Page d'accueil | Pourquoi ce site

L'impasse des hommes d'Eglise irénistes

A la suite de la publication de l'article "L'échec de l'Eglise post-conciliaire", je reçois cette réaction d'un lecteur, qui m'autorise à la publier....

* * *

En préambule, voici la définition du mot 'irénisme" donnée sur le site de l'Eglise catholique en France:

L'impasse des hommes d'Eglise irénistes

"Gaudium et Spes", Magna Carta de l'irénisme.

Je réagis au contact du titre de votre billet : "l'échec de l'Eglise post-conciliaire" ; à titre personnel, je préférerai un titre tel que "l'impasse des hommes d'Eglise irénistes", et je m'en explique ci-dessous.
(Un catholique)

A. Ce qu'est (et n'est pas) cet irénisme

1. A mon avis, la mentalité et la pastorale dont il est question ci-dessous ont commencé à apparaître juste après 1945; à cette époque-là, cette mentalité était d'inspiration néo-moderniste et cette pastorale était d'inspiration néo-progressiste, quinze à vingt ans AVANT la clôture du Concile, et je pense ici à trois inspirateurs, parmi d'autres: Chenu (Marie-Dominique Chenu, 1895-1990, dominicain proche du mouvement des prêtres ouvriers, peritus à Vatican II), Mounier (Emmanuel Mounier, 1905-1950, fondateur de la Revue Esprit), Teilhard.

2. Ma conviction est que nous sommes en présence, dès l'après 1945, de clercs persuadés que "le mal absolu" (le fascisme, le nazisme) ayant été vaincu, il était désormais possible d'explorer puis d'exploiter une zone de compatibilité axiologique, - entre le christianisme catholique, d'une part, - et l'atlantisme, mais aussi le communisme, d'autre part.

3. Par ailleurs, et même si le Concile Vatican II, dans son ensemble, est bien plus consensualiste que controversiste, tous les textes du Concile ne contribuent pas, d'une manière égalitaire ou équivalente, à donner à cette mentalité et à cette pastorale, d'inspiration et d'origine antérieures et extérieures au Concile, une sorte de consécration magistérielle.

4. Sous l'angle de la fondation d'un nouveau type de relations entre l'Eglise catholique et le monde contemporain, le texte qui constitue la Magna Carta de cet irénisme est Gaudium et Spes (constitution pastorale promulguée par Paul VI en 1965, texte ICI), qui n'est certes pas le seul texte du Concile, mais qui est souvent considéré, en France, comme l'Alpha et l'Oméga de ce qu'il y a de spécifique, dans le Concile Vatican II.

5. Ayons ici la lucidité de reconnaître que Jean-Paul II a longtemps eu un rapport à Gaudium et Spes qui était à caractère notablement sentimental, mais qu'il s'est dépris de cette relation affective à ce texte, pour écrire Veritatis Splendor (encyclique de 1993, texte ICI), qui est la première de ses trois encycliques d'affermissement du recentrage anthropologique et axiologique qu'il a mis en forme et en oeuvre.

6. C'est de ce recentrage dont les clercs irénistes ne veulent pas, - non parce que ce rentrage n'est pas axiologiquement conciliaire, id est intégraliste et personnaliste (il l'est), - non parce que ce recentrage n'est pas chronologiquement post-conciliaire (il l'est), - mais parce que ce recentrage n'est pas iréniste (il ne l’est vraiment pas).

7. Cet irénisme n'est ni "hérétique", ni "libéral", au sens strict de chacun de ces termes, mais il est, pour ainsi dire, accommodant, et non intransigeant, consensualiste fraternitaire, "évangélique", au sens de : humanitaire, propice à « l’élévation » du christianisme au rang de religion de l’humanité, au rang de religion compatible avec la conception dominante, émancipationniste, et non responsabilisante, des aspirations des hommes et de l'évolution de l'humanité

8. Cet irénisme, avant-hier communisant, hier socialisant, aujourd'hui sociétalisant, s'apparente à la distribution gratuite et au port obligatoire de lunettes roses dans toute l'Eglise, comme s'il y était - imposé de voir le monde contemporain comme les irénistes voudraient qu'il soit, et - interdit de le voir comme il est, notamment dans l'ordre des valeurs et sur le terrain des vertus.

