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Une interview de Mgr Bruno Forte

Le secrétaire spécial des deux Synodes sur la famille, nommé par le Pape, répond aux questions pugnaces de Giuseppe Rusconi sur l'"Instrumentum Laboris" qu'il a présenté mardi avec les cardinaux Baldisseri et Erdö

>>> visnews-fr.blogspot.fr/2015/06/presentation-de-linstrumentum-laboris

On se souvient peut-être du rôle de Mgr Bruno Forte, nommé par le pape "secrétaire spécial du Synode" d'octobre 2014, dans la rédaction du fameux Rapport intermédiaire qui avait déclenché une quasi révolte parmi les Pères synodaux, en incluant des propos sur les gays qui n'avaient même pas été évoqués au cours du débat.
Dans un article humoristique (d'un goût discutable, car la matière ne prêtait pas vraiment à rire), où il s'était amusé à distribuer les "oscars" du Synode, John Allen le résumait assez bien en ces termes:

. Le Prix «A bridge too far» (Un pont trop loin): Cet honneur reconnaît la personnalité du synode qui a bluffé de la façon la plus spectaculaire, essayant d'atteindre unilatéralement un résultat pour lequel le synode n'était tout simplement pas prêt .

Et l'Oscar est attribué à ... Mgr Bruno Forte, d'Italie, qui a été le principal auteur d'un rapport intermédiaire controversé décrit par le vétéran vaticaniste John Thavis comme un «séisme» pour son langage incroyablement positif envers les gays, les couples qui cohabitent, et les divorcés.
Rétrospectivement, l'erreur de Forte a été d'utiliser la Relatio pour essayer de pousser le synode en avant, plutôt que de faire ce pour quoi le document avait été effectivement conçu, c'est-à-dire résumer les discussions à mi-parcours. La réaction conservatrice contre le texte de Forte a peut-être contribué à rendre le rapport final plus prudent que ce qu'il aurait été autrement. (benoit-et-moi.fr/2014-II-1)

Il semble que Bruno Forte ait compris la leçon.... du moins à lire ce qu'il répond (dans la plus pure langue de bois ecclésiastique, lisse et en même temps hyper-jargonnante) aux questions insistantes de Giuseppe Rusconi qui le met sur le gril à l'occasion de la publication de l''Instrumenten Laboris' en vue du prochain Synode

Instrumentum Laboris: quelques considérations de Mgr Bruno Forte

Giuseppe Rusconi
www.rossoporpora.org
25 Juin 2015
(ma traduction)

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Ample interview de l'Archevêque de Chieti-Vasto, reconfirmé Secrétaire spécial du Synode pour 2015. Un 'Instrumentum laboris' enrichi de nouveaux thèmes liés à la vie familiale. Pour les divorcés et remariés, leur intégration dans la vie ecclésiale est importante, ce qui ne signifie pas nécessairement l'accès à la communion eucharistique. Le droit-devoir d'objection de conscience pour les écoles. Saint-Jean-de-Latran? Belle manifestation contre l'imposition de l'idéologie gender.

Nous voilà donc chez les Sœurs de Maria Bambina - un peu plus d'une heure après la conclusion de la conférence de presse de présentation de l'«Instrumentum laboris» du synode 2015 - avec l'un de ses acteurs de premier plan: Mgr Bruno Forte. Reconfirmé secrétaire spécial pour l'assemblée des évêques en Octobre - après l'expérience faite durant le Synode 2014, qui n'a pas manqué demoments de tension - le prélat napolitain, 65 ans (consacré évêque par le cardinal Ratzinger, tandis que le cardinal Martini était présent à son entrée à Chieti) est disposé à répondre à nos questions au sujet de certains des contenus les plus intéressants du document fondamental de travail illustré dans la salle la presse par les cardinaaux Lorenzo Baldisseri et Peter Erdo. Clarification rendue d'autant plus nécessaire par les premiers titres des médias sur l'Instrumentum', parlant d'«ouverture» du Synode aux gays et aux divorcés remariés. «Avvenire» (ndt: rappelons qu'il s'agit du quotidien officiel de la CEI) insiste immédiatement sur «la miséricorde et le pardon» (et où l'Avvenire a-t-il caché la vérité?). Le pire de tous, malheureusement, est le titre de la nationale italienne Ansa: «Le Synode veut ouvrir une divorcés remariés, projets pour les familles homosexuelles». Sans parler de l'inconstitutionnalité de ce «familles»: lecture superficielle? Désir de sensationnalisme? Mauvaise foi? Le fait est que des titres de ce genre induit l'opinion publique - généralement mal informée - à penser à tort. Un exemple qui est plus que suffisant: au bar, hier matin, une dame catholique pratiquante nous prend à part et nous dit, confuse et désolée: «Mais le pape, que fait-il avec les divorcés remariés et les homosexuels?».

