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L'exégète du pape

Scalfari revient à la charge. Il vaut la peine de lire en entier sa dernière contribution à l'élévation aux autels laïcs du pape François.

Il n'est plus temps de tout ramener à une histoire de guillemets (comme l'avait fait la première fois le Père Lombardi, dans une tentative dérisoire de justification de propos ambigus prêtés à François), ou d'admettre sans discuter que Scalfari exploite abusivement la naïveté du Pape; et il ne sert à rien de mettre en doute les paroles qu'il attribue à ce dernier. Ce qui est grave, au fond, c'est que ces paroles, il aurait pu les prononcer. Qu'il n'y a aucun démenti. Et que c'est le pape lui-même qui a donné à Scalfari un statut quasi officiel, qu'on ne peut reprocher au vieux crocodile médiatique d'exploiter jusqu'à la corde.

Mais je reprends pour commencer l'excellent commentaire du site Chiesa e post concilio.

Le duo Scalfari-Bergoglio, virtuel ou réel, réapparaît dans La Repubblica du 15 mars dernier. Que ce soit des «Bergogliéries» ou des «scalfariéries», il est difficile de condidérer que certains énoncés aient été prononcés par un pape, mais - même s'il ne s'agit évidemment pas de Magistère - ils viendront inexorablement alimenter le magistère liquide qui chaque jour creuse des sillons dans le sensus fidei catholique.
Laissons de côté le reste, pas moins problématique, en reprenant les considérations ci-dessous, d'un calibre inouï. Ils ne nécessitent pas de commentaires; mais s'ils ne sont pas rapidement et efficacement démentis et rectifiés par les autorités compétentes, ils jetteront des ombres encore plus épaisses sur la figure d'un pape aussi adulé par les foules que déconcertant et "scandalisant" pour les fidèles.

[Suit le paragraphe en gras ci-dessous]

C'est cet «annulé», se référant aux âmes, qui pose un énorme problème. Avec la mort du corps se termine le voyage terrestre, mais l'immortalité appartient au partage de la gloire de Dieu (le Paradis) ou à la damnation éternelle, fruit du rejet et de la rébellion contre le Créateur et Seigneur, universorum Rex (..)
Ce sont des affirmations graves, qui même si elles ont été interpolées, lui sont attribuées, et devraient donc être démenties de façon claire et avec une visibilité maximale.
Ce qui semble extrêmement grave, c'est l'inertie du clergé qui, quand il ne le suit pas sans hésiter, comme il ne l'a fait avec aucun autre pape, attend pour intervenir un acte de magistère solennel qui ne viendra jamais. Et en attendant, la confusion augmente (..) C'est un fait d'une gravité absolue et dramatiquement réel. Inutile d'attendre des actes officiels de gouvernement. La dissolution est désormais dans la pratique et dans les paroles en liberté.

L'édito de Scalfari

Que peut dire François à l'Europe des non-croyants

www.repubblica.it
15 mars 2015
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«Nous devons éviter que les bons se perdent et nous devons faire tout ce qui est possible pour sauver les perdus».
La miséricorde à laquelle François consacre le prochain Jubilé a cet objectif, le fils prodigue de la parabole que le père accueille comme la fête de le vie, le pardon entre les hommes et le pardon infini de Dieu envers ses créatures. Et le repentir, qui est la condition afin que la miséricorde descende sur cette âme et l'éclaire de sa lumière.
Le Pape Bergoglio n'a pas choisi par hasard le nom de François, tout à fait inhabituel dans l'église de Rome: le saint d'assises voyait et aimait les créatures de Dieu, toutes les créatures de Dieu parce que toutes portent en elle une étincelle de divinité; le bon pasteur est cette étincelle ici que chaque créature doit découvrir effaçant avec son amour les scories que la vie a accumulées sur elle, la reléguant en son tréfonds et étouffant sa lumière.

Reste toutefois le thème du péché et du repentir. Et si le repentir ne vient pas? Si l'étincelle s'est éteinte ou n'a jamais existé? Le Pape François n'a jamais pensé que cette étincelle puisse s'éteindre, ou même que certaines natures puissent en avoir été privées dès la naissance, c'est pourquoi le soin des âmes ne doit jamais s'arrêter ni être interrompu, et ceci est la tâche de l'Eglise missionnaire.
Un jour, dans une de nos rencontres, il m'a parlé de cette mission qui concernait aussi les non-croyants: «L'Eglise missionnaire - me dit-il - ne fait pas de prosélytisme, elle essaie de susciter chez les personnes la recherche du bien de leurs âmes».
- Sainteté - lui répondis-je - je ne crois pas qu'il y ait une âme.
« Vous ne croyez pas à l'âme, mais vous en avez une».

