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Rome: L'ère du vide

Traduite par Isabelle du site en anglais "Rorate Caeli", une exceptionnelle et lucidissime tribune d'une de leurs plumes récurrentes qui signe d'un pseudo à clés, "don Piopace" (*)

(*) Référence à Pie XII/Eugenio Pacelli?

Opinions

Rome: L'ère du vide

Nous sommes très honorés de publier ce nouvel article d'un ecclésiastique très sage, très bien informé et très influent, écrivant sous le nom de plume de don Pio Pace.
rorate-caeli.blogspot.com

17 juin 2015

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Le monde entier l’a vu sur ses écrans lors du récent voyage du pape à Sarajevo : la férule pontificale, brisée, a été réparée avec du sparadrap : « Un parfait symbole », ont ironisé les prélats de l’entourage pontifical. Oui, un parfait symbole. L’Eglise de Pierre, en ce XXIme siècle, attend une encyclique… sur l’environnement. « Une ou deux personnes ne doivent pas être seules à bord d’une une voiture, car cela accroît la quantité de gaz à effet de serre », ainsi s’exprime le magistère de la sainte Eglise catholique…

J’ai emprunté le titre de cette contribution à l’essai du philosophe français Gilles Lipovetsky (L’Ere du vide, Paris, 1983). Bien que l’auteur ait poursuivi un but complètement différent du mien, ce titre me semble bien refléter l’impression quasi générale sur le pontife actuel, à cette heure où s’est affaibli l’étonnant état de grâce dont il a un moment joui et où les foules des audiences générales du mercredi ont retrouvé leur niveau normal.

Un article signé par Julius Müller-Meininger dans le quotidien Die Zeit du 30 avril 2015, intitulé Jetzt hat es auch ihn erwischt (« Maintenant, il est pris lui aussi ») [cf. benoit-et-moi.fr/2015-I-1/actualites/deux-ans-avec-franois], exprime bien le sentiment actuel des journalistes les plus favorables jusqu’ici à François : « Que veut-il en définitive ? ». Müller-Meininger, qui fait cruellement remarquer que l’incohérence des déclarations pontificales fait l’objet de plus en plus de railleries (« Etre malade, c’est avoir une expérience de notre fragilité »), explique pourquoi les media sont perplexes à l’égard du pape. Il cite l’activiste transsexuel Vladimir Luxuria : « Je ne le comprends pas. Il applique la politique de la carotte et du bâton. Au début, il a des mots d’ouverture et puis maintenant il attaque l’idéologie du genre. François est dans une impasse. Je suis déçu ».

L’impasse est celle d’une ouverture morale dans un sens libéral qu’il faudra finalement ou satisfaire ou refuser. Le point qui retient particulièrement l’attention de Müller-Meininger est la proposition du gouvernement français de nommer Laurent Stéfanini ambassadeur près le Saint-Siège. Un homme très compétent dans les matières religieuses, catholique pratiquant, mais homosexuel. Comme d’autres ambassadeurs près le Saint-Siège et, hélas !, comme certains membres du corps diplomatique du Saint-Siège lui-même … Si ce n’est que Stéfanini ne provoque pas le scandale de vivre en couple. On lui connaît seulement des penchants auxquels il lui arrive peut-être (seul son confesseur pourrait le dire, et il ne le dira jamais) de céder quelquefois.

Contre l’avis de ses collaborateurs de la secrétairie d’Etat qui lui ont fait remarquer qu’il y avait des musulmans, des communistes qui étaient ambassadeurs près le Saint-Siège, ou même des clients réguliers d’établissements de débauche, etc. …, et qu’ils n’en avaient pas moins été agréés, François a décidé, seul et en personne (**), que Stéfanini ne recevrait pas l’agrément du Siège apostolique. Sans aucun doute son animosité personnelle à l’égard de François Hollande, égale à celle qu’il éprouve envers Cristina Fernandez de Kirchner (le président argentin), explique-t-elle ce trait d’autoritarisme, classique chez lui : il est convaincu que François Hollande a nommé Stéfanini par rancune anticléricale. Cela n’est pas impossible. Mais, en même temps qu’il cède à cet accès de « rigorisme », François revient sur l’embargo des fonds alloués par le saint Siège à l’UNICEF, embargo décidé par Jean-Paul II en raison des campagnes organisées ou financées par cette institution en faveur de la contraception.