9. Cet irénisme est longtemps allé de pair avec une falsification de l'Espérance, mais la lénifiance vivre-ensembliste qui découle de lui a survécu, en quelque sorte, à la composante communisante et à la composante socialisante de cette falsification.

10. Enfin, ce qui me gêne dans la notion d'Eglise post-conciliaire, - c'est non seulement le fait que nous parlons d'un état d'esprit et d'un mode d'action dont on trouve bien des signes, bien des traces, en amont du Concile, et qui, Dieu merci, ne sont pas égalitairement omniprésents dans tous les textes du Concile, mais - c'est aussi le fait que nous parlons d'une Eglise qui n'est post-conciliaire, au sens de "iréniste, sur le fond, et lénifiante, sur la forme", que parce que la majorité des hommes d'Eglise sont irénistes et lénifiants, et non compte tenu de l'essence, de la mission, de la nature, de la "vocation", de l'Eglise catholique, en tant que Corps mystique du Christ.

B. Les hommes d'Eglise irénistes

11. Par ailleurs, parmi les hommes d'Eglise qui sont irénistes,
- certains le sont beaucoup plus ad extra qu’ad intra,
- d'autres le sont plus sur certains sujets que sur d'autres thèmes,
- d'autres le sont bien moins sur les abus ou excès du monde contemporain que sur ses principes ou fondements,
- d'autres encore le sont bien plus vis-à-vis des catholiques rénovateurs, modernistes ou progressistes, qu'à l'égard des catholiques conservateurs, traditionnels ou intégristes.

12. Ces hommes d'Eglise irénistes ont-ils vraiment besoin ou envie, cinquante ans après la clôture du Concile, d'une référence authentique, objective, érudite et explicite à Gaudium et Spes, pour donner un semblant de légitimité "conciliaire" à leur irénisme ?
Bien sûr que non ! Pas du tout !

13. J'en veux pour preuve le fait que l'on est passé d'une référence englobante et fallacieuse à "l'esprit du Concile" à une référence englobante, et tout aussi fallacieuse, à "l'esprit de l'Evangile", comme si Paul VI, en écrivant Humanae Vitae, avait méconnu, méprisé, négligé, oublié, le Concile et l'Evangile.

14. Je cite à dessein Humanae Vitae, en rappelant qu'il s'agit de la dernière lettre encyclique du Pape Paul VI, qui contraste singulièrement avec sa première lettre encyclique, Ecclesiam Suam (1964) (focalisée sur le dialogue, polarisée vers le dialogue), dans l'espoir de pouvoir faire comprendre ce qui suit.

15. Dans leur ensemble, les hommes d'Eglise irénistes ne veulent pas prescrire ni proscrire, mais ils veulent bien, dans le meilleur des cas, dialoguer et proposer ; à ce monde contemporain, qui se sait gravement malade, et qui ne veut pas se soigner, par orgueil ou par paresse, ou parce que cela contredit les agréments, ambitions, intentions, intérêts en présence, les hommes d'Eglise irénistes

>> ne veulent pas
- prescrire l'unique remède, l'adhésion à Jésus-Christ, et à ce qui s'inspire de Lui, ni
- proscrire les fondements et principes qui le rendent malade, pour des raisons non conjoncturelles,

>> mais ils veulent bien « dialoguer », pour « proposer » un accompagnement humanisateur, régulièrement actualisé, comme s'ils étaient les accompagnateurs presque inconditionnels, en d’autres temps, on aurait dit «les compagnons de route», des aspirations des êtres humains et de l'évolution du monde entier.

