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Mais qui est Benoît XVI ?

Cet article datant d' il y a presque dix ans, au moment de l'élection de Benoît XVI, reste d'une remarquable pertinence. Il posait des questions auxquelles le temps a apporté une réponse. Enfin, presque...

Cet article de l’abbé de Taouärn a dix ans. Je l’ai retrouvé par hasard, en consultant mes archives de l’époque, et si la lettre d’informations religieuses en ligne « Pactes », qui l’avait publié, n’existe plus, l’article est encore disponible sur leur site internet – avec de nombreux autres.

Je crois que c’est une bonne occasion, pour mes lecteurs, de le (re)découvrir. Avec le recul, il prend la dimension d’un document pour l’histoire, et surtout, il apparaît que les analyses de l’abbé étaient plutôt pointues. Quel dommage que ces propos aient été limités à un auditoire relativement confidentiel, la plus grande partie de l'information ayant été abandonnée aux médias du système (ycompris catholiques) majoritairement hostiles...

Mais qui est Benoît XVI ?

Abbé G. de Tanoüarn

Pacte n°93 - mai 2005
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Je crois que nous avons été à peu près les seuls, dans Pacte, par la voix de M. l’abbé Barthe, à donner pour favori du Conclave le cardinal Josef (sic !) Ratzinger, théologien reconnu par tous, jeune et brillant expert du cardinal Frings au concile Vatican II, archevêque de Munich et, depuis 1981, inamovible Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (ex-Saint-Office). Après 36 heures de délibération, la fumée blanche est apparue et le cardinal Medina, ne pouvant cacher sa jubilation, annonçait au monde cette grande joie : “ Josephum ”. Le prénom suffit. Il n’eut pas le temps de prononcer le nom de Ratzinger. Une immense ovation montait de la place Saint-Pierre vibrante de gratitude (ndlr : et dire que certains faussaires persistent à dire qu’il a été élu sous les sifflets) . Elle avait deviné son pape au seul énoncé de son prénom : cela fait si longtemps que cet Allemand est Romain... La Ville éternelle l’a adopté comme l’un des siens ; les fidèles du rang ont appris à le connaître, en écoutant son chemin de Croix, en le voyant officier gravement en langue latine lors des funérailles de Jean Paul II et en regardant la messe télévisée pour l’ouverture du Conclave, qu’il célébrait lui-même en tant que Doyen du Sacré Collège.

Le mentor caché

Les gens informés savaient quelle place il occupa dans la dernière décennie du pontificat du pape Wojtyla. On n’en a peut-être pas encore pris une claire conscience: non seulement Ratzinger se présente comme dans la ligne de son prédécesseur, mais il fut un peu, pour lui, ce que le cardinal Eugenio Pacelli (devenu Pie XII) fut à la fin du règne de Pie XI : un inspirateur et presque un Mentor, pour un pape énergique mais vieillissant. Est-ce un hasard ? les deux conclaves les plus courts de l’époque contemporaine sont ceux qui ont vu désigner comme pape Pie XII d’une part, Benoît XVI d’autre part.

Réfléchissons un peu : les documents qui ont émaillé le pontificat de Jean Paul II se laissent très clairement distinguer : il y a ceux qui reflètent le style très personnel du pape slave et ceux qui apparaissent comme plus rigoureux et plus impersonnels. Comme le dit le cardinal Ratzinger dans le texte qu’il a consacré aux 20 ans de pontificat de Carol Wojtyla : “ Ses lettres des premières années de pontificat sont très fortement marquées par sa réflexion et sa méditation personnelle (...) Les textes magistériels de la deuxième décennie se déploient en profondeur ”.

On perçoit l’ombre d’une critique dans cette appréciation du Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, qui du reste ne commentera, dans cette évocation de 20 ans, que les textes de la deuxième décennie. Est-ce un procès d’intention que de noter que, durant cette seconde décennie le cardinal Ratzinger devient intellectuellement très présent ? Après tout, c’est bien Pie XII, alors qu’il n’était encore que Pacelli qui écrivit les grandes encycliques de son prédécesseur, condamnant le communisme et le nazisme.

