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Souvenirs sur Sa Sainteté Pie XII

Sur la revue "Radici Cristiani" de mars 2015, un témoignage très émouvant sur le grand Pape, très éloigné des portraits répandus, découvert et traduit par Anna

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Souvenirs de Sa Sainteté Pie XII

Mgr Francesco Magni
Radici Cristiane
mars 2015

Personnalité hiératique, de haute droiture morale, le Pape Pacelli fut un exemple et un témoignage pour tous. Cela ressort bien de ces notes, rédigées par Mgr Magni se souvenant de ces années pendant lesquelles il eut l'occasion, comme jeune prêtre, de connaître directement et indirectement, le Magistère du Saint Père, son attention et sa sollicitude extraordinaires autant aux événement mondiaux qu'aux difficultés d'une simple paroisse.

Lorsque le Cardinal Eugenio Pacelli fut élu Pape le 2 mars 1939, j'étais au Séminaire et fréquentais la troisième classe du lycée. Je me souviens de la joie de toute la communauté, des Supérieurs, professeurs, élèves et aussi des fidèles, impressionnés positivement par la figure hiératique du Pontife, mais surtout par sa vie d'un haut profil moral qui était un grand exemple et un appel pour tous. Par la suite, du nouveau Pape fut surtout apprécié le Magistère, tellement vaste, profond et actuel, qu'il traitait de tous les problèmes dramatiques du moment, et en indiquait les remèdes.

Ubi Petrus, Ibi Ecclesia

Dans l'enseignement et la formation du Séminaire, bien vivante était la conscience de la grandeur et de la dignité du Pape, Successeur de Pierre et Vicaire du Christ, et de la promesse de Jésus: "Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et la puissance de la Mort ne l'emportera pas sur elle" (Mt 16,18), ainsi que de la très haute mission conférée par Jésus à Saint Pierre et à ses successeurs.

Que l'Église, Une, Sainte, Catholique et Apostolique, eȗt son fondement inébranlable en Pierre était une certitude indiscutable, et pour chacun d'entre nous la doctrine transmise par la Tradition était un patrimoine précieux: "Là où est Pierre, là est l'Église" (saint Ambroise); le Pape est "le doux Christ sur terre" (sainte Catherine de Sienne), et bien d'autres encore.

Je puis affirmer que cette dévotion avait un motif supplémentaire dans le très délicat et douloureux moment traversé par le monde et dans les graves difficultés qui en dérivaient pour le ministère du Saint Père. Nous lui étions tous proches, surtout dans la prière.

Je me souviens, entre autre, qu'à l'occasion de son Jubilé épiscopal, dont la date était le 13 mai 1942, les séminaristes furent invités à écrire un message de dévotion au Pape: tous ces écrits devaient lui être envoyés, me semble-t-il, comme réconfort. Je lui écrivis moi aussi un poème qui entre autre disait:

"Sur les rouges champs de cette impie guerre de frères
Quand reviendront les fleurs?
Tu es à nouveau sur la croix
et dans cette nuit de haine qui jamais n'annonce l'aube
tu entends le battement las de nos cœurs.
Que ta blanche figure se lève sereine sur le monde
comme un rayon divin pour lui redonner le bien.
Je te suivrai, ô Père, comme un enfant inconscient,
pour crier sur les champs de douleur: "Paix, paix…".


Outre son ministère ordinaire, qui était pour nous une occasion de joie et d'admiration, nous avions de sporadiques nouvelles de son action de réconfort aux peuples durement éprouvés. En ces années j'eus le don de connaître de très près deux saints prêtres, Mgr. Pirro Scavizzi de Rome et Mgr. Giuseppe Stefanini de Livourne, qui avaient choisi la mission de Chapelains militaires. Ils voyageaient constamment sur les trains qui allaient vers l'est avec une mission spéciale: en plus de l'assistance spirituelle aux soldats, ils apportaient toute l'aide possible aux populations les plus souffrantes. Je compris qu'ils le faisaient sur instructions du Saint Père. Ils me racontèrent souvent que lorsqu'ils lui rendaient compte de leurs interventions, il les accueillait souvent avec les larmes, attristé qu'il était par la disproportion entre les aides et les besoins et regrettant de ne pouvoir faire plus.