Il est vrai que Mgr Marcela Sanchez Sorondo, chancelier de l’Académie Pontificale des Sciences Sociales et artisan de ce rapprochement avec l’UNICEF est l’un des amis du pape, ce qui, aujourd’hui, dans une Rome, devenue une « cour » comme on n’en vit jamais auparavant, permet toutes choses et couvre tous péchés.
Un autre ami du pape est le secrétaire de la Congrégation pour les Instituts de Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique, le franciscain José Rodriguez Carballo, qui fut supérieur de son ordre de 2003 à 2013, époque où des malversations financières ont conduit les franciscains au bord de la banqueroute. Autre ami du pape : Mgr Battista Ricca, en charge de toutes les grandes maison sacerdotales de Rome (via della Scrofa, via della Traspontina, Maison Sainte-Marthe …), nommé prélat de la Banque du Vatican et qui traînait, en Uruguay où il était diplomate, une réputation sulfureuse. Ami du pape encore : Mgr Vincenzo Paglia, président du Conseil pour la Famille, qui a fait l’objet d’une enquête policière pour conspiration criminelle, obstruction, fraude envers la commune de Narni, utilisation abusive et détournement de fonds, à l’époque où il était évêque de Terni. « Qui suis-je pour juger ? »

Le plus ennuyeux dans tout cela, c’est que nous n’apercevons pas de ligne claire de gouvernement. On a seulement l’impression d’obsessions — pour ne pas dire obstination — d’un homme qui, malgré son âge, exerce son autorité furieusement, prenant des décisions dans toutes les directions. Comment expliquer par exemple le ton apparemment positif adopté envers la Fraternité Saint-Pie-X et le « non » opposé aux franciscains de l’Immaculée ? L’agitation est bruyante mais reste confuse et les grandes annonces font long feu : plus personne ne croit en une véritable réforme de la curie, vu la totale inefficacité du travail du groupe des neuf cardinaux chargés de la mener à bien. On y croit moins encore quand on entend son président, l’indescriptible cardinal Maradiaga, annoncer par exemple que tous les tribunaux du Siège apostolique pourraient être fondus en une seule instance …

Dans ces conditions, le synode d’octobre pourrait bien ressembler à une épiphanie … du vide. Il est très probable que François ait déjà compris que les thèses dont Kasper s’est fait le plus grand champion ne peuvent pas conduire à une modification de la doctrine de l’Eglise sans provoquer de graves divisions. Certains pensent que, dans sa théologie un peu impressionniste, il avait cru possible, en jouant la miséricorde contre le « rigorisme », la « pastorale » contre le dogme, de trouver des formules pour ouvrir, dans certains cas, la porte à une permission accordée aux divorcés remariés d’accéder aux sacrement de l’Eglise.

Mais il est beaucoup plus probable que le pape ait mesuré avec précision, depuis le début, ce qu’il devait en définitive attendre de cette immense entreprise : du bruit, beaucoup de bruit, un bruit assourdissant. Beaucoup de bruit pour rien. Car si le synode ne fait que confirmer purement et simplement la doctrine traditionnelle de l’Eglise, l’image d’un pontificat qui devait conduire à de grands changements va s’écrouler. Si, au contraire, le synode satisfait les kaspériens, il va provoquer un « non possumus » chez un grand nombre d’évêques et de cardinaux.

Eh bien, le synode ne dira rien : tous les équilibres nécessaires sont là pour qu’il en soit ainsi. Donc, nous aurons eu deux assemblées du synode des évêques, une masse considérable de littérature ecclésiastique, de déclarations, de communiqués de presse dans tous les sens, une effervescence jamais vue depuis le dernier concile… tout cela pour rien. Pour rien ? Sauf que l’enseignement de l’Eglise au nom de l’Evangile est pratiquement réduit au silence. Sauf que les brebis sont laissées sans direction : sur le terrain, les prêtres qui le veulent donneront sans sourciller les sacrements aux couples adultères et homosexuels et les béniront même dans l’église.

Nous pouvons dès lors parler d’un pontificat de mise au jour, d’accomplissement. 2015 est l’année du jubilé du Concile qui s’est terminé en 1965. Avez-vous remarqué qu’à Rome on ne mentionne plus le concile ? C’est sans aucun doute parce que, après cinquante ans, le concile Vatican II est maintenant pleinement réalisé, incarné.

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Ndrl
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(**) Une analyse que je ne partage pas...mais je peux me tromper (benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/le-pape-a-bien-reu-laurent-stefanini)

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