On peut établir la ligne de partage des eaux en 1991. Le Mur de Berlin est tombé depuis deux ans. L’hyper-puissance américaine n’a plus de rivale. Le libéralisme post-reaganien s’impose comme le modèle unique de croissance mondiale aux couleurs de l’Union Jack. Dans l’encyclique qu’il écrit pour le centenaire de Rerum novarum (ndr: CENTESIMUS ANNUS) , Jean Paul II critique violemment une démocratie qui prétendrait se passer de toute loi morale transcendante et qui, devenant le bras armé du relativisme obligatoire, serait bel et bien en danger de totalitarisme.

Cette critique du libéralisme politique, on la retrouvera dans Veritatis splendor (ndr: l’encyclique de 1993 sur l’objectivité de la loi morale) et dans Evangélium vitae, où, en 1995, le pape va jusqu’à prôner la désobéissance civile des chrétiens. Mieux vaut pour eux désobéir que de cautionner les lois autorisant l’avortement, explique avec force le pape. On retrouve cette critique de la démocratie moderne, dans un livre écrit en 1993 et qui ne sera publié qu’en février 2005, pour servir de testament spirituel, Mémoire et identité. Il me semble que ce virage antilibéral de Jean Paul II, tellement étonnant de la part de l’auteur de Personne et acte, pourrait bien trouver sa source dans l’évolution (un peu antérieure) d’un certain Josef Ratzinger. C’est en effet au cours d’une Conférence –donnée comme en catimini à Santiago du Chili au mois d’août 1988 – que le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi met en cause violemment le libéralisme politique et social, dominant le monde occidental (ndr: ?? je ne retrouve pas ce document) . Je me plais à imaginer qu’à une telle date l’ombre de Mgr Marcel Lefebvre planait certainement sur le cardinal Ratzinger et que – d’une certaine façon – cette conférence à Santiago, qui inaugure un nouvel antilibéralisme au Vatican, pourrait bien avoir sa source ultime dans l’action de l’ancien archevêque de Dakar.

Le cardinal Ratzinger et les droits de l’homme

Mais, dira-t-on, le cardinal Ratzinger n’a jamais renoncé aux droits de l’homme... Certes, et le dernier livre du cardinal, à paraître très bientôt en langue française, ne nous détrompera pas sur ce point. Les bonnes feuilles que le Courrier international vient de nous en proposer marquent bien cet aspect de l’enseignement du théologien Ratzinger : il rappelle, dans ce livre qui s’appellera sans doute Des valeurs pour l’Europe (ndr : en réalité, « L’Europe, ses fondements hier, aujourd’hui et demain, nous en avons reproduit un chapitre, cf. Qu'est-ce que l'Europe ? (III)) qu’au commencement de tout se trouve la dignité humaine :
La première chose essentielle, c’est le caractère inconditionnel de la dignité humaine et des droits de l’homme dans les législations nationales."

L’homme exact et rigoureux qu’il a toujours été ne cherche pas à jouer sur les mots, en employant sans explications, un langage antichrétien. Il ajoute donc immédiatement :
“ Cette dignité de l’homme, prééminente et antérieure à toute action et décision politique, renvoie en dernière instance au Créateur : lui seul peut établir les droits essentiels et constitutifs de l’homme auxquels nul ne saurait toucher".

Et comme si cela ne suffisait pas à lever les équivoques, il conclut:
“C’est ici un héritage essentiellement chrétien qui est codifié. ”

On peut comprendre cette ultime formule de deux manières : soit le cardinal avance l’idée que les droits de l’homme sont essentiellement chrétiens, soit il explique que c’est en tant qu’ils sont essentiellement chrétiens qu’il faut les reconnaître de manière inconditionnelle. Soit, donc, il déclare, comme Jean Paul II dans son dernier livre, que l’héritage des Lumières est identique à l’héritage chrétien (ce qui serait pousser trop loin le bouchon et donc manquer la manœuvre) ; soit il affirme qu’il faut corriger les Lumières et redresser les droits de l’homme pour revenir à leur vérité, située en deçà du siècle des Lumières et de toutes ses ambiguïtés. Mais mieux vaut attendre la traduction française de son livre pour se prononcer sur ce dilemme.