La paroisse "convertie"

De sa charité délicate et héroïque j'ai le témoignage significatif d'un confrère, qui souhaite rester dans l'anonymat, et qui à l'époque, au début des années 50, était un très jeune curé d'une communauté de la haute Maremme toscane. Il était très préoccupé car cette paroisse, naguère fidèle et fervente, avait été complètement ruinée par des éléments hostiles à l'Église et par une pastorale pour le moins inadaptée de la part des prêtres. La ruine s'était produite à une époque assez lointaine: en 1910 cette population avait agressé et offensé, de la façon la plus vulgaire et remplie de haine, l'Évêque venu pour la Visite Pastorale. Au sujet de celle qui eut lieu le 28 décembre 1921, voici ce qu'écrivit un curé dans sa relation: "Il faudrait que le Curé fȗt dispensé de parler des coutumes du peuple. Car que peut-on dire d'un peuple qui vit sans religion, qui lui est même hostile, où les mariages religieux ne sont pas célébrés, où l'on meurt sans Sacrements, où l'esprit de piété n'est point ressenti?".

Et encore: "Très peu de femmes respectent le précepte festif, ainsi que celui des abstinences et des jeûnes; parmi les hommes, aucun, ni jeunes ni vieillards…Le Curé n'est jamais appelé au chevet des infirmes et ils meurent tous sans Sacrements: comme ils vivent, ainsi ils meurent. Même ces femmes qui viennent à l'Église ne reçoivent pas les Sacrements au moment de mourir, par négligence ou parce que les hommes ne le permettraient pas. Il y a dans la paroisse des cercles de jeunes et d’adultes, d'hommes et de femmes, socialistes, républicains et anarchistes, il y a des maçons et la jeunesse, hélas, progresse vers le mal. Le nombre des membres de ces cercles ne peut pas être connu, mais on peut dire qu’à l'exception de quelques femmes, la population jeune et vielle, si elle n'est pas affiliée à ces sociétés, en est au moins sympathisante".

En 1950 la situation de la paroisse était à peu près celle décrite et, à part l'hostilité assez vivace et généralisée, les participants à la Messe des jours de fête n'étaient que 30 ou 40 sur plus de 2500 habitants. Autre note regrettable, les édifices paroissiaux étaient tous en mauvais état, y compris le presbytère, en ruine, qui représentait un vrai danger pour celui qui y habitait. On peut imaginer l'état d'esprit du curé et des quelques personnes restées fidèles.

Un hasard fortuit, ou bien l'initiative charitable d'un ami, informa Pie XII des problèmes de cette paroisse. Et lui, bien que sous le fardeau des préoccupations menues et grandes venant du monde entier, prit à cœur la cause de cette paroisse, demandant à Mgr Giovanni Urbani, alors Assistant Général de l'Action Catholique Italienne, de s'informer dans le détail.

Ce fut pour ce curé une très heureuse surprise lorsque, le 4 août 1952, le père Romano Vanzo, secrétaire de Mgr Urbani, vint le voir "sur ordre des Supérieurs", comme disait la carte de présentation par laquelle il lui était demandé de faire connaître tout ce qui pouvait illustrer les conditions de la paroisse.

Ne se contentant pas de lire le résumé, le Saint Père voulut connaître toute la longue relation du père Romano, et ne lui fit pas manquer, par la suite, son appui généreux, "dans l'intention d'apporter une aide efficace pour la renaissance spirituelle et morale de cette population", comme disait la lettre de la Secrétairerie d'État, envoyée à l'Évêque le 21 août 1952. La lettre poursuivait: "Sa Sainteté comprend bien les difficultés particulières dans lesquelles a lieu l'action du Curé et afin d'attirer de la part du Seigneur les grâces les plus élevées et les fruits les plus copieux pour le bien de son ministère, lui envoie avec effusion de cœur la Bénédiction apostolique. Sa Sainteté a aussi confiance que la Divine Providence ne manquera pas d'accroître le nombre des bons et de les rendre courageux et disposés à coopérer pour le réveil des familles à de sains principes de vie chrétienne".

