Attention à la tentation paupériste!

ou de l'utilité de l'argent pour l'Eglise: l'avertissement de Giuliano Ferrara à François.

 

Le pape et les pharaons de la curie.
François critique les évêques qui dépensent.

Giuliano Ferrara
6 novembre 2015
Il Foglio (source)
Ma traduction


Je ne me résigne pas à l'idée qu'un pape puisse faire des erreurs.
Suis-je irrationnel? Oui, je le suis.
Peu m'importe que la célèbre "PR" (ndt: Chaouqui, chargée des relations publiques) ait été nommée par un chirographe, un acte solennel de la main du pape. Je me fiche que dans l'Opus Dei, prélature personnelle du Pape selon saint Jean Paul II, on n'ait rien pu pêcher de mieux que Mgr Vallejo Balda. Je laisse volontiers aux laïcistes l'opinion qu'une institution mi-divine mi-humaine mérite l'orgie des ragots, les cardinaux qui se mordent l'un l'autre (comme Benoît XVI l'avait dit, citant un père de l'Eglise [1]), la polémique de réduit pétrinien, qui déshonore une grande et fatale tombe, ou de lépreuse caste Curiale. Je considère comme gestes commerciaux et malveillance éditoriale la publication de livres basés sur le vol perfide de documents confidentiels et sur leur montage scandaleux à l'enseigne de la Mafia Vaticane. Selon moi, un cardinal d'un mètre quatre-vingt dix et cent trente kilos, entre soixante et quatre-vingts ans, à condition qu'il travaille bien et soit un homme de Dieu, peut très bien voyager en classe affaires. Je crois à la moitié de la moitié - comme pour l'argent, le sexe et la sainteté - de toutes ces rumeurs ineptes dignes de mauvais romans.

Cependant, et pour cette raison je supplie humblement François, de ma chaire de non-croyant - à ce qu'il semble l'unique typologie académique à rester debout dans l'Eglise post-théologique et pastorale - de ne pas tirer contre les prêtres qui vivent comme des pharaons, de ne pas considérer l'argent comme fumier du diable (il l'est, en partie, mais le diable a de nombreux autres moyens, y compris superbement paupéristes, d'être entendu), de ne pas porter à l'incandescence prophétique ou apocalyptique - à vous de décider - sa croisade franciscaine pour une Eglise pauvre et des pauvres. Éliminer le luxe dans la vie du clergé romain et d'autres secteurs tout aussi clinquants du monde, c'est une bonne chose. Pastoraliser l'Eglise, comme on pasteurise le lait pour le désinfecter et le mettre en sécurité en l'exposant à des températures élevées, très bien. Mais un traitement grillien de l'église, après le traitement scalfarien de la doctrine, c'est une mauvaise idée.

En attendant, François, l'alter Christus, agissait sous un monde infiniment différent du monde moderne. François, le pape qui s'inspire de lui selon des modèles ignatiens, sait mieux que quiconque qu'entre le poverello et nous, il y a le Cinquecento, la Réforme, la naissance du monde moderne, grâce aussi aux jésuites. Les mendiants pieds nus et en robe de bure peuvent reconstruire l'Eglise avec leur témoignage, sauf approfondissements historiques et spirituels de la question, mais les papes, ils devraient la gouverner, l'Eglise. Et si son saint programme pontifical est littéralement "remettre l'Eglise en honneur dans le monde", en suivant la voie d'un individualisme mystique, d'un dépouillement en présence d'un Dieu miséricordieux qui pardonne à travers le sacrifice de son fils unique, programme saint en soi, les moyens employés pour y parvenir ne peuventt pas être confondus avec les mensonges désacralisants du paupérisme, du 'scandalisme', de l'importation dans la mère et maîtresse des croyants, des méthodes 'facilistes' de l'anti-politique laïque, qui, aujourd'hui, est une religion de l'irréligion prête à dévorer la réforme ou la révolution de François, avec son méchant esprit canaille et antichristique.