Pour lors, on peut retenir néanmoins, quelle que soit l’issue de ce dilemme, que le cardinal Ratzinger, en tant que théologien, ne reçoit la thématique des droits de l’homme que dans sa version objective, dans la mesure où cette thématique constitue une manière d’exprimer la loi naturelle du respect de toute vie humaine en tant qu’humaine. Il ne s’agit pas pour lui de diviniser la liberté du sujet humain, en considérant comme respectable toute aspiration, tout souhait, tout désir, toute revendication, du moment qu’il s’exprime en commençant par : “ Moi je... ”.

Le cardinal Ratzinger face au concile Vatican II

Un autre point important, c’est l’attitude du pape Benoît XVI face au concile Vatican II.
Lui qui a participé à cette assemblée immense, comment la voit-il ? S’agit-il pour lui du socle inévitable de toute pastorale catholique dans le monde actuel ? A-t-on, en tant que catholique un droit à la critique de ce concile pastoral ?

Le texte le plus développé qu’ait écrit le cardinal Ratzinger, se trouve à la fin des Principes de la théologie (ndr: s'agit -il de ce livre www.librairietequi.com ?), livre publié à Paris en 1985 et dont l’édition allemande remonte à 1982, reprenant d’ailleurs des textes eux-mêmes légèrement plus anciens.

La longue conclusion de cet ouvrage porte tout entière sur un “ bilan de l’époque post-conciliaire ”, intitulé “ échecs, devoirs, espoirs ”.
Le ton est très différent de celui qui anime ces pensum, à l’éloquence toute soviétoïde, que l’on voit passer dans le fleuve en prose qui se répand depuis la Conférence épiscopale française. Il suffit d’aller sur le site internet des évêques de France (cef) pour toucher du doigt la différence.

Le cardinal Ratzinger, qui fut pourtant l’une des figures de proue du concile, ne fait pas le fier avec Vatican II. Prenant les choses de loin ou de haut, il nous offre d’abord deux formules patristiques sur les conciles, l’une d’Eusèbe de Césarée, qui célèbre cette belle réunion d’évêques dans le Saint-Esprit, l’autre de Grégoire de Nazianze, l’un des principaux Pères de l’Eglise d’Orient, qui, lui, n’y va pas par quatre chemins pour dire sa crainte : “Pour dire la vérité, je crois qu’on devrait fuir toute assemblée d’évêques, car je n’ai jamais vu aucun concile avoir une issue heureuse et mettre fin aux maux. ” Nous sommes, avec cet aveu d’orfèvre, en 385, entre plusieurs sessions du concile de Constantinople. On pourrait aussi écrire cela après le concile Vatican II, semble suggérer le théologien Ratzinger. “ Un concile qui ne dogmatisait pas et qui n’excluait personne semblait ne pouvoir heurter personne ”. Et pourtant “ il est des facteurs négatifs, incontestables, très graves et dans une large mesure inquiétants. Ainsi le fait que nos églises, nos séminaires, nos cloîtres se soient vidés ”.

Le cardinal ne manie pas la langue de buis. Un exemple ? Il n’a pas de mots trop durs contre “ le christianisme paperassier ” qu’engendre la pratique actuelle de la collégialité épiscopale : “ La collégialité est l’un des principes de la réalité chrétienne, la personnalité est l’autre principe. ” Pas de collégialité sans responsabilité personnelle de l’évêque, semble nous dire le cardinal. Voici une manière de revisiter, l’air de rien, l’un des grands impératifs catégoriques issus de Vatican II.