Telle est la foi qui le soutient et en illumine le chemin, l'amour du prochain est la passion qui l'entraîne.
Je me souviens encore lui de lui avoir dit que selon moi, il n'y aurait jamais eu un pape comme lui, et sa réponse fut que c'est le Seigneur qui connaît le futur, et sa miséricorde infinie.

En repensant à l'histoire de l'Eglise catholique, il y a surtout deux de ses prédécesseurs qui ont fait de la miséricorde le thème principal de leur pontificat: Lambertini (Benoît XIV) au XVIIIe siècle et Roncalli il y a un demi siècle. La plupart des autres, depuis le Concile de Nicée ont maintenu ensemble la prédication évangélique et la gestion du pouvoir temporel, donnant la prévalence tantôt à l'une tantôt à l'autre en fonction de l'époque à laquelle ils vivaient et du caractère de leur personnalité.

François a également déclaré, dans l'interview à un journal mexicain publié hier, avoir le sentiment de que son pontificat sera bref, quatre ou cinq ans, et cette phrase a retenu l'attention des journaux: serait-il malade? Penserait-il à démissionner d'une tâche si Lourde?
Il a démenti l'une et l'autre hypothèse. Du reste, il y a un an, de retour du voyage en Corée, il avait déjà dit la même phrase. Il est possible qu'il fasse remarquer à celui qui l'écoute, et aussi à lui-même, que son âge s'appelle la vieillesse, et les vieux sont à la veille de la mort. Lui ne craint pas la mort, qui n'est qu'une étape vers la vraie vie de l'au-delà. Il craint la souffrance, cela oui, et il l'a dit à plusieurs reprises, mais pas la mort. La mort est une fête et doit être affrontée comme telle par celui qui a foi dans le Père qui vous attend Là-Haut.
Et pour ceux qui n'ont pas la foi? La réponse est que si tu as aimé les autres au moins autant que toi-même (peut-être un peu plus que toi-même) le Père t'accueillera. La foi aide, mais ce n'est pas l'élément de celui qui juge, c'est la vie (La fede aiuta ma non è quello l'elemento di chi giudica, è la vita). Le péché fait partie de la vie, le repentir en fait aussi partie. Les remords, le sentiment de la faute et le désir du rachat, l'abandon de l'égoïsme.

Quiconque a eu le don de connaître le Pape François sait que l'égoïsme est l'ennemi le plus dangereux de notre espèce. L'animal est égoïste parce qu'il est seulement la proie de son instinct, dont le principal est celui de la survie, la sienne. Mais l'homme est aussi animé par la sociabilité, et donc il ressent de l'amour envers les autres, envers la survie de l'espèce à laquelle il appartient. Si son égoïsme devient excessif et étouffe l'amour pour les autres, il obscurcit l'étincelle divine qui est en lui, et s'auto-condamne.

Qu'advient-il à cette âme? Sera-t-elle punie? Et comment?

La réponse de François est nette et claire: il n'y a pas de punition, mais l'annulation
(annullamento) de cette âme. Toutes les autres participent à la béatitude de vivre dans la présence du Père. Les âmes annulées ne prennent pas part à ce banquet, avec la mort du corps, leur parcours prend fin, et ceci est la motivation de l'Eglise missionnaire: sauver les perdus. Et c'est aussi la raison pour laquelle François est jésuite jusqu'au tréfonds de son être.

La compagnie fondée par Loyola enseigna et enseigne à ses disciples que la mission a pour présupposé d'entrer en syntonie avec les autres, d'en comprendre la longueur d'ondes, faute de quoi le dialogue serait impossible. C'est pourquoi l'Eglise missionnaire doit se mettre à jour selon le passage du temps et la diversité des lieux.
Quand finalement le dialogue devient possible entre personnes différentes, cultures différentes, civilisations et même religions différentes, c'est alors que l'Église missionnaire peut stimuler la vocation au bien et limiter l'amour de soi.
Cet enseignement de François a beaucoup de sens, même pour ceux qui ne croient pas, parce qu'il touche un aspect profondément humain indépendamment de la foi en Dieu et dans le Christ son Fils. C'est un enseignement qui souligne la différence entre l'homme et l'animal dont il est issu, et une intelligence capable de penser elle-même et de s'autojuger, tenant par la bride son propre narcissisme et levant la tête vers les étoiles.