16. Pour eux, ce qui est légitime, c'est l'angélisme et l'utopisme que l'on trouve dans Ecclesiam Suam, et ce qui est illégitime, ce sont les exigences et le réalisme que l'on trouve dans Humanae Vitae ; or, il est plus que probable que Paul VI lui-même n'a pas considéré le positionnement relationnel qui était le sien dans Ecclesiam Suam comme complet ou définitif, au bénéfice et à destination du monde contemporain, puisqu'il a écrit Humanae Vitae, dont on peut dire qu'il a été un texte de remédiation à bien des malentendus issus de l'influence qu'a eu Ecclesiam Suam sur les deux dernières sessions du Concile, sessions précisément marquées par l’achèvement de la mise en forme de Gaudium et Spes...

17. Avec le Pape François, il me semble vraiment que nous sommes en présence d'une tentative de conciliation entre deux attitudes qui ne me semblent conciliables que d'une manière équivoque :

>> d'un côté, des expressions caractérisées par une certaine radicalité, comme si la brutalisation des consciences avait un caractère "évangélique dans la miséricorde", dès lors qu'il s'agit de dénoncer le mal non humain qui est commis contre, ou subi par, des êtres humains non consentants ;

>> de l'autre côté, des expressions caractérisées par une certaine ouverture (démesurée ?) du coeur, comme si la brutalisation des consciences n'était pas du tout de mise, dès lors qu'il s'agit d'accompagner le bien humain, qui est partagé ou propagé entre êtres humains consentants.

18. En d'autres termes, si, vraiment, "quand on ne confesse pas Jésus Christ, on confesse la mondanité du diable, la mondanité du démon", il ne faut pas hésiter à le dire, ex cathedra et ad extra, aux croyants non chrétiens et aux non croyants, à les en informer, à le leur expliquer, à le leur objecter, à les exhorter à la conversion vers Jésus-Christ, et à les exhorter à l'abandon de ce qui est inspiré par la mondanité du diable, orienté par la mondanité du démon, et qui est présent quand on ne confesse pas le Christ.

19. "Eh bien oui, mais c'est non, parce que" ce ne serait évidemment pas "évangélique dans la miséricorde", ce ne serait évidemment pas "un signe d'ouverture vers les périphéries", de transformer une formule frappante, pour l'instant sans lendemains très dissensuels, sur le plan (inter)religieux, en une source d'inspiration préalable à un Magistère et à une pastorale courageusement évangélisateurs.

20. J'ai essayé de préciser ou de rappeler ce que je crois important et utile, en vue de la compréhension de ce dont il est question ici ; encore une fois, je préfère la notion "d'impasse des hommes d'Eglise irénistes" à celle "d'échec de l'Eglise post-conciliaire", car des hommes d'Eglise irénistes, il y en a eu en amont du Concile, et des hommes d'Eglise non irénistes, il y en a, Dieu merci, dans l'Eglise chronologiquement post-conciliaire, même s'ils sont minoritaires, voire persécutés en interne.

* * *

Conclusion

L’Eglise catholique est Mater et Magistra, mais les hommes d’Eglise irénistes veulent qu’elle deviennent Soror et Ancilla, non plus Mère et éducatrice, mais Sœur et accompagnatrice ; ce positionnement relationnel est à la fois un symbole et un symptôme, car nous sommes bel et bien en présence:
- d’une représentation significative de ce que les hommes d’Eglise irénistes entendent bien IMPOSER aux catholiques, avec plus d’habileté que d’intégrité, et
- d’un dysfonctionnement pathologique qui se fait passer pour un signe de santé : c’est comme si le désarmement surnaturel, théologal, des âmes catholiques, leur soumission à la mollesse et à la tiédeur, notamment face aux religions ou traditions non chrétiennes, ou face aux religions séculières, était un chemin d’accès vers la sainteté.

Un catholique.

NDLR

(*) Dans son livre Notules sur un Concile, Yves Daoudal a consacré un chapitre à Gaudium et Spes, la constitution pastorale promulguée par Paul VI.
Ce chapitre regroupe quatre billets publiés sur son blog en novembre 2012:

¤ gaudium-et-spes-1
¤ gaudium-et-spes-2
¤ gaudium-et-spes-3
¤ gaudium-et-spes-4



  Benoit et moi, tous droits réservés