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Un "ultra-libéral" critique l'Encyclique

Tribune de Paolo Togni sur La Bussola, décidément bien partagée, entre ses deux pôles, Massimo Intovigne et Riccardo Cascioli

>>> Du même auteur: Ceux qui créent la confusion dans l'Église (28 mars)

Laudato Si', n. 83

83. L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation universelle. Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures. La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur.

Rappelons que l'auteur, Paolo Togni, est Professeur de droit public, ex-directeur de Cabinet d'Altero Matteoli (ministre de l'environnement de Berlusconi), et Président de l'Association pour la diffusion d'une connaissance correcte de l'environnement "VIVA".
Il a co-écrit en 2007 avec Mgr Crepaldi, ex-secrétaire du Conseil Pontifical Justice et Paix, fondateur et président de l'Observatoire international "Cardinal Van Thuán" sur la doctrine sociale de l'Eglise et actuel archevêque de Trieste, un livre intitulé “Ecologia ambientale ed ecologia umana. Politiche dell’ambiente e Dottrina Sociale della Chiesa
Je crois qu'il est intéressant de relire (dans ma traduction) une recension dudit livre par Antonio Gaspari, sur le site de Zenit en langue italienne en 2007: benoit-et-moi.fr/2008-I.

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La critique faite ici porte à la fois sur les contenus thélogique (notamment anthropologique) et économique de «Laudato si'».
Je ne partage pas forcément toutes les analyses qui suivent, n'étant pas spécialiste, et encore moins "ultra-libérale" - du moins à ma connaissance... à moins que je n'ai été contaminée à mon insu par ce vilain virus qui sévirait chez les cathos - , mais elle me paraissent au moins dignes d'alimenter un débat raisonnable, loin de l'hystérie médiatique entourant le massage au monde du "Pape vert".

On ne peut pas distribuer ce qu'on ne produit pas

www.lanuovabq.it
Paolo Togni
19.06.2015
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Quelle déception! Et quelle douleur profonde!

Je m'attendais à ce que l'encyclique «Laudato si'» soit un document plein de foi, d'optimisme, de science et de connaissance, où le pape régnant ferait le point sur les questions environnementales, puisant au dépôt de la foi, dans lequel sont conservées de nombreuses considérations sur ces problèmes. A la place, il s'agit d'une compilation ennuyeuse et plutôt bâclée de rabâchages de mauvaise économie, de mauvaise sociologie, de mauvaise écologie; et en outre, fondée sur quelques prémisses qu'il est problématique de partager.

Le document est consistant (l'Encyclique la plus longue jamais publiée), je dois donc remettre à un autre lieu une analyse moins sommaire, me limitant ici à exposer certaines considérations de caractère très général qui se rapportent principalement à l'approche générale et aux principes qui l'inspirent.

Avant tout, l'anthropocentrisme: je crois qu'on peut considérer tranquillement que l'homme est le couronnement et l'achèvement de la création; en plus d'avoir reçu du Créateur la garde directe du monde matériel pour le cultiver et jouir de ses fruits, il en a également été constitué comme le gardien. La primauté de l'homme sur tous les êtres créés trouve là sa justification et son fondement: c'est là-dessus qu'a été construit cet anthropocentrisme qui a toujours été le fondement de la pensée judéo-greco-romano-catholique; toute hypothèse qui en méconnaît la centralité est absolument contraire à cette tradition. La clé de la relation entre les humains et les autres êtres est la combinaison de la notion de «garde» - qui inclut l'obligation d'entretenir ce bien avec soin - et le mandat de le cultiver et de jouir de ses fruits.

De la combinaison entre l'obligation d'être gardien du monde matériel, et la disposition à jouir de ses fruits naît la primauté de l'homme sur le reste de la Création, envers laquelle il pourra user de tous les pouvoirs absolus et inconditionnels du propriétaire, sauf l'obligation substantielle de le conserver dans les meilleures conditions. L'homme ne peut pas être placé sur un pied d'égalité avec les autres êtres: par nature, il en est dominus et gardien.

Dans le texte, on parle beaucoup de l'amélioration des conditions de vie, en particulier pour les moins fortunés, et de l'obligation, qui incombe à tous, de distribuer les biens matériels avec équité: cette juste disposition est toutefois située dans un contexte paupériste qui en est la négation.
Que peut-on distribuer qui n'ait auparavant été produit? Le Seigneur Jésus lui-même, quand il voulut nourrir les multitudes qui l'avaient suivi, dut d'abord multiplier le pain et les poissons qui étaient disponibles. Sans produire, il n'existe aucune possibilité de distribuer: les possibilités d'amélioration des conditions matérielles sont mesurées par une fraction, où le numérateur est constitué par les biens disponibles (càd produits), et le dénominateur le nombre de personnes sur la Terre. Puisque le dénominateur non seulement ne va pas diminuer, mais, on l'espère, va augmenter, la seule façon d'augmenter la valeur du résultat final consistera à augmenter le numérateur plus vite qu'augmente le dénominateur.

