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Le mystère du Samedi Saint

Re-reprise! La méditation-prière de Benoît XVI devant le Lincel de Turin le 2 mai 2010 .

J'ai bien conscience de remettre ce texte extraordinaire en ligne chaque Samedi Saint. Un peu comme chaque année, à Noël, on chante "Minuit Chrétiens".
C'est voulu, bien sûr.

* * *

On remarquera qu'au cours de cette méditation, Benoît XVI n'a pas une seule fois prononcé le mot "relique", mais à plusieurs reprises celui "icône".
Lui, le Pape savant, s'est volontairement abstenu de prendre parti dans le débat scientifique, parce que sa démarche se situait sur un autre plan.
Cela n'a pas empêché les media de créer une polémique, dont on trouvera un compte-rendu ici: benoit-et-moi.fr/2010-I [(cf. Annexe)]

Benoît XVI en prière devant le linceul.
Spaziani a capturé ces instants en une série d'images à voir ici: www.stefanospaziani.it

Méditation du Saint-Père devant le Saint-Suaire

(ma traduction)

Chers amis,

C'est pour moi un moment très attendu.
En une autre occasion, je me suis trouvé en face du Saint-Suaire, mais cette fois, je vis ce pèlerinage avec une intensité particulière; peut-être que le passage des années me rend encore plus sensible au message de cette Icône extraordinaire, peut-être, et je dirais surtout, parce que je suis ici en tant que Successeur de Pierre, et que je porte dans mon cœur toute l'Eglise, et même toute l'humanité. Je remercie Dieu pour le don de ce pèlerinage, et pour l'occasion de partager avec vous une brève méditation, qui m'a été suggérée par le sous-titre de cette Ostension solennelle: "Le mystère du Samedi saint".

On peut dire que le Saint-Suaire est l'Icône de ce mystère, l'Icône du Samedi saint.
En effet, c'est un linge d'ensevelissement (linceul) qui a enveloppé le corps d'un homme crucifié, correspondant à tous égards à ce que les évangiles nous disent de Jésus, qui a été crucifié vers midi, a expiré vers trois heures de l'après-midi. Dans la soirée, puisque c'était la "Préparation" (Parasceve), c'est-à-dire la veille du samedi solennel de Pâques, Joseph d'Arimathie, membre riche et influent du Sanhédrin, demanda courageusement à Ponce Pilate d'ensevelir Jésus dans le tombeau nouveau, qu'il avait fait creuser dans la roche, non loin du Golgotha.

Ayant obtenu la permission, il acheta un linceul et une fois le corps de Jésus descendu de la croix, il l'enveloppa dans ce linge et le mit dans le tombeau (Marc 15,42-46). C'est ainsi que le relate l'Evangile de Marc, et les autres évangélistes sont d'accord avec lui. A partir de ce moment, Jésus resta dans la tombe jusqu'au jour après le sabbat, et le Saint Suaire de Turin nous offre l'image de son corps, tel qu'il était couché dans la tombe, pendant cette période, qui fut chronologiquement de courte durée (environ une journée et demi), mais a été immense, infinie dans sa valeur et sa signification.

Le Samedi Saint est le jour de l'absence de Dieu (ndt: "la dissimulation" il nascondimento), comme nous le lisons dans une homélie ancienne: «Qu'est-il arrivé? Aujourd'hui sur la Terre, il y a un grand silence, grand silence et grande solitude. Grand silence parce que le Roi dort ... Dieu est mort dans la chair, et il est descendu pour bouleverser le royaume de l'enfer ".
Dans le Credo, nous confessons que Jésus-Christ "a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort et a été enseveli, est descendu aux enfers, et le troisième jour est ressuscité".

Chers frères, à notre époque, surtout après avoir traversé le siècle dernier, l'humanité est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi saint.
La dissimulation (nascondimento) de Dieu fait partie de la spiritualité de l'homme contemporain, de manière existentielle, presque inconsciente, comme un vide dans le cœur qui s'élargit de plus en plus. A la fin du XIXe siècle, Nietzsche écrivait: "Dieu est mort! Et nous l'avons tué".

