui ont immédiatement aimé le Pape Bergoglio), mais des intellectuels.
Les raisons de cet état de fait, qui est absolument indubitable, sont probablement variées et sont sans doute à relier à une certaine nostalgie douloureuse de certains pour le style de Benoît, le Pape «théologien», lucide, extrêmemnt calibré, capable d'entrer victorieusement en dialogue sans aucune arrogance confessionnelle, avec les plus grands intellectuels européens (et parfois aussi avec des intellectuels italiens, peut-être pas dignes de tant d'attention).
Rien à objecter à une nostalgie «émotionnelle» pour Benoît XVI; beaucoup, en revanche, à objecter, si cette nostalgie n'est pas pour la personne très aimable de Joseph Ratzinger, mais pour le style «théologique» imprimé à son pontificat. Il faut en effet rappeler à l'attention de tous que la primauté, le Christ ne l'a pas donnée à Jean (que l'Eglise d'Orient a toujours honoré avec le titre de «théologien»), mais à Pierre, lui conférant à LUI (et à ses successeurs) un mandat explicitement pastoral («Pais mes agneaux»), avant d'être doctrinal.

Il est évident que l'activité pastorale présuppose l'intelligence à la fois des pasteurs et de leurs brebis, et donc ne peut pas ne pas se manifester dans une dimension doctrinale, mais cette dimension doit toujours être ramenée, pour ainsi dire, et comme le pape François ne cesse de le rappeler, à l'intérieur du cadre de la «pastorale». En d'autres termes, le «travail» du pasteur n'est pas principalement un travail théologique et le «travail» du théologien n'est pas d'abord un travail pastoral: d'où la primauté de l'évêque (c'est-à-dire le pasteur) sur le théologien (c'est-à-dire sur l'intellectuel). Une primauté que justement le plus grande des théologiens, saint Thomas d'Aquin, n'a jamais cessé de défendre.

Si nous écoutons dans cette perspective les paroles du Pape François, quelques doutes, quelques irritations, quelques préoccupations affichées (par exemple celles concernant le prochain Synode des évêques), beaucoup de nostalgie et même certains «scandales» que ses paroles et ses gestes ont causés, ne peuvent que se dissoudre. L'écoute que nous devons au Pape doit être celle d'âmes qui ont besoin d'être protégés et nourries spirituellement (tout comme les brebis doivent être protégées et nourries par un bon berger). Au contraire, ce n'est pas notre âme, mais notre esprit, qui est sollicité par les mots de la philosophie, de la théologie, de l'anthropologie ou de toute autre science, et ces mots sont précieux quand ils ont la capacité de nous stimuler, nous provoquer, dilater notre connaissance.

A tous les mots qui nous sont adressés, nous devons prêter attention, d'où qu'elles nous proviennent, mais n'oublions jamais que nous parviendrons au salut non pas à travers la connaissance, autant qu'on puisse la dilater, mais à travers l'amour. Et un mot d'amour vaut mille fois plus que tous les mots rassemblés dans une encyclopédie.

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