Au fond ce que tente d’effectuer le cardinal, comme théologien, c’est une sorte de discrimination entre les principes catholiques et la manière dont ils ont été appliqués après le concile : “ La décision définitive en ce qui concerne Vatican II, dépend de l’existence d’hommes qui réussiront en eux-mêmes le drame de la séparation du bon grain et de l’ivraie, et donneront par là à l’ensemble du Concile cette clarté de sens que l’on ne saurait tirer de la lettre seule. ”

Cette formule est de la plus haute importance. Elle révèle que, pour le cardinal théologien en tout cas, il est nécessaire d’effectuer un tri dans Vatican II, comme on sépare “ le bon grain de l’ivraie ”. Il reconnaît implicitement par là les ambiguïtés du texte conciliaire, qui ne peut pas être interprété seulement par lui-même (“la lettre seule ”) et qui a besoin d’éclaircissements extérieurs à lui.

L’action du “ Panzer cardinal ”

Un tel aveu doit être pesé. Il explique largement la politique suivie par le cardinal en tant que Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi.
Prenons des exemples de son action entre 1984 et 2000 : face à tels dérapages de la Constitution pastorale Gaudium et spes qui promet à l’humanité — au nom du Christ – un avenir radieux comme le ferait n’importe quelle idéologie laïque, il nous offre un texte splendide, condamnant dès 1984 la théologie de la Libération, c’est-à-dire la tentation idéologique révolutionnaire des clercs qui confrontés à des situations sociales tragiques avaient pris le concile un peu trop au sérieux (ndr: et aussi en 1986 cet autre texte)

Face au risque de schisme de certaines Eglises locales qui se sentent “par elle-même l’Eglise catholique”, il écrit, en 1993, L’Eglise comme communion, où il est clairement dit que le Pontife romain est le seul garant de l’universalité (et donc de la catholicité) de l’Eglise.

Pour interpréter correctement le n° 7 de la Constitution doctrinale, Lumen gentium, selon lequel “ l’Eglise de Dieu subsiste dans l’Eglise catholique ”, il écrit en 2000 Dominus Jesus, expliquant que l’Eglise de Dieu “ est par excellence ” l’Eglise catholique. On ne peut pas manquer de trouver que cette façon de comprendre le texte nous éloigne du sens originel de la formule, telle qu’elle est rédigée dans le texte conciliaire. “ Subsister dans ” n’a jamais voulu dire “ être par excellence ”. On peut dire que le cardinal Ratzinger impose à l’Eglise de Dominus Jesus, à l’Eglise de l’an 2000, une véritable correction du texte conciliaire.

Son document concernant l’expression “Eglises sœurs” , paru au même moment, est encore plus clairement en retrait par rapport à la pratique œcuménique post-conciliaire, qui utilisait cette expression sans restriction, alors que lui en interdit l’usage.

Mais il faut aller à la racine du mal, sans se laisser impressionner par ceux dont il est permis de penser que Benoît XVI les appelle “ les loups ” dans son discours d’intronisation.
Qui dit que les prochains mois ne verront pas une condamnation en règle de la liberté de conscience, non seulement sur le plan moral (comme l’avait fait Jean Paul II dans Veritatis splendor), mais du point de vue proprement théologique, du point de vue de la foi elle-même? Le nouveau pape n’a-t-il pas déclaré, à Saint-Pierre, le jour de la Pentecôte : “ Le don de la loi sur le Sinaï ne fut pas une restriction ou une abolition de la liberté. Et, étant donné qu’une juste organisation humaine ne peut exister que si elle provient de Dieu et si elle unit les hommes dans la perspective de Dieu, les commandements que Dieu lui-même donne ne peuvent manquer à une organisation ordonnée des libertés humaines”. Un tel texte apparaît déjà comme une condamnation implicite de la liberté de conscience.

I have a dream...

Mais, direz-vous peut-être, on aurait pu aussi bien trouver semblable mise au point sous la plume de Jean Paul II, après le tournant magistériel que représente l’encyclique Veritatis splendor (1993). Voire...