Cette célèbre phrase, avec le recul, est tirée presque mot pour mot de la tradition chrétienne, souvent répètée lors du Chemin de Croix, peut-être sans que nous soyons pleinement conscient de ce que nous disons. Après les deux guerres mondiales, les camps de concentration, et le Goulag, Hiroshima et Nagasaki, notre époque est devenue de plus en plus un samedi saint: l'obscurité de cette journée interpelle tous ceux qui s'interrogent sur la vie, elle nous interpelle en particulier en tant que croyants. Nous aussi, nous sommes concernés par cette obscurité.

Et pourtant la mort du Fils de Dieu, Jésus de Nazareth, a un aspect opposé, entièrement positif, source de consolation et d'espérance. Et cela me fait penser au fait que le Saint Suaire se comporte comme un "document photographique" doté d'un "positif" et d'un "négatif". Il en est en effet ainsi: le mystère le plus obscur de la foi est en même temps le signe le plus lumineux d'une espérance qui n'a pas de fin.

Le Samedi Saint est le "no man's land" entre la mort et la résurrection, mais dans ce «pays du rien» est entré l'Unique, celui qui l'a traversé, avec les marques de Sa Passion pour l'homme: “Passio Christi. Passio hominis”.
Et le Saint-Suaire nous parle exactement de ce moment-là, témoigne précisément de cet intervalle unique et irremplaçable dans l'histoire de l'humanité et de l'univers, dans lequel Dieu, en Jésus-Christ, non seulement a partagé notre mourir, mais aussi notre rester dans la mort. La solidarité la plus radicale.

En ce "temps-au-delà du-temps" Jésus-Christ "est descendu aux enfers".

Que signifie cette expression?
Cela signifie que Dieu, s'étant fait homme, en est arrivé au point d'entrer dans la solitude extrême et absolue de l'homme, là où ne vient aucun rayon d'amour, où règne l'abandon total sans aucune parole de réconfort: "l'enfer". Jésus-Christ, en restant dans la mort, a dépassé la porte de cette solitude ultime afin de nous guider nous aussi pour la traverser avec lui.
Il nous est tous arrivé de ressentir un terrible sentiment d'abandon, et ce qui nous fait peur, dans la mort, c'est justement cela, comme les enfants qui ont peur d'être seuls dans l'obscurité et que seule la présence d'une personne aimante peut rassurer. C'est exactement ce qui est arrivé le Samedi Saint: dans le royaume de la mort, la voix de Dieu a résoné.

Et l'impensable est arrivé: l'amour a pénétré "en enfer": même dans le fond obscur de la solitude humaine absolue, nous pouvons écouter une voix qui nous appelle, et trouver une main qui nous prend et nous conduit au dehors. L'être humain vit par le fait qu'il est aimé et peut aimer; et si l'amour a pénétré jusque dans le domaine de la mort, alors là aussi est arrivée la vie. A l'heure de l'extrême solitude, nous ne serons jamais seuls: "Passio Christi. Passio hominis".

Tel est le mystère du Samedi saint!
C'est justement de là, des ténèbres de la mort du Fils de Dieu, qu'a émergé la lumière d'une espérance nouvelle: la lumière de la Résurrection. Et là, il me semble qu'en regardant ce linge sacré avec les yeux de la foi, on peut percevoir quelque chose de cette lumière. En effet, le Saint Suaire a été plongé dans ces profondeurs obscures, mais en même temps lumineuses; et je pense que si des milliers et des milliers de personnes viennent le vénérer - sans compter ceux qui le contemplent sur des photos - c'est parce qu'en lui, ils ne voient pas seulement l'obscurité, mais aussi la lumière; non pas tant la défaite de vie et de l'amour, mais plutôt la victoire, la victoire de la vie sur la mort, de l'amour sur la haine; ils voient, oui, la mort de Jésus, mais ils entrevoient sa Résurrection; au milieu de la mort, la vie palpite, comme l'amour l'habite. Voilà la puissance du Saint Suaire: du visage de cet «homme de douleur», qui porte sur lui la passion de l'homme de tous les âges et de tous les lieux, et aussi nos passions, nos douleurs, nos difficultés, nos péchés - "Passio Christi. Passio hominis"- émane une majesté solennelle, une seigneurie paradoxale. Ce visage, ces mains et ces pieds, ce côté, tout ce corps, parle, est lui même une parole que nous nous pouvons écouter dans le silence.