Je suis pour le Pape, mais pas pas pour la Curie. Je me contrefiche depuis toujours des "cordées", des lobbies, des humains trop humains de cette institution si fatalement romaine. Mais je ne peux pas supporter un langage décadent, la convergence avec la tendance bavarde et délatrice à voir des maux mondains même là où il n'y en a pas. Si un journal romain devenu journal de référence de la révolution de François, comme Repubblica, insiste sur le fait que Bertone vit comme un pharaon, se moque des enfants malades de Bambino Gesù, bref, le mal absolu, et ensuite apporte comme preuves quatre conneries imprécises et diffamatoires, le chef du Saint-Siège, autorité civile et morale en plus d'être spirituelle, doit réagir sévèrement. Qu'il donne un coup de fil à Mauro (Ezio Mauro, le directeur, ndt), qu'il saute pour une fois la conversion avec le grand Spinozien (ndt: Scalfari). Je n'ai jamais aimé Bertone, bien qu'il ait été choisi par un pape que j'aimais inconditionnellement pour sa pensée théologique (...) Mais on ne saigne pas les cardinaux sur la place publique, si on aime un peu l'Eglise comme elle est, comme elle était et comme elle sera toujours.

L'argent ne sert pas seulement à faire l'aumône, cela, c'est une utopie régressive. L'argent est un moyen décisif de communication entre les hommes, depuis toujours, et il n'y a pas besoin de revenir à une Eglise constantinienne et au régime chrétien pour comprendre que l'argent sert à assurer l'indépendance de l'institution, la 'libertas ecclesiae' en plus du fonctionnement des œuvres de miséricorde qui constituent le gros des dépenses et des investissements de la Maison mère dans le monde entier. L'Eglise est certes dépossession, dans tous les sens du terme, certaines choses ne devraient pas être tolérés par la hiérarchie et par son Gardien, mais l'argent, comme faculté, a commandé les grandes œuvres de Michel-Ange, et tout le reste, des choses que François est le premier à reconnaître comme patrimoine non seulement de l'Eglise, mais de l'humanité. L'histoire ne doit pas être simplifiée et comprimée dans des interviews de théologie du peuple qui puisse satisfaire une image que le monde est prêt à idolâtrer, l'image pieuse tellement peu laïque d'une Eglise dépouillée d'influence et de pouvoir, sinon spirituel. Ce pouvoir et cette influence, certains iront les chercher dans les interstices et dans les espaces laissés vides par la culture d'empreinte chrétienne et occidentale. L'esprit va et vient, où il veut, même dans la cassette des indulgences et dans les œuvres de miséricorde coûteuses ou dans la création d'un monde divin parallèle, celui des images et des œuvres d'art. L'Eglise n'est propriétaire de rien, elle est ouvrière de l'Esprit, elle est évangélique, d'accord, bien sûr, mais sa dignité pauvre et pour les pauvres ne supporte pas les arabesques hypocrites, pharisaïques, celles-là, dans le pire sens du terme, des populismes d'emprunt et des guerres intestines à l'enseigne de la logique anti-institutionnelle.
Peut-être que je me trompe, mais pour moi, c'est ainsi.

NDT (rappel)

[1] En fait, le 20 février 2009, en pleine tempête Williamson, at au moment où éclatait la polémique au sujet d'une fillette ayant avorté au Brésil, lors d'une visite au Grand Séminaire Pontifical Romain, Benoît XVI disait, citant la lettre de Saint-Paul aux Galates:

"Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde que vous allez vous entre-détruire... Laissez-vous mener par l'Esprit". Il me semble que dans cette communauté - qui n'était plus sur la voie de la communion avec le Christ, mais de la loi extérieure de la "chair" - ressortent naturellement également des polémiques et Paul dit: "Vous devenez comme des bêtes sauvages ("belve"), l'un mord l'autre". Il évoque ainsi les polémiques qui naissent là où la foi dégénère en un intellectualisme et l'humilité est remplacée par l'arrogance d'être meilleur que l'autre.

Nous voyons bien qu'aujourd'hui encore, il y a des cas semblables où, au lieu de s'insérer dans la communion avec le Christ, dans le Corps du Christ qui est l'Eglise, chacun veut être supérieur à l'autre et avec une arrogance intellectuelle, veut faire croire qu'il est meilleur. C'est ainsi que naissent les polémiques qui sont destructrices, que naît une caricature de l'Eglise qui devrait être une seule âme et un seul cœur.