En fait, c'est ce que qui se passe par ici depuis maintenant plusieurs décennies: la valeur de la fraction est en forte et constante augmentation. Jamais auparavant un pourcentage aussi élevé de l'humanité n'avait vécu sans souffrir de la faim et de la soif tout en profitant d'un soin médical raisonnable, ayant une quantité raisonnable d'énergie disponible et la capacité de communiquer avec ses semblables. Malgré l'augmentation spectaculaire de l'espérance de vie et la forte baisse de la mortalité infantile, le chiffre absolu n'est pas encore satisfaisant, mais le chemin que l'humanité prend est le bon, et apportera le résultat d'une équité croissante, surtout si on abandonne l'absurdité sentimentale consistant à mettre l'accent sur la petite propriété paysanne, une méthode de production qui nie toute possibilité de surplus productif, et, finalement, constitue une cause puissante de réduction de la production agricole mondiale. De tout cela, il n'y a aucune mention dans l'Encyclique, ou des mentions erronées.

Même sur la pollution, les affirmations qui sont faites ne sont pas exactes: il est donné pour acquis que la pollution - de l'air, de l'eau, du sol - est en constante augmentation, alors qu'il est plutôt vrai que dans les pays développés, les chiffres montrent un déclin constant, et qu'on est en train de surmonter la phase aiguë aujourd'hui traversée par les pays en voie de développement: d'ici quelques décennies, dans le monde entier, la pollution comme phénomène grave aura disparu, au moins sous la forme que nous connaissons aujourd'hui (?).

Le texte contient un rappel constant à la sobriété, motivé par la raréfaction des matières premières, qui est considérée comme fatale et imminente. C'est un vieux refrain, qui s'est déjà avéré dépourvu de validité: vous rappelez-vous les prédictions du Club de Rome? Formulées au milieu du XXe siècle, elles prédisaient que le pétrole serait épuisé avant 2000: 1992 était indiqué comme l'année du début de la crise. Nous savons tous comment les choses ont tourné: les réserves de pétrole aujourd'hui reconnues sont supérieures à celles connues alors, et garantissent une disponibilité par rapport aux utilisations actuelles pour au moins cinquante ans, autrement dit l'ensemble de la période sur laquelle s'étend notre capacité de prévision; rien ne laisse présager une baisse ultérieure. Sobriété, donc, oui, mais par choix éthique, et non par nécessité stratégique.

Abordant les questions économiques, le texte parle ensuite des disparités iniques du contrôle des richesses qui existent aujourd'hui. Je crois qu'au contraire, aujourd'hui, nous sommes dans une époque où l'écart entre les conditions de vie des premiers et des derniers a grandement diminué par rapport au passé: je crois, d'ailleurs, que nous pouvons tous être d'accord pour considérer qu'en présence de la mobilité sociale adéquate, une disparité de status raisonnable et non humiliante constitue un atout majeur pour le progrès économique global. Il est également clair que la cupidité et l'ostentation doivent être condamnées et bannies.

Un dernier point avant la conclusion: le problème de la biodiversité est traité comme si la Terre était resté identique à elle-même depuis l'époque de la création, et était la même que celle du huitième jour. Nous savons tous, au contraire, que la Terre est un ensemble de pièces en évolution constante, interdépendantes mais pas synchrones: la température a beaucoup changé, la composition de l'atmosphère a radicalement changé, les espèces animales et végétales qui s'y trouvent ont changé, etc; prétendre bloquer un processus naturel qui trouve les règles pour son développement dans sa nature, créé par Dieu avec toutes ses ramifications, me semble vraiment une prétention anti-providentielle.

Pour conclure: chez moi, qui suis certainement un très mauvais catholique, mais un catholique convaincu, la lecture de l'encyclique a généré déception et profonde douleur.
Je renvoie à plus tard une analyse détaillée, après une nécessaire étude approndie.
Il faudra aussi que je demande à quelque ami plus expert que moi dans les études théologiques et sur l'histoire de l'Eglise de clarifier un doute qu'aujourd'hui je n'ai pas résolu: est-ce un texte concernant les vérités de la foi? Ou est-ce plutôt un ensemble de (discutables) indications pastorales?

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