Comment parle le Saint Suaire?

Il parle avec le sang, et le sang est la vie! Le Saint Suaire est une icône écrite avec le sang; le sang d'un homme flagellé, couronné d'épines, crucifié et blessé au côté droit. L'image imprimée sur le Saint Suaire est celle d'un mort, mais le sang parle de sa vie. Chaque trace de sang parle d'amour et de vie. Particulièrement cette tache abondante près du côté, faite de sang et l'eau jaillis en abondance à partir d'une large blessure procurée par une lance romaine, ce sang et cette eau parlent de vie. C'est comme une source qui murmure dans le silence, et nous pouvons l'entendre, nous pouvons l'écouter dans le silence du Samedi saint.

Chers amis, louons toujours le Seigneur pour son amour fidèle et miséricordieux. A partir de ce lieu saint, gardons dans les yeux l'image du Saint Suaire, gardons dans le coeur cette image d'amour, et louons Dieu avec une vie pleine de foi, d'espérance et de charité.
Merci.

(*) Annexe

Pourquoi le Pape a appelé le Saint-Suaire "icône" et non pas "relique"

Armando Torno (Il Corriere della Sera, ma traduction)
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Le pape Benoît XVI à Turin pour l'ostension du Saint Suaire a parlé d'icône et pas de relique. Dans le célèbre drap, le Pape voit se refléter l'histoire du Christ; et même, la toile permet d'observer, comme dans un miroir, comment nous compatissons à ses souffrances. Les diatribes sur la datation ont donc été laissées de côté. En outre, la référence à Marie, au début de ce mois qui lui est consacré, porte une réflexion sur la foi.
Marie fut du rest la première à reconnaître avec certitude, au-delà de toute preuve, dans le visage humain de son fils celui de Dieu

Il faut maintenant se demander si la distinction aura une suite et si d'autres chapitres de cette histoire millénaire seront écrits.
La "relique" (de "reliquus", reste, résidu) est ce qui reste d'un corps humain ou d'une partie de celui-ci (dans ce cas elle était dite ex ossibus). Au sens large, la tradition catholique nomme aussi ainsi les objets ayant été en contact avec une personne parce qu'ils en avaient absorbé ses «preclare virtù». Il existe une pratique ancienne, née dans les catacombes, qui fait déposer des reliques dans l'autel, lors de l'acte de consécration au culte. Par la suite, elles sont devenues objets d'abus et de commerce, de sorte que le concile de Latran de 1215 punit les trafiquants de peines sévères.
(..)

"Icone", au contraire, du grec eikón, nous amène au sens d'image, même si la tradition byzantine en a fait quelque chose de plus (et de moins qu'une relique). Dans le livre de l'Exode (20:4) on lit l'interdiction: "Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point..." mais il y avait quelques exceptions, comme en témoignent les chérubins de l'arche de l'alliance (Exode 25.18) ou le serpent d'airain (Nombres 21: 8-9).
Certes, au début du christianisme il y a les nombreuses peintures des catacombes, les sculptures des sarcophages; au cours des quatrième et cinquième siècles l'usage se répand partout, même si, dans un premier temps, le culte était adressé à la Croix.
Le début de cette liberté apporta avec elle quelques cas d'idolâtrie envers certaines représentations (...) On sait qu'en 726, l'Empereur byzantin Léon III l’Isaurien fit enlever une icône vénérée du Christ, donnant le coup d'envoi au mouvement des iconoclastes. Depuis lors, même si les figures sacrées peuplent une grand partie de l'art occidental, la tentation de les abolir ne s'est pas éteinte et on invoque régulièrement le verset de l'Exode.

À l'époque des images numériques et des icônes médiatiques, Benoît XVI a été au-delà. Il a même peut-être repris en clé théologique la "Théorie esthétique" de Theodor W. Adorno. Selon elle, plus que de reproduire le monde, leur rôle est d'offrir "le contenu de vérité" sédimenté dans la forme même de l'image, ou de l'icône. Et elle en constitue l'historicité immanente.

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