Il ne se limita pas à cela, mais intervint aussi auprès de Mgr Borgoncini Duca, à l'époque nonce Apostolique près l'État Italien, et suivit le processus d'amélioration des conditions matérielles, morales et spirituelles de la paroisse avec l'aide de Son Excellence Mgr. Montini, à l'époque Substitut à la Secrétairerie d'État. On ne peut imaginer quelle fut la joie du curé et de la petite communauté fidèle, qui établirent un programme de vie de foi et d'action avec conviction, pleine confiance en Dieu et courage. La prière et les vœux du Saint Père eurent toutefois une bonne efficacité dans toute la paroisse, même sur les "éloignés": dès 1954 tous les enfants furent baptisés, les mariages furent tous célébrés selon le rite religieux, une bonne partie des malades reçurent les Sacrement avant de mourir, presque 300 fidèles participaient aux Messes festives et le climat religieux du pays s'était profondément amélioré.

Ce qui remplit d'une grande joie dans toute cette histoire est le témoignage d'amour du Saint Père pour les prêtres et pour les âmes: à ses yeux, ce prêtre inconnu et anonyme n'est pas un prêtre quelconque et cette petite paroisse est tellement importante car il y a là des âmes de frères à sauver. Dans ce climat j'aime rappeler, parmi ses nombreuses et grandes initiatives, les rencontres de la GIAC (Gioventu' Italiana di Azione Cattolica, ancien nom de l'Action Catholique, ndt) et de la Jeunesse Féminine de l'Action Catholique, ainsi que l'attention paternelle et pleine de zèle pour d'autres groupes et mouvements ecclésiaux, y compris les ACLI (Associations Chrétiennes des Travailleurs italiens) qui étaient à l'époque un exemple et un témoignage valide pour l'ensemble du monde du travail.

"Quelques heures de vie…"

Je veux aussi rappeler une expérience personnelle. À la fin du mois de novembre 1952, j'avais participé à Rome à un cours de mise à jour pastorale, à l'issue duquel l'audience chez le Saint Père était au programme: je ne me souviens pas de la date, je crois qu'elle était fixée pour le matin du samedi 27 novembre. N'ayant pas d'indications contraires, le matin fixé je me rendis à l'avance à la Secrétairerie d'État, dans le souhait de saluer un ami, Mgr Gino Quadraroli, à qui j'exposais la raison de ma présence et mon intention de participer à l'audience. Il me répondit en exprimant sa très vive douleur pour la très grave maladie du Saint Père, à qui les médecins ne garantissaient que quelques heures de vie. "Nous sommes tous dans la douleur, car de l'avis unanime des médecins il nous quittera dans quelques heures. C'est pour cette raison aussi que toutes les audiences ont été annulées".
J'en fus très peiné, car je n'aurais jamais imaginé une nouvelle aussi douloureuse et pris congé aussitôt.
Après être revenu chez moi, quelques jours plus tard, je crois le dimanche 5 décembre, j'entendis à la radio le Pape guider la prière de l'Angélus et exprimer une brève réflexion.
Je fus profondément ému par la belle surprise, sans pouvoir m'en donner une explication. Quelques mois plus tard les journaux parlèrent d'une apparition de Jésus au Pape et d'une guérison soudaine et prodigieuse (1). Une source sûre m'informa par la suite que la nouvelle du miracle avait été révélée par le père Virginio Rotondi S.J., qui avait facilement accès au Vatican et donc la possibilité d'être bien informé.

