Page d'accueil | Pourquoi ce site

Une Église sur la défensive est une Église finie

Interview de Robert Spaeman datant 28 février 2013, jour où Benoît XVI quittait le palais Apostolique (30/4/2015)
>>> Cf. Un philosophe catholique allemand critique le pape

Récemment, Robert Spaemann, le philosophe catholique allemand, réputé proche de Benoît XVI tenait dans la presse de son pays des propos sans indulgence sur François (voir la traduction d'Isabelle)
Par prudence, et pour se laisser le temps de la réflexion, il avait semble-t-il attendu longtemps avant de s’exprimer.
Deux ans plus tôt, le jour même où Benoît XVI devenait Pape émérite, le philosophe, dans les colonnes de Il Foglio, saluait le grand héritage qu'il nous laissait, affirmant que « Le cours entamé par Benoît XVI est le seul qui ait un futur ».

A la lumière de son récent jugement critique sur le cours actuel, doit-on comprendre qu'il mène à une impasse?

Comme les perles aux pourceaux

Giulio Meotti,
Il Foglio
28 Février 2013

ROBERT SPAEMANN, HÉRITIER DE GADAMER: "UNE EUROPE DÉCHRISTIANISÉE SERA TERRIBLE".
----

« Une Église sur la défensive est une Église finie ».
Robert Spaemann, longtemps compagnon de recherches et d'études du professeur Joseph Ratzinger, commente ainsi, à l'approche du nouveau Conclave, la crise de légitimité de l'Église catholique sur la question des abus sexuels. Savant éminent et critique allemand de la modernité, titulaire du prix Karl Jaspers, chef de file d'une génération de penseurs qui ont vécu la tempête du national-socialisme, Spaemann est l'héritier de la prestigieuse chaire qui fut celle de Hans-George Gadamer à Heidelberg. À Spaemann, seul savant occidental, avec Jürgen Habermas et Richard Rorty, admis à faire partie de l'Académie chinoise des Sciences Sociales, on doit quelques-unes des plus radicales sentences de la pensée contemporaine, à commencer par celle selon laquelle « il n'y a pas d'éthique sans métaphysique », et la dénonciation du « regard du médecin d'Auschwitz » dans la manipulation génétique.

« L'Église est intimidée », déclare à Il Foglio Spaemann, auteur de nombreux écrits sur des sujets d'éthique et de philosophie politique, salué par la presse allemande comme le "Verteidiger des Menschenwürden", le défenseur de la dignité humaine.
« Les abus sexuels sont partout, à l'intérieur et à l'extérieur du clergé. Mais une partie de l'Église a essayé de les couvrir car ils auraient nui à l'image du Vatican. Le cardinal Joseph Ratzinger a été un des plus fermes adversaires de cette pratique permissive. Son principe a toujours été celui de "la vérité avant tout". '
Ecclesia semper reformanda' est l'autre principe, il y a toujours besoin de réformes. Le problème est ailleurs, c'est à dire qu'à l'intérieur de l'Église des groupes ont monopolisé l'interprétation de cette réforme au travers d'une série de mantras: ordination des femmes, élections des évêques par des laïcs, non au célibat, bénédiction des 'mariages' homosexuels, communion aux divorcés, oui au contraceptifs. En d'autres mots, la capitulation totale au 'zeitgeist', l'esprit du temps, qui n'est autre que l'émancipation séculariste ».

De l'avis de Spaemann, professeur dans de nombreuses universités de par le monde, notamment à la Sorbonne et depuis 1992 professeur émérite à la Ludwig-Maximilians-Universität de Bavière, ce faisant, l'Église a déjà été mise dans un coin et risque de mourir d'indifférence.
« Si l'Église reste dans le silence, si elle est humble et sur la défensive, elle reste sans pouvoir. Les cardinaux doivent proclamer la parole de Dieu, non pas la leur. Ils doivent mettre en position d'accusée une société qui se détruit par elle-même. Ils doivent donc tout d'abord mettre un terme à cette série d'auto-accusations et à la banalisation des Écritures. Ils doivent mettre un terme à leur interprétation de la chrétienté comme une compagnie d'amis ».

« L'Église a nourri de faux espoirs ».
Il y a quelques semaines, à l'Université Santa Croce de Rome, une journée s'est tenue en l'honneur de Spaemann, dont a été présenté le texte le plus célèbre publié par la maison d'édition Ares, "Fins naturels" (Natürliche Ziele, Fini naturali) (avec la préface du cardinal Camillo Ruini). Le texte réfléchit à la « reconnaissance manquée des fondements moraux et pré-politiques de l'État », et rappelle le discours de Benoît XVI au Bundestag de Berlin: une « raison positiviste » qui se présente comme exclusive « ne peut pas créer de ponts vers l'ethos et le droit » et ressemble « aux édifices en béton armé sans fenêtres, dans lesquels nous nous créons de nous-mêmes le climat et la lumière, ne voulant plus les recevoir du monde vaste de Dieu ».

La crise du christianisme, affirme Spaemann, a commencé quand il s'est mis à courir après le sécularisme. « Le Christ dit: 'Ne donnez pas les perles aux pourceaux'. Pourquoi les pourceaux? Parce que les perles sont pour eux impalpables et ils se fâchent, car ils voudraient de la nourriture de pourceaux. C'est la même chose avec le sécularisme. Après le Concile Vatican II l'Église a nourri des attentes qu'elle ne sera jamais en mesure de réaliser, si elle veut rester fidèle à son fondateur. À présent, c'est le moment de vérité. Lorsque l'autorité est faible, l'Église tombe en disgrâce ».

Il y a en Europe une vague de délégitimation idéologique. « Une Europe déchristianisée sera une Europe terrible. La sentence des Apôtres, 'obéissez à Dieu et pas aux hommes', est à l'origine de la grande liberté européenne. Les personnes les plus dangereuses au monde, même pires que la tyrannie, sont celles qui craignent davantage la mort que Dieu. L'Église a légitimé le pouvoir des états souverains, posé des limites. 'Fidèle serviteur du roi, mais de Dieu d'abord', dit Thomas More.

Pour terminer, selon Spaemann, l'héritage de Joseph Ratzinger en tant que Pontife, est la seule solution.
« Le cours entamé par Benoît XVI est le seul qui ait un futur. 'Détachement du monde', modestie, adhésion à l'enseignement, lumière de la raison qui éclaire tout homme et qui est comme une comète dans le monde, vivre enfin comme si Dieu existait. Benoît XVI défend la raison contre le scientisme et une idée destructrice de la raison. Si elle était un instrument d'adaptation au processus évolutif et à la survie, la raison n'aurait aucun lien avec la vérité. La vérité n'est pas une idée scientifique et la science a une tendance à s'auto-détruire », conclut Spaemann.

  Benoit et moi, tous droits réservés