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- Mgr Forte, en prévision du premier Synode sur la famille en Octobre 2014, il avait été envoyé aux diocèses du monde entier un questionnaire de 38 questions sur les problèmes pastoraux liés à ce thème: la participation des associations et des particuliers s'est avérée très substantielle. Pour le Synode d'octobre prochain aussi, un questionnaire de 46 questions a été envoyé, approfondissant le débat du Synode de 2014. Quelle est, à cette dernière occasion, la participation du monde catholique? En Allemagne et en Suisse, on a constaté en général une forte baisse du nombre de réponses ...

« Je sais que cette fois, 99 conférences épiscopales sur 114 ont répondu, un bon résultat; et il y a eu à peu près 360 observations en provenance de diocèses, de groupes, de familles, adressées directement au secrétariat du Synode. Il me semble que dans l'ensemble nous avons cette fois enore enregistré une donnée très positive concernant l'intérêt pour ce thème dans le monde catholique».

- Quel est l'objectif principal de ce deuxième Synode sur la famille?

« Proclamer l'Evangile de la famille. La famille dans de nombreuses parties de la terre, semble être en crise et on préfère désormais les 'unions de fait' et la cohabitation à la vie de la famille qui en revanche a une valeur extraordinaire pour la personne humaine, pour la société et pour l'Eglise: ele est sein d'humanité, de socialité, d'ecclésialité et de foi (ndt: quelle curieuse façon de s'exprimer!!). Parmi les jeunes du monde entier, ainsi qu'il ressort des réponses reçues, il y a un désir, une nostalgie de la famille, qui contraste paradoxalement avec le choix de la cohabitation par beaucoup. Nous devons valoriser ce désir, annonçant la beauté de la famille naturelle, fondée sur l'union d'un homme et d'une femme, ouverte à la procréation.

- Par rapport à l'Instrumentum laboris du Synode de l'année dernière et aussi par rapport au Rapport final du Synode, l'Instrumentum laboris de cette année semble considérer plus complètement différents aspects de la vie de famille auparavant seulement esquissés, voire même ignorés...

« Surtout dans la première partie de l'Instrumentum on a introduit ou amplifié des sujets comme par exemple le deuil dans la famille, le veuvage, le handicap, la prière en famille, la dimension missionnaire, la peur de se marier, la miséricorde, et même la liturgie nuptiale. Cela pour confirmer la collégialité dont il a été bien renu compte dans la rédaction du document, ainsi enrichi de nombreuses propositions émanant de différentes sensibilités dans le monde catholique (ndt: on a du mal à croire qu'on a fait trembler les fondements de l'édifice pour des questions aussi mineures...).

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COMMUNION OUI, COMMUNION NON, POUR LES DIVORCÉS REMARIÉS? INTERPRÉTATION TRÈS RÉDUCTIVE
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- Dans cet Instrumentum aussi - comme déjà dans celui de l'année dernière et dans le Rapport final du premier Synode, du reste en conformité avec une attitude qui n'est pas nouvelle dans l'histoire de l'Eglise - on met en évidence la nécessité d'accepter pleinement dans la communauté ecclésiale ces familles et ces fidèles qui sont en situation irrégulière du point de vue canonique. Comme peut-on concrétiser l''accueil', qui - en ce qui concerne le premier Synode et la période intersynodale - a été interprété par de nombreux médias comme un simple «oui ou non» à la communion pour les divorcés remariés?