Ce fait me confirma dans ma dévotion au grand Pape, qui a laissé à l'Église un riche héritage de sainteté et de doctrine et qui nourrit en moi le désir, commun à tant de fidèles, de pouvoir bientôt le vénérer sur les autels.

Note de traduction

(1) Cette apparition est relatée dans le livre de Mère Pascalina Lehnert, la gouvernante bavaroise de Pie XII «Mon privilège fut de le servir», ed. Pierre Tequi, pages 183-184

Un soir - c’était le 1er décembre 1954 - alors qu’agenouillées autour du lit du Saint-Père, nous venions d'achever le chapelet et de recevoir sa bénédiction, Pie XII déclara : « Voilà que j’ai à nouveau entendu une voix disant que j'aurais une vision ! »
Nous ne comprîmes pas ce que le Saint-Père voulait dire par là. Quand nous eûmes tout préparé pour la nuit, nous quittâmes la chambre du malade.
La sœur de garde pour la nuit se tenait dans la pièce voisine et laissait toujours la porte entrouverte pour parer à toute éventualité. A peine le silence s'était-il fait partout qu'elle entendit le malade répéter sans cesse cette prière : «Anima Christi, sanctifica me... Ó Bone Jesu, exaudi me... In hora mortis meae, voca me... et jube me venire ad Te... !» Sans arrêt. Soudain, ce fut le silence... Le Saint-Père s'était endormi; il passa une nuit exceptionnellement bonne. Le lendemain matin, lorsqu'on le prépara pour assister à la messe, son visage était illuminé de joie. L'autel était installé exactement entre son bureau et sa chambre à coucher, en sorte qu’il pouvait très bien suivre la sainte cérémonie. (Pie XII trouvait qu'il n'était pas convenable de célébrer le Saint Sacrifice dans la chambre à coucher elle-même; aussi placions-nous toujours l'autel directement devant la porte grande ouverte qui séparait le bureau de la chambre à coucher.) Le célébrant lui donnait chaque fois la Sainte Communion. Environ une demi-heure plus tard, nous apportions au Saint-Père son petit déjeuner. Ainsi en fut-il ce jour-là également. Ayant frappé à la porte sans obtenir de réponse, j'entrai. Mon bonjour, lui aussi, resta sans réponse, et pourtant, je voyais bien que le Saint-Père était allongé dans son lit, les yeux grands ouverts et radieux. Je déposai mon plateau sur la table, et, m'approchant du pied du lit, je lui demandai, toute étonnée «Saint-Père, qu'y a-t-il?» - «Dove sta Lei adesso, c'è stato il Nostro Signore !» (Là où vous êtes maintenant, se tenait Notre Seigneur !) - «Che Signore, Padre Santo ?» demandai-je. - «Notre Sauveur, Jésus-Christ !»
Je fixai longuement le visage transfiguré du Saint-Père, dans l'attente d'une explication, mais il n'en vint aucune. Alors, je me mis à genoux - à l'endroit où, comme Pie XII venait de le dire, se tenait le Sauveur, et je baisai le sol, espérant pouvoir apprendre encore quelque chose. Mais il garda le silence, et je quittai sans bruit la chambre pour me rendre à la chapelle.
Au bout d'un quart d'heure environ, le Saint-Père sonna et demanda son petit déjeuner. Là non plus, il ne dit rien, et, de mon côté, je n'osai pas poser de question. Mais l'expression de félicité n'avait pas disparu de son visage, et, après le petit déjeuner, il dit subitement: «Maintenant, je vais me lever». Je le regardai d'un air interrogateur, mais il se contenta de faire un signe de tête amical. Le docteur Niehans venait d'arriver, et je lui dis ce qui se passait. Il en fut fort satisfait et me dit: «Si c'est le Saint-Père lui-même qui le demande, je donne volontiers mon accord.» En ce qui me concerne, le Saint-Père ne m'a plus rien dit de cette apparition, et personne non plus n'en a entendu parler par moi.

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