* * *

Maintenant, François doit affronter des problèmes très ardus, jusqu'a présent à peine abordés.
Le premier d'entre eux, que personne ne s'est jamais posé, mais qui est pourtant d'une évidence flagrante, concerne les prêtres qui administrent les sacrements et qui ont le pouvoir d'absoudre ou de punir ceux qu'ils jugent des pécheurs.
Les prêtres, et la hiérarchie qui les inclut, n'existent que dans l'Église catholique et ont l'interdiction de marier. Dans aucune autre religion, il n'y a de prêtres et de célibat et dans aucune autre religion, la doctrine s'est transformée en code. Les juifs ont leurs Écritures et leurs préceptes, mais les rabbins sont seulement des maîtres (enseignants), ils n'ont aucun sacrement, ni aucune obligation de célibat. Ils expliquent et interprètent les Écritures, telle est leur tâche, et rien de plus.
Les musulmans ont eux aussi leurs Écritures et leur doctrine, Mais de prêtre, il n'y a pas trace. Mais attention: les différentes sectes musulmanes ont des maîtres qui interprètent le Coran, mais aussi des tribunaux qui indiquent l'ennemi à abattre, parce qu'infidèle. Potentiellement, ce sont des théocraties, parfois directement, comme l'Iran, parfois indirectement, de sorte que la tentation du fondamentalisme est forte et souvent néfaste.
C'est la même chose, biens qu'il soit Chrétiens, dans toutes les différentes dénominations protestantes, où il n'y a pas de prêtres mais des pasteurs.
Les pasteurs ressemblent en quelque sort aux rabbins, ce sont des maitres, ils ont une famille, ils administrent ces sacrements que les différentes confessions ont conservés, mais le contact entre l'homme et Dieu ne se fait pas nécessairement par la médiation des Évêques ayant charge d'âmes et dans tous les cas par les prêtres. C'est un contact direct. Ce fut la grande révolution de Luther: le croyant lit l'Écriture, la Bible, les Evangiles et la foi lui Permet un contact direct avec Dieu.

Alors, la question est la suivante: l'Église de Rome réussira-t-elle à conserver l'Ordre ecclésiastique avec ses devoirs et ses droits, qui sont presque ceux d'une caste? Le problème est d'autant en plus d'actualité que plusieurs confessions catholiques se rapprochent de l'Eglise de Rome, et pourraient même décider de s'unir à elle. Cela s'est déjà produit avec certains anglicans, et cela peut se produire pour les orthodoxes. Mais les pasteurs, s'ils décident de devenir catholiques, amèneront avec eux la famille qu'ils ont légitimement constituée, comme c'est du reste depuis des siècles le cas de l'Eglise d'Orient qui a toujours été catholique, mais sans l'obligation du célibat.

Et puis il y a l'autre grand thème, de la famille, auquel François a consacré une grande partie du Synode qui aura sa conclusion dans les mois à venir.

Enfin, il y a le théme du Concile Vatican II: le contact avec les cultures modernes qui a ses racines dans les Lumières.

Ce mouvement intellectuel, qui eut son plus grand développement en Angleterre et en France au XVIIIe siècle et eut en Diderot, Voltaire, Hume, Kant ses plus éminents représentants, ne croyait pas en la vérité absolue, mais en celle relative, laquelle exclut l'existence de Dieu ou bien l'admet comme moteur de la création de la vie qui ensuite se déroule à travers une évolution autonome, dictée par des lois autonomes.
Le Dieu des «théistes» n'avait aucun attribut qui ressemblât au Dieu chrétien: il n'était ni miséricordieux ni vindicatif, ni généreux, il n'intervenait pas dans l'histoire et dans le destin, ni ne se posait la question du mal et du bien. C'était un moteur, une force cosmogonique qui avait allumé la lumière de la vie dans certains endroits de l'univers, et puis s'était retirée, endormie ou occupée à d'autres créations vitales.

L'Europe a eu les Lumières comme base de la modernité. Le thème de Vatican II, qui tient très à coeur à François, est de comprendre la longueur d'onde pour parler avec cette Europe (et l'Amérique du Nord) fortement déchristianisée et donc devenue terre de mission.
Il est très probable que le jubilé voulu par François est le début de l'action missionnaire, Avec toutes ses conséquences non seulement dans l'autre monde, mais aussi terriblement actuelle dans la marée de terrorisme, guerres et tensions locales, montée de la violence, familles brisées et enfants désespérés, et en bref, du plus grave des péchés, qui est celui de l'inégalité, de la pauvreté ignorée, de la suprématie du pouvoir et de la guerre sur l'amour et la paix; en somme, le thème de la miséricorde est le plus approprié non seulement religieusement mais aussi socialement et économiquement, pour récupérer l'amour, la paix et l'espoir contre le pouvoir, la guerre et le désespoir.

Puisse le Pape François vivre encore de nombreuses années.

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