« Il s'agit d'une interprétation très réductrice. Pour nous, ce qui semble plus important, c'est la capacité d'intégrer dans la communauté ecclésiale celui qui est fragile, parce que blessé par des expériences douloureuses. Celui qui est dans cette situation devrait se sentir bien accueilli dans l'Église, sentir l'étreinte, l'accompagnement de la miséricorde d'un Dieu qui l'aime. C'est une attitude pastorale qui porte celui qui est impliqué à se sentir non pas objet mais sujet de la vie ecclésiale (ndt: bla-bla-bla...).

- Comme peut se traduire dans la vie quotidienne le fait d'être «sujets» et non «objets» dans la vie ecclésiales?

« Certaines restrictions prescrites aujourd'hui par la loi canonique pourraient être surmontées ...

- Donnez-nous un exemple ...

« Pourquoi un divorcé remarié ne peut-il pas être parrain [de baptême]? On pourrait supposer que, justement parce que croyant divorcé et remarié engagé dans un processus de réflexion et de pénitence, il donnerait aussi un témoignage de ses propres erreurs, invitant à vivre fidèlement le sacrement du mariage (???).

- L'intégration du divorcé remarié dans la communauté implique-t-elle nécessairement la possibilité de la communion eucharistique?

« Non, parce qu'on peut participer à la vie de la communauté, y compris à la liturgie eucharistique, dans un esprit pénitentiel, même sans accès à la communion, quand il n'y a pas les conditions pour pouvoir le faire. Bien sûr, le discernement de ces conditions ne doit pas être envisagé uniquement à la lumière d'une règle abstraite, mais doit être évalué - avec la direction spirituelle d'un prêtre (ndt: et où le trouve-t-on, ce prêtre, quand on sait à quel point dramatique on en manque?) - au cas par cas, afin que les personnes puissent être aidés à développer la conscience de leur propre vérité devant Dieu.

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ACCUEIL MISÉRICORDIEUX DES PERSONNES, MAIS DANS LA VÉRITÉ : LES «MARIAGES GAY» SONT TOUTE AUTRE CHOSE.
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- Passons à un autre sujet qui a reçu une grande couverture médiatique au cours du premier Synode (bien que très rare dans la réalité des interventions des Pères synodaux) et qui est la question de l'attention aux personnes homosexuelles croyantes. Dans l'Instrumentum laboris d'Octobre 2015, il n'y a pas de nouveauté par rapport à la Relatio finale d'octobre dernier, bien qu'à nouveau certains titres d'agence forcent la réalité du texte, parlant d'«ouverture» aux «familles homosexuels»...

« Il s'agit en réalité de l'accueil et de l'accompagnement des familles dans lesquelles vivent des personnes homosexuelles, et des personnes elles-mêmes. Là encore, il s'agit d'avoir le respect dû à la personne humaine, comme enfant et 'image de Dieu, quelle que soit son orientation sexuelle. Il doit y avoir de la place dans l'Eglise pour faire l'expérience du chemin de renouveau entrepris par ces personnes.

- L'accompagnement comprend-il également l'annonce de la doctrine sociale de l'Eglise sur le sujet?

« C'est évident. L'Église ne peut renoncer à proclamer la vérité en laquelle elle croit. Elle considère simplement que la proclamation de la vérité est inséparable de l'attitude de miséricorde envers les personnes. La reconnaissance du «mariage gay» est une toute autre chose.

- Au n. 45 de l'Instrumentum laboris , dans le chapitre sur «Union et fécondité des conjoints», on lit: Certains soulignent que dans le dessein de la Création est inscrite la complémentarité du caractère unitif du mariage avec le caractère procréatif: celui unitif, fruit d'un libre consentement, conscient et médité, prédispose à la mise en œuvre de la procréation. (ndt: quelle bouillie de langage, alors qu'on pourrait le formuler tellement plus simplement!) Pourquoi seulement 'certains'?