Dans ce document, qui avait fait couler beaucoup d’encre, le pape polonais rappelait effectivement l’objectivité de la loi morale, qui s’impose à notre liberté. Mais il précisait cependant qu’il entendait ne parler que de la deuxième table des commandements, les commandements négatifs, ceux qui ont trait à l’humanité elle-même et à son mode d’emploi : “ Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, etc. ”. Jean Paul II, ce disant, laissait délibérément de côté l’objectivité de la première table des commandements, celle qui concerne les commandements envers Dieu : “ Tu honoreras le Seigneur ton Dieu et tu n’auras pas d’autre Dieu que lui. ”

On ne constate pas pareille restriction, on ne voit pas que le pape Benoît XVI limite son propos aux commandements de la deuxième table, dans le sermon de Pentecôte, qu’il vient de prononcer ; au contraire !

En effet, pour le théologien devenu pape, le rappel de l’objectivité de la Loi est d’abord, comme il l’explique dans le texte que nous venons de citer, le rappel de l’antériorité de la vérité divine sur la liberté humaine. Si on écoute ces paroles ut sonant, ce sont des paroles de vie. La “ foi divine et catholique ”, comme parlaient les théologiens au premier concile du Vatican (1870) y apparaît dans sa pureté et son objectivité comme à prendre ou à laisser. La liberté humaine, les aspirations du cœur humain, les élans de la subjectivité ne peuvent imposer leur loi à la Parole de Dieu, qui requiert de chaque homme une adhésion inconditionnelle. Le fantasme d’une religion à la carte est efficacement conjuré. Et la société humaine elle-même doit accepter cette transcendance efficace du Message chrétien. Elle doit se laisser informer par lui. “ Une juste organisation humaine ne peut exister que si elle provient de Dieu ”. C’est, en d’autres termes sans doute, la substance même du message anti-libéral de Mgr Lefebvre ! Voilà qui est de bon augure, si nous voulons qu’un jour l’Eglise, reprenant le célèbre avertissement du pape Grégoire XVI dans l’encyclique Mirari vos (15 août 1832), condamne à nouveau clairement la “liberté de conscience”, ce chancre qui détruit la foi. Pour Grégoire XVI, au XIXème siècle, mettre la liberté humaine au-dessus de la vérité divine, cela ne pouvait être qualifié que de “délire”. Il me semble que la réitération pour notre époque d’une telle condamnation – d’une condamnation aussi catégorique – n’est plus tout à fait un rêve, alors que le pape d’aujourd’hui tient le discours que nous lui entendons tenir. Il n’est pas impossible que demain Benoît XVI devienne ce Défenseur des droits de la vérité dont l’Eglise a besoin.

Le chantier liturgique

Mais il est un domaine où l’on peut se permettre d’attendre du nouveau pape une intervention immédiate : celui de la liturgie.

Le cardinal Ratzinger avait multiplié les gestes de bienveillance à l’égard des catholiques fidèles à la messe traditionnelle. Il avait préfacé une réédition du fameux missel “Dom Lefebvre” pour le compte du monastère Sainte-Magdeleine du Barroux. Il avait encouragé le même monastère à traduire en français certains textes de son vieux maître, le liturgiste Klaus Gamber, notoirement devenu, en Allemagne, l’un des adversaires les plus déterminés de la liturgie, dite rénovée par le pape Paul VI. Il avait aussi multiplié les contacts avec les traditionalistes restés dans la mouvance romaine, tenant, malgré un emploi du temps chargé, à célébrer lui-même diverses ordinations selon le rite ancien.

En outre, il a été, depuis longtemps maintenant, le tenant d’un concept particulièrement risqué, il faut le dire, dans l’atmosphère délétère où se débat l’Eglise aujourd’hui : celui d’une nécessaire “réforme de la réforme liturgique ”.
Encore très peu de temps avant son élection, il écrivait pour le mensuel italien Trenta Giorni que la réforme liturgique dite de Paul VI représentait dans la longue histoire des rites liturgiques, une bifurcation très grave et “ un déchirement ” pour tous ceux qui ont eu à l’adopter (ndr: c'est l'article que j'ai repris ici: benoit-et-moi.fr/2015-I-1/benoit/le-developpement-organique-de-la-liturgie). D’où l’idée qu’il faut revenir sur cette réforme et qu’il faut… la réformer.