« 'Certains' se réfère au fait que, sur ce point, certaines conférences épiscopales et certaines «observations» ont insisté sur cette complémentarité, plus que d'autres. C'est une accentuation d'un point important de la doctrine de l'Eglise, sur lequel règne toutefois un consensus universel.

- À différents points de l'Instrumentum on associe le mariage civil et la cohabitation («personnes unies civilement ou vivant ensemble»). Mais entre les deux situations, il y a une différence non négligeable ...

« Oui, le mariage civil est l'expression d'un engagement public devant la communauté à la différence de la cohabitation, même s'il ne réalise pas pleinement les caractères du mariage-sacrement.

- Au n. 83, on lit: «A partir de la constatation du pluralisme religieux et culturel, on souhaite que le Synode conserve et valorise l'image de la "symphonie des différences"». Qu'est-ce qu'on entend par cette expression?

« Nous ne sommes pas tous identiques et chacun de nous a ses propres caractéristiques à expliciter. Dans l'Église, il doit y avoir place pour des différences. Par exemple, un divorcé remarié doit se sentir aimé et accueilli, même s'il a des conditions différentes de celles des personnes vivant une situation matrimoniale régulière. Comme par exemple, pour un homosexuel, qui a une inclinaison dont l'exercice n'est pas considéré comme juste, acceptable pour la morale catholique (!!!).



DROIT-DEVOIR À L'OBJECTION DE CONSCIENCE À L'ÉCOLE CONTRE L'IMPOSER DE L'IDÉOLOGIE 'GENDER'
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- A propos du droit-devoir d'éducation des enfants par leurs parents, au n.86, nous lisons: «on signale dans certains pays, la présence de projets de formation imposés par l'autorité publique, qui présentent des contenus en opposition avec la vision proprement humaine et chrétienne: face à ces projets, il convient d'affirmer avec insistance le droit à l'objection de conscience de la part des éducateurs". Et plus loin, au n. 144: «Il faut que l'Eglise encourage et soutienne les familles dans leur travail de participation responsable et vigilante aux programmes scolaires et éducatifs qui concernent leurs enfants. Un soulignement de forte actualité sociale»...

« Prenons un exemple très actuel: on prévoit dans certains pays, que l'idéologie du gender devrait être enseignée comme une sorte de discipline commune à tous. Ça ne va pas, ce n'est pas juste, parce que ce qui est commun à tous, inscrit dans la chair de la personne, c'est que l'union conjugale est entre un homme et une femme, ouverte à la procréation des enfants. Par rapport à ceux qui veulent imposer une conception différente, il y a le droit et le devoir d'objection de conscience.

- À cet égard, samedi 20 Juin, la Place Saint-Jean de Latran accueilli un grand rassemblement de centaines de milliers de personnes (en grande partie catholiques) pour la famille homme-femme-enfants, et contre l'imposition de l'idéologie du gender dans les écoles (ndt: cette grande manifestation a été organisée CONTRE certains évêques, dont le Secrétaire de la CEI, Mgr Galantino, et le Pape ne lui a pas adressé d'encouragement). Comment évaluez-vous l'événement?

« J'ai eu une impression très positive pour deux raisons. La première est que ce sont des laïcs qui l'ont organisée, démontrant une grande maturité: c'est très beau que ce soit eux, qui ont une expérience directe de la vie de famille, qui aient témoigné de la beauté et de la vérité de cette situation. Deuxième raison: la manifestation a voulu valoriser l'expérience de la famille, fondamentale pour la société comme école d'humanité. On ne s'est pas opposé à quelqu'un, personne n'a voulu imposer une idéologie: on a au contraire voulu dire "non" à une idéologie, celle du gender, que certains voudraient imposer à tout le monde.

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