Cela peut-il se faire en un jour ? Cela est-il souhaitable ?

Il est clair qu’une entreprise aussi colossale et aussi contestable qu’une réforme liturgique ne peut pas avoir lieu en nos temps de déconfiture ecclésiastique, alors que, selon le mot du cardinal Ratzinger durant le dernier Chemin de Croix, “ la barque de Pierre fait eau de toutes parts ”.

Je dis “ entreprise colossale ” parce que, selon Dom Guéranger, “ la liturgie n’est rien moins que le langage de l’Eglise ”, lorsqu’elle parle d’amour à son divin Epoux.

Je dis “ entreprise contestable ”, parce qu’il est quasiment impossible de changer de langage par décret. La première réforme liturgique de l’histoire, celle de 1969, a laissé tellement de séquelles, dans la mémoire collective de l’Eglise comme dans sa pratique actuelle, qu’il paraît hasardeux de tenter la même expérience quarante ans après.

Il faut donc penser qu’avant de lancer un tel chantier, Benoît XVI, qui ne dispose, il le sait bien, que de peu de temps, devra poser quelques actes forts, faciles à déchiffrer et qui induisent une dynamique d’intégrité liturgique. N’est-ce pas ce qu’il a commencé à faire en réintroduisant le latin dans la liturgie pontificale, à l’occasion des funérailles de son prédécesseur par exemple, ou bien lors de la messe d’ouverture du conclave ou encore à l’occasion des quelques premières messes de son pontificat ? Prenant occasion de l’année de l’eucharistie, ouverte par Jean PaulII, il multiplie les demandes pour une célébration “ digne et pieuse ”, pour une célébration “ solennelle ” de la liturgie. Il a réclamé aussi que la fête du Corpus Christi (26 mai) soit l’occasion d’une vénération particulière de l’eucharistie.

Mais tout cela reste dans la ligne du dernier document de quelque importance, produit sous son prédécesseur Redemptionis sacramentum (25 mars 2004). S’il veut faire un pas de plus, il n’a qu’une seule solution : reconnaître que la liturgie traditionnelle jouit d’un “ droit de citoyenneté ” dans l’Eglise, comme le disait le cardinal Castrillon Hoyos ; déclarer qu’elle constitue “ un élément de communion incontournable ” ; admettre que tout prêtre de rite latin jouit du droit de la célébrer, où que ce soit. Lorsqu’aura eu lieu cette clarification nécessaire, le processus de traditionalisation liturgique pourra se mettre en marche de manière irréversible. La réforme de la réforme liturgique cessera d’être une utopie pour devenir une nécessité ressentie par tous, même si elle sera sans doute refusée et combattue par certains.

Un tel acte pourrait avoir lieu à l’occasion du prochain Synode sur l’eucharistie, à la rentrée...
Si en cette occasion solennelle il ne se passait rien, on pourrait douter de la volonté réformiste du nouveau pape (???). On pourrait douter de la sincérité (???) de ces paroles qui se trouvent dans son ouvrage d’entretiens Le sel de la terre (1997) : “Une communauté qui déclare soudain strictement interdit ce qui était jusqu’alors pour elle tout ce qu’il y a de plus sacré et de plus haut, et à qui l’on présente comme inconvenant le regret qu’on en a, se met elle-même en question. Comment la croirait-on encore ? Ne va-t-elle pas interdire demain ce qu’elle prescrit aujourd’hui ? ”

On ne saurait mieux dire : la reconnaissance du droit de la messe traditionnelle est pour l’Eglise une question de vie ou de mort... Un acte officiel est à espérer